![]() |
![]() ![]() ![]() |
![]() |
![]() |
STUDIASCIENCE ET SCIENTISME Conférence prononcée au Colloque International «Le défi du sécularisme et le futur de la foi, au seuil du troisième millénaire» (Université Urbanienne, Rome, 30 novembre 1995). Georges COTTIER O.P. L'impérialisme de la méthode 1. Il est question, dans l'énoncé du titre, d'une science. Veut-on suggérer que nous pourrions imaginer une autre science? Pour l'instant laissons ce point de côté. Par lui nous sommes dirigés vers le problème de l'univocité de la science. Mais c'est le singulier qui retiendra d'abord notre attention. Faut-il parler de la science ou des sciences? Les deux formules sont justifiées. Le pluriel semble tenir à la nature expérimentale des sciences. C'est en délimitant toujours plus rigoureusement ses champs d'investigation, et en posant des questions particulières et limitées, que le savoir scientifique s'est montré d'une extraordinaire fécondité. Le singulier tient à la méthode, qui est celle de l'induction, à partir d'un ensemble de faits observés, de constantes ou de lois exprimées grâce à un langage mathématique tenu pour capable d'éliminer toute formulation équivoque. La même structure s'exprime dans la démarche inverse. L'hypothèse suppose quel pourrait ou devrait être le comportement de la nature. L'observation ou l'expérimentation vérifie si la nature se comporte effectivement de la manière prévue. La construction des modèles ressortit à cette logique. La méthode scientifique, schématiquement évoquée, comporte ainsi une double polarité: le pôle des faits observés, le pôle de la formalisation mathématique. Ces deux pôles sont-ils en pleine harmonie? Husserl a posé la question du point de vue de la théorie. Mais le développement scientifique étant finalisé par la recherche des résultats pratiques a pu se déployer au début sans qu'on ait à se préoccuper outre mesure des problèmes d'épistémologie. Ainsi reconnaîtra-t-on à l'origine de la science moderne une double approche. Galilée et Descartes ont inauguré la première approche, qui procède à partir des mathématiques et de la géometrie. La définition cartésienne de la matière comme res extensa en fait une réalité mathématique, de nature homo-gène. Fondamentalement, la science est une. L'empirisme, illustré par des penseurs comme Locke et Hume, représente la seconde approche. On part des faits singuliers saisis par la perception sensible. Objets de constatation, ils ne sont porteurs d'aucune nécessité. L'établissement de lois est donc aléatoire. Tendanciellement, le savoir scientifique se divise en fonction de la pluralité de ses champs d'application. 2. La physique exerce sur l'ensemble des sciences de la nature, en vertu de sa méthode, une forte attraction. Elle se présente comme modèle et prototype de toute science. Les correspondances qu'elle établit à l'intérieur de son champ immense entre la physique des particules et l'astrophysique, par exemple, renforcent ce pouvoir d'attraction. On a ainsi pensé pouvoir appliquer à d'autres champs du savoir la méthode qui avait si bien réussi dans la connaissance de la nature. Auguste Comte, quand il crée la sociologie, a devant les yeux le modèle de la physique et de l'astronomie. On trouve des projets similaires en psychologie, en histoire, ou dans les sciences juridiques. Avec ces tentatives, nous rencontrons une première signification du scientisme. On peut le décrire ainsi: il n'y a qu'une seule méthode, univoque, du savoir, celle qui a cours dans les sciences de la nature. Cette méthode doit donc être d'usage universel. En dehors d'elle, il n'existe pas de connaissance digne de ce nom. Logiquement, plusieurs promoteurs de cette conception, à commencer par Comte lui-même, proclameront la mort de la philosophie; d'autres parleront de l'inanité de la métaphysique. Encore aujourd'hui cette manière de voir a ses partisans. Ainsi Claude Lévi-Strauss affirme-t-il d'une manière péremptoire: «[...] Nous croyons que le but dernier des sciences humaines n'est pas de constituer l'homme mais de le dissoudre». L'effacement du sujet représente ainsi une nécessité d'ordre méthodologique. Ou encore: «Pour autant que les sciences humaines réussissent à faire oeuvre véritablement scientifique, chez elles, la distinction entre l'humain et le matériel s'estompe. Si jamais elles deviennent des sciences de plein droit, elles cesseront de se distinguer des autres». Il faut sans doute, dans les propos du brillant ethnologue, faire la part du