Cultures et foi - Cultures and Faith - Culturas y fe - 1/1993 - Symposia
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KLINGENTHAL '93


DIEU ET L'HOMME EUROPEEN

Mgr Franc RODÉ
Secrétaire du Conseil Pontifical de la Culture

"Similes illis fiant qui faciunt ea, et omnes qui confidunt in eis" - "Que leurs auteurs leur ressemblent et tous ceux qui comptent sur elles".

C'est ainsi que le Psaume 135 (134), verset 18, formule le rapport entre l'homme et les idoles qu'il adore. En fait, l'homme s'est toujours conformé à l'idée qu'il se formait des dieux qu'il adorait; ou plutôt, il se faisait une idée des dieux, conforme à ce qu'il était lui-même. Aussi les dieux de la Grèce et de Rome, des peuples germaniques et slaves reflétaient-ils l'image de l'homme européen dans ses diverses expressions et dans la variété de ses conditions sociales et politiques: beaux, lumineux et lascifs chez les Grecs, forts et batailleurs chez les Romains, ténébreux et sévères chez les Germains, tantôt paisibles, tantôt cruels chez les Slaves. Toutes ces divinités ont en commun qu'elles sont imprévisibles et capricieuses, dangereuses au point qu'il est impossible de se fier à elles. Tout au plus est-il possible d'apaiser leur courroux par des offrandes et des sacrifices. Mais le destin de l'homme, au fond, ne les intéresse pas. "Le joug des dieux pèse sur l'homme". Ce mot de l'expérience grecque, traduit, sans nul doute, le sentiment commun de tous les peuples européens devant leurs divinités.

Le Dieu intérieur

Lorsque le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, le Dieu de Jésus-Christ se révèle à l'homme européen, un long face-à-face commence, exaltant et dramatique, où se mêle d'abord un sentiment inouï de libération, de gratitude et d'amour, et plus tard, hélas, un sentiment de révolte qui va jusqu'à la négation.

Ce Dieu, dont les hérauts proclament le message au cours du premier millénaire jusqu'aux extrémités de l'Europe, est "le Dieu fidèle, juste et droit" (Deut 32,4), un Dieu sérieux, responsable et loyal. L'homme peut se fier à Lui. Entre ce Dieu et chaque être humain existe un rapport ontologique tout à fait unique, car l'être humain n'existe que par l'appel que Dieu lui adresse. C'est cet appel par le nom qui fait de l'homme une personne, le toi de celui qui dit: je suis. Ce Dieu proche et intime, l'interlocuteur premier et le plus immédiat, éveille l'homme et affermit sa conscience de lui-même. Un espace intérieur se crée ainsi, l'intériorité chrétienne, qui aura une influence immense dans notre histoire.

Devant ce Dieu, comme devant un miroir, l'homme européen s'interroge sur lui-même, se découvre peu à peu, connaît sa grandeur et sa misère, ses possibilités et ses limites, bref, sa vérité. Un affinement psychologique s'ensuit, un ajustement du sens esthétique, un approfondissement spirituel d'où naissent la plupart des oeuvres d'art européen. Pensons seulement à la beauté lumineuse des icônes de l'Eglise d'Orient, ou aux visages tout intérieurs de Rembrandt. Ces chefs-d'oeuvres n'ont pu naître que dans l'atmosphère toute pénétrée de la révélation du Dieu vivant, de la force d'un coeur et d'un esprit croyant, de l'expérience de l'imitation du Christ. L'art chrétien n'a pu naître que parce qu'une expérience millénaire de la rédemption et un nouveau rapport avec Dieu avaient développé une forte conscience de l'existence, la force du caractère, une sensibilité intense et noble.

Ce Dieu proche, juste et droit, devient également l'archétype et la norme de l'agir moral de l'homme. Il est en connivence avec la conscience morale, ce que Socrate appelait son daimon. Bientôt il s'y identifie. Aussi la voix de la conscience devient-elle la voix de Dieu. Désormais, Dieu nous est intérieur, contrairement aux dieux païens qui restaient toujours des dieux du dehors, extérieurs à l'homme. Certainement ils imposaient une loi, ils punissaient les transgressions, ils ne toléraient pas les excès, surtout l'excès d'orgueil, la hybris. Mais entre eux et l'homme il n'y avait pas de véritable lien intérieur, et donc point de responsabilité proprement dite. Aussi la notion de faute morale, de péché, est-elle absente de la conception grecque, comme en général des religions païennes. N'existe que la conception tout extérieure de transgression, qui n'évite pas une certaine duplicité et hypocrisie de l'homme devant les dieux. Le christianisme est tout différent. Le péché est une blessure à la sainteté de Dieu et en même temps une blessure à la dignité de l'homme, une blessure qui atteint l'homme au plus profond de lui-même.

De ce fait, les possibilités de bien se trouvent énormément élargies, car c'est ce Dieu intérieur et proche qui en exige la réalisation et qui en est le soutien constant et ferme, de même que le mal acquiert une gravité qu'il n'avait pas dans les religions païennes. Ici, le mal était pour ainsi dire innocent, instinctif. En revanche, dans le christianisme, il acquiert toute sa formidable stature d'atteinte à la sainteté de Dieu.

Cette identification de Dieu avec le bien, implique, pour l'homme, une exigence de dépassement jusqu'aux limites du possible. Et c'est justement ce qui nous convient et ce qui a donné tant de saints et de héros à l'Europe. Paul Claudel l'a dit superbement: "Quantum potes, tantum aude! Voilà la grande force, la grande doctrine, la grande école d'énergie qui a fait de l'Europe ce qu'elle est, qui fait que nous sommes des Européens et non pas de Hindous ou des Chinois. La force du christianisme, c'est tout d'abord qu'il est un principe de contradiction. Ses exigences, en apparence déraisonnables, sont les seules cependant qui soient réellement à la mesure de nos forces et de notre raison. Elles ne mutilent rien, elles sont catholiques, c'est-à-dire universelles, elles en appellent à l'homme tout entier: son intelligence, sa volonté, et sa sensibilité. Elles nous obligent à un état permanent de mobilisation contre les passions, contre le doute facile, et, pour cette guerre perpétuelle, nous n'avons pas trop de toutes nos facultés.

Ce principe de contradiction est également nécessaire à l'art. Seul il donne le moyen de composer. Le conflit essentiel que le Christianisme anime en nous, c'est le grand ressort, comme il est le plus grand ressort de notre vie morale et sociale. Il ne nous permet pas la complaisance et la satisfaction" (cité par Henri Massis, De l'homme à Dieu, p. 188-119).

Le Dieu créateur

Ce Dieu créateur de l'espace intérieur et éveilleur d'énergies morales remet le monde entre les mains de l'homme, afin qu'il le domine (Gen 1,28).

Ce monde est création au sens propre et fort du terme, c'est-à-dire une réalité produite par un acte libre et souverain. Il n'est pas naturel, il ne va pas de soi, il ne se justifie pas par lui-même, comme dans les conceptions matérialistes modernes. Il n'est pas le résultat d'une mise en ordre d'un chaos primitif sans provenance précise, ou sans provenance du tout, puisqu'il est censé être éternel, sujet à d'éternelles et inexorables transformations, selon la conception de tous les paganismes. Ce monde a été créé au commencement et il a un caractère de grâce. Autrement dit, il n'était absolument pas nécessaire que le monde fût, il est, parce qu'il a été créé. Le monde n'est pas une nécessité, mais un fait.

Le concept de création, tel qu'il nous a été légué par la théologie chrétienne, exclut l'idée que les choses créées soient de simples images contenues dans la conscience divine, un jeu irréel de l'imagination d'un être infini, comme le conçoit la pensée hindoue. Ce que Dieu crée, il le crée en plénitude, conférant à son oeuvre une subsistance et une activité propres, une intelligibilité intime et une magistrale perfection qui peuvent même créer une illusion d'autonomie absolue. Mais Dieu court le risque!

Ce monde solidaire et magnifique a été remis entre les mains de l'homme, afin qu'il le domine et le conduise à la perfection qu'il ne peut atteindre sans lui. Se savoir investi d'une mission divine devant le monde: voilà un autre facteur qui a déterminé la conscience européenne et a fait naître l'attitude typique de l'Européen devant la réalité, une attitude qui diverge si profondément des autres attitudes que nous connaissons. C'est de cette conscience d'une mission divine dans un monde livré à l'intelligence et à la hardiesse de l'homme que naissent les grandes découvertes des terres in-connues et leur conquête, la splendeur si charnelle des villes européennes -je pense à Toledo ou à Salamanque- et finalement la science et la technique modernes.

Le drame de l'athéisme

Tout ceci comportait évidemment des risques énormes que Dieu n'a pas hésité à courir. Le risque d'une révolte contre le Dieu proche et intime, ressenti comme l'autre menaçant et écrasant, le risque de concevoir le monde comme une réalité indépendante de Dieu et se suffisant à elle-même.

Pour une large part, l'homme européen n'a pas pu - ou pas voulu - éviter cet écueil. Et c'est son drame, le drame de son athéisme et la tragédie de ses utopies terrestres.

Quelle histoire que celle de Dieu dans la conscience européenne depuis deux cents ans! Depuis le XVIIIe siècle, un antagonisme croissant se fait jour entre Dieu et l'homme. Dans une atmosphère de ressentiment et d'injures, celui-ci pose de plus en plus nettement le dilemme: ou lui ou moi. La révolte se fait de plus en plus hardie et trouve sa grande voix poétique en Nietzsche, pour qui la mort de Dieu dans la conscience de l'homme est comme une nouvelle aurore, et l'horizon, enfin, libre (Le gai savoir, § 343).

Comment l'homme européen en est-il arrivé là? "L'explication la plus profonde de cet événement est sans doute à chercher dans la révolte de l'homme contre Dieu. Mais il serait beaucoup plus simple et avant tout injuste de ne voir les choses que sous cet angle. L'homme qui s'est révolté a beaucoup souffert aussi. C'est une grande détresse de ressentir Dieu comme 'l'autre'" (Romano Guardini, Le monde et la personne, Paris, Seuil, 1959, p. 47). Sa révolte est souvent une réponse à de graves négligences et notamment à un rapport jugé peu respectueux de l'autorité religieuse envers la personne. Car ce rapport est aperçu, le plus souvent, comme le rapport de Dieu au monde.

Quoi qu'il en soit, l'homme européen doit réapprendre à entrer en contact avec ce Dieu proche, son toi le plus immédiat et son interlocuteur indispensable, s'il veut recouvrer sa santé psychique et sa paix intérieure. Il faut que disparaisse cette terrible déformation du sentiment et cette erreur monstrueuse de l'intelligence qui font percevoir Dieu comme l'autre jaloux et mesquin, comme un être qui se situe à côté, au-dessus et même contre l'homme. Car tout cet ensemble d'idées modernes relatives à l'autonomie du monde et de l'homme, toute cette lutte contre l'hétéronomie sous ses diverses formes, reposent en définitive sur cette fallacieuse transformation de Dieu en l'autre. Pour que la foi en Dieu créateur et sauveur redevienne possible, il est nécessaire que l'homme européen réapprenne à voir en Lui la véritable source de sa liberté et de sa dignité.

En regardant les oeuvres de beauté dont le génie chrétien a parsemé l'Europe, des cathédrales aux églises de villages, des crucifix de campagne aux tableaux des grands maîtres, tels le Greco, Botticelli ou Raphaël, en écoutant surtout les chefs-d'oeuvres de la musique sacrée, tels la Passion selon saint Matthieu de Bach, ou les Messes de Mozart, cela ne devrait pas être trop difficile, ou même impossible.

Ce qui me ravit à chaque fois, en écoutant telle ou telle messe de Mozart, c'est l'expérience intime de l'immense majesté divine qui s'exprime dans la triple invocation - in crescendo - du Sanctus, et de la joie triomphale qu'éprouve l'homme dans la contemplation de cette majesté. Là, l'homme dit tout son bonheur devant la grandeur, la puissance et la gloire de Dieu qui transparaît dans la création. Loin de se sentir écrasé par elle, comme cela a été si souvent le cas par la suite, Mozart y trouve une source de joie débordante. C'est que, dans le tréfonds de son coeur, il éprouve la vérité de cette pensée de saint Irénée: gloria Dei, vivens homo, c'est-à-dire que la gloire de Dieu est aussi la sienne, à cause du lien essentiel, ontologique, vital, qui existe entre Dieu et l'homme.

Puisse l'homme européen redécouvrir et revivre en profondeur ce rapport fondamental qui le lie avec Dieu. Pour son bonheur et pour sa joie!


EUROPA - PERSPECTIVAS TEOLOGICAS

Dr. Gösta HALLONSTEN
Suecia

Hoy Europa ya no es el continente cristiano, y tampoco el centro del cristianismo. El centro de gravedad se ha desplazado: las más grandes numéricamente son las Iglesias del Tercer Mundo. En éstas se dan también del modo más visible los signos de una revitalización de la fe cristiana y la correspondiente inculturación del Evangelio. Al mismo tiempo, la vieja Europa, fuertemente marcada por una progresiva secularización y liberalización de la sociedad, se esfuerza por conseguir la unificación económica y política de sus numerosos pueblos y naciones. ¿Qué papel podría jugar en este proceso de unificación el cristianismo, que está indisolublemente ligado a la identidad histórica de los pueblos cristianos, pero que hoy parece más un viejo artículo de exportación que un producto propio del mercado europeo?

No es fácil responder a una cuestión tan compleja. Tampoco es mi tarea reflexionar sociológica y políticamente sobre el papel del cristianismo en la futura Europa. Aquí se trata de exponer puntos de vista teológicos. De este modo puedo invertir la perspectiva y preguntar: ¿qué tarea tiene la Iglesia y tienen los cristianos en la Europa futura? ¿qué es teológicamente de particular importancia para el futuro de Europa y para la tarea de la nueva evangelización de nuestro continente? ¿qué testimonio se espera de nosotros en la Europa actual?

