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SAINTE THÉRÈSE, DOCTEUR DE L'ÉGLISE

Conférence prononcée en l'abbatiale de l'Abbaye-aux-Hommes de Caen le 26 septembre 1997,
à l'occasion des fêtes de clôture de l'Année Thérésienne du Centenaire,
à Lisieux, 26 septembre - 4 octobre 1997.

Cardinal Paul POUPARD

Tout d'abord, je voudrais vous dire toute ma joie d'Envoyé Extraordinaire de notre Saint-Père, pour le centenaire de l'entrée dans la vie de Thérèse de Lisieux. Le Pape Jean-Paul II, qui me recevait lundi dernier à Castelgandolfo, m'a demandé de porter son salut paternel et sa Bénédiction Apostolique à tous ceux que je rencontrerais au cours de la Mission Pontificale qu'il m'a confiée: c'est avec une joie particulière que je m'acquitte de cette mission. A vous tous, salut et Bénédiction de la part du Pape Jean-Paul II.

En ce jour de fête, nous voici réunis autour de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face, pour nous mettre à son école, l'école de l'Amour, une doctrine éminente, nous dit le Saint-Père, qui a décidé de la proclamer Docteur de l'Église Universelle. Depuis un siècle, Thérèse, la discrète, n'a cessé de faire parler d'elle, mais c'est uniquement pour nous faire connaître Dieu et son Amour. Extraordinaire et prodigieux destin, qui s'épanouit à la veille du IIIe millénaire sous la forme d'un défi, le défi de l'Amour pour un monde en quête de sens.

1997 est une année thérésienne. Cette année sainte Thérèse est une grâce que l'Église nous donne pour mieux découvrir et vivre le merveilleux message de vie et de sainteté de la petite sainte de Lisieux. Plus qu'une année parmi d'autres, c'est vraiment l'année thérésienne. Désormais, Thérèse n'est plus seulement une voix parmi d'autres au sein de l'Église. Sa petite voie, centre de son message, son attitude spirituelle sont proposées à tous comme véritable science de l'amour, expression lumineuse de sa connaissance du mystère du Christ et de son expérience personnelle de la grâce (Jean-Paul II à Longchamp, 24 août 1997).

Les saints sont l'éternelle jeunesse de l'Église. C'est particulièrement vrai de Thérèse: pas une église qui ne conserve avec amour sa statue, devant laquelle brillent d'humbles cierges, symboles de la prière silencieuse des pauvres. L'Histoire d'une âme, les Manuscrits autobiographiques, traduits dans les langues les plus diverses, sont imprimés en des millions d'exemplaires. Sa doctrine éminente est devenue le bien de tous. Elle modèle notre temps de manière secrète et durable, à la manière du levain. L'authentique charisme des saints et singulièrement des docteurs de l'Église, c'est tout à la fois d'être des maîtres de doctrine éminente et des maîtres de vie, à l'exemple de Jésus qui commença à faire et enseigner (Ac 1, 1). L'exemple est la plus belle forme d'enseignement. Thérèse y excelle, elle qui souhaite évangéliser les âmes par la parole mais surtout par les exemples (MA 56r° ). Thérèse, Docteur de l'Église, la signification est claire. Pour les jeunes, l'espérance; pour l'Église, l'amour; pour le monde, la foi.

I. C'est Jean-Paul II qui nous le dit: Thérèse est une sainte jeune, qui propose aujourd'hui une annonce simple et suggestive, pleine d'émerveillement et de gratitude: Dieu est Amour. [...] L'homme est aimé de Dieu. C'est de la jeunesse de Thérèse de l'Enfant-Jésus que jaillissent son enthousiasme pour le Seigneur, la forte sensibilité avec laquelle elle a vécu l'amour, l'audace réaliste de ses grands projets. (Message du 15 août 1996, n° 9; Doc. Cath. 2145 [1996] 803)