paradoxe provocateur. Néanmoins, on retiendra que sa réflexion a pour arrière-fond une conception matérialiste de l'univers, proche du matérialisme français du XVIIIe siècle. L'exemple de Lévi-Strauss nous intéresse en tant qu'il est significatif de ce que nous pourrions appeler l'impérialisme de la méthode. Un semblable impérialisme, mais avec une exigence de rigueur incomparablement plus sérieuse, se rencontrait chez les représentants du «Cercle de Vienne», qui, outre de Mach, se réclament explicitement de Bertrand Russell et du Wittgenstein du Tractatus. Le penseur le plus significatif de «l'empirisme logique» est Rudolf Carnap, dont les positions ont par ailleurs connu de notables évolutions, dans le sens d'une prudence toujours plus accentuée dans les affirmations. Il reste qu'en identifiant la science dans son statut parfait avec la physique, en réduisant la philosophie à la logique de la science, et en combattant la métaphysique, Carnap a entretenu la mentalité scientiste. 3. Carnap et le positivisme logique s'inscrivent dans un mouvement plus large qui me semble caractéristique de la situation actuelle de la science ( ou des sciences ) dans la culture, j'entends la nécessité perçue d'une réflexion sur la science elle-même ou, si l'on préfère, le besoin de travaux d'épistémologie. Les prémisses d'une telle réflexion, sa méthode et ses conclusions sont, comme l'on sait, loin d'être identiques chez tous. Mais là n'est pas le problème dont nous devons nous occuper. Je voudrais me contenter à ce propos de deux remarques. La première est qu'une attitude, comme celle de Carnap, illustre un projet réducteur: la science représente la seule authentique connaissance humaine; la science a son modèle le plus accompli dans la physique; les autres sciences, en tant précisément qu'elles sont des sciences, doivent se conformer aux canons de la physique. Cette conception est directement combattue par des représentants des «sciences humaines», qui mettent en évidence ce que leur discipline a de spécifique et, partant, d'irréductible. Le concept de science est un concept analogique. On préférera donc parler de sciences au pluriel. La seconde remarque est que le scientisme dont nous parlons ne tient pas à la nature de la science; il est une thèse philosophique, qui consiste à conférer un caractère exclusif à la science et à la vérité scientifique. Si un scientifique est scientiste, c'est en vertu d'une conviction personnelle ou parce qu'il subit une influence de son milieu culturel, ce n'est pas en vertu de conclusions tirées de la science qu'il pratique. La prise de conscience de la pluralité irréductible des savoirs suffira-t-elle à dissiper tout scientisme? La question est une question de culture philosophique. La tentation de traiter de toute question rencontrée dans le prolongement homogène de la discipline que l'on pratique, sans procéder à un examen épistémologique critique préalable, est toujours présente. C'est ainsi que les progrès dans le décryptage du code génétique ont suscité le retour de la question de la liberté et du déterminisme. La technique 4. Descartes avait prédit que la nouvelle science permettrait aux hommes de devenir «maîtres et possesseurs de la nature». Une fin pratique était ainsi assignée au savoir. L'histoire semble avoir vérifié la prédiction. Ceci est vrai, mais seulement à condition de jeter un regard simplificateur sur le processus dans son ensemble. Ici intervient la technique. La technique moderne est conçue comme une application des découvertes scientifiques, et ceci d'autant plus aisément qu'aux débuts on se fait du monde l'image d'une grande mécanique. Mais les rapports entre science et technique sont multiples et complexes et le terme d'application ne suffit pas à les décrire tous. D'abord, l'application technique ne va pas de soi et ne se réalise pas automatiquement. Elle doit être sollicitée par des besoins, réels ou artificiels; elle est dépendante des ressources et des intérêts économiques disponibles et des choix politiques. Ce qui n'empêche pas, et compte tenu de ces conditionnements, que le développement technique obéisse à une logique propre. Par ailleurs, la recherche scientifique elle-même dépend d'instruments techniques de plus en plus sophistiqués. La technique fournit ainsi un ensemble de moyens au service de la connaissance. Le nombre et la qualité sans cesse croissants des appareils requièrent, de la part de la société, une politique de la recherche, qui peut peser sur