En esta intervención quisiera tocar brevemente tres temas que me parecen particularmente importantes. Se trata, en primer lugar, de la libertad y la verdad; segundo, de la relación entre tradición e inculturación; y tercero, conectado con el segundo, del núcleo de la fe cristiana: de la Trinidad.

1. La libertad de conciencia y de religión, de la que gozamos hoy en Europa, es un resultado de la historia espiritual europea. La fe cristiana ha participado decisivamente en el desarrollo de la libertad y de los derechos del hombre, aunque la Iglesia sólo haya reconocido plenamente la libertad religiosa con el Concilio Vaticano II. No hace falta que me detenga sobre esto (Cfr. W. Kasper, Die theologische Begründung der Menschenrechte, en Die Kirche und die Menschenrechte. Historische und theologische Reflexionen, Päpstlicher Rat Justitia et Pax, hg. vom Sekr. der Deutschen Bischofskonferenz, Arbeitshilfen 90). Es bien conocido que el cristianismo, por una parte, ha sido un estímulo esencial para la Ilustración y la irrupción de los derechos del hombre, y que, por otra, la emancipación del hombre europeo se ha orientado contra la Iglesia (Cfr. W. Löser, Europa -Aufgabe für Christen, pp. 17-18). Actualmente esto se percibe, por así decir, a nivel de masas: Europa está constituida, en medida creciente, por sociedades en las que la libertad es concebida como autonomía. No sólo como autonomía en el sentido de que el deber y la ética se fundan en el hombre mismo, sino en el de que todo vínculo a una autoridad y a una verdad objetiva u orden de valores es considerada como heteronomía. La sociedad pluralista tiende, como es sabido, a una relativización de la verdad.

Esta situación, que a veces es caracterizada como postmoderna, es una oportunidad para la Iglesia en tanto que muchos resentimientos contra la fe cristiana desaparecen. Ya que todo es posible, la fe es considerada como una oferta entre otras en el mercado de las posibilidades.

Para la Iglesia el desafío consiste en anunciar la libertad en el sentido del Evangelio. Y esto significa libertad por medio de la verdad, y verdad por medio de la libertad. El Concilio Vaticano II en la Declaración sobre la libertad religiosa ha dicho: "Por razón de su dignidad, todos los hombres, por ser personas, es decir, dotados de razón y de voluntad libre y, por tanto, enaltecidos con una responsabilidad personal, son impulsados por su propia naturaleza a buscar la verdad, y además tienen la obligación moral de buscarla, sobre todo la que se refiere a la religión" (Dignitatis humanae, 2). Con esto el Concilio enseña una libertad que implica deberes. - La Iglesia está obligada a anunciar el Evangelio (Cfr. Redemptoris Missio, 7). Todo hombre está obligado a buscar la verdad.

La libertad religiosa y los derechos del hombre en general hoy pueden ser vistos como un nuevo ethos mundial (Cfr. W. Kasper, o.c., p. 45). Y aquí es muy importante, a mi parecer, que la libertad religiosa debe tener una fundamentación, según la expresión del Concilio, no sólo subjetiva, sino también objetiva (Cfr. W. Kasper, o.c., p. 51). La verdad sólo puede ser conocida y reconocida en la libertad. Por eso la búsqueda y el hallazgo de la verdad presupone la libertad religiosa. "Pero por otra parte la libertad se funda en la verdad que la precede; la libertad existe a causa de la verdad y encuentra su cumplimiento en el reconocimiento de la verdad " (Ibid.). En mi patria todo esto apenas se entiende. Pero yo pienso que en la concepción de la relación entre libertad y verdad se decide en cierta medida el papel que jugará el cristianismo en la identidad cultural de los pueblos europeos. Aunque los hombres pueden decir que no a la fe, el anuncio de la Buena Nueva es una llamada a buscar la verdad en libertad, es un reto a la decisión y pone un interrogante a la indiferencia (Cfr. E. Straub, Die Selbstvergessenheit des Abendlandes. Die Frohe Botschaft als Letztbegründung einer säkularen Welt?, en Internationale katholische Zeitschrift 4/92).

Pero si el Evangelio presupone y promueve la libertad religiosa y los derechos humanos, esto implica también para la Iglesia un futuro bastante abierto en Europa. Ciertamente, ella está obligada a defender el derecho del cristianismo de estar en la vida pública y de anunciar la verdad. Más aún, la Iglesia tiene que insistir en que la sociedad se construye sobre un orden verdadero de valores y en que el poder no es algo absoluto. El orden social ha de presuponer su finitud congénita. Esto significa que aun cuando ya no tengamos una sociedad cristiana, sin embargo esta sociedad secular tiene que reconocer que la ética y la convivencia humana no puede basarse sólo en la inmanencia, sino que ha de presuponer a Dios o la trascendencia (Cfr. J. Ratzinger, Kirche, Ökumene, Politik).

Pero esta vasta tarea de la Iglesia ha de ser llevada a cabo bajo el presupuesto de la libertad de cada hombre a buscar la verdad y de ser fiel a la verdad encontrada, aunque ésta no pueda ser reconocida como verdad por mí ni por la Iglesia. La nueva evangelización de Europa, de la cual podemos esperar con razón una revitalización del cristianismo en nuestro continente, tiene que hacer su camino a través del "sí" de cada individuo al Evangelio. Esta es realmente una nueva evangelización, pues la "vieja evangelización" de los pueblos de Europa fue las más de las veces un fenómeno colectivo. Aquí veo actualmente dos peligros que evitar: el sueño de una vuelta a la sociedad cristiana unitaria, y por otro lado, el contentarse con la concepción pluralista relativista de la libertad. Por el contrario, una importante perspectiva teológica para Europa sería desarrollar ampliamente y hacer que se afirme la noción de libertad y de verdad del Concilio.

2. Paso al segundo punto, que trata de la tradición y la inculturación. Se podría establecer ya la tesis y yo lo hago ahora citando a un jesuita alemán: "En el Concilio Vaticano II la Iglesia ha renunciado a la pretensión de hecho y en parte también teológicamente fundada de que la cultura europea, especialmente en su configuración greco-romana, sea la única expresión adecuada o al menos la más apropiada, de la fe y doctrina de la Iglesia, incluida la reflexión teológica" (L. Bertsch, Europa - Aufgabe für Christen, p.142). Esta tesis es ciertamente verdadera. En las encíclicas papales y en otros documentos eclesiásticos se trata también frecuentemente de la tarea de la inculturación (Cfr. Redemptoris Missio, 52-54; Commission Théologique Internationale. Textes et Documents (1969-85) pp.336-340). Pero ahora se plantea esta cuestión: en la tradición cristiana, que tan íntimamente ligada está con el cristianismo europeo y que se ha expresado en la forma de pensar greco-romana, ¿qué hay todavía de obligatorio para la Iglesia universal? Naturalmente es una pregunta muy amplia, estrechamente relacionada con la valoración del lenguaje de los dogmas y con la cuestión de su teología contextual. Aquí sólo quisiera mencionar esta cuestión, ya que de alguna manera pertenece a la percepción de la herencia europea. Si se considera la historia de los dogmas y de la teología de la Iglesia antigua como un tipo de inculturación de lo cristiano en la cultura greco-romana, entonces se plantea la cuestión de en qué medida esta inculturación puede hacer marcha atrás. O dicho más claramente: si puede haber una relectura de la historia antigua de los dogmas, que no tenga que hacer primero el camino laborioso a través de esa historia. Basil Studer escribe en su libro Gott und unsere Erlösung im Glauben der Alten Kirche: "El desarrollo de la doctrina sobre Dios y nuestra salvación a lo largo del cristianismo antiguo enseña, entre otras cosas, en qué medida la tradición apostólica no puede ser entendida y mantenida con firmeza sin la posterior tradición eclesial" (p.16).

No es mi intención empezar aquí una discusión sobre cuestiones de historia de los dogmas y de hermenéutica (para ello remito sobre todo a Die Interpretation von Dogmen de la Comisión Teológica Internacional 1989). Quisiera sólo plantear la cuestión de qué posición ocupa la herencia europea, no sólo para la Iglesia en Europa, sino también para la Iglesia en todo el mundo, y por consiguiente también si es una tarea particular para Europa.

La tradición cristiana y sobre todo los dogmas están indisolublemente ligados a la historia espiritual de la primitiva Europa. Si el Evangelio debe ser inculturado en otras culturas, esto no significa una supresión o relativización de esa historia. La inculturación del Evangelio en la cultura greco-romana, que ha configurado Europa, no es una inculturación entre otras. El anuncio de la Iglesia antigua sigue siendo una norma para los cristianos de hoy, si bien una norma normata de la fe. Si esto es así, a mi modo de ver, a la Iglesia en Europa y a Europa en general les toca una tarea especial: no sólo conservar el contenido del anuncio de la Iglesia primitiva -esa tarea compete a toda la Iglesia-, sino también salvaguardar el horizonte de comprensión y la herencia histórico-espiritual en los cuales se formuló el dogma (Cfr. Die Interpretation der Dogmen, C.III.3, B.II.2 y A). Esto favorecería también la unidad con las Iglesias orientales, que, en el fondo, es decisiva para el futuro del cristianismo en Europa.

3. Mi tercer punto está estrechamente ligado al segundo. Europa vive hoy un proceso de unificación, aunque también nuevas divisiones y conflictos bélicos. Europa está constituida por2 un mosaico de pueblos y naciones, cuyo denominador común es la herencia greco-romana. La fe cristiana no produce automáticamente la unidad y la paz, y de esto Europa tiene profundas experiencias. El Evangelio tiene que ser aceptado y vivido libremente.

Pero, en su núcleo, contiene la fe en el Dios Trinitario, es decir, en el Dios que es unidad en comunión. El convencimiento cristiano sobre la libertad y la dignidad de la persona humana está anclado en el corazón de la fe cristiana. El ser de Dios es relacional. Dios existe, ante todo, en una comunión tripersonal, en una comunión de amor, en la que la comunión de personas es al mismo tiempo total y libre. Un libro del teólogo ortodoxo John Zizioulas sobre la eclesiología se titula Being as Communion - "Ser como comunión". El piensa que la teología patrística, sobre todo la doctrina trinitaria, es en cierta medida una superación de la ontología griega y así contiene también un mensaje para nuestro tiempo: la comunión es la noción clave de la teología patrística y también la clave para nuestros problemas (Cfr. Being as Communion. Studies in Personhood and the Church, pp.71-72 y también el cap.2, "Truth and Communion"). Esto significa que en la doctrina trinitaria está implícita la ontología, la antropología, la doctrina de la libertad e incluso de la sociedad. Con esto no quiero defender una especie de "funcionalización" de la doctrina trinitaria. Al contrario. La religión es instrumentalizada demasiado a menudo en nuestro tiempo, como algo que se puede utilizar para un fin determinado. Sin embargo la fe cristiana no anuncia un Dios que puede llenar las lagunas de nuestro sistema inmanente, o que de algún modo se revela utilizable socialmente. El Dios trino es anunciado y adorado a causa de sí mismo. El contenido de la fe cristiana no es sólo lo que Dios ha hecho por nosotros, sino Quién es Él en sí mismo (Cfr. W. Löser, Europa - Aufgabe für Christen, p.17). Pero la verdad sobre Dios es la verdad sobre el hombre. Por eso es tan importante la ortodoxia, la fe verdadera (Cfr. J. Zizioulas, o.c., p.15).

Los pueblos europeos se hicieron bautizar en otro tiempo en el nombre del Dios trino. La profesión de fe en Dios Padre, Hijo y Espíritu Santo forma parte de la herencia europea. El papel del cristianismo en la identidad cultural de los pueblos europeos no se puede pensar sin esta profesión de fe. No anunciamos un fundamento originario trascendente e impersonal del mundo. Tampoco anunciamos un Absoluto que está frente al hombre de modo heterónomo. Anunciamos el Dios tripersonal, el Dios de la libertad, el único que garantiza y posibilita la libertad del hombre en la sociedad. En cuanto imagen de Dios, el hombre es persona, es decir es libre y puede autotrascenderse. Ser persona significa también comunión libremente elegida con otras personas. La Iglesia es un icono de la Trinidad. Precisamente por eso la Iglesia es "signo y salvaguardia de la trascendencia de la persona humana" - Ecclesia...signum est et tutamentum transcendentiae humanae personae (Gaudium et spes, 76).


POLITIQUE CHRETIENNE OU CHRETIENS EN POLITIQUE?

Mgr Roland MINNERATH
Université de Strasbourg, France

La formulation du titre de cette brève communication a peut-être, au premier abord, un côté rassurant. Le christianisme, c'est évident, ne s'épuise pas en politique ni en morale sociale ni en projet d'organisation de la société humaine. Il est foi dans le règne de Dieu inauguré par le Christ dans la vie de son Eglise en marche vers la cité définitive. Sa morale est marquée par la tension que le règne déjà proclamé et pas encore établi provoque dans la vie de tout croyant. Elle est une morale pour le pèlerinage, un viatique. C'est dans son attente de la cité de Dieu que le christianisme puise les ressorts ultimes de son éthique sociale et politique. Qu'on se rassure, il n'y a pas de politique tirée de l'Ecriture sainte, comme le prétendait avec quelque excuse Bossuet et que le répètent sans excuse les fondamentalistes d'aujourd'hui.

