Munich,
30 juin – 6 juillet 1982
LE MYSTÈRE DE
L’ÉGLISE ET DE L’EUCHARISTIE
À LA LUMIÈRE
DU MYSTÈRE DE LA SAINTE TRINITÉ
(cfr.
Communiqué, p. 64 supra)
Fidèle au
mandat reçu à Rhodes, ce rapport aborde le mystère de l’Église par un seul
de ses aspects, mais un aspect particulièrement important dans la perspective
sacramentelle de l’Église, à savoir le mystère de l’Église et de l’Eucharistie
à la lumière du Mystère de la Sainte Trinité. En effet, on demandait de
partir de ce que nous avons en commun et, en le développant, d’aborder de
l’ intérieur et progressivement tous les points sur lesquels nous ne sommes
pas en accord.
En rédigeant
ce document, nous entendons montrer que ce faisant, nous exprimons ensemble
une foi qui est la continuation de celle des apôtres.
Ce document
marque la première étape de cet effort pour réaliser le programme de la
commission préparatoire approuvé lors de la première réunion de la
commission de dialogue.
Puisqu’il
s’agit d’une première étape, abordant le mystère de l’Église par un
seul de ses aspects, bien des points n’y sont pas encore traités. Ils le
seront dans les étapes suivantes, telles qu’elles sont prévues dans le
programme mentionné ci-dessus.
I
1. Le
Christ, Fils de Dieu incarné, mort et ressuscité, est le seul qui a vaincu
le péché et la mort. Parler de la nature sacramentelle du mystère du
Christ, c’est donc évoquer la possibilité donnée à l’homme et, à
travers lui, au cosmos, de faire l’expérience de la nouvelle création,
Royaume de Dieu, hic et nunc, par les réalités sensibles et créées. Tel est
le mode (tropos) dans lequel l’unique Personne et l’unique événement du
Christ existent et opèrent dans l’histoire depuis la Pentecôte et jusqu’à
la Parousie. Cependant, la vie éternelle, que Dieu a donnée au monde dans l’événement
du Christ, son Fils éternel, est portée dans des vases d’argile. Elle
n’est donnée encore qu’en avant-goût, comme arrhes.
2. A la
dernière Cène, le Christ a affirmé qu’il donnait son Corps aux disciples
pour la vie de la multitude, dans l’Eucharistie. Ce don y est fait par Dieu au
monde, mais sous forme sacramentelle. A partir de ce moment, l’Eucharistie
existe comme sacrement du Christ lui-même. Elle devient l’avant-goût de la
vie éternelle, le remède d’immortalité, le signe du Royaume à venir. Le
sacrement de l’événement du Christ passe ainsi dans le sacrement de
l’Eucharistie. Sacrement qui nous incorpore pleinement au Christ.
3. L’incarnation
du Fils de Dieu, sa mort et sa résurrection ont été réalisées dès le départ
selon la volonté du Père, dans l’Esprit Saint. Cet Esprit, qui procède éternellement
du Père et se manifeste par le Fils, a préparé l’événement du Christ et
il l’a réalisé pleinement dans la résurrection. Le Christ, qui est le
Sacrement par excellence, donné par le Père pour le monde, continue de se
donner pour la multitude, dans l’Esprit, le seul qui vivifie (Jean,
6). Le sacrement du Christ est aussi une réalité qui ne peut exister que dans
l’Esprit.
4. L’Église
et l’Eucharistie:
a) Bien que les Evangélistes, dans le récit de la Cène, se taisent
sur l’action de l’Esprit, il était pourtant conjoint plus que jamais au
Fils incarné pour l’accomplissement de l’oeuvre du Père. Il n’est pas
encore donné, reçu comme Personne, par les disciples (Jean
7, 39). Mais quand Jésus est glorifié, alors l’Esprit lui aussi se répand
et se manifeste. Le Seigneur Jésus entre dans la gloire du Père et, en même
temps, par l’effusion de l’Esprit, dans son tropos sacramentel en ce
monde-ci. La Pentecôte, achèvement du mystère pascal, inaugure du même coup,
les derniers temps. L’Eucharistie et l’Église, Corps du Christ crucifié et
ressuscité, deviennent lieu des énergies de l’Esprit Saint.
b) Les croyants sont baptisés dans l’Esprit au nom de la Sainte
Trinité pour former un seul corps (cf. 1
Cor 12,13) Quand l’Église célèbre l’Eucharistie, elle réalise «ce
qu’elle est», Corps du Christ (1 Cor 10,17).