les pures exigences de la connaissance, et entrer en conflit avec elles. La question du choix par les scientifiques eux-mêmes des programmes de recherche a ainsi une incidence politique qui fait appel à leur responsabilité d'hommes. La recherche désintéressée doit être protégée, mais il est clair que dès que l'on assigne aux connaissances une fin utile, sans regarder d'abord à la finalité intrinsèque de la connaissance, on met cette dernière dans une situation de grande vulnérabilité. Le possible et le licite 5. L'usage relativement récent du terme de manipulation, dans un sens porteur de crainte et suggérant le désaveu, nous conduit à reconnaître une troisième forme de relation de la technique au savoir. La manipulation porte sur des objets, dont on dispose à son gré quant à l'usage qu'on en fait et quant aux modifications qu'on leur impose. Or le progrès conjoint du savoir scientifique et de moyens techniques de plus en plus affinés permet de «manipuler» les sources et les premiers moments de la vie humaine. C'est à ce point qu'a surgi la question, avec laquelle se débat notre culture: peut-on le faire? Qu'on puisse le faire parce qu'on en a les moyens techniques, c'est évident. Mais la question ne porte pas sur la capacité de la technique, qui, parce que celle-ci est bien connue, n'a pas besoin de réponse. La question procède en l'homme d'une instance qui n'est ni celle de la connaissance scientifique, ni celle des possibilités techniques; elle procède de l'instance éthique, qui énonce le possible au sens d'éthiquement licite (cf. mon article Du possible et du licite, in Nova et Vetera, 1994/3, p. 161-174). Nous retrouvons ici, sous une forme nouvelle, le scientisme. En effet, la question: peut-on le faire? a un double sens et crée une tension, dont nous n'avons sans doute pas encore mesuré toute la portée. Disons que l'attitude scientiste consiste à nier l'existence de cette tension ou à la supprimer au nom d'une logique du pouvoir technique, qui seule déciderait de la responsabilité. La maîtrise et la possession de la nature ont franchi un pas sans doute qualitativement nouveau avec les progrès, en notre siècle, des sciences de la vie. L'homme non seulement est capable de capter les énergies, de combiner les éléments. Par la connaissance de l'alphabet à partir duquel se construisent les divers vivants, il intervient au niveau des potentialités de la nature, potentialités que celle-ci n'a pas toujours actualisées. Il est à même de modifier, de «corriger» et de produire de l'inédit. Cette possibilité est déjà largement utilisée dans les domaines végétal et animal. C'est avec l'homme et la biologie humaine que se présente la tension entre les deux types de possibilité dont nous avons parlé. Est-il possible, au sens de permis, de faire avec l'homme tout ce qu'il est techniquement possible de faire et qui se fait avec les autres espèces animales? «Maîtres et possesseurs»: dans la mesure où l'homme intervient au niveau de l'origine et de la genèse du vivant, la tentation démiurgique de supplanter le Créateur est d'autant plus forte. Cette tentation marque dorénavant notre culture, comme un des principaux défis qu'elle doit affronter. Du point de vue épistémologique, la rencontre des sciences de la vie avec l'homme appelle une réflexion adéquate. L'émergence de la bioéthique est révélatrice d'une prise de conscience du fait que, si tout ce qui est possible n'est pas éthiquement permis, cela tient à la présence en l'homme d'une dimension spécifique, dont ces sciences ne peuvent pas rendre compte, mais dont elles doivent reconnaître l'existence. Ainsi, on prend conscience de leurs limites, et de la nécessité d'une anthropologie philosophique. Le sort de notre culture dépend pour une grande part du débat anthropologique. C'est pourquoi elle pâtit particulièrement de la crise de la philosophie. Ici, le scientisme risque de revenir en force sous forme d'une philosophie matérialiste de l'homme, qui prétend demander aux seules disciplines scientifiques et à leur méthode, la réponse à l'ensemble des questions concernant l'essence et la destinée de l'homme. Enfin, comme nous l'avons dit, le scientisme pose ses revendications au plan de l'éthique. De quel droit, dit-on, empêcher l'exploration des sources de la vie humaine? Or la connaissance progresse grâce à des expérimentations, qui sont des interventions techniques. Pour lui permettre d'aller jusqu'au bout, on est prêt à bousculer tous les interdits, dans lesquels