Pas plus que l'Evangile n'est un message politique, la foi n'appelle le chrétien, en première ligne, à un engagement politique. La révélation biblique nous enseigne que l'homme et sa destinée collective ne se réduisent pas à des projets terrestres. La cité humaine ne saurait absorber tout l'homme ni tout l'horizon des espérances humaines. Le christianisme pense au contraire anoblir la cité en lui reconnaissant un statut transitoire propre au provisoire de ce monde par rapport au définitif de Dieu. Car c'est dans les moments uniques du transitoire qui dure (cf. 2 Pierre 3,3-13) qu'il s'agit de mettre en oeuvre une cité digne de l'homme et de sa destinée.

I. Les chrétiens catholiques se sont habitués à partir de Léon XIII et surtout depuis Vatican II à considérer comme leur devoir de participer à l'aménagement de la cité terrestre en tâchant d'y apporter le souffle de l'Evangile. La chose n'allait pas de soi dans le premier siècle qui a suivi le triomphe des Lumières, de la Révolution française et du libéralisme. Ce qu'on appelle la modernité, dont les racines plongent bien plus profond dans le temps, apparaissait globalement incompatible avec la Révélation biblique: un monde qui s'était affranchi de tout lien avec le Créateur, qui mettait l'homme et sa subjectivité au centre du monde, la morale personnelle et sociale n'ayant plus d'autre norme que la loi positive changeant au gré des fluctuations des volontés individuelles.

L'Eglise hiérarchique soulignait la contradiction entre les principes de la modernité fondés sur le subjectivisme et l'hédonisme et la conception chrétienne traditionnelle d'un ordre créé par Dieu dont participent tous les êtres, dans leur dimension personnelle et sociale. Les principes de liberté, de démocratie, de liberté religieuse même étaient rejetés parce qu'ils niaient l'ordre naturel objectif duquel découlent tous les droits et les devoirs des hommes. Ils renversaient l'ordre séculaire sur lequel s'était édifié la civilisation européenne. Aux revendications de la liberté moderne, l'Eglise répondait par les devoirs envers la vérité objective, inscrite dans la nature créée. Pour la société, la liberté était affranchissement de toute norme transcendante; pour l'Eglise elle était toujours recherche et adhésion à l'ordre voulu par Dieu.

La première rencontre de l'Eglise avec la modernité s'est soldée par les condamnations sans équivoque du Syllabus (1864): il n'est pas possible de se réconcilier et de pactiser avec le progrès, le libéralisme et la culture moderne (DS 2980). Bref, la modernité était rejetée en bloc. Dans le conflit déclaré, ou la modernité ou le christianisme devait l'emporter. Les Encycliques de Léon XIII le montrent encore: on misait sur le triomphe d'une politique chrétienne, qu'on n'imaginait pas autrement que par un retour à l'ordre ancien, où la vérité révélée par Dieu dans la nature et dans l'Ecriture se traduirait sous forme de lois contraignantes pour tous.

II. Bien vite il apparut que l'attitude du refus global de la modernité tournait au détriment des valeurs mêmes que l'on cherchait à sauver. Puisqu'on ne pouvait plus changer globalement la société et la faire revenir à un passé idéalisé, ne valait-il pas mieux coopérer avec elle pour, éventuellement, infléchir ses orientations. A partir de Léon XIII nous assistons ainsi à une suite de "ralliements", non pas aux principes de la modernité, mais aux nouvelles réalités politiques grâce aux possibilités de participation qu'elles offraient. Les chrétiens pouvaient accepter l'idée de démocratie, de république. Ils entraient donc en politique.

Cette deuxième étape de la rencontre avec la modernité a trouvé son achèvement doctrinal dans la Constitution Gaudium et Spes de Vatican II. Non seulement la participation des catholiques à tous les niveaux de la vie sociale et politique est encouragée, mais ce monde libéral moderne n'est plus globalement condamné. On admet maintenant que, même éloigné de Dieu, il conserve des aspirations à la vérité et à la justice qu'il faut développer et promouvoir. Les croyants sont donc invités à assumer ce qui est moralement bon dans les systèmes sociaux et politiques, et à recourir à la persuasion pour promouvoir les valeurs évangéliques dans la société et la législation.

Des distinctions, plus ou moins rigoureusement respectées selon les contextes nationaux et les époques, sont cependant bien affirmées: l'Eglise comme telle, représentée par le Magistère hiérarchique, ne se confondra pas avec une politique particulière ni un parti donné. L'engagement chrétien se définit à partir des valeurs évangéliques et des grands principes de la doctrine sociale de l'Eglise. La hiérarchie rappelle les principes, et les laïcs, qui ont la mission spécifique de sanctifier l'ordre temporel, les mettent en oeuvre dans le pluralisme légitime des options temporelles.

Ce rapprochement avait été facilité par deux considérations distinctes et mêmes opposées:

a) Sur la lancée de quinze siècles de christianisme en Europe, la morale de la modernité offrait, à bien des égards, en ses débuts, l'aspect d'un christianisme sécularisé: l'individu sujet de droits, l'impartialité de la justice, la solidarité sociale, la protection des plus faibles, l'Etat de droit, les mécanismes de contrôle des pouvoirs constitués, l'alternance démocratique, le droit des gens accusaient leur origine chrétienne et apparaissaient comme des développements nullement contraires à l'ordre moral objectif. La société libérale, sauf l'introduction du divorce civil, ne rejetait ni le mariage monogame, ni la notion de famille, ni (sauf en France, fin XIX·s) l'éducation religieuse dans l'école publique. Le sens de l'honneur, du travail, de la justice, du don de soi, de la générosité, étaient cultivés et enseignés comme morale civile voire républicaine. En fait c'était la morale humaine telle que l'Eglise l'avait enseignée pendant des siècles. Il paraissait donc possible aux chrétiens de s'engager dans les mêmes objectifs que la société sécularisée.

b) L'autre phénomène fait apparaître l'envers du décor. Il a consisté et consiste encore en un détournement épistémologique des notions chrétiennes, qui une fois vidées de l'intérieur, reçoivent un tout autre sens. La modernité a souvent réussi à entraîner dans son sillon beaucoup de bonnes volontés chrétiennes, sous couvert d'égalité, de liberté, de fraternité, aujourd'hui de droits de l'homme. Encore aujourd'hui peu nombreux sont ceux qui font la différence entre les droits de l'homme selon J.J. Rousseau et selon l'Evangile. Le chrétien, passé par le moule de la culture dominante, ne se rend pas toujours compte du décalage entre croyance et foi, arbitraire et liberté, solidarité et charité, projet et espérance, entre l'anthropocentrisme de la culture et le christocentrisme de la foi.

La modernité met en évidence que des pans entiers du christianisme sont en travail de "pseudomorphose", terme de la physique des métaux, utilisé par H.I. Marrou pour désigner la mutation de la religiosité païenne au II· siècle. Aujourd'hui, ce concept est applicable au christianisme: dans l'enveloppe inchangée des mots, de rites, des symboles chrétiens, le contenu se transforme et se charge d'un sens nouveau, purement séculier, sur un horizon d'où le mystère de Dieu est absent.

Dans les rangs du catholicisme on a assisté à une réduction de la perspective de l'eschatologie chrétienne à celle des utopies séculières. Des mouvements politiques totalitaires et révolutionnaires ont attiré des théolo giens et des militants chrétiens, qui disaient y trouver une actualisation de l'Evangile et de sa préférence pour les pauvres. On a vu tel évêque latino-américain proclamer que Cuba ou le Nicaragua sandiniste était le paradis de l'Evangile. Dans la production vulgarisée de la théologie de la libération, l'espérance chrétienne consistait à attendre patiemment le triomphe du communisme là où il ne sévissait pas encore. Une politique chrétienne, plus dogmatique que celle des époques de chrétienté, était ainsi réinventée sans nuances, sous forme de reddition sans condition aux idéologies les plus anti-chrétiennes de la modernité.

III. Au moment où nous parlons, l'écroulement du versant marxiste et totalitaire de la modernité ne laisse plus sur les rangs que le libéralisme individualiste et hédoniste. A son égard, dans le contexte occidental, le discernement n'a pas toujours été exercé. L'expérience d'un siècle de participation des chrétiens à la vie publique a eu pour résultat non pas d'infléchir mais de légitimer un peu plus la modernité. Longtemps la démarche était celle de deux trains qui courent parallèlement et dont les rails se croisent de temps en temps. Croyants et incroyants luttent pour les droits de l'homme, la paix, la justice, les premiers, parce qu'ils les savent fondés sur la nature créée par Dieu et donc intangibles; les seconds pour d'autres motifs. Sur des objectifs précis, on constatait que les voies se croisent souvent.

Ainsi le droit civil à la liberté en matière de religion. Pour l'Eglise, ce droit est ancré dans la nature de l'homme qui ne peut accéder à Dieu que librement. Dans les documents internationaux, la démarche religieuse équivaut à une opinion subjective et doit être respectée à ce titre. Les deux perspectives sont foncièrement différentes, mais dans les faits, force est de constater que la seconde ménage à la première un espace suffisant pour qu'elle puisse se développer. La Déclaration Dignitatis humanae de Vatican II théorise indirectement cette attitude en suggérant par deux fois la notion de coïncidence ou d'accord pour exprimer la rencontre, au moins partielle, des deux perspectives (cf. par 9 & 13). La même Déclaration reconnaît aussi que la liberté de l'Eglise est suffisamment garantie par la liberté religieuse dans l'Etat de droit (Par. 15). Il y a donc des recoupements sur le terrain du droit entre les requêtes de la foi et les présupposés de la modernité.

Sans doute, ces regroupements sont-ils précaires, plus conjoncturels que structurels. Des vérifications périodiques s'imposent pour constater s'ils demeurent. Mais plus la société s'éloigne de son humus chrétien d'origine, moins les rails auront l'occasion de se croiser.

La participation des chrétiens à l'édification de la cité commune ressemble à une main prêtée aux oeuvres d'un architecte qui n'est pas des leurs. Certainement y eut-il des moments dans l'histoire européenne récente où leur contribution a été plus décisive. On recourt généralement aux ressources morales du christianisme restées intactes lorsqu'il s'agissait de sortir de crises majeures. Quand il fallut reconstruire l'Europe occidentale d'après guerre, ce sont des hommes avec des programmes inspirés par la doctrine sociale de l'Eglise qui ont exercé le pouvoir. Leur action est à l'origine de l'Europe communautaire. Les changements intervenus depuis 1989 en Europe centrale et orientale sont partis d'un syndicat catholique en Pologne et de pasteurs protestants dans l'ancienne Allemagne de l'Est. L'Eglise a fourni à l'Europe des concepts intégrateurs comme celui de subsidiarité. Elle a combattu et obtenu que la liberté religieuse soit inscrite dans les préoccupations de la CSCE et systématiquement défendue depuis l'Acte final d'Helsinki (1975).

Mais, globalement la société a poursuivi son développement hors de l'influence chrétienne, dans les domaines sensibles du contrôle des naissances, de l'avortement, de la bio-éthique, de l'euthanasie, de la xénophobie, du racisme, etc.

Aujourd'hui, qui propose une alternative cohérente au nihilisme ambiant, sinon l'Evangile du Christ?

IV. Depuis quelques années il est question de notre entrée dans la post-modernité. A bien des égards, celle-ci apporte une nouvelle donne à l'engagement politique du chrétien.

Peut-on définir la post-modernité? Là où elle existe, elle est caractérisée par la fin des utopies politiques. C'est clair depuis 1989. Le messianisme politique avait pris la relève de l'eschatologie chrétienne depuis que la modernité promettait le bien-être ou même la société parfaite sur terre. Maintenant rien.

  • La post-modernité commence à douter du mythe du progrès, quantitatif et qualitatif, qui avait permis aux deux siècles précédents de se lancer dans une course en avant, en évitant de poser les questions essentielles de l'homme.
  • Des facteurs habituels d'intégration sociale ne jouent plus leur rôle: la croissance économique, gage d'équilibre et de cohésion sociales; la science dont les applications à la bioéthique et à l'énergie nucléaire inspirent plus de crainte que d'espérance.
  • La post-modernité se traduit par une angoisse devant l'avenir, pas par des certitudes conquérantes. Or, une civilisation n'est créatrice que si elle se fonde sur des certitudes qu'elle veut propager. Quelle consistance offre l'Europe entre Maastricht et Sarajevo? Quel scandale que le décalage croissant entre les réalités et les protestations verbales sur les droits de l'homme?
  • La post-modernité se prête au dérapage dans l'irrationnel, les gnoses, les sectes, le new age promettant à l'individu atomisé une communion cosmique, là où est devenue impossible une communion sociale ou simplement familiale.
  • La post-modernité ne favorise en aucun cas un retour au christianisme. Elle ne manifeste aucune inquiétude à connaître le Dieu transcendant et incarné, créature et rédempteur du monde et de l'homme.

V. Devant cette nouvelle donne, de quels atouts dispose l'Eglise?

L'engagement politique tient aujourd'hui de la prouesse. Il réclame dévouement au bien public sous la constante menace des médias et la vigilance des juges. Il faut être sans peur et sans reproche, pour constater qu'on est souvent impuissant. Car où se situe aujourd'hui le pouvoir qui fait naître les consensus et oriente les choix? Il est diffus dans tout le corps social, dans une nébuleuse d'alliances qui se nouent et se dénouent dans les groupes institutionnalisés comme les syndicats, les instituts de lobbying, les ONG, les Tendenzbetriebe, mais aussi dans les pressions de la rue. Tout pouvoir passe par la maîtrise des medias, dont le propre est de manipuler l'opinion. L'image qu'ils nous renvoient de la réalité des événements est toujours déformée pour servir à la communication de masse, comme l'avait bien vu Mac Luhan.