Par le baptême et la chrismation, en effet, les membres du Christ sont joints
par l’Esprit, greffés sur le Christ. Mais par l’Eucharistie, l’événement
pascal se dilate en Église. L'Église devient ce qu’elle est appelée à être
de par le baptême et la chrismation. Par la communion au Corps et au Sang du
Christ, les fidèles croissent en cette divinisation mystérieuse qui accomplit
leur demeure dans le Fils et le Père, par l’Esprit.
c) Ainsi, d’une part, l’Église célèbre l’Eucharistie comme
expression, en ce temps-ci, de la liturgie céleste. Mais, d’autre part, l’Eucharistie
édifie l’Église, en ce sens que par elle l’Esprit du Christ ressuscité façonne
l’Église en Corps du Christ. C’est pourquoi l’Eucharistie est en vérité
le Sacrement de l’Église, à la fois comme sacrement du don total que le
Seigneur fait lui-même aux siens et comme manifestation et croissance du Corps
du Christ, l’Église. L’Église pérégrinante célèbre l’Eucharistie sur
la terre jusqu’à ce que son Seigneur vienne remettre la Royauté à Dieu le Père,
afin que Dieu soit tout en tous. Elle anticipe ainsi le jugement du monde et sa
transfiguration finale.
5. La
mission de l’Esprit demeure conjointe à celle du Fils. La célébration de
l’Eucharistie révèle les énergies divines manifestées par l’Esprit à
l’oeuvre dans le Corps du Christ:
a) L’Esprit prépare la venue du Christ en l’annonçant par les
Prophètes, en guidant vers lui l’histoire du peuple élu en le faisant
concevoir de la Vierge Marie, en ouvrant les coeurs à sa Parole.
b) L’Esprit manifeste le Christ dans son oeuvre de Sauveur, l’Evangile
qu’il est lui-même. La célébration eucharistique est l’Anamnèse (le Mémorial):
vraiment, mais sacramentellement, aujourd’hui, l’Ephapax est et advient. La
célébration de l’Eucharistie est le kairos
par excellence du mystère.
c) L’Esprit transforme les Dons sacrés dans le Corps et le Sang du
Christ (metabolè), pour que s’accomplisse la croissance du Corps qui est l’Église.
En ce sens, la célébration entière est une épiclèse, qui s’explicite
davantage à certains moments. L’Église est perpétuellement en état d’épiclèse.
d) L’Esprit met en communion avec le Corps du Christ ceux qui
participent au même pain et au même calice. A partir de là, l’Église
manifeste ce qu’elle est: le sacrement de la koinônia trinitaire, la «demeure
de Dieu avec les hommes» (cf. Ap
21,4).
L’Esprit en
actualisant ce que le Christ a fait une fois pour toutes — l’événement du
mystère — l’accomplit en nous tous. Cette relation au mystère, plus évidente
dans l’Eucharistie, se retrouve dans les autres sacrements, tous des actes de
l’Esprit. C’est pourquoi l’Eucharistie est le centre de la vie
sacramentelle.
6. La célébration
eucharistique prise en son ensemble rend présent le mystère trinitaire de l’Église.
On y passe de l’audition de la Parole, culminant dans la proclamation de l’Evangile
— annonce apostolique de la Parole faite chair — à l’action de grâce
envers le Père, au mémorial du sacrifice du Christ et à la communion en
celui-ci grâce à la prière épiclétique faite dans la foi. Car, dans l’Eucharistie,
l’épiclèse n’est pas uniquement une invocation pour la transformation
sacramentelle du pain et de la coupe. Elle est aussi une prière pour le plein
effet de la communion de tous au mystère révélé par le Fils.