on dénonce des tabous irrationnels. On fera remarquer, qu'avant de se débarrasser des impératifs éthiques comme de tabous, la rigueur de pensée exigerait qu'on s'interroge sur leur nature, et qu'on envisage sérieusement l'hypothèse d'une dimension éthique de la raison. De plus la revendication de disposer souverainement de la vie, au risque même d'attenter au patrimoine génétique, se donne, en général, des justifications et des motifs, comme l'eugénisme. Nous sommes ainsi ramenés aux problèmes d'anthropologie. La prétention eugénique est inscrite dans une conception matérialiste, qui a pour corollaire le sacrifice de valeurs humanistes essentielles. Mais redisons-le: ces tentations et ces revendications ne sont pas inhérentes aux sciences de la vie elles-mêmes. Elles expriment, de la part d'un certain nombre de scientifiques et de techniciens, une philosophie de l'homme. C'est cette philosophie qui doit être qualifiée de scientiste. L'idéologie du Progrès 6. Parce qu'elles touchent la personne humaine et les relations humaines fondamentales, les questions de bioéthique, largement exploitées par les media, ont trouvé un vaste écho dans l'opinion publique. Les problèmes d'épistémologie ne dépassent pas les cercles restreints des scientifiques et des philosophes. Il n'en va pas de même d'un troisième aspect. Notre analyse serait incomplète si elle ne portait pas sur l'image de la science véhiculée par la mentalité courante. En effet, l'impact de la science et de la technique est un facteur déterminant pour la configuration de notre culture, même si le développement rapide des connaissances a pour effet un décalage entre les conceptions des scientifiques et les représentations du monde que se font la majorité des gens. Ces représentations ont en général un caractère de globalité; elles sont reçues comme s'imposant de soi. A l'inverse, une théorie générale de l'univers sera présentée par les scientifiques comme une hypothèse; un résultat sera proposé de telle façon que l'on évite les extrapolations indues. L'exigence de rigueur critique conduit à mesurer le poids des affirmations et à ne pas donner comme certain ce qui est probable. En conséquence, les représentations globales portées par la mentalité courante sont, épistémologiquement, des amalgames hybrides, où se rencontrent, à côté de données sûres, des affirmations incontrôlables de caractère mythique. L'idéologie du matérialisme dialectique et historique, fabriquée par le pouvoir soviétique, fournit un bon exemple d'un pareil amalgame. Mais le diamat n'a pu être imposé, du moins temporairement, que parce qu'il venait se greffer sur une mentalité préexistante. En rattachant ce type de représentation à la mentalité, nous soulignons son caractère plus ou moins spontané, non imposé, même si derrière cette représentation, on peut reconnaître des ouvrages qui tout ensemble l'alimentent et la reflètent. La représentation de la science qui s'est imposée avec le siècle des Lumières est dans le prolongement de Descartes. A la formule «maîtres et possesseurs de la nature», il ajoute le terme de bonheur. Non seulement le progrès des sciences et des techniques est bénéfique, mais encore, il est la cause du bonheur de l'homme. Et, comme le bonheur signifie tout autant le bien-être et l'accomplissement de l'homme, il contient une composante éthique. Ainsi, cette conception enveloppe un jugement de valeur sur la science. L'idéologie de la science véhiculée par la mentalité héritée des Lumières jusqu'en notre siècle, est une idéologie scientiste. Le mot-clef de cette idéologie est celui de Progrès. Le Vocabulaire philosophique de Lalande note à ce propos: «on en fait souvent une sorte de nécessité historique ou cosmique, quelquefois même une puissance réelle qui agit sur les individus, une finalité collective qui se manifeste par les transformations des sociétés. Mais la difficulté est de donner un contenu précis à cette formule, autrement dit de déterminer la direction et le sens de ce mouvement». En fait, le Vocabulaire «technique et critique» fait part de son embarras devant une notion qui tient du mythe plus que de l'élaboration philosophique. Il faut citer ici L'Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain (1794) de Condorcet, que l'on peut considérer comme un texte fondateur du scientisme. L'auteur se propose de «montrer, par le raisonnement et par les faits, qu'il n'a été marqué aucun terme au perfectionnement des facultés humaines; que la perfectibilité de