Paul VI qui a été baptisé au moment même où Thérèse entrait dans la vie, aimait à le souligner: l'homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres, ou, s'il écoute les maîtres, c'est parce qu'ils sont des témoins, (Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi n°  41). La petite Thérèse en est l'illustration lumineuse. Son influence est universelle: mille six cent cinq lieux de culte, dont huit basiliques et dix cathédrales lui sont dédiés, soixante-dix séminaires ont choisi de mettre la formation des futurs prêtres sous son patronage. Elle inspire la vie de soixante instituts de vie consacrée dont treize en Afrique et treize en Asie. Thérèse est une sainte jeune. Son message s'adresse en priorité à tous les jeunes, en syntonie vitale avec les aspirations de cet âge: une jeune fille connaît ce qui peut remplir et faire battre un cœur de jeune! Son message a un nom pour tous les jeunes: espérance, bienheureuse espérance, pour le dire avec saint Paul (Tt 2, 13). L'espérance est la foi en l'amour.

L'espérance, c'est ce qui nous met en route: ma folie à moi, confie Thérèse, c'est d'espérer (MB 5v° ). Vivant symbole de la réponse à donner au défi de notre culture en déficit d'idéal, Thérèse, jeune, c'est d'abord son merveilleux sourire de jeune fille. Le visage est une fenêtre ouverte sur l'âme, c'est doublement vrai chez Thérèse. Un sourire est ancré dans son âme et sa mémoire, un sourire fonde son espérance et illumine son avenir. Enfant, elle était gravement malade, ce 13 mai 1883, lorsqu'elle se tourne vers une statue de la Vierge placée auprès de son lit: Tout à coup, la Sainte Vierge me parut belle, si belle que jamais je n'avais rien vu de si beau, son visage respirait une bonté et une tendresse ineffables, mais ce qui me pénétra jusqu'au fond de l'âme, ce fut le ravissant sourire de la Sainte Vierge. (MA 30r° ) Sourire, c'est aimer. Sourire, c'est avoir foi en quelqu'un. Sourire, c'est espérer. Charles Péguy, le poète, l'a dit en termes incomparables: l'espérance est une petite fille de rien du tout; on ne prend pas garde à elle, mais c'est elle, cette petite, qui entraîne tout. (Le Porche du Mystère de la 2e vertu) Sans espérance, il n'est pas de vie humaine qui mérite d'être vécue: l'espérance dynamise la vie et l'aimante vers un avenir meilleur. Elle l'entraîne vers une joie encore inconnue mais déjà pressentie. Elle enrichit l'imagination créative, permet des développements insoupçonnés et des progrès inespérés. Jeune d'aujourd'hui, où est ton espérance? Dis-moi ce que tu espères, de cette espérance émerveillée qui est un songe éveillé, je te dirai qui tu es. Avec Marie, Mère de l'Espérance, Thérèse vit intensément l'espérance chrétienne: elle espère, comme saint Paul, contre tout espoir humain. Quand elle compare sa vie à celle des saints, elle la caractérise ainsi: Les saints ont fait des folies, ils ont fait de grandes choses.... Ma folie à moi, c'est d'espérer (MB 5v° ). A l'école de saint Jean de la Croix, elle l'a compris: on obtient tout de Dieu autant qu'on espère (Montée du Carmel, III 6).

Cette espérance est "maternelle". L'espérance thérésienne n'est pas close sur elle-même. Le sourire de Marie est un sourire maternel, Thérèse l'a vu, Thérèse l'a retenu. On peut tout espérer, même et surtout la conversion du pire des assassins, Pranzini. Tout portait à croire qu'il mourrait dans l'impénitence: je voulus à tout prix l'empêcher de tomber en enfer (MA 45v° ): Thérèse demande un signe de la conversion obtenue par ses prières et pénitences, et elle l'obtient pour ma consolation, parce que c'est mon premier enfant (MA 46v° ). L'espérance de Thérèse est maternelle, féconde, discrète, parfois difficile, jamais stérile.