A mesure qu'elle n'a plus de contenu à véhiculer, la communication perfectionne ses supports. Dans une réunion internationale, il n'est pas possible de discuter, par exemple, des fondements des droits de l'homme; mais on s'étendra volontiers sur les mécanismes de leur protection et l'allocation des ressources. Notre culture est devenue celle des moyens, qui ne se rendent pas encore compte qu'ils n'ont plus de fin.

Aussi la priorité est-elle aujourd'hui, pour ceux que la modernité n'a pas encore hypnotisés, de retrouver les racines de la foi. L'Eglise n'a rien à apporter au monde si elle fait mine de courir après lui et y dissout le sel de l'Evangile. Les croyants doivent se ressourcer à la foi vivante que l'Esprit suscite en son Eglise. En croyants, ils ont à vivre toutes les exigences de la vie nouvelle du Christ et à en témoigner.

L'urgence n'est pas dans de nouvelles structures institutionnelles. Beaucoup se leurrent encore sur l'influence que l'Eglise peut avoir lorsqu'elle apparaît comme un groupe de pression parmi des groupes de pression, lorsqu'elle fait semblant d'être un partenaire comme les autres, au risque de perdre sa propre signification qui est d'être la communauté tout autre, incarnée, certes, dans des situations concrètes, mais porteuse d'un message qui n'est pas son propre produit. La façon la plus efficace de neutraliser l'Eglise, c'est de la banaliser. Or, l'Evangile est toujours une provocation et une alternative au monde qui se comprend exclusivement à partir de lui-même.

En participant avec d'autres à relever les défis de notre temps, les chrétiens n'ont pas à cautionner la société, ni à la condamner, mais y projeter la lumière de l'Evangile. Montrer que la Parole de Dieu veut que l'homme vive, qu'elle est appel et invitation adressée à l'homme et non un carcan de contraintes.

Il ne s'agit pas de déserter les lieux multiples où s'élaborent les orientations porteuses de l'avenir, car il est urgent de redonner aux mots d'homme, de droit, de liberté un contenu puisé aux sources de l'anthropologie chrétienne. Il faut défendre l'Etat de droit, qui garantit le respect des libertés des personnes et de leurs associations naturelles ou volontaires comme la famille ou la communauté religieuse. Mais sans illusion: la société multiculturelle ne subsistera pas elle-même sans l'intériorisation des valeurs morales que lui a léguées le christianisme. Nous en sommes loin.

Par rapport à la modernité classique, la perspective est, peut-être, aujourd'hui, renversée. Celle-ci postulait qu'il n'y a pas de vérité transcendante et qu'au nom de la liberté subjective d'opinion, on pouvait aussi éventuellement croire en Dieu. Dieu et la foi étaient tolérés sous le toit commun de l'indifférentisme et de l'agnosticisme.

La nouveauté, que quelques nostalgiques ne veulent toujours pas prendre en compte, est que deux siècles de modernité ont enlevé au christia-nisme toute illusion de se proposer comme un système de contrainte. Après que les systèmes de référence de la modernité se sont aussi effondrés, le christianisme ne va pas rêver de redevenir un système intégral, comme ce fut possible en d'autres temps. L'Eglise a mieux à faire: évangéliser en profondeur, éduquer la liberté, prêcher l'espérance, montrer que la vie morale n'est pas soumission à une loi externe et aveugle, mais réponse libre à un appel que le Créateur a inscrit dans les consciences, et auquel la grâce nous permet de répondre.

Il n'y aura plus de politique chrétienne, à moins qu'on en vienne à comprendre un jour que ce n'est pas le libéralisme sans Dieu qui nous a donné la liberté, mais Dieu qui a voulu qu'on le cherche et qu'on le suive librement. Dépouillé, comme Jésus, de tout pouvoir de contraindre, le christianisme est à nouveau la porte vers le royaume de la liberté dans la vérité.

Aux chrétiens de faire comprendre aux autres hommes que le cadre toujours perfectible de la cité terrestre ne sera humainement habitable pour tous, que si quelques-uns, au moins, ne perdent pas de vue que la patrie définitive est celle que Dieu nous a préparée dans les cieux (cf. He 11,16; 13,14).


CHRISTIANITY, EUROPEAN GOVERNMENTS AND THE CULTURAL IDENTITY OF NON-DOMINANT GROUPS IN THE 19TH AND 20TH CENTURIES

Donal A. KERR
St Patrick's College, Maynooth, Ireland

The history of Christianity wrote Christopher Dawson is indispensable to the understanding of western Europe itself.

A survey of European history shows the key-role of Christianity in the development and flowering of its culture, religious, intellectual, artistic and political. Europe, as we know it, is the child of faith and Christian genius. Christianity is the mother of that great civilisation and its many cultures. Minorities posed special problems, however, but the manner in which Christianity cherished or rejected the cultural identity of those minorities can be seen as a litmus test of the genuineness of the Christian inspiration of the state itself.

I. Treatment of non-dominant groups during the 19th and 20th centuries

A. The 19th century and the Empire States

By the 19th century active religious persecution had ceased in most of Europe although discrimination - political, social and educational - continued strongly in vigour. In the European states, whether they were empires or new states issuing from the French Revolution, in addition to the dominant group, with its privileged religion, and consequently higher social status, other non-dominant groups of different religious, usually Christian, groups persisted. Among those groups can be mentioned Jews in most continental countries and particularly, Poland, Russia, Austria and Germany; Armenians in Turkey, Catalans in Spain, Irish in the United Kingdom; after the first World War, many of these groups became dominant and new non-dominant groups were created - Germans in Poland and Czechoslovakia; Austrians in the South Tirol or Alto Adige; Hungarians in Yugoslavia; Baltic nationalities and Ukrainians in the Soviet Union etc. Up to comparatively recently, however, and still in some places, these groups were discriminated against on religious, cultural or ethnic grounds. In the new state of Ireland, although the general ethos was a Catholic one, a high degree of tolerance was achieved and the civil rights of all religions, including the Jews, were guaranteed in the constitution of 1937, at the very time when Jews were coming under increasing attack.

Before 1914 the great empires - Russia, Austria, Germany, Britain, to whom could be added the French, Italians and Hungarians - believed in a type of cultural mission to bring a higher degree of civilisation to non-dominant groups. Since religion played an important role in maintaining the integrity of the minority religious group, governments, were either unwilling to tolerate that religion, or sought to control it usually through its leaders. Different governments at different times displayed different tacties and so a first consideration must be the different types of states and governments. Czarist Russia was autocratic in its dealings with religious non-dominant groups whereas the Habsburg monarchy, from the 'Privileges' of 1690-1 and, especially, after the Toleration Patent of 1781, was tolerant in its approach to religious groups. Furthermore, the United Kingdom, France and the modern nation-states, such as Italy, all differed in their attitude to the cultural identity of non-dominant groups.

An interesting 19th century illustration of both the similarities and the differences of approach is provided by the attitude of the four great empire states towards bishops and other religious leaders. Russia, Austria and Germany all sought Russification or Germanisation of the Polish Catholics. The Prussian/German king/emperor, by persistent tactics, introduced German-speaking bishops even to the primatial see. The Czars deliberately kept episcopal sees vacant in the hands of pliable administrators and deported uncooperative bishops to Siberia. All the while the Czar protested to the Holy See that he was acting as the protector of the Catholic Christians committed by God to his care. The Austrians, more open to Catholic or papal pressure, tended, nevertheless, to appoint Slovak bishops. In the Austrian dominions, too, the Orthodox Serbs had their own Patriarch in Karlowitz, which was both a sign of their religion and their nationality. A different situation existed in Ireland where Protestant Britain had long denied the legal existence of the Catholic church. When finally the state did recognise that the Church was not going to disappear and sought to control the appointment of its bishops, it was unsuccessful because it was too late. Although Rome accepted the British proposal to nominate the bishops, it could not get Irish Catholics, clerical and lay, ti accept it and the plan was finally abandoned in 1829. Unlike Czarist Russia, Britain was a constitutional state and, by then, was limited in the means it could adopt.

B. National and Totalitarian States: 19th and 20th century

In those older empires and kingdoms, people were more often bound together by a common fidelity to the Church and to the person of the prince. Many modern states sought to replace that by an ideology of the nation state. These new nation-states, taking up the slogans of 'liberty, equality and fraternity', appeared committed to religious liberty and human rights. Although they proclaimed an ideal of neutrality towards religion - a Free Church in a Free State - the separation of Church and state did not always make for the religious freedom of the minority groups. Liberalism was often totalitarian in its tendencies and illiberal in its actual politics. Indeed, the all-powerful nation-state often proved less tolerant of non-dominant groups than older empires such as hat of the Habsburgs, for minorities appeared to detract from the new state's sovereignty and its prior claims of universal, even total, allegiance. The Italian state after 1871, in its search for the unified national idea, had difficulty in accepting the cultural identity of German, Slovene or Friulian minorities and, to a lesser extent, the French experienced similar difficulties in their perception of the Bretons. The cultures of many minorities were seen as survivals of an inglorious past which were best consigned to oblivion.

Modern totalitarian states, recognising no limit on the power of the state and uninfluenced by Christian ideas in their political action, adopted far more brutal methods to achieve absorption of non-dominant groups as happened in the post-war period. Minority beliefs, then came to be seen as an irritant or, indeed, a security threat. Some modern states took extreme means to remove that perceived threat. During the war, the massacre of the Jews and the other minorities showed the most extreme form of intolerance. Since then the world has witnessed the events in the post-war Communist bloc where religious minorities were totally suppressed or forcibly assimilated into other groups as in the Ukraine and Romania. Hungary, Yugoslavia and Czechoslo-vakia, discredited and imprisoned bishops - the trials Cardinals Mindszenty and Stepinac spring to mind - or appointed their own nominees in their place.

C. Religion and Cultural Imperialism

Christian Churches - Orthodox, Catholic and Protestant - played a part in this ill-treatment of non-dominant groups. Often the reason was essentially political - the pressure of the state to achieve national unity and the Churches' acquiescence. For some, however, the reason was religious and the question must be asked why was this so. When the minority had a different religion the claim of Christianity to truth could, and did, drive Christians to political intolerance; the identity between Church and State made it possible to persecute. Yet the resort to force was an aberration from the gospel and from the witness of the martyrs. The dilemma existed from the time of Augustine. The beginnings of a solution emerged with Francisco de Vitoria's criticism of the Spanish treatment of the native 'Indians' of America. Vitoria was followed by Hugo Grotius, who severed law from theology and placed the principle of justice in the unalterable Law of Nature. In the 18th century, in the wake of the wars of religion, widespread toleration began to gain ground. The Enlightenment philosophized about it and revolutionary France proclaimed it to the world. In both cases the practice fell far short of the ideal.

D. Ambivalence of Minorities

In the nineteenth century most of the minority groups were in Austria-Hungary (Czechs, Slovaks, Croats, Poles, Slovenes, Bosnian Muslims, Bosnian Serbs, Italians, etc); in Russia (Poles, Ukrainians, Finns, Latvians, Lithuanians, Estonians, Jews; in Turkey (Serbs, Croats, Armenians, Greeks, Bulgarians etc; in Germany (Poles); United Kingdom (Irish, Welsh and Scottish). After the first world war, many non-dominant groups became dominant groups, as happened in Czechoslovakia, Yugoslavia, Poland and Ireland and dominant groups became non-dominant as the Germans in Polish Silesia, Czechoslovakia and the South Tirol. The attitude of those non-dominant groups had its own ambivalence. When non-dominant these groups clamoured for full rights; when dominant they often refused those rights to the new minorities and used force to assimilate them. Although this attitude could be perceived as hypocrisy it was rather their vision of the over-riding claims of their new state. Insecure, obsessed by the need of national unity and determined not to be a subject people again, they found it difficult to accommodate other ethnic groups. This was particularly true after the first World War in central Europe although examples are not lacking after the second World War.

II. Christian Religions' role in preserving the cultural identity of non-dominant groups

A. Religion and Political Autonomy

Both before and after the first world war minorities faced pressure to conform to the dominant culture and political structure. Most of them resisted this pressure and religion played an important role in their effort to maintain their traditions and their integrity. Religion produced strong convictions and loyalties among its faithful and these convictions were translated into social and political attitudes. From Catalonia to Romania, the Churches were instrumental in preserving ethnic cultural identity. In Poland, national independence and Catholicity went hand in hand whether under the Czars or under Communism. In Yugoslavia the national idea owed its origins to the Croatian Catholic Bishops Strossmayer although after his death it was taken over by secular nationalists. Today in Bosnia, Croat and Catholic, Serb and Orthodox, are almost interchangeable terms (Erns Chr. Suttner, Die Herausforderung für die Kirchen beim Zusammenbruch Jugslawiens; Sprachgruppen und Volksgruppen in ehemaligen Jugoslawien, Una Sancta: Zeitschrift für ökumenische Begegnung, pp. 247-60). A Serb patriarch could write in the 18th century: 'The Serb people has only one common symbol, namely the great and Holy Church which has been preserved when all else perished' (L. Hadrovics, Le peuple serbe et son Eglise sous la domination turque, Paris, 1947, pp. 119-20, cited in Robin Okey, The Serbo-Croat speaking lands, Donal A. Kerr, ed., Religion, State and Ethnic Groups (New York and London, 1992), p. 54). When Tocqueville and Beaumont visited Ireland in the 1830s they formed the same opinion of Ireland and the Catholic religion. Beaumont wrote: Le peuple irlandais est dans son église (Gustave de Beaumont, L'Irlande sociale, politique et religieuse (Paris, 1863), ii. 38). For the Armenians, too, scattered in a Diaspora across eastern and central Europe, their ability to maintain their identity came from their profession of Christianity (Ernst Christoph Suttner, Armenians and other ethnic religious minorities, Kerr, Religion, p. 96).