De cette manière,
la présence de l’Esprit lui-même s’étend par le partage du sacrement de
la Parole faite chair, à tout le corps de l’Église. Sans vouloir encore résoudre
les difficultés suscitées entre l’Orient et l’Occident au sujet de la
relation entre le Fils et l’Esprit, nous pouvons déjà dire ensemble que cet
Esprit qui procède du Père (Jean
15,26), comme de la seule source dans la Trinité, et qui est devenu l’Esprit
de notre filiation (Rom 8,15) car il
est aussi l’Esprit du Fils (Gal 4,6),
nous est communiqué, particulièrement dans l’Eucharistie, par ce Fils sur
lequel il repose, dans le temps et dans l’éternité (Jean
1,32).
C’est
pourquoi le mystère eucharistique s’accomplit dans la prière qui conjoint
les paroles par lesquelles la Parole faite chair a institué le sacrement et
l’épiclèse dans laquelle l’Église mue par la foi, supplie le Père, par
le Fils, d’envoyer l’Esprit pour que dans l’unique oblation du Fils incarné
tout soit consommé dans l’unité. Par l’Eucharistie, les croyants
s’unissent au Christ, qui s’offre au Père avec eux, et reçoivent le
pouvoir de s’offrir en esprit de sacrifice les uns aux autres comme le Christ
lui-même s’est offert au Père pour la multitude, se donnant ainsi aux hommes.
Cette
consommation dans l’unité, accomplie inséparablement par le Fils et l’Esprit,
agissant dans la référence au Père et à son dessein, est l’Église en sa
plénitude.
II
1. En se
référant au Nouveau Testament, on remarquera d’abord que l’Église désigne
une réalité «locale». L’Église existe dans l’histoire comme Église
locale. Pour une région, on parle plutôt des Églises, au pluriel. Il s’agit
toujours de l’Église de Dieu, mais dans un lieu.
Or l’Église
qui existe dans un lieu n’est pas formée, radicalement, par les personnes
s’ajoutant pour la constituer. Il existe une «Jérusalem d’en haut», qui
«descend de chez Dieu», une communion fondatrice de la communauté elle-même.
L’Église est constituée par un don gratuit, celui de la nouvelle création.
Il est
cependant clair que l’Église «qui est en» tel lieu se manifeste comme telle
lorsqu’elle est «assemblée». Cette assemblée elle-même dont les éléments
et les exigences sont indiqués par le Nouveau Testament, est pleinement telle
lorsqu’elle est synaxe eucharistique. En effet, quand l’Église locale célèbre
l’Eucharistie, l’événement advenu «une fois pour toutes» est actualisé
et manifesté. Dans l’Église locale, il n’y a alors ni homme ni femme, ni
esclave ni homme libre, ni juif ni grec. Une nouvelle unité se trouve communiquée,
qui surmonte les divisions et restaure la communion dans l’unique Corps du
Christ. Cette unité transcende l’unité psychologique, raciale,
socio-politique ou culturelle. Elle est la «communion de l’Esprit Saint»
rassemblant les enfants de Dieu dispersés. La nouveauté du baptême et de la
chrismation porte alors tout son fruit. Et par la puissance du Corps et du Sang
du Seigneur, rempli de l’Esprit Saint, le péché, qui ne cesse d’assaillir
les chrétiens, faisant obstacle au dynamisme de «la vie pour Dieu dans le
Christ Jésus» reçu au baptême, est guéri. Ceci vaut aussi du péché de
division, dont toutes les formes contredisent le dessein de Dieu.
L’un des
textes majeurs à rappeler est 1 Cor.