L'espérance de la jeune Thérèse est toute aimantée, attirée à suivre Jésus Sauveur chemin, vérité et vie vers la sainteté. Thérèse est fille de Jean de la Croix, l'auteur de la Montée du Carmel. A sa suite, elle nous invite au voyage à entreprendre, la montée à escalader, le combat spirituel à mener. Ce n'est pas une sainteté inaccessible et difficile à conquérir à force de prouesses hors du commun. L'Amour est reçu de Dieu plus qu'il n'est donné par l'homme (Jean-Paul II). Tel est le charme de la sainteté de Thérèse pour les jeunes: un sourire jeune tout empreint de fraîcheur et qui les attire vers Jésus. Comme l'écrit Jean-Paul II, elle confirme que Dieu fait partager aussi aux jeunes, avec abondance, les trésors de sa sagesse. Tel est ton secret, Thérèse, docteur de l'Église, avec un large et beau sourire d'une folle espérance, tu attires tous les jeunes en quête d'amour à aimer Jésus que tu appelles le Docteur des docteurs.

II. Signification pour l'Église: l'amour

Au cœur de l'Église, ma Mère, je serai l'amour. (MB 3v° ) Le Catéchisme de l'Église Catholique (n° 826) reprend et nous propose cette intuition de Thérèse pour la vie de toute l'Église et notre propre vie de chrétiens. Ce message de Thérèse Docteur de l'Église est providentiel pour l'Église d'aujourd'hui. L'Église est un corps, le Corps du Christ. Nous en sommes les membres, la tête est le Christ. Thérèse nous invite à en être le cœur, l'organe moteur qui permet au sang de parvenir à toutes les parties du corps de l'Église et de réaliser toutes les vocations auxquelles Thérèse se sent irrésistiblement appelée: guerrier, prêtre, apôtre, docteur, martyr. (MB passim) L'amour ne compte pas, il donne sans compter et se donne tout entier. Thérèse par sa vie et dans sa mort en témoigne: mourir d'amour (MC 7v° ). Elle est prête à souffrir mille morts pour le dire à tous: j'aime Jésus, je crois en lui malgré la souffrance du corps et l'épreuve de la foi, j'aime l'Église, ma Mère. Apprends-nous, Thérèse, à aimer comme toi l'Église, comme un enfant confiant et reconnaissant, cette Église qui nous transmet l'amour de Jésus et nous appelle à le faire aimer.

Amour: tel est le dernier mot par lequel se termine chacun des trois manuscrits de Thérèse. Mon Dieu, je vous aime: les dernières paroles, l'ultime message, le testament. Oui, laissons-nous émerveiller avec Thérèse de l'amour inouï de Jésus. Il était fou, notre Bien-Aimé de venir sur la terre chercher des pécheurs pour en faire ses amis, ses intimes, ses semblables. Nous ne pourrons jamais faire pour lui les folies qu'il a faites pour nous. Le Père Pichon avait noté sur l'image de première communion offerte à Thérèse, un conseil qui devint un programme admirablement accompli: Demandez la grâce d'aimer autant qu'Il veut être aimé de votre cœur. Thérèse a demandé cette grâce. Elle l'a reçue. Demandons-la pour nous-mêmes et l'Église de notre temps.

L'amour de Thérèse est un amour filial. A l'école de Thérèse d'Avila, elle noue un dialogue d'enfant confiant avec Dieu. Elle disait Papa le Bon Dieu, Père au visage maternel (Chemin 31, 9): Je trouve en toi le plus tendre des Pères! Pour moi ton cœur est plus que maternel (PN 36, 2). C'est la confiance, rien que la confiance, qui doit nous conduire à Jésus (LT 197, 4). En notre culture de violence omniprésente, d'informatique envahissante et de médias assourdissants, la faiblesse d'un enfant peut-elle faire le poids? Non selon le monde, oui selon l'Évangile. J'ajouterais volontiers: n'y a-t-il pas là toute la ruse féminine, l'astuce d'une jeune sainte? Car dans un dialogue avec des adultes qui alignent des raisonnements, un enfant ne triomphe-t-il pas toujours par son sourire et sa candeur? La victoire est à moi¼ toujours je Te désarme, écrit Thérèse à Jésus. Je veux t'aimer comme un petit enfant. Voilà qui est clair et sans enfantillage. Elle ajoute, elle qui admirait tant sainte Jeanne d'Arc: Je veux lutter comme un guerrier vaillant (PN 36, 3).