l'homme est réellement indéfinie; que les progrès de cette perfectibilité, désormais indépendante de toute puissance qui voudrait les arrêter, n'ont d'autre terme que la durée du globe où la nature nous a jetés». De ces progrès, la marche sera «plus ou moins rapide», mais «jamais elle ne sera rétrograde». Le tableau entend être «véritablement historique», n'empruntant rien aux «combinaisons hypothétiques», n'ayant d'autre guide que «des observations sur le développement de nos facultés». A vrai dire, ce tableau représente une suite de tableaux dont on ne saisit pleinement le sens qu'à la considération du dernier, «celui de nos espérances, des progrès qui sont réservés aux générations futures, et que la constance des lois de la nature semble leur assurer». Condorcet développe ce point: «il faudrait y montrer par quels degrés ce qui nous paraîtrait aujourd'hui un espoir chimérique doit successivement devenir possible et même facile». Les préjugés, prenant appui sur la corruption des gouvernements et des peuples, peuvent obtenir des succès passagers, mais on montrera pourquoi «la vérité seule doit obtenir un triomphe durable; par quels liens la nature a indissolublement uni les progrès des Lumières et ceux de la liberté, de la vertu, du respect pour les droits naturels de l'homme; comment ces seuls biens réels, si souvent séparés qu'on les a crus même incompatibles, doivent au contraire devenir inséparables». D'autres thèmes sont venus se greffer sur le mythe du Progrès nécessaire. Pensons au darwinisme. Mais ils ne l'ont pas remis en cause. Cette remise en cause, qui signifie par voie de conséquence une crise du scientisme, s'est produite dans notre siècle. Deux faits, de nature scientifique, sont à son origine. L'apparition de l'arme nucléaire et la perspective des manipulations génétiques. Dans les deux cas, l'homme perçoit que les pouvoirs qui ont leur source dans la science et dans la technique ne sont pas, par eux-mêmes et comme automatiquement, capables d'assurer son bonheur. Il peuvent tout aussi bien se retourner contre lui. Bien plus, la peur et l'angoisse saisissent l'humanité devant l'énormité de son pouvoir, qui risque de devenir pouvoir de destruction et de mort. Tout se passe comme si, à mesure qu'il accroît son pouvoir sur le monde, l'homme courrait un risque grandissant de perdre la domination sur soi-même. Nous rencontrons là une nouvelle tension: tension entre le pouvoir sur les choses, dont on perçoit l'ambiguïté, et la perte possible de domination de soi. Le débat ainsi ouvert est le débat entre une conception scientiste et une conception humaniste de la science et de la technique et de leur usage. Conclusion 7. L'homme s'est trop souvent comporté comme un maître et un possesseur absolu de la nature. Le développement même de son exploitation se heurte aujourd'hui à des limites, ce qui conduit à redécouvrir la vertu de la mesure. De ce point de vue, certaines requêtes de l'écologie (je ne parle pas de l'écologie comme nouvelle religion naturaliste) doivent être entendues. Quant à la peur de la science, il serait désastreux d'y céder. Elle procède d'un réflexe irréfléchi comme le scientisme lui-même procède d'une confiance non raisonnée. Il est probable que, dans les années qui viennent, nous assisterons au développement parallèle d'un scientisme démiurgique et d'un rejet irrationnel de la science. Il faudra défendre la science de l'un et de l'autre de ces maux. C'est pourquoi la philosophie, à supposer qu'elle surmonte la crise qu'elle traverse, est plus indispensable que jamais. Elle seule peut fonder en raison un ordre des savoirs, et assurer les bases d'une conception humaniste de la science et de la technique. (English) Georges Cottier argues that scientific research has to be faithful to the multiplicity of observed data, but when physics is seen as the prototype of science, its method is often taken to be the method in science: in such a conception of science there is no place for philosophy. But the human sciences do not use the method of physics, so if they are sciences one must admit that the term science is analogous. The fact that technology is so easily manipulated raises the question of a right or wrong use of technology - hence the need for a sound philosophical anthropology. The notion of scientific progress also needs to be clarified. Philosophy, which orders the branches of knowledge, helps avoid both worship of science and irrational rejection of it. ( Español) Georges Cottier