In 19th and 20th century Ireland, too, Catholicism provided the badge of identity. In Northern Ireland today the term Nationalist and Catholic are almost interchangeable, as indeed are Protestant and Unionist. In England itself the Irish constituted the largest minority and among them loyalty to their fatherland strengthened their loyalty to the Catholic faith (Sheridan Giley, The Catholic Faith of the Irish Slums: London, 1840-70, H.J. Dyos, and M. Wolff, eds Immigrants and Minorities in British Society (1978); Irish Catholicism in Britain, Kerr, Religion, pp. 229-54).

B. Cultural, Educational and Social Activity

The enshrinement of a minority group's literature in the written word gave its culture an authority and a standing in the group's own eyes. For many non-dominant groups the Christian religion played an important and direct role in the commitment of their literature to writing. From about 600 a.d. on, the monks wrote down and developed the beautiful and extensive old Irish literature - with its sagas, religious, nature, epic and love poetry. Something similar applies to the Armenians, the Welsh, and the Orthodox Communities in the Balkan lands.

A further important factor was the Christian priority of preaching the Gospel. Missionaries realised the importance of using a language that was intelligible to the people in their catechesis. Cyril and Methodius are one example among many. After the Reformation Protestant evangelists made extensive use of the Scriptures while the Council of Trent insisted on vernacular in catechesis and preaching. Vernacular catechisms multiplied. As a result of this religious activity many languages were written down for the first time and this commitment of their language to print made minority groups conscious of their won culture and identity. In many ethnic groups it was often the local clergy who were the first to write down their literature and traditions. By thus presiding at the birth of their literature, Christianity gave a new dignity to the culture of the minority (Vittorio Peri, Two ethnic groups in the modern Italian state, Kerr, Religion, pp. 140-78).

In Croatia, Bishop Vrhovac of Zagreb (1751-1827) took the lead in promoting the writing of the Croatian language and in the preservation of folklore, songs and proverbs. Later Archbishop Josip Strossmayer 1815-1905) also promoted Croatian culture and literature and founded the Yugoslav Academy of Arts. Strossmayer held that true nationalism, both Croatian and serbian and true Christianity, both Orthodox and Catholic, would be best achieved through education and culture (Stella Alexander, Religion and National Identity in Yugoslavia, Mews, Religion, p. 597).

Education was an instrument by which the state sought to assimilate and the religious group sought to defend, ethnic culture and identity. Confessional schools were often the means by which the values of the minority were preserved and handed on. The secularising state attack on Catholic education during the Kulturkampf was defeated by a combination of German and Polish Catholics. For the Poles this Kulturkampf was a struggle for both religious and national identity. In Carinthia, the Catholic Church's encouragement of the use of the Slovene language in its churches and in the schools helped consolidate Slovene identity. From the middle of the 19th century the Hermangoras fraternity in Klagenfurt provided the country people with pious books in Slovene through a network of local priests. The same was true in Southern Burgenland where the clergy founded choirs and cultural clubs, theatregroups (Andreas Moritsch and Gerhard Baumgartner, The Process of National Differentiation with rural communities in Southern Carinthis and Southern Burgenland, 1850-1940, David Howell, ed., Roots of Rural Ethnic Mobilisation (New York and London, 1993), pp. 99-143. In Rumania, both the Orthodox Church and the eastern rite Catholic Church (Uniat) contributed substantially towards preserving Rumanian identity. The rich Rumanian folklore was cherished as a basis for development. Later, however, the unified action of the mid-nineteenth century between the two Churches did not last (Octavian Bârlea, Metropolia Bisericii Române Unite proclamatâ in 1855 la Nlaj: die Metropolie der Rumänischen Unierten Kirche verkündet im Jahre 1855 in Blaj, Perspective, x (1987) nr. 37-8; Octavian Bârlea, Spre o noua fata a Bisericii Române Unite: zu einem neuen Antlitz der Rumänischen Unierten Kirche, Perspective, xii (1987) nr. 51-2). In Bosnia, the Franciscan Friars and the Sisters of Mercy were foremost in founding schools. The Catholic Franciscan, Ivan Jukic, and the Orthodox monk Pelagic were foremost in seeking cultural development through the mother tongue (Okey, Education in Bosnia, pp. 320-1). This was largely based on Herder's philosophy.

In Italy, after the peace of St Germain in 1919 the Italian state pressed forward with a policy of italianisation. This Italianising drive increased with the advent to power of the Fascists. The Catholic Church played an extremely important part in protecting the culture of the German minority in South Tirol and Johannes Geilser, bishop of Bressanone (Brixen) spoke out strongly against any attempt to deprive the people of their mother-tongue. His statement caused great annoyance to the state authorities. The strong presence of the Church and religious orders in the South Tirol made it possible for the Church to provide schools where German and German culture was transmitted. In the upper Adige, the Church in general was involved in defending the cultural heritage of the Tirolese. Religious seminaries at Bressanone (Brixen) and Dorf Tirol and similar religious schools, in addition to training students destined for the priesthood, educated lay students who wanted a German education (Angelo Ara, Italian Educational Policy Towards National Minorities, 1860-1940, Janusz Tomiak, ed., Schooling, Educational Policy and Ethnic Identity (London and New York, 1991), pp. 283-7). Later, towards the end of the Second World War, when the area fell under the control of Franz Hofer, Gauleiter of Tirol-Vorarlberg, the clergy again were the most powerful protectors of the people (Josef Gelmi, La chiesa e la questione etnica nel Sudtirolo dal 1900 al 1945, ed. Vittorio Peri, Le Minoranze nella Mitteleuropa (1900-1945) (Gorizia, 1991), pp. 327-36). The fate of the Slovene minority in the valleys of Natisone and Carnia and that of the Friulians in the Udine was harder. After continuous pressure by the Italian state, the Fascist government, in 1931, prohibited the clergy from preaching or catechising in the Slavic language (Aldo Moretti, Guerra, Politica e Cultura Pro e Contro una Minoranza: il caso Friuli (1900-1945), Peri, Minoranze, pp. 305-11). The role of the church was more complicated because the clergy were divided. In the Val d'Aosta and Giulia-Venetia it was individual clergy, and mainly the lower clergy, who took a stand against the suppression of the culture. In 1926, Archbishop Rossi wrote that he wished the priests to preach in Italian but added we do not prohibit, however, the use of the dialect where it is necessary or useful, and particularly in catechesis. In general, however, the Church proved a support for all harassed cultures. The Church was truly a Noah's Ark for the cultures of all the groups under threat in Italy during this period (Angelo Ara, Scuola e minoranze nazionali nella Venezia Giulia tra le due guerre mondiali, Peri, Minoranze, p. 220. The phrase was applied by Ettore Passerin d'Entreves to the preservation of French in Valle d'Aosta in his article La lotta per l'autonomia e la difesa del francese in Valle d'Aosta, Sandro Fontana, Il fascismo e le autonomie locali (Bologna, 1973, p. 252).

In the Basque country, which was always deeply Catholic, the role played by the Church in preserving the Basque culture was also significant. A Jesuit, Father Larramendi was one of the first to write the language, while another priest, Resurección de Azkue, forced the authorities, in 1899, to include the language in the school curriculum. The priest, too, used Euskera (Basque) in their pastoral work and in teaching catechism (Jose Luis Garcia Garrido, Spanish Education Policy Towards Non-Dominant Linguistic Groups, 1850-1940, Tomiak, Schooling, pp. 299,315; Santiago Petschen, The Spanish Royal Privilege of Patronato, Kerr, Religion, pp. 279-203). In Catalunya, the role of the Church leaders were more divided in their approach but the great Benedictine Monastery of Monserrat proved crucial in the preservation and development of the Catalan culture. This support was crucial for, particularly, during the regime of Primo de Rivera, severe penalties were decreed for disrespect for the Spanish tongue and using other languages in its place (Antoni Milian i Massana, The Catalan Language in the Conflict between Centralism and Autonomy, 1850-1940, Sergij Vilfan, ed., Ethnic Groups and Language Rights (New York and London, 1993), pp. 71-2). In Wales, ministers of religion (Methodists, Baptists, Independents and Wesleyans) played a formative role as leaders in Welsh life and in preserving its ancient Welsh language (Robert Tudor Jones, Religion, Nationality and State in Wales, 1840-90, Kerr, Religion, pp. 261-76). During the last century the many language revival movements usually found their most enthusiastic supporters among the clergy, particularly the lower clergy.

In Northern Ireland, the government, provided a denominational school system for the Catholic minority. Since the government's policy was discriminatory in other respects, Catholics warmly welcomed this system and still cling to it, perceiving it as a vehicle for passing on their values and as one of the few concessions to their separate identity conceded to them. In the Republic of Ireland, which is 90% Catholic, the state funds schools for Catholics, Protestants and Jews, and, interestingly, only recently funded a school for the tiny Islamic community in the country.

C. Religious leaders and minority identity

The role of religious leaders was a significant one for on them fell the public responsibility for their religious group. They were often invested with a dual role - sacral and secular. In its dominions the Ottoman government, in the millet system conceded to the heads of the Orthodox Churches both civil and religious power and some control of policing. In Montenegro, which fiercely resisted Turkish power, the bishops of Cetinje, the Petrovic family, combined political and religious power during much of the 18th and 19th century and constituted a symbol of national identity. Although in other countries this personal union was not as close yet there, too, religious leaders played a role that was perceived to be political. In Croatia, the role of the Franciscan friars has been noted. The major national role played by bishops such as Archbishop John MacHale (1701-1881) and, more recently, Cardinal Tomás O Fiaich, (1923-89), in Ireland, Makarios in Cyprus, provide interesting examples. In general, although governments sought, often with some success, to control them, bishops and other religious leaders, believing that ethnic cultures enshrined traditional religious values, emerged as the strongest defenders of those cultures (Santiago Petschen, The Spanish Royal Privilege of Patronato - a political arm of contro over the Catalan minority, Kerr, Religion, pp. 179-203).

D. Devotional Life

The fundamental motivation of a religious faith springs from the individual conscience. In many groups the survival of its ethnic identity had much to do with the collective prayers, hymns and other devotions of the group. Sodalities and devotional associations brought them together and resulted in the strengthening of their feelings of identity. In Wales, hymn singing in Welsh played a significant part. In Ireland, to some extent, the recital of what was called the paidrín páirteach, or shared prayer, -the rosary-, played an important role in keeping the group together. On the level of social action, priests and religious leaders promoted savings associations, peasant cooperatives, insurance organisations and competed with the Socialists in founding political parties and trade unions.

This examination of the role of Christianity in preserving the cultural identity of non-dominant groups, does not claim to be comprehensive and has omitted important minorities such as the Jews, who have suffered so grievously at the hands of the Christian Europe (Mordechai Breuer, Orthodox Judaism in Eastern and Western Europe, in Kerr, Religion, pp. 79-93, provides a sensitive approach to some aspects of this question, together with an excellent bibliography). This survey may be sufficient, however to indicate the centrality of Christianity in preserving the cultural identity of non-dominant groups throughout Europe. Without the protection and support of the Churches, many of these cultures would have suffered more and may even have perished. Unlike liberalism, which was largely identified with dominant nationalism and had little interest in non-dominant cultures, the Churches, however, had long been pioneers in the development of vernacular languages. Wary of the values of Liberalism. More importantly, they respected the traditional values of the native culture.

There have been, however, successes as well as failures in the political sphere. Wales has preserved its culture heritage without, generally, insisting on political independence from the United Kingdom. The Irish Free State, despite a Catholic ethos in its law-making, was tolerant of its minorities and proclaimed its recognition of the Jewish religious minority in its constitution of 1938 at a time when Jews were coming in for persistent persecution. In recent decades much more progress has been made. In 1971, the good-will of Alcide de Gasperi and the Austrian government worked out a solution for the Alto Adige or South Tirol that was embodied in an Austro-Italian Treaty and backed by the International Court of Justice. The European Community assured further progress particularly in establishing a Council for Local and Regional Entities (Santiago Petschen, La Europa de las regiones (Barcelona, 1992), pp. 46-8; 93-102). The most recent striking example of harmonious progress came in 1993 when Czechs and Slovaks agreed to separate peacefully to allow Slovakia its political and cultural independence. Similar efforts in different parts of the former Soviet Union have not, however, totally eliminated tensions and conflicts.

Conclusion

Treatment of non-dominant groups - a test of Christian inspiration

The treatment of minorities and their cultures is relevant if only because in a united Europe we shall be minorities. There are more profound motives. The manner in which Christian majorities treated the culture of minorities constitutes an important test of the genuineness of the Christian inspiration.

In 1790, Pope Pius VI condemned the Declaration of the Rights of Man but, on the other hand, French churchmen playing a leading part in formulating it. Given the sanguinary nature of the Revolution and the anti-religious attitude of 19th century Liberalism, it is not surprising that Gregory XVI and Pius XI adopted too defensive an attitude.

