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HOMÉLIE DU CARDINAL ROGER ETCHEGARAY 
LORS DE LA MESSE POUR LES FRANCOPHONES 
DANS LA BASILIQUE SAINTE-MARIE-DES-ANGES

Samedi 14 octobre 2000


Chers frères et soeurs,

L'Evangile de notre Messe (Lc 2, 41-52) relate une scène de famille assez insolite dont un enfant de douze ans est bien le protagoniste, à l'occasion d'un pèlerinage à Jérusalem. Ce récit ne pouvait mieux s'accorder avec le thème de votre Jubilé:  "Les enfants, printemps de la famille et de la société". Jésus, par sa manière de répondre aux docteurs du Temple et à ses parents angoissés, se révèle le vrai maître des uns et des autres. Sa sève printanière est riche de toute la sagesse de Dieu:  le fils de Marie se présente entièrement donné aux affaires de son Père du ciel. Ce jour est le plus beau jour du plus beau printemps de la Sainte Famille de Nazareth.

Et aujourd'hui, familles chrétiennes venues en pèlerinage jubilaire à Rome, l'Eglise après Jean-Paul II proclame avec force que "les enfants sont le printemps de la famille et de la société". Votre Jubilé, en saluant vos enfants comme un vrai printemps, veut être un grand acte de foi et d'espérance en l'avenir de la famille et de l'humanité.

A chaque naissance s'ouvre un nouveau défi à l'avenir. Et vous savez bien, par l'exercice laborieux de l'éducation, que le mystère d'une vie familiale est encore plus profond que le mystère d'une vie conjugale:  que sera cet enfant? que sera votre enfant? Irruption de l'inconnu au dedans et au-delà des efforts les plus ingénieux de l'amour face aux provocations de la liberté humaine. Paradoxe de l'éducation qui repose sur des convictions mais ne jouit d'aucune assurance, qui ne s'affirme aujourd'hui que pour s'effacer demain.

L'enfant, printemps de la famille et de la société. Ces deux réalités ne sont pas dissociables et indépendantes, elles se nourrissent l'une de l'autre. La société cherche à réaliser son unité; mais c'est dans le "nous" familial qu'elle l'atteint au plus haut degré. La société, d'elle-même, ne peut que rassembler des  êtres  déjà  existants.  La  famille, elle, offre une unité qui est une source, une source sans cesse jaillissante d'êtres nouveaux. C'est dans le mystère de la génération qu'apparaît le mystère de l'unité humaine. Si la société doit garantir la famille, c'est la famille qui perpétue la société:  la famille porte la société encore plus que la société ne porte la famille.

Nous connaissons le vers célèbre du poète (Victor Hugo):  "Lorsque l'enfant paraît, le cercle de famille applaudit à grands cris". Mais cette apparition n'a rien de romantique ou d'idyllique:  le cercle doit un jour s'ouvrir pour laisser s'éloigner l'enfant. Toute famille se fait pour se défaire ensuite, ou plutôt, pour trouver une nouvelle manière de vivre le lien familial. La vie familiale est passionnante au double sens du mot, souffrante et exaltante à la fois. Que ce Jubilé vous aide à mieux saisir en toute vérité ce que veut dire un fils "printemps" de la famille. Printemps, certes et avant tout; mais aussi, fils des quatre saisons, comme dans un cycle complet.
Le temps jubilaire est un temps d'audace spirituelle pour sauter le plus haut possible vers l'Evangile qui pose la barre à une hauteur même invisible à vue humaine. Il ne s'agit pas de performance olympique, mais de qualité de la foi.

M'adressant  en  plein  Jubilé  à  des foyers chrétiens, j'ose vous interpeller sur votre devoir d'évangéliser la famille elle-même. Il nous faut croire que cette évangélisation est possible, malgré l'image saccagée que notre époque semble refléter de la vie familiale. Il nous faut croire que cette évangélisation est nécessaire, car le rôle de la famille, à travers des modèles variables, demeure toujours fondamental pour la société humaine.

Le Seigneur vous a donné beaucoup comme foyers chrétiens, il vous demande encore plus comme foyers jubilaires. Par votre vie, témoignez autour de vous de l'originalité, de la singularité du mariage chrétien que si peu de gens, et même si peu de chrétiens comprennent, le réduisant à un mariage civil saupoudré de quelques rites religieux. Vous êtes chargés de révéler la sacramentalité, la signification du mariage dans toute la richesse de son mystère.

Le mariage est le symbole du don que le Christ fait de sa vie pour l'Eglise:  il signifie l'alliance de Dieu avec son peuple. Ce thème mystique peut paraître à certains inaccessible, voire irréel. Il demeure pourtant le fond même du mariage chrétien où des époux croyants par leur vie commune annoncent prophétiquement la création nouvelle où seront parfaitement conjuguées l'intimité et l'universalité de l'amour, sans que la première perde de sa profondeur, ni la seconde de son extension.

"Ce sacrement est grand", disait saint Paul (Ep 5, 32). Oui, très grand. Avec la grâce de Dieu, il faut avoir le courage de se hisser à ce haut niveau de réalités spirituelles. Sinon, on ne comprend rien au mariage proprement chrétien. Sans doute, le christianisme n'est pas une religion de héros ou d'élite; il est cependant une religion de saints, une religion du sel et du levain. Soyez-en assurés:  au milieu de toutes les dérives actuelles concernant l'amour, c'est bien vers l'image du mariage chrétien que les gens se tournent plus ou moins confusément, pressentant que seule la noblesse de l'amour peut les  combler.  Ils  attendent  que   des foyers chrétiens témoignent avec netteté de la vérité du message de l'Eglise sur le mariage. Et puisqu'il est vrai que le seul langage employé par Dieu pour expliquer son amour à l'égard de ses créatures a été le langage conjugal, comment un foyer chrétien ne se sentirait pas stimulé dans sa mission évangélisatrice des foyers comme tels?

Je m'arrête... L'Evangile de cette Messe nous transportait avec la Sainte Famille au Temple de Jérusalem. C'est toujours dans la maison de Dieu que se fait entendre l'appel à la sainteté, aux plus hautes exigences de la vie chrétienne. Mais c'est à Nazareth que Jésus grandit "en sagesse, en taille et en grâce sous le regard de Dieu et des hommes", entouré des siens et de ses concitoyens. C'est là qu'il a passé le temps le plus long de sa vie terrestre. C'est là que vous devez puiser chaque jour, comme à la fontaine du village, l'eau vive qui fait d'une famille une famille chrétienne.

Courage! Que vous ayez des enfants ou non, vous avez tous un fils qui s'appelle Jésus. C'est lui, le vrai printemps, l'espérance, la réalité et pas seulement la promesse d'un monde nouveau que toute Eucharistie, par anticipation, rend présent. Avec joie entrons dans le mystère de cet éternel printemps. Viens, Seigneur Jésus! Maranatha!

Amen.

 

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