pone de manifiesto que el método científico se debate entre dos imperativos: la pluralidad de los hechos observados y la singularidad del método utilizado. La física se concibe como el prototipo de la ciencia. Pero si no hay más que un método, la filosofía es inútil. Por ello hay que admitir que el concepto de «ciencia» es analógico: no podemos olvidar las ciencias humanas, cuyo método no es «científico» en el sentido de la física. Por otra parte, la técnica, en cuanto manipulable, suscita la cuestión de la licitud de sus actos, lo que hace indispensable una sana antropología filosófica. Por último, habría que clarificar también la noción de progreso científico. En suma, la filosofía, al mostrar la gradación de los saberes, permite liberarse tanto de una idolatría de la ciencia, como de un rechazo irracional de la misma. THE CULTURE OF THE NATION IN CHRISTIAN PERSPECTIVE FAITH VIEWS CONTEMPORARY NATIONALISMS Bishop Donal MURRAY Ireland is a country which, like many in Europe, is blessed  or cursed  with two competing nationalisms. On the one hand there is the nationalist (republican) tradition which seeks a united Ireland. For the last century or so this has been almost exclusively associated with the Catholic community. On the other hand there is the unionist (loyalist) tradition which seeks to remain under the sovereignty of the United Kingdom; this is largely identified with the Protestant community. The dual tradition has at various times, not least in the last thirty years, given rise to bitter violence. The situation now offers hope of a peaceful resolution. Idolatrous loyalties The most obvious link between faith and nationalism in Ireland is that within each tradition one finds a strand which tends to identify faith with political loyalty. Some members of both traditions have expressed their political aims using language and symbols which carry a strong religious tone. On the nationalist side, the 1916 rebellion which led to independence for the southern part of the country was known as "the Easter Rising", consciously echoing the central truth of the Gospel. One of the leaders of the movement could say that they offered their lives "sustained by ... that divine example which inspires us all  for the redemption of our country" (Terence MacSwiney). The unionist tradition linked Protestants in opposition to the demands and grievances of the Catholics. It organised its opposition to independence (Home Rule) in the form of a Solemn League and Covenant. This echoed a tradition which since the sixteenth century had been used by Scottish Calvinists to unite loyalty to God and country (cf. J. Liechty, Roots of Sectarianism in Ireland, self-published 1993, p. 39). Ireland thus provides a particular example of one of the dangers in the relationship between faith and nationalism  the danger of confusing loyalty to God with loyalty to one's political and cultural tradition: "When one or both parties to an intercommunal conflict are strongly identified with a religious tradition which excludes their opponents, there is a likelihood of needs and aims becoming identified with "the will of God"" (Sectarianism, a discussion document, Irish Inter Church Meeting 1993, p. 33). This can result in an "idolatrous nationalism" which gives to one's country  or to an idealised image of one's country  the wholehearted loyalty of heart and soul and mind which belongs to God alone. In such an idealised image, people of the other "side" are not regarded as truly belonging. Indeed, they are seen as "the enemy". One of the benefits of closer ties among the peoples of Europe may be a relativising of these exaggerated loyalties. It will become clearer that there is no necessary connection between Catholicism and nationalism or between Protestantism and unionism. Irish Catholics will be in closer contact with other European Catholics who, though equally committed Catholics, feel no particular attraction to the idea of a united Ireland. Irish Protestants will meet their counterparts, fully belonging to the Protestant tradition, who have no strong views about whether Northern Ireland should remain a part of the United Kingdom. Embarrassed Loyalties Another less healthy current in modern Europe tends not simply to relativise allegiances but to undermine them. The realisation that religion has been associated, however distortedly, with two opposed sides in a violent conflict leads to a sense of embarrassment about all religious convictions