The question of minorities is closely bound up with that of human rights as became so obvious during the second world war. During the anguish of that war, when his country was occupied, Jacques Maritain wrote: Christianity has taught to the peoples the unity of the human race and the natural equality of all men, children of the same God and redeemed by the same Christ, the inalienable dignity of every soul fashioned by God. After the horrors of that war, the nations decided that the rights of the individual should be guaranteed internationally. In this changed climate, the Church responded more positively to this new Declaration of Human Rights. Like the French clergy in 1789 but with a far happier outcome, Angelo Giuseppe Roncalli, then nuncio in Paris, played a significant part in the formulation of the draft Universal Declaration of Human Rights which was signed in Paris on 10 December 1948 (Seán MacBride, The Universal Declaration - 30 Years After, Alan D. Falconer, ed. Understanding Human Rights: an interdisciplinary study (Dublin, 1980), p. 9). Later he issued his encyclical Pacem in Terris and, later again, the Second Vatican Council provided the philosophical and religious underpinning for human rights in its splendid statement on religious freedom, Dignitatis Humanae. During the discussion on the document, the exiled cardinal archbishop of Prague, Joseph Beran, who had the distinction of being imprisoned by both Nazis and Communists, made a moving and emotional plea:

"in my country, the Catholic Church at this time seems to be suffering expiation for defects and sins committed in times gone by in her name against religious liberty, such as ... the burning of John Huss ... So history also warns us, that in this Council the principle of religious liberty and liberty of conscience must be enunciated most clearly and without any restrictions, which might stem from opportunistic motives. If we do this, even in the spirit of penance for such sins of the past, the moral authority of our Church will be greatly increased and the whole world will reap the benefit."

In 1973, Paul VI spoke strongly on the necessity of respecting the rights to self-determination and independence (Franc Rodé, Eglise, pp. 46-9, gives an excellent summary of recent papal pronouncements). It is especially, however, John Paul II who made the strongest appeal for respect for minorities and their cultures. In 1989, he devoted his New Year's message to this subject describing the rights of minorities as one of the most delicate questions of our time (Originaire de l'Europe centrale, Jean-Paul II est particulièrement sensible au problème des minorités nationales, Franc Rodé, Eglise, p. 47).

He laid down two firm principles. The first is the inalienable dignity of every person: all find their true identity in relationship with other persons or groups and this collective identity must be protected. The second principle is the unity of the whole human race and this unity has its origin in God the creator. If it respects those twin pillars, Christianity will cherish the cultures of all its peoples and create a united but diverse and multi-coloured Europe for the second millennium.


L'EGLISE, EDUCATRICE DES PEUPLES EUROPEENS

Marguerite LENA
Communauté apostolique Saint-François Xavier, France

De qui parler, un matin de Pentecôte, entre hommes et femmes de toutes les nations d'Europe, sinon de Celui qui fit irruption au Cénacle de Jérusalem pour embraser intérieurement les disciples rassemblés, et libérer en eux une parole pour tous les peuples? L'Esprit Saint, que l'Ancien Testament appelle, en une belle formule du livre de la Sagesse, L'Esprit Saint de l'éducation, commence en cette première Pentecôte sa mission d'éducateur auprès de ceux qu'il vient d'engendrer à la vie du Ressuscité dans le sein de l'Eglise. Il commence cette mission comme le fait toute éducation humaine: il leur apprend à parler. De sorte que la langue qu'il leur enseigne sera désormais à bon droit et pour toujours la langue maternelle de l'Eglise. Mais cette langue n'est pas l'hébreu, le latin ou le grec; elle n'est pas davantage une langue culturellement inédite, ni une glossolalie indistincte. La langue maternelle de l'Eglise est tout simplement la langue de l'autre, celle dans laquelle chacun, quelles que soient son origine et sa culture, peut entendre retentir pour lui, de manière absolument singulière, la Parole universelle du salut. Dans l'événement inaugural de la Pentecôte, le mystère de Babel n'est pas aboli, mais inversé. Le lieu même de nos différences culturelles, creusé jusqu'à son socle symbolique le plus profond, la diversité des langues, devient l'espace d'une rencontre dilatée aux dimensions du monde.

Penser aujourd'hui la mission commune des éducateurs en Europe, est-ce remonter en-deçà de Babel, proposer aux jeunes l'idéal d'une Europe autosuffisante, lançant d'un seul élan un ambitieux projet d'efficacité et de puissance? Est-ce à l'inverse se résigner à Babel, perpétuer les divisions dont notre sol est labouré et notre présent déchiré? Ou est-ce aller au-delà de Babel, vers notre commune naissance dans l'Esprit de Pentecôte?

Membre d'une communauté apostolique qui, depuis plus de trois générations, se réclame, dans sa mission auprès des jeunes, d'une éducation selon l'esprit, je voudrais dire combien, dans l'actuelle configuration de l'Europe, cette tradition éducative peut être une opportunité à saisir et une fidélité à garder, si elle demeure attentive à la riche polyphonie du terme d'esprit et vigilante aux requêtes du présent. A l'appui de cette conviction, j'évoquerai quelques aspects permanents et quelques défis actuels de l'aventure européenne de l'éducation.

L'Europe n'a jamais limité à un seul modèle institutionnel ou pédagogique ses pratiques éducatives. Des académies antiques aux écoles monastiques ou cathédrales, des facultés médiévales à nos modernes universités, elle a su inventer une étonnante diversité de formes et de lieux de transmission. Cette diversité a le mérite de laisser ouvert le geste de transmettre, si bien que demeurent aussi ouverts son destinataire et son objet: l'homme inépuisable, irréductible à tout concept opératoire, impossible à circonscrire dans une anthropologie close. Ce surcroît, ce débordement permanent hors des catégories de l'objectivation et de la détermination s'appelle la vie de l'esprit. Dans une conférence faite à Vienne en 1935, comme un acte de résistance spirituelle en pleine montée du nazisme, Husserl s'interrogeait sur l'identité européenne. Il donnait pour acte de naissance à l'Europe l'avènement grec de la réflexion philosophique, en entendant par là l'éveil de la conscience à sa propre intériorité réflexive et la déchirure, en avant d'elle, d'un horizon - ou d'un "telos" - infini.

Retenons ici quatre des formules de cette conférence, qui ont valeur emblématique pour notre propos:

  • "Il n'y a pas de zoologie des peuples". Contre tous les risques de dérapage dans l'irrationnel de la race ou le fusionnel de la nature, Husserl marque nettement la césure: un peuple se reconnait dans sa culture, dans l'affrontement et le consentement réciproque des libertés. L'éducation ne peut alors être comprise en termes de dressage ou de conditionnement: c'est de l'éveil de l'esprit en sa liberté qu'il s'agit.
  • "L'être spirituel est fragmentaire": on ne totalise pas le monde des personnes humaines: l'universel ne se laisse rejoindre qu'à partir de la particularité des cultures et de la singularité insubstituable des sujets. Il faut alors, inlassablement, recentrer l'agir éducatif sur son destinataire, ne jamais sacrifier la personne aux intérêts d'un système, quel qu'il soit.
  • "L'homme est l'être aux tâches infinies": l'existence personnelle ne saurait s'enclore sur elle-même ni s'égaler elle-même; une mystérieuse loi d'exode la déporte sans cesse en avant d'elle-même, hors de ses prises, au-delà de ses objectivations et de ses oeuvres propres. Une éducation fidèle à cette loi d'exode ne peut que relancer sans cesse sa vigilance et son exigence, de sorte que l'enfant puisse discerner et honorer toute sa tâche d'homme.
  • "Les idées sont plus fortes que toutes les puissances empiriques": il y a des échecs selon l'événement qui sont des réussites selon l'esprit. Une éducation selon l'esprit ne craint pas de privilégier ces réussites, fussent-elles plus lentes, plus tâtonnantes et moins spectaculaires que d'autres.

Les thèses husserliennes sont peut-être trop tributaires de l'idéalisme philosophique et de l'optimisme des Lumières pour faire plein droit aux pesanteurs socioéconomiques, au pluralisme des cultures, au tragique de l'histoire. Mais elles posent de solides verrous contre toute tentation d'objectivation positiviste ou de surplomb dogmatique du devenir historique; elles interdisent également la résignation sceptique devant une histoire en miettes ou la réduction de nos horizons à nos seules performances techniques. Une fois vérifié dans la chair de notre continent l'échec éducatif des idéologies, des scepticismes et des utilitarismes techniques, c'est sans doute faire simplement preuve de réalisme que de mettre l'éveil et la formation de l'esprit au premier plan de nos urgences éducatives. Je retiens trois raisons à cela.

La première concerne notre rapport à l'histoire. Nous sommes en présence, en amont, de formidables déplacements de notre mémoire culturelle, qu'il s'agisse du retour de parts refoulées de celle-ci, de la perte d'un certain nombre de nos référentiels symboliques, ou de la chute en désuétude de beaucoup de nos héritages. En aval, nous sommes devant un avenir fortement indéterminé, marqué par l'incertitude économique et l'effacement des grandes synthèses idéologiques. Simultanément, une nouvelle configuration de la temporalité est en train de naître avec les révolutions technologiques qui modélisent, simulent et démultiplient les virtualités et les stratégies de l'action tout en restant muettes sur ses fins. Une adaptation de surface à ces mutations, par conditionnement extérieur ou par limitation du regard au court terme ne saurait suffire. Il faut au contraire, pour les assumer, un surcroît de vie de l'esprit: car l'esprit est à la fois mémoire, présence intériorisée et gardée de ce qui a été, et création continue d'imprévisible nouveauté. En éveillant en des jeunes la capacité de se souvenir et de comprendre, de discerner et de créer, de s'engager et de durer dans leurs choix, nous ne préjugeons pas de leur avenir, ni du nôtre: nous leur offrons seulement le pouvoir de ne pas le subir. Et nous sommes ainsi fidèles à la manière dont l'Europe a su, tout au long de son histoire, et malgré bien des vertiges contraires, garder mémoire de ses sources sans jamais s'y aliéner, inventer sans abolir le donné, soumettre inlassablement la tradition à la réflexion et le passé à l'avenir.

Par ailleurs, notre Europe connaît en ce moment un considérable remaniement des catégories du même et de l'autre, de l'identité et de la différence. Les jeunes Européens se sentent aujourd'hui presque d'emblée citoyens d'un monde qu'ils traversent comme un village. Mais cette universalisation, qui fait spontanément abstraction des différences, entraîne souvent par là même une subtile méconnaissance de l'autre, précisément dans ce qui constitue son altérité. D'autre part, la fragilité des racines affectives, sociales, géographiques de beaucoup de jeunes favorise à l'inverse les revendications identitaires et les repliements sécuritaires, avec toutes les menaces de violence qu'ils comportent.

Ici encore, c'est au foyer de la vie de l'esprit qu'il faut porter hardiment le geste éducatif: celui qui a découvert la vie de l'esprit n'a pas besoin de se cramponner fébrilement à une identité défensive ou agressive; il possède l'étrange et miraculeux pouvoir de faire sien ce qui est autre, d'accueillir l'autre sans l'annexer, de se quitter sans se perdre, de se trouver sans se chercher. L'Europe connaît de longue date cette expérience. Son identité est faite de ses différences. Son sol et sa mémoire sont lacérés de séparations douloureuses dont elle a su faire, non sans heurts, des rencontres créatrices. Entre Athènes et Jérusalem, entre le monde antique et les peuples barbares, entre Rome et Byzance, c'est toujours la sollicitation de l'autre qui a suscité et fécondé son identité. Ses hauts-lieux sont des passages: Cluny et Cordoue, Vienne et Venise... Aujourd'hui où elle devient plus que jamais ce qu'elle a toujours été, terre d'asile ou d'élection, carrefour mouvant de nationalités plurielles, ses éducateurs ont à être eux aussi plus que jamais ce qu'ils sont: des passeurs qui acceptent que deviennent autres en ceux qui les reçoivent les biens dont ils sont les porteurs.

Un dernier défi requiert l'éducation selon l'esprit: il s'agit du juste rapport de l'intériorité et de l'extériorité, qui fait l'esprit dans sa manifestation, et le préserve dans son secret. Nous sommes en présence d'une Europe de plus en plus pénétrée et façonnée par nos oeuvres: le paysage urbain, technologique, médiatique, est comme un immense miroir de nos savoirs et de nos pouvoirs, et la tentation est grande de céder ici au vertige de Prométhée ou à celui de Narcisse: réduire l'esprit à ses oeuvres, le priver de son secret au seul bénéfice de sa manifestation, ou encore réduire sa manifestation à ce qui offre prise au calcul économique ou à l'information médiatique. Alors menacent à la fois l'oppression et l'exclusion. Oppression, chaque fois que les objectivations de la vie de l'esprit, au lieu de servir l'approfondissement de l'existence, viennent en alourdir l'élan. Exclusion, chaque fois que nos conquêtes refoulent au-dehors tous ceux qui ne peuvent se reconnaître en ce miroir de science et de puissance, parce qu'ils n'en sont ni les acteurs ni les bénéficiaires. Dans son histoire récente, l'Europe a appris des dissidences aux mains nues et aux courages invincibles qu'une parole de vérité pèse plus lourd que l'oppression et peut faire tomber le mur qui sépare les attitudes extérieures des certitudes intérieures. L'Europe appelle aujourd'hui des éducateurs aux mains nues et aux courages invincibles qui fassent vaciller les murs de l'exclusion sociale et de la marginalisation juvénile; des veilleurs et des éveilleurs qui gardent à la vie de l'esprit la pudeur de son secret en même temps que l'audace de sa manifestation.

Je ne pense pas que suffise à ces tâches ce que Husserl appelait magnifiquement, au terme de sa conférence, l'héroïsme de la raison. Il y faut une sainteté de la raison. Car les tentations de l'esprit sont à la mesure de sa vocation, et les démissions de l'esprit plus mortelles que d'autres. L'Europe des ghettos et des rideaux de fer, des mythologies et des idéologies, en a fait cruellement l'expérience. Aujourd'hui, non seulement de nouvelles séparations se dessinent ou se durcissent sur notre sol - entre nationalités, entre générations, entre bénéficiaires et exclus du travail, de la croissance, de la santé, de la culture -, mais la fracture croissante entre le Nord et le Sud de notre planète vient bouleverser nos assurances et accuser nos suffisances. Face à ces défis, le recours humaniste aux valeurs de l'esprit ne suffit pas.