Filial, l'amour de Thérèse est aussi l'amour d'une femme. Thérèse a beaucoup à dire aux femmes de notre temps, au seuil du troisième millénaire. Pour les femmes consacrées, l'amour virginal: Jésus est mon unique amour, a-t-elle gravé sur le linteau de la porte de sa cellule, mon seul amour, c'est Toi Seigneur (PN 36, 1). Pour les épouses, le don sponsal au Christ: mon Bien-Aimé repose dans mon cœur, Il est à Toi, Je m'endors dans ton Cœur, Il est à moi (PN 24, 8 et 20). Pour les mères, l'amour maternel: être ton épouse, ô Jésus, être par mon union avec toi, la mère des âmes (MB 2v° ). Pour les femmes à la vie tourmentée, comme sainte Madeleine, à qui beaucoup de péchés ont été remis parce qu'elle a beaucoup aimé. Elle écrit à l'Abbé Bellière: Ces âmes, je les aime, j'aime leur repentir et surtout leur amoureuse audace... Toute pécheresse qu'elle est, le Cœur d'amour de Jésus est non seulement disposé à lui pardonner, mais encore à lui prodiguer les bienfaits de son intimité divine, à l'élever jusqu'aux plus hauts sommets de la contemplation (LT 247). Thérèse, modèle de la femme consacrée est aussi la femme forte de l'Écriture, modèle de la femme moderne, par la force de son caractère, la ténacité de son dessein, la douceur de sa tendresse, les désirs infinis de son amour.

A l'image de Marie, Thérèse est appelée à être un signe de la tendresse de Dieu pour le genre humain (Vita consecrata n° 57). Sa première prière connue est adressée à Marie. Ses dernières lignes toutes tremblées sont pour elle. Marie toute en relation à son Fils Jésus, est plus Mère que reine. (CJ 21.8.3). Ne crains pas d'aimer trop la Sainte Vierge, jamais tu ne l'aimeras assez: on n'aime jamais assez Marie, car c'est toujours Jésus qu'on aime en elle et avec elle (LT 92). Thérèse ne sépare jamais Marie de Jésus, Jésus de Marie, et c'est dans les bras de Marie qu'elle aime contempler l'Enfant-Jésus de la crèche pour lui prodiguer ses caresses. L'une des images qu'elle préfère montre Marie portant sur ses genoux l'Enfant-Jésus, lequel à son tour serre dans ses bras un autre enfant. Lorsque Thérèse prononce son Offrande à l'Amour Miséricordieux, car aimer c'est tout donner et se donner soi-même (PN 54, 22), c'est entre les mains de Marie qu'elle abandonne son offrande (Pri 6 1r° ). La petite voie thérésienne est celle de Marie: c'est par la voie commune, incomparable Mère, qu'il te plaît de marcher pour guider les petits aux Cieux (PN 54, 17). Je veux vivre avec toi, te suivre chaque jour (PN 54, 18): toute la vie avec Marie, comme Marie. Nous pourrions dire, en un raccourci saisissant: Marie est la plus grande car elle est la plus petite. Thérèse ne pensait-elle pas à Marie, ce 8 septembre 1896, lorsqu'elle écrivait à Jésus: je sens que si par impossible tu trouvais une âme plus petite que la mienne, tu te plairais à la combler de faveurs plus grandes encore (MB 5v° )? Son amour pour sa Maman du ciel éclate en cette confidence: que j'aurais donc bien voulu être prêtre pour prêcher sur la Sainte Vierge! (CJ 21.8.3)?

Avec Marie, Thérèse aime de nombreuses saintes: Madeleine, Agnès, Cécile, Thérèse d'Avila et Jeanne d'Arc. Elle prend une vive conscience de la place spécifique de la femme au cœur de l'Église. Son style même, empli d'images, est féminin, direct, concret. Parmi toutes, Thérèse privilégie la fleur, symbole de petitesse, qui lui permet aussi de comprendre la diversité des âmes qui embellissent et parfument le Jardin de Jésus: l'éclat de la rose et la blancheur du Lys n'enlève pas le parfum de la petite violette ou la simplicité ravissante de la pâquerette (MA 2v° ). Femme, elle est convaincue du rôle propre et irremplaçable de la femme. D'ailleurs, elles aiment le Bon Dieu en bien plus grand nombre que les hommes et pendant la Passion elles firent preuve de plus de courage que les apôtres (MA 66v° ). Le génie de la femme (VC 58) permet à Thérèse de dépasser tout féminisme avant la lettre, de poser les jalons d'une authentique culture de l'égalité entre l'homme et la femme (Jean-Paul II).