and an acceptance of the idea that religious loyalties have no place in public life. It may even lead to the idea that religion is a destructive force which ought not to exist in an enlightened society. There is shame at the awful deeds done in the name of a cause to which one had been committed. This results in a distancing of oneself from the cause itself and from at least the public, institutional dimensions of religion. The privatisation of religion because of its association with violence is powerfully reinforced by the almost universal perception in modern societies that "agnosticism and sceptical relativism are the philosophy and the basic attitude which correspond to democratic forms of political life" (Centesimus annus 46). It is reinforced by what a Church of England Archbishop has called "the culture of contempt" which rejects all institutions and all authority: "What we are witnessing is more than a justifiable reaction against abuses of authority, but rather a reaction against the concept of authority itself. It therefore cuts at the root of beliefs and attitudes and institutions which have traditionally held society together. It discounts the accumulated wisdom of past generations. It sees history as no more than a record of human folly and corruption" (J. Habgood, Priestland Memorial Lecture, BBC Radio, 8 October 1995). This privatisation and embarrassment is less noticeable in Northern Ireland where community loyalties are still strong. Each community sees itself in a different way as threatened and outnumbered. The nationalists are outnumbered in the North, the Protestants in Ireland as a whole. If peace becomes firmly established, then the sense of belonging to one's own community and of needing to defend and to be loyal to one's own community may diminish. This process is very clearly at work in the Republic where an image of "the institutional Church" as a clumsy and malign influence is growing perceptibly. This is heightened by recent scandals which have led to disillusionment as well as by the perception that religion is at the root of our violent divisions. Even those who would describe themselves as Catholics think of the Church of the recent past, and of the present, as an institution which was and is unenlightened, authoritarian and out of touch with their lives. This view is increasingly and persistently presented by the national media, virtually without exception. The irony is that the result is not increased harmony and understanding between the religious traditions but rather the opposite. There is developing a kind of "pluralism" which says in effect, "You may believe whatever you wish provided you do not bring your beliefs into the public arena". This kind of pluralism "gives rise to deep and intractable conflicts while at the same time undermining the principles by which they might be resolved" (J. Sacks, The Persistence of Faith, Weidenfeld and Nicolson 1991, p. 64). "Bigotry may be called the appalling frenzy of the indifferent" (G. K. Chesterton, Heretics, 20). Only someone who seeks to understand another person's point of view can be genuinely respectful of it: "How can the culture which is predominant in a given society accept and integrate new elements without losing its own identity and without creating conflicts? The answer ... can be found in a thorough education with regard to the respect due to the conscience of others; for example, through greater knowledge of other cultures and religions" (John Paul II, Message for the World Day of Peace 1991). Faith Incarnate in Culture The identification of nationalism with religion is a kind of idolatry, but any attempt to separate Christian faith from its cultural roots ignores its essentially incamational aspect. The Gospel cannot be separated "without serious loss from the cultures in which it has already been expressed down the centuries" (Catechesi tradendae 53). The challenge is intensified by the speed with which old certainties have been challenged. The society which is growing in the Republic of Ireland seems in many ways to be engaged in cutting its own roots. While there is a considerable respect for and interest in certain aspects of traditional culture, for instance, the musical and literary heritage of the country, there is little apparent pride in our religious history, for instance in the missionary effort which has marked the Irish Church through the centuries. It is easy to see signs of the "serious