10, 15-17: un seul Pain, un seul Calice, un seul Corps du Christ dans la
pluralité des membres. Ce mystère de l’unité dans l’amour de plusieurs
personnes constitue proprement la nouveauté de la koinônia trinitaire
communiquée aux hommes, dans l’Église, par l’Eucharistie. Tel est le but
de l’oeuvre salvifique du Christ, répandue dans les derniers temps, depuis la
Pentecôte.
C’est
pourquoi l’Église trouve son modèle, son origine et sa fin dans le mystère
du Dieu un en trois Personnes. Bien plus, l’Eucharistie ainsi comprise à la
lumière du mystère trinitaire constitue le critère pour le fonctionnement de
la vie ecclésiale en son entier. Les éléments institutionnels ne doivent être
qu’un reflet visible de la réalité mystérique.
2. Le déroulement
de la célébration eucharistique de l’Église locale montre comment la koinônia
s’actualise dans l’Église célébrant l’Eucharistie. Dans la célébration
de l’Eucharistie par la communauté entourant activement l’évêque ou le
presbytre en communion avec lui, on relève les aspects suivants, intérieurs
l’un à l’autre, même si tel ou tel moment de la célébration accentue
particulièrement tel ou tel aspect.
La koinônia
est eschatologique. Elle est la nouveauté qui vient dans les derniers temps.
C’est pourquoi tout commence, dans l’Eucharistie comme dans la vie de l’Église,
par la conversion et la réconciliation. L’Eucharistie présuppose la
repentance (métanoia) et la confession (exomologèse), qui trouvent ailleurs
leur expression sacramentelle propre. Mais l’Eucharistie remet et guérit
aussi les péchés, puisqu’elle est le Sacrement de l’amour divinisant du Père,
par le Fils, dans l’Esprit Saint.
Mais cette
koinônia est également kérygmatique. Cela se vérifie dans la synaxe non
seulement parce que la célébration «annonce» l’événement du mystère,
mais aussi parce qu’elle l’actualise aujourd’hui dans l’Esprit. Cela
implique l’annonce de la Parole à l’assemblée et la réponse de foi de
tous. Ainsi s’actualise la Communion de l’assemblée dans le kérygme, donc
l’unité dans la foi. L’orthodoxie est inhérante à la koinônia
eucharistique. Cette orthodoxie s’exprime le plus clairement par la
proclamation du symbole de la foi qui est le condensé de la tradition
apostolique dont l’évêque est le témoin en vertu de sa succession. Ainsi
l’Eucharistie est-elle indissociablement, Sacrement et Parole puis-qu’en elle
c’est le Verbe incarné qui sanctifie dans l’Esprit. C’est pourquoi la
liturgie tout entière, et non seulement la lecture des Saintes Ecritures,
constitue une proclamation de la Parole sous forme de doxologie et de prière.
Inversement, la parole proclamée est la Parole faite chair, et devenue
sacramentelle.
La koinônia
est à la fois ministérielle et pneumatique. C’est pourquoi l’Eucharistie en
est la manifestation par excellence. Toute l’assemblée, chacun à son rang,
est «liturge» de la koinônia, et elle ne l’est que par l’Esprit Saint.
Tout en étant don du Dieu trinitaire, la koinônia est aussi réponse des
hommes. Ceux-ci, dans la foi qui vient de l’Esprit et de la Parole, mettent en
oeuvre la vocation et la mission reçues au baptême: devenir, chacun à son
rang, membres vivants du Corps du Christ.
3. Le ministère
de l’évêque ne s’épuise pas dans une fonction tactique ou
pragmatique (parce qu’il faut bien un président), mais c’est une fonction
organique. L’évêque, reçoit le don de la grâce épiscopale (1
Tim 4,14) dans le sacrement de la consécration, accomplie par les évêques
qui ont eux-mêmes reçu ce don, grâce à l’existence d’une succession
ininterrompue des chirotonies épiscopales, en commençant par les saints apôtres.
Par le sacrement de l’ordination, l’Esprit du Seigneur «confère» à l’évêque,
non pas juridiquement, comme une pure transmission du pouvoir, mais
sacramentellement, l’exousia de Serviteur que le Fils a reçu du Père et
qu’il a humainement accueilli par son consentement dans sa Passion.