Nous devons alors nous risquer plus avant, jusqu'à ce point où l'Esprit Saint se joint à notre esprit pour en guérir la blessure, en creuser l'intériorité, en convertir et dilater l'élan. L'éducation selon l'esprit se surdétermine alors, en même temps qu'elle s'affranchit de ses résonances idéalistes. Au foyer de la vie de l'esprit nous ne trouvons plus seulement une liberté inaliénable mais fragile, face à des valeurs dont l'universalité reste souvent formelle et l'effectivité toujours menacée. Nous pressentons la présence discrète, concrète, efficace, du Paraclet: Esprit de conseil et de force, de sagesse et de paix. Dans une Europe largement sécularisée, nous avons besoin de lui pour inventer la parole originale et respectueuse, créatrice et courageuse qui doit être aujourd'hui la nôtre.

Les éducateurs chrétiens sont en effet confrontés ici à une double tentation. D'une part, face à cette mobilité du monde qui tend à dissoudre les identités et à effacer les repères, nous avons tendance à marquer fortement notre différence, et à l'étayer vigoureusement sur tout ce qui, dans le riche passé de notre continent, est né de la sève chrétienne, au risque de confondre parfois la particularité légitime de ces traditions culturelles avec la singularité propre de la foi. Mais au nom même de la destination universelle de cette foi, nous ne pouvons nous limiter à revendiquer nos traditions. Nous avons alors, à l'inverse, souci de trouver le langage commun qui nous permettra de rejoindre une société certes marquée par des héritages chrétiens, mais largement sécularisée et pluraliste. Nous parlons alors plus volontiers de valeurs chrétiennes, ou même de valeurs, tout simplement, que de Jésus Christ. Mais nous risquons ainsi de remplacer le foyer brûlant et personnel de la confession chrétienne de la foi - le Christ ressuscité - par des idées générales, et d'en réduire l'attestation à notre plus petit commun dénominateur humaniste. Dans ces hypothèses, nous avons subrepticement remplacé, soit la singularité du Don de Dieu par notre propre particularité, soit l'universalité de son dessein d'amour par un universel à notre mesure.

Or nous avons à conduire les jeunes, d'un même geste, au large du mystère de l'homme et au coeur du Mystère chrétien, prolongeant ainsi auprès d'eux le double élan qui animait le Concile Vatican II, vers l'homme et vers le Christ. Seul l'Esprit Saint qui sonde les profondeurs de Dieu et qui creuse celles de l'homme peut convertir nos richesses particulières au service de l'universalité du dessein de salut, et remplir l'universalité encore formelle de notre souci de l'homme avec la plénitude concrète de son Don.

Lui qui a été répandu sur toute chair pour nous rappeler toutes choses et nous annoncer les réalités à venir, il peut garder en nous mémoire des dons de Dieu à l'Europe, dans l'Eglise et hors de l'Eglise, sans mutilation ni récupération. Il peut nous donner le courage de l'avenir. Sous l'épiclèse de l'Esprit, et quelles que soient les forces de mort qui travaillent notre histoire, nous savons que notre mémoire est déjà purifiée par un pardon, que notre avenir est déjà sauvé par une promesse. La tension entre le déjà et le pas encore, qui fait l'assurance et l'impatience de l'existence chrétienne, a sa source au fond de nos coeurs, dans le gémissement ineffable de l'Esprit.

Lui qui ne parle pas de lui-même, qui ne donne rien qu'il n'ait reçu d'un autre, qui ne garde rien de ce qu'il a reçu, il peut susciter en nous cette large respiration du même et de l'autre, de l'accueil et du don, qui correspond si profondément aux aspirations des jeunes et aux meilleures traditions de la conscience européenne. Il peut convertir les tentations de domination, qui ont si souvent pesé sur notre rapport aux autres peuples, en une diaconie dont les formes sont encore largement à inventer avec eux.

Lui, enfin, qui creuse et dilate l'intériorité du coeur, non pour encourager une mystique d'évasion ou d'abstention, mais pour susciter la parole et les oeuvres de l'amour dans l'histoire, il saura nous garder du double vertige de Prométhée et de Narcisse: nous dégager du piège de nos oeuvres propres et du reflet, accusateur ou flatteur, peu importe ici, qu'elles nous renvoient de nous-mêmes. Car il garde le secret de chacun, son nom pour Dieu et pour toujours, en même temps qu'il nous exile au-delà de nous mêmes, vers les infinis dérangements de l'amour.

Dans la lumière de l'Esprit de Dieu, les formules de Husserl dont nous étions partis peuvent alors être dépassées sans être reniées:

  • "Il n'y a pas de zoologie des peuples". Il y a le Corps du Christ et l'Eglise sacrement de salut pour tous les peuples, ayant mission d'assumer, de purifier et de servir leurs identités culturelles contrastées pour les offrir au Christ héritier des nations. Une éducation selon l'Esprit de Dieu est une forme de diaconie culturelle dont l'école et l'université peuvent être des haut-lieux.
  • "L'être spirituel est fragmentaire". Chaque enfant, chaque jeune est image de Dieu, insubstituable, irremplaçable. Mais par là même il est aussi relié à tous, secrètement habité et comme travaillé du dedans par la communion trinitaire. Une éducation selon l'Esprit a grâce pour conduire au seuil de ce mystère.
  • "L'homme est l'être aux tâches infinies". Mais l'infini n'est pas seulement l'inaccessible télos qui dynamise nos efforts et stimule l'agir éducatif. L'infini est entré dans notre histoire. Il a voulu habiter la nuée obscure de nos coeurs. Une éducation selon l'Esprit prend pour modèle l'immense douceur et l'inépuisable exigence de cette proximité.
  • "Les idées sont plus fortes que toutes les puissances empiriques. Les idées, pas toujours, mais bien Celui qui a vaincu le monde, et qui a répandu sur nous son Esprit sans mesure. Une éducation selon l'Esprit ne demande finalement aux éducateurs que d'ouvrir à ce Don tout leur être et tout leur agir. La force de leur action est à ce prix.

A l'école de ce Maître intérieur, notre Europe encore balbutiante, incertaine de son avenir, pourra se remettre à parler, comme une langue maternelle inoubliée, cette étrange langue de Pentecôte qui conjugue les différences sur le mode de la communion.


PERSPECTIVAS SOBRE EL FUTURO DEL CRISTIANISMO EN EUROPA

Prof. Dr. Serguei AVERINTSEV
Moscú, Rusia

Ciertamente no soy profeta ni hijo de profeta, y hablar sobre el futuro de nuestra fe en nuestra amadísima Europa está por encima de mis fuerzas. Si me atrevo a proponer a esta digna asamblea las consideraciones que siguen, lo hago, por así decir, per sanctam oboedientiam, por la santa obediencia, siguiendo el deseo explícito del Spiritus Rector de este coloquio, pero contando también con la ayuda del Creator Spiritus.

Ante todo, quisiera llevar a cabo mi tarea manteniéndome igualmente lejos de dos tonterías opuestas: la Escîla del optimismo y el Caribdis del pesimismo.

A nosotros, los cristianos, no nos está permitido el pesimismo, porque sabemos por experiencia que nuestro Dios, a pesar de todos los ideólogos y teólogos de la muerte de Dios, no está muerto, sino que vive. Sabemos que la comunidad de los que permanecen fieles no es vencida por las puertas del infierno, incluso donde estas puertas parecían tan poderosas, como era el caso de mi patria en la época del bolchevismo. Sabemos también que la Providencia está siempre dispuesta a realizar algo totalmente inesperado e inimaginable por hombres y demonios, hoy igual que en tiempos, por ejemplo, de Santa Juana de Arco, la personificación más singular de la Europa cristiana. La táctica de Dios es de lo más sorprendente, inagotablemente sorprendente, como ya deberíamos saber por la experiencia de la historia y por la vivencia personal. ¿No es acaso precisamente esta peculiar eficacia de la Providencia, que echa por tierra todos los cálculos de los que hacen pronósticos, la indicada en el Salmo 2, cuando habla de que Dios se ríe de sus enemigos (irridebit inimicos suos)?

Ya que lo que acabo de decir es cierto, el pesimismo se muestra desprovisto de sentido. Pero puesto que todo, absolutamente todo lo demás en el mundo es incierto, el optimismo se revela como mentira. Por consiguiente, el hombre está mal orientado. Dicho con palabras de Schiller:

Mientras él cree en el tiempo dorado,

en el que el bien y lo noble vencerán,

el bien y lo noble combaten eternamente,

y el enemigo nunca sucumbirá.

La auténtica esperanza cristiana, una virtud teologal, "la segunda virtud", cantada de modo tan bello por Péguy, la "esperanza contra toda esperanza" paulina, la imposible, la única que no ha engañado a nadie, es, por su propia esencia, profundamente ajena al optimismo y al pesimismo. G.K. Chesterton alababa la disposición de los cristianos auténticos de avanzar con alegre valentía en la oscuridad, hacia un posible fracaso terreno, sin ninguna garantía:

Los hombres del Este pueden contar las estrellas

y anotar los tiempos y los triunfos,

pero los hombres sellados por la Cruz de Cristo

avanzan alegremente en la oscuridad.

El futuro de la esperanza no se identifica con el futuro de los futurólogos. Los pensamientos de Dios, nos enseña la Biblia, son distintos, totalmente distintos de los nuestros.

En otro tiempo, un poeta romántico como Novalis pudo titular su famoso fragmento "Cristiandad, o Europa". Ciertamente, incluso entonces, en 1799, justamente al final del siglo de Voltaire y Diderot, después de las experiencias de la política de descristianización de los jacobinos franceses -experiencias inauditas desde Diocleciano-, ese título sonaba artísticamente antiguo, como conviene a una obra romántica. Sin embargo, todavía era posible esa expresión. Desde entonces han transcurrido menos de dos siglos, y ¿dónde nos encontramos hoy?

La noción archieuropea y paneuropea de "Cristiandad" -en latín christianitas, en inglés christendom, en francés chrétienté, atestiguado ya en la canción de Rolando, etc.-, esta noción clave, acuñada por la mentalidad medieval y válida también para la situación de comienzos de la edad moderna, ha devenido para nosotros tan lejana e irreal.

En todo el mundo, en todos los continentes, en los círculos culturales más diversos están presentes los cristianos; a veces la fe de nuestros hermanos recién convertidos parece más fresca que la nuestra. Sí, los cristianos están presentes en todas partes, pero en general como una minoría y muy a menudo como una minoría atacada y amenazada. Esto lo hemos visto también en Europa. En las ciudades de Occidente las antiguas y venerables catedrales son superadas espectacularmente en altura por los modernos edificios comerciales, y en ocasiones también por las mezquitas surgidas recientemente. Por las calles de Moscú, mi ciudad natal, anteayer capital de los ortodoxos, donde ayer resonaba "la internacional", se oyen hoy los cantos de Hare Krishna (han llegado a ser un elemento de la vida cotidiana moscovita hasta tal punto que una sátira actual contra Eltsin ha sido concebida como una parodia de estilo hare krishna). Los descendientes de la larga serie de generaciones cristianas, tanto si siguen siendo nominalmente cristianos y pertenecientes a esta o aquella confesión, como si se llaman agnósticos o librepensadores, en realidad con demasiada frecuencia se muestran adoradores del espíritu radicalmente secularizado de nuestro tiempo, teniendo como valores fundamentales la "eficiencia", el "estar en buena forma" y la permisividad, quizá con la astrología y cosas semejantes como sustitutos del misterio. O bien, cansados del secularismo, se convierten a las religiones "exóticas", comprendido el islam, para no hablar de los extraños demonios de la subcultura juvenil del llamado New Age.

Y donde hay cristianismo auténtico y realmente vivido, cada vez menos es heredado de los padres, por la tradición familiar o al menos determinado por la pertenencia étnica. Recordemos, por ejemplo, los nombres de los protagonistas de la cultura católica del siglo XX: entre ellos el número de los convertidos es muy elevado. Los antecesores de G.K. Chesterton habían sido puritanos, por tanto muy anticatólicos. Jacques Maritain era de procedencia hugonote, mientras su mujer Raissa, de origen judío-oriental. Gertrud von Le Fort pertenecía a una vieja generación de emigrantes hugonotes. El Cardenal Lustiger y tantas personalidades cristianas preeminentes de distintas confesiones han sido hebreos de nacimiento. En cuanto a la élite ortodoxa, sólo quiero citar al francés Olivier Clément, un teólogo de relevancia ecuménica, que también era descendiente primero de hugonotes y después de ateos, y que luego se convirtió a la fe gracias al ejemplo de intelectuales rusos emigrados.

Una vez más vale, lo que había valido en tiempos de Tertuliano: "fiunt, non nascuntur Christiani" - cristiano se llega a ser, no se nace. Los papeles tradicionales se intercambian cada vez con más frecuencia, y a los cristianos del Tercer Mundo no les resulta extraño el pensamiento de evangelizar de nuevo Europa, como nosotros rusos, desde siempre pueblo archiortodoxo, fuimos evangelizados otra vez en la época soviética por un judío de nacimiento, el gran sacerdote misionero ortodoxo Alexander Men', recientemente asesinado. Es verdad que nuestra amadísima Europa sigue siendo "la hija mayor de la Iglesia", como antes se llamaba Francia, aunque tomanado literalmente la cuestión de la antigüedad, este privilegio pertenece al cristianismo copto, sirio y armeno. En cualquier caso, debemos recordar el hecho desengañante de que, en el curso de la historia de la salvación, el derecho de primogenitura a veces ha sido quitado a uno y dado a otro, y que en la parábola del hijo pródigo la figura del hijo mayor no juega el papel más satisfactorio. También la admonición de Juan el Bautista, de que Dios es suficientemente poderoso para sacar de las piedras del camino hijos de Abraham, suena hoy muy actual. Debo reconocer que, sentimentalmente, yo mismo soy un chauvinista europeo obstinado, como lo fueron bastantes rusos cultivados (Dostojewsky habla de las "piedras sagradas de Europa" y también nuestro poeta Ossip Mandelstam hablaba entusiasmado de Europa). Pero estamos llamados a seguir la voz de la conciencia, no la del sentimiento.