loss" which follows on a failure to be aware of the roots which faith has in our culture. The alternative is an empty, shallow, secularist culture which has no roots in Ireland and which is ultimately incapable of addressing the deep human questions of life and death. The reclaiming of that tradition and of the riches it contains is an important task for the health of religious faith. Unreciprocated Loyalties For the vast majority of people in Northern Ireland, their cultural and religious traditions are a positive and enriching element in tneir personal and communal identity. The conflict between the two traditions has tended to keep these loyalties alive. But, it has also tended to keep them static. While the loyalties of the two communities remained strong, the world has been changing. The Unionists are loyal to "the British Crown", the Nationalists to the "Irish Republic". But both of these realities are changing rapidly. In Britain and in the Republic of Ireland the sense of pride in national traditions has greatly diminished. The "culture of contempt" is growing. Both the Irish and the British identities seem to be in the process of becoming identities without depth, identities which do not merit the deep loyalty which people in Northern Ireland tend to give them. Thus the loyalty of the Northern Unionist is not reciprocated, nor even understood, by people in Britain and, to a lesser but significant extent, the commitment of the nationalist is not echoed in the Republic. In many ways, the divided communities of Northern Ireland have more in common with one another then either has with the object of its loyalty. The vast majority of moderate, non-violent people in each community have in common the sufferings they have endured for thirty years at the hands of violent people on either side. The end of violence is extremely welcome, but it carries with it the risk of new forms of disillusionment. Peace may bring a cutting of the roots as the need for community loyalty becomes less pressing and as it becomes clear that the loyalty is not reciprocated with the intensity with which they have offered it, the two nationalities may begin to recognise that they are rootless and homeless. Both traditions, in both parts of Ireland, North and South, will then be faced with the same challenge. It is a challenge common to most countries of Europe, but a challenge that has confronted Ireland with great rapidity and intensity. It is the challenge of unmasking the shallow, unsatisfying post-modern culture which cannot answer the fundamental human questions  and which tries to ensure that the questions are not even heard. It is the challenge of recognising and proclaiming the answer of Christian faith which is at the heart of both traditions in Ireland and which should appear with greater power and clarity if those traditions con be truly purified and truly freed from idolatrous distortions and from the culture of contempt. (Français) Monseigneur Murray note deux cultures en Irlande: une nationaliste souhaitant l'union irlandaise, et une unioniste, souhaitant le maintien de la souveraineté britannique. Chacune a sa tradition et ses martyrs, illustrant le péril d'unir foi et identité nationale. Bien que de tels nationalismes soient affaiblis, une culture du mépris considère la religion comme facteur essentiel de division et de violence. Une purification alliée à un dépassement du caractère superficiel de la culture postmoderne, permettra aux racines chrétiennes de chacune de resplendir à nouveau. (Español) El Obispo Donal Murray dirige su atención a la sociedad irlandesa, dividida entre una cultura nacionalista Âque busca la unificación de Irlanda y otra unionista Âque quiere mantener la soberanía británica. Cada una de ellas está ligada a una tradición religiosa y tiene sus propios «mártires». Éste es uno de los peligros de unificar la fe y la identidad nacional. La fe se encarna necesariamente en la cultura, pero cuando la autoconciencia de la nación se desenfoca, se convierte en una maldición. Hoy en día los nacionalismos de este tipo se están relativizando, pero también existe una «cultura del desprecio», que considera la religión como algo que divide y que está en el origen de la violencia. En Irlanda habría que purificar las dos tradiciones opuestas, lo cual desenmascararía la superficialidad de la cultura postmoderna, y permitiría que volvieran a resplandecer con fuerza las raíces cristianas de cada una de ellas. |
![]() |