La fonction de
l’évêque est étroitement liée à l’assemblée eucharistique qu’il préside.
L’unité eucharistique de l’Église locale implique la communion entre celui
qui préside et le peuple auquel il livre la Parole du Salut et les dons
eucharistiés. D’ailleurs, le ministre est aussi celui qui «reçoit» de son
Église, fidèle à la tradition, cette parole qu’il transmet. Et la grande
intercession qu’il fait monter vers le Père n’est autre que celle de son Église
tout entière avec lui. Pas plus que celle-ci ne peut être coupée de son évêque,
l’évêque ne peut être séparé de son Église.
L’évêque
se tient au coeur de l’Église locale comme ministre de l’Esprit pour
discerner les charismes et veiller à ce qu’ils s’exercent dans la concorde,
en vue du bien de tous, dans la fidélité à la tradition apostolique. Il se
situe au service des initiatives de l’Esprit pour que rien ne les empêche de
contribuer à l’édification de la koinônia. Il est ministre d’unité,
serviteur du Christ Seigneur, dont la mission est de «rassembler dans l’unité
les enfants de Dieu». Et puisque l’Église est édifiée par l’Eucharistie,
il est celui qui, revêtu de la grâce du ministère sacerdotal, préside à
celui-ci.
Mais cette présidence
doit être comprise. L’évêque préside à l’oblation qui est celle de sa
communauté tout entière. Consacrant les dons pour qu’ils deviennent le Corps
et le Sang que la communauté offre, il célèbre non seulement pour elle ni
seulement avec elle et en elle, mais par elle. Il apparaît alors comme ministre
du Christ faisant l’unité de son Corps, créant la communion par son corps. L’union de la communauté avec lui est
d’abord de l’ordre du Mystérion, non
primordialement de l’ordre juridique. C’est cette union exprimée dans l’Eucharistie
qui se prolonge et s’actualise dans l’ensemble des relations «pastorales»
du magistère, gouvernement, vie sacramentelle. La communauté ecclésiale est
ainsi appelée à être l’ébauche d’une communauté humaine renouvelée.
4. Il y a
communion profonde entre l’évêque
et la communauté dont l’Esprit lui confère la responsabilité pour l’Église
de Dieu. L’ancienne tradition l’évoquait, avec bonheur, par l’image des
noces. Mais cette communion se situe à l’intérieur de la communion avec la
communauté apostolique.
Dans la
tradition ancienne (dont fait foi notamment la Tradition
apostolique d’Hippolyte), l’évêque élu par le peuple — qui se porte
garant de sa foi apostolique, en conformité avec ce que l’Église locale
confesse — reçoit la grâce ministérielle du Christ par l’Esprit dans la
prière de l’assemblée et par l’imposition des mains (chirotonia)
des évêques voisins, témoins de la foi de leur propre Eglise. Son charisme,
venant directement de l’Esprit, lui est donné dans l’apostolicité de son
Église (reliée à la foi de la communauté apostolique) et dans celle des
autres Églises représentées par leur évêque. Par là, son ministère
s’insère dans la catholicité de l’Église de Dieu.
La succession
apostolique dit donc plus qu’une pure transmission de pouvoirs. Elle est
succession dans une Eglise, témoin de la foi apostolique, en communion
avec les autres Églises, témoins de la même foi apostolique. La sedes
(la cathedra) joue un rôle capital dans l’insertion de l’évêque au
coeur de l’apostolicité ecclésiale. D’autre part, une fois ordonné, l’évêque
devient dans son Église le garant de l’apostolicité, celui qui la représente
au sein de la communion des Églises,
son lien avec les autres Églises. C’est pourquoi, dans son Église, toute
Eucharistie ne peut se célébrer en vérité
que présidée par lui ou par un presbytre en
communion avec lui. Sa mention dans l’anaphore est essentielle.