En cierto sentido, a veces parecen volver los tiempos de la Carta a Diogneto, conmovedor monumento literario del cristianismo primitivo (siglo II). Allí se lee: "Ni el país, ni la lengua, ni las costumbres distinguen a los cristianos de los demás hombres. Compartimos los deberes civiles con los ciudadanos y las contrariedades con los extranjeros. Todo país extranjero es para nosotros como una patria, y toda patria como un país extranjero".

Hasta aquí la Epistula ad Diognetum. Así como entonces, antes del nacimiento del orden medieval -aquel orden que, una vez nacido, resistía seguro de sí durante largos siglos, y era aceptado como algo natural, de nuevo ahora hay cristianismo sin cristiandad, fe sin garantías, vida sin evidencias naturales.

Los rusos hemos experimentado esta situación del modo más radical en la época bolchevica, cuando todo lo que de la tradición cristiana se podía destruir fue destruido, sin escrúpulos, sistemáticamente y en gran estilo, de modo que sobrevivió sólo la fe desnuda, abandonada a sí misma. ¡Qué convincente es la fe si se halla completamente abandonada a sí misma, desprovista de apoyo, y si las lenguas de fuego del Espíritu sólo pueden estallar en el aire -omnia possideat, non possidet aëra Minos! Ahora, como es sabido, ha pasado el tiempo de las persecuciones y nos amenaza más bien el peligro opuesto: una parodia burda del "establishment" ortodoxo del estilo zarista tardío. Pero precisamente los trazos grotescos de esta parodia nos recuerdan una verdad que fue pagada demasiado cara para ser hoy olvidada. Me parece que para el futuro, y no sólo para el nuestro, la experiencia de la "situación límite" soviética de la fe no carece de importancia. El príncipe de este mundo, princeps huius mundi, de quien ayer hemos visto con dolorosa claridad la faz llena de odio, la cara de la bestia del apocalipsis, sigue siendo el mismo hoy, y esto de ningún modo vale sólo para los países ex-comunistas. Sólo ha cambiado sus tácticas, no sus objetivos.

Esto no lo digo en el sentido de un cierto pánico pseudoapocalíptico, propio de los fundamentalistas y de los llamados tradicionalistas, ¡Dios me libre! Pero verdaderamente sería una lástima si el ethos cristiano de resistencia propio del pasado totalitario se perdiese para el cristianismo futuro. Porque la resistencia sigue siendo un imperativo cristiano en todas las circunstancias, una norma de vida cristiana: la oposición al príncipe de este mundo -también allí donde esta resistencia poco o nada tiene que ver con la política. "Nolite conformari huic saeculo", nos enseña Pablo: nosotros no debemos adaptar acomodaticiamente nuestra alma y nuestro espíritu a este mundo. Esta adaptación, que llamamos conformismo, le está absolutamente vedada al cristiano: nolite conformari! Aunque hoy no percibamos algunas verdades espirituales tan clara e inmediatamente como nuestros antecesores del tiempo clásico de la cristiandad, esta verdad nos ilumina de modo tan penetrante como sólo a pocos se ha mostrado desde la época cristiana primitiva del "primer amor": un cristianismo conformista es una contradictio in adiecto. No en balde Nuestro Señor ha sido llamado "signo de contradicción" (Lc. 2,34). Pero no hemos de rechazar sólo el conformismo político, sino también el ético, el conformismo en la concepción global del mundo y en el estilo de vida, el conformismo de la moda y de la modernidad. Un cristiano que no esté dispuesto a que se burlen de él y lo ultrajen por vivir diferentemente de como lo hacen los hijos de este mundo y de como el gusto del tiempo quiere, no merece ser llamado cristiano.

Una vez más advierto que no se confunda erróneamente lo que he dicho: no tengo ninguna simpatía por el "zelotismo", tan sentimental y a la vez tan inhumano, ni por el "fariseísmo", que todavía intenta cargar a los fieles con pesos insoportables, ni por el restauracionismo soñador. Hay que evitar todos los conflictos inútiles con la realidad de nuestro tiempo. En principio, estoy plenamente de acuerdo con el aggiornamento católico, aunque en concreto lamento algunos errores. Y por lo que se refiere a la situación del Este, en especial de Rusia, soy partidario, con la contrariedad de no pocos compatriotas, de un aggiornamento ortodoxo todavía por llegar. Pero es ciertamente incuestionable que en ninguna circunstancia el espíritu del tiempo debe convertirse en la última instancia de la conciencia, de la doctrina y del ethos cristianos.

Este espíritu del tiempo, para decirlo con el Cardenal Poupard, se revela como un relativismo total, dispuesto a aceptarlo todo, menos la cuestión de la verdad absoluta. Este espíritu del tiempo favorece la revolución sexual, que actúa no sólo de modo permisivo, sino agresivo, y que hasta es capaz de ejercer un terror moral, que deja muy atrás todos los errores de la hipocresía de otro tiempo, cumpliéndose la regla general según la cual las represalias de una revolución son más efectivas que las del antiguo régimen. Si el ethos cristiano permanece fiel a sí mismo, se convierte inevitablemente en un desafío para el modo de pensar que celebra su victoria y que quiere obligar a todos a una rendición sin condiciones.

La protección terrena e inmanente que el sistema del viejo orden parecía dar a los fieles es irrecuperable. Para el presente y para el futuro previsible nos vemos invitados a una profunda meditación sobre el texto de la Carta a los Hebreos 13,14: "No tenemos aquí ciudad permanente, sino que buscamos la que ha de venir" (non enim habemus hic manentem civitatem, sed futuram inquirimus).

Evidentemente no debemos formular juicios globales. Dios conserva todavía aquí y allá en Europa algunos fragmentos del cristianismo de otro tiempo: oasis donde la hermosa herencia de la piedad tradicional determina el estilo de vida. Estamos obligados a valorar estos oasis y en lo posible a protegerlos. Quizá ofrecerán todavía consolación y enseñanza a nuestros niños. Pero, ¿no penetra también allí la modernidad con sus consecuencias, como la ya mencionada revolución sexual? Para el heroico catolicismo polaco la permisividad cuasi democrática deviene un enemigo más peligroso que la ideología comunista y la ocupación soviética de antes. En todo caso, los oasis son precisamente eso: oasis en un amplio desierto. Y "el desierto crece", como había predicho Nietzsche. En el desierto, no en otro lugar, la voz del profeta manda preparar los caminos del Señor (Is. 40,3). ¡Bienaventurado el que en el desierto moderno manifiesta el ethos de los antiguos padres del desierto! Por lo que sé, así entiende su tarea la parisina Comunidad de Jerusalén: enfrentarse al desierto en el corazón de una metrópolis moderna.

Si Dios quiere, de la acción de los nuevos padres del desierto resurgirá una nueva cristiandad. Será algo nuevo, jamás vivido todavía: pues Dios no se repite - El "hace nuevas todas las cosas". Pero para el futuro próximo, hasta donde alcanza mi débil mirada, veo el desarrollo ulterior de los resultados lógicos de la situación del desierto, es decir del "cristianismo sin cristiandad".

Debemos identificar con precisión el adversario principal. No se trata de un ateísmo fundado científica o pseudocientíficamente. Este ateísmo está medio muerto desde hace tiempo, y el futuro próximo está dispuesto a darle el golpe de gracia. La "experiencia" del ateísmo, tan detalladamente discutida por los teólogos y filósofos de la religión del siglo XX -recordemos por ejemplo el "Theos Atheos" de un Leopold Ziegler- se ha acabado, en cuanto problema. Si alguna vez tuvo un contenido autónomo, lo cual es en si discutible, ese contenido fue digerido desde hace tiempo a fondo por el pensamiento cristiano. Pero en sí misma la caída del ateísmo no constituye todavía una ocasión para la alegría de los creyentes. Hubo épocas más ingenuas, cuando para los apóstatas de la cristiandad el pensamiento de Dios seguía siendo tan enorme y genuinamente importante que sólo su negación formal y teórica permitía librarse de él. Ahora estos tiempos han pasado. El relativisimo y pragmatismo radical, junto con la práctica de la vida a la moda, crean un específico estado del alma, en el que ciertamente no se niega la cuestión de la existencia de Dios, pero se le roba toda seriedad. Visto antropológicamente, esto es mucho peor que el ateísmo.

El cristianismo del futuro debe oponer a este mal una seriedad firme, inflexible, que deshaga el engaño. Para llevar a cabo esta tarea, no es necesario ser específicamente "conservador" ni específicamente "liberal" y "progresista", sino sólo convincente. Probablemente habrá siempre teólogos relativamente "conservadores" y relativamente "liberales". Pero en cuanto ideas, tanto el conservadurismo teológico como su necesariamente correlativo liberalismo teológico tienen que perder esencialmente su sentido, pues según su acepción, ambas tendencias están demasiado determinadas por la situación de la desintegración de la vieja cristiandad: el conservadurismo se esforzaba por conservar los vínculos en vías de descomposición, mientras que la teología liberal trataba de liberar la fe individual de esos vínculos. Es fácil ver que en una Secular City el conservadurismo ya no salvaguarda nada, como tampoco la teología liberal libera a nadie. El primero se reduce a una nostalgia sin esperanza, la segunda a un activismo sin sentido.

El futuro son las generaciones venideras. El cristianismo debe mostrarse convincente para ellos. Por esto es necesario recordar un juicio de T.S. Elliot: a los jóvenes valiosos no hay que ofrecerles de ninguna manera algo cómodo, sino un cristianismo lo más exigente posible. La comodidad sólo les escandaliza.

Para ser convincentes y para entusiasmar e iluminar la élite futura, el cristianismo debe distanciarse con suficiente claridad de los objetivos heterogéneos, como por ejemplo los objetivos nacionalistas. Precisamente hoy experimentamos en la Europa del Este un progreso catastrófico del nacionalismo, que trae consigo incluso una imitación moderna de las guerras de religión de la época confesionalista, por ejemplo en Yugoslavia. Pero esperemos que este ímpetu nacionalista, que ha sido provocado por la momentánea situación de "vacío ideológico" postotalitario y que carece de motivos sólidos, tenga una vida breve. Luego, probablemente habrá una reacción inevitable. Todo lo que ahora está comprometido con el nacionalismo será entonces despreciado, como sucede hoy con todo lo que había estado comprometido con el totalitarismo. Los objetivos heterogéneos deforman siempre el sentido del mensaje cristiano. Estamos llamados a buscar primero el reino de Dios; "todo lo demás" - el bienestar de nuestra patria terrena o de toda la civilización, también la prosperidad de Europa - se nos dará por añadidura, y no al revés. Las generaciones venideras no preguntarán por el cristianismo nacional o liberal, sino por el cristianismo cristiano.

Por eso, buscarán también la Una Sancta antes que la identidad confesional. Más arriba he hablado de que la fe cristiana y sus formas concretas se heredarán cada vez menos por derecho de nacimiento. Este hecho está ligado ciertamente a muchos procesos de destrucción, que son desfavora bles para ciertas evidencias de la tradición, pero a la vez significa una nueva oportunidad para la reunificación de los cristianos. Porque con la fe heredada uno recibe también los viejos prejuicios y resentimientos confesionales. Con la cultura religiosa tradicional se hereda también la exclusividad de esa cultura. Pero para quien se decidirá por Cristo en medio del desierto creciente del relativismo total, las viejas listas de agravios comunes de las diversas confesiones apenas tendrán importancia. Ciertamente la verdadera síntesis de los tipos culturales condicionados por las confesiones sigue siendo una tarea para el futuro que exige muchos esfuerzos. Hoy sólo algunas comunidades totalmente extraordinarias, como la abadía benedictina de Chévetogne en Bélgica, hacen pregustar esa síntesis. Probablemente es un signo de los tiempos que esta abadía, que ya antes se servía de la colaboración de pintores ortodoxos de iconos de Grecia o de la diáspora rusa para la decoración de sus iglesias, haya conseguido recientemente la cooperación de un preeminente monje pintor ruso, el Padre Zenón. Pero Chévetogne sigue siendo un lugar totalmente especial, un caso excepcional.

La tarea de esta síntesis es bastante difícil, a causa del fuerte peligro de una confusión general ecléctica y sincretista, que amenaza con causar todavía ulteriores pérdidas al ya desorientado sentido del estilo. Sin embargo el buen resultado de esa tarea sería una ayuda enorme para la solución de tantas otras tareas vitales del cristianismo. El occidente cristiano necesita urgentemente el sentido oriental del misterio, del temor de Dios, del pecado, de la originaria distancia óntica entre el Creador y la creación. De lo contrario, los jóvenes del occidente, que no se cansan de buscar la verdadera religión, se dirigirán al oriente no cristiano, por ejemplo al islámico. El oriente cristiano necesita con no menor urgencia la reflexión teológica occidental en la moral y en el derecho, la experiencia occidental de la confrontación plurisecular con el Iluminismo, el sentido de la sinceridad intelectual y de los matices, la sabiduría espontánea y llena de humor de bastantes santos occidentales como Francisco de Asís o Felipe Neri. De lo contrario, en el oriente siempre se continuará a aprovecharse del derecho a la existencia de la civilización democrática en contra del cristianismo.

Sólo así se podrá alcanzar el nuevo equilibrio y la nueva totalidad de lo cristiano, capaces de enfrentarse a todos los desafíos del futuro.

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