Par le ministère
des presbytres, chargés de présider à la vie et à la célébration
eucharistique des communautés qui leur sont confiés, celles-ci croissent dans
la communion avec toutes les communautés
dont l’évêque a la responsabilité première. Dans la situation actuelle, le
diocèse lui-même est une communion de
communautés eucharistiques. L’une des fonctions essentielles des presbytres
est de les relier à l’Eucharistie de l’évêque et de les nourrir à la foi
apostolique dont l’évêque est le témoin et le garant. Ils doivent aussi
veiller à ce que, nourris du Corps et du Sang de celui qui a livré sa vie pour
ses frères, les chrétiens soient des témoins authentiques de l’amour
fraternel, dans le sacrifice réciproque nourri du sacrifice du Christ. En
effet, selon la parole de l’apôtre, «si quelqu’un voit son frère dans le
besoin et lui ferme ses entrailles, comment l’amour de Dieu demeurerait-il en
lui?». L’Eucharistie détermine la manière chrétienne de vivre le mystére
pascal du Christ et le don de Pentecôte. Grâce à elle s’opère une profonde
transformation de l’existence humaine toujours confrontée à la tentation et
à la souffrance.
III
1. Le
Corps du Christ est unique. Il n’existe donc qu’une Église de Dieu.
L’identité d’une assemblée eucharistique avec une autre, vient de ce que
toutes, avec la même foi, célèbrent le même mémorial, que toutes par la
manducation du même corps et la participation au même calice deviennent le même
et unique Corps du Christ auquel elles ont été intégrées par le même baptême.
S’il y a multiplicité de célébrations, il n’y a qu’un seul et unique
mystère célébré auquel on participe. En outre, quand le fidèle communie au
Corps et au Sang du Seigneur, il ne reçoit pas une partie du Christ, mais le
Christ total.
De même, l’Église
locale qui célèbre l’Eucharistie autour de l’évêque n’est pas une
section du Corps du Christ. La multiplicité des synaxes locales ne divise pas
l’Église, mais au contraire en manifeste sacramentellement l’unité. Comme
la communauté des apôtres rassemblés autour du Christ, chaque assemblée
Eucharistique est en vérité la Sainte Église de Dieu, le Corps du Christ, en
communion avec la première communauté des disciples et toutes celles qui par
le monde célèbrent et ont célébré le Mémorial du Seigneur. Elle est aussi
en communion avec l’assemblée des saints dans le ciel qu’évoque chaque célébration.
2. Loin
d’exclure la diversité sur la pluralité, la koinônia la suppose et elle guérit
les blessures de la division, transcendant celle-ci dans l’unité.
Puisque le
Christ est un pour la multitude, ainsi dans l’Église, qui est son Corps,
l’un et le plusieurs, l’universel et le local, sont nécessairement simultanés.
Plus profondément encore, parce que le Dieu un et unique est la communion de
trois Personnes, l’Église une et unique est communion de plusieurs communautés,
et l’Église locale communion de personnes. L’Église une et unique
s’identifie à la koinônia des Églises. Unité et multiplicité apparaissent
à ce point liées que l’une ne saurait exister sans l’autre. C’est cette
relation constitutive de l’Église que les institutions rendent visibles et,
pourrait-on dire historicisent.
3. Puisque
l’Église catholique se manifeste dans la synaxe de l’Église locale, deux
conditions surtout doivent être réalisées pour que l’Église locale qui célèbre
l’Eucharistie soit en vérité dans la communion ecclésiale.
a) En effet, l’identité du mystère de l’Église vécu dans l’Église
locale avec le Mystère de l’Église vécu par l’Église primitive —
catholicité dans le temps — est fondamentale. L’Église est apostolique
parce que fondée et sans cesse soutenue dans le Mystère du Salut révélé en
Jésus Christ, transmis dans l’Esprit par ceux qui furent ses témoins, les apôtres.
Ses membres seront jugés par le Christ et les apôtres (cf. Luc
22,30).
b) La reconnaissance mutuelle, aujourd’hui, entre cette Église locale
et les autres Églises, est elle aussi capitale. Chacun doit reconnaître dans
les autres, à travers les particularités locales, l’identité du Mystère de
l’Église. Il s’agit d’une reconnaissance mutuelle de catholicité comme
communion dans l’intégrité du mystère. Cette reconnaissance s’accomplit
d’abord au plan régional. La communion dans un même patriarcat ou dans
quelque autre forme d’unité régionale, est d’abord une manifestation de la
vie de l’Esprit dans une même culture ou de mêmes conditions historiques.
Elle implique également l’unité du témoignage et appelle l’exercice de la
correction fraternelle dans l’humilité.
Cette
communion à l’intérieur d’une même région doit se dépasser dans la
communion entre Églises soeurs.
Mais cette
reconnaissance mutuelle n’est vraie qu’aux conditions, exprimées dans l’Anaphore
de Saint Jean Chrysostome et les premières anaphores antiochiennes. L’une est
la communion dans le même kérygme, donc la même foi. Déjà contenue dans le
baptême, cette exigence s’explicite dans la célébration eucharistique. Mais
il faut en outre la volonté de la communion dans l’agapé et dans la
diaconie, non en paroles seulement, mais en actes.
Tant
permanence à travers l’histoire que reconnaissance mutuelle sont particulièrement
évoquées lors de la synaxe eucharistique par la mention des Saints au Canon et
aux dyptiques celle des responsables d’Église. On comprend ainsi pourquoi ces
derniers sont signes de l’unité catholique dans la communion eucharistique,
responsables, chacun à son plan, du maintien de la communion dans la symphonie
universelle des Églises et leur fidélité commune à la tradition apostolique.
4. On
retrouve donc entre ces Églises les liens de communion que le Nouveau Testament présente: communion dans la foi, dans l’espérance et dans l’amour, communion
dans les sacrements, communion dans
la diversité des charismes, communion dans
la réconciliation, communion dans le
ministère. De cette communion, l’agent
est l’Esprit du Seigneur ressuscité. De par lui, l’Église universelle,
catholique, intègre la diversité ou la pluralité en en faisant un de ses éléments
essentiels. Cette catholicité représente l’accomplissement de la prière du
chapitre 17 de l’Evangile selon Jean, reprise
dans les épiclèses eucharistiques.
Le
rattachement à la communion apostolique relie l’ensemble des évêques
assurant l’épiskopé des Églises
locales au collège des apôtres. Ils forment eux aussi un collège enraciné
par l’Esprit dans le «une fois pour toutes» du groupe apostolique, témoin
unique de la foi. Ceci signifie non seulement qu’ils doivent être unis entre
eux par la foi, la charité, la mission, la réconciliation mais aussi qu’ils
communient dans la même responsabilité et le même service de l’Église.
Parce que dans son Église locale l’Église une et unique s’accomplit,
chaque évêque ne peut séparer le souci de son Église du souci de l’Église
universelle. Et lorsque par le sacrement de l’ordination, il reçoit le
charisme de l’Esprit pour l’épiskopé d’une Église locale, la sienne, il reçoit du fait même
le charisme de l’Esprit pour l’épiskopé
de toute l’Église.
Dans le peuple
de Dieu, il l’exerce en communion avec
tous les évêques hic et nunc et
charge d’Églises et en communion avec la tradition vivante que les évêques
du passé ont transmise. La présence d’évêques de sièges voisins à son
ordination épiscopale «sacramentalise» et actualise cette communion. Elle produit une osmose de sa sollicitude pour la
communauté locale et du souci de l’Église répandue par toute la terre. L’épiskopé
de l’Église universelle se trouve confiée, par l’Esprit à
l’ensemble des évêques locaux, en
communion les uns avec les autres. Cette communion
s’exprime traditionnellement dans la pratique conciliaire. Nous aurons à
examiner ultérieurement la manière dont celle-ci est conçue et réalisée,
dans les perspectives de ce que nous venons de préciser.