Amour filial, amour marial, amour de femme, amour de l'Église. Thérèse pourrait répéter le mot de Jeanne d'Arc, sa sainte préférée: Jésus-Christ et l'Église, c'est tout un (CEC 795). Où Thérèse nous apprend-elle à puiser l'Amour de Dieu? Dans l'Église, famille des enfants de Dieu, Jésus-Christ continué sur la terre, son corps dont nous sommes les membres, le Royaume de Dieu commencé ici-bas, où le Père nous offre son Alliance éternelle, où Jésus tisse notre unité, demeure de Dieu parmi les hommes et demeure des hommes en Dieu. L'Esprit-Saint en est l'âme, déjà sur cette terre un peu de Paradis.

C'est dans l'Église et par l'Église que Thérèse, comme chacun de nous, a tout reçu: les trésors de grâces apportés par les sacrements, grâce du baptême et de la confirmation, grâce du sacrement de pénitence qui l'a lancée à pleine voile sur les flots de la confiance et de l'amour, grâce d'union de sa première communion, grâce de transformation au jour liturgique de Noël. Thérèse va droit à l'essentiel, elle rejoint le dessein de Jésus qui a institué les douze apôtres pour diffuser sa vie dans les âmes, elle va au coeur du mystère sacerdotal. Elle aime l'Église passionnément, parce que son amour pour le Christ est sans limites. Certains sont tentés de séparer la personne du Christ de son Église. Thérèse rejette cette dichotomie : O mon Jésus! je t'aime, j'aime l'Église ma Mère! (MB 5r° ) Jésus et l'Église sont inséparables, je suis l'enfant de l'Église, aime-t-elle répéter. Thérèse a découvert en Dieu l'origine de la source de l'Amour. Dans l'Église, elle en reçoit le flot incessant où elle se désaltère. C'est du coeur de l'Église qu'elle veut contribuer à répandre ces flots d'amour infini sur les plus éloignés, ceux qui en sont privés, les pêcheurs, les athées, les indifférents. Thérèse approfondit la conscience d'être d'Église: avant la mise en pleine lumière de la doctrine du Corps Mystique, par l'encyclique Mystici Corporis de Pie XII, avant que Guardini ne le souligne: l'Église s'éveille là où s'éveillent les âmes, avant la Constitution dogmatique Lumen gentium du Concile Vatican II sur l'Église. J'aime l'Église, ma Mère (MB 4v° ). Thérèse a de l'Église une grande vision d'amour qui embrasse le ciel et la terre, d'un amour bien plus grand que celui de la famille, même la famille la plus idéale de la terre (CJ 15.07). L'Église visible et l'Église invisible, la communion des saints, le Pape dont les intentions embrassent l'univers (MC 22v° ) et les prêtres dont les âmes devraient être plus transparentes que le cristal. Prions, souffrons pour eux, et au dernier jour Jésus sera reconnaissant (LT 94). Je veux être fille de l'Église. Moi, son enfant, je m'immole pour elle (PN 17).

III. Signification pour la culture: la foi, espérance en l'amour

Faible petit oiseau, je ne suis pas un aigle, j'en ai simplement les yeux et le cœur, parfois, il est vrai, assailli par la tempête. Il lui semble ne pas croire qu'il existe autre chose que les nuages qui l'enveloppent. C'est alors le moment de la joie parfaite pour le pauvre petit être faible. Quel bonheur pour lui de rester là quand même, de fixer l'invisible lumière qui se dérobe à sa foi (MB 5r° -6v° ). Elle dit un jour à Mère Agnès: Ce qui s'impose aujourd'hui à mon esprit, c'est le raisonnement des pires matérialistes. Le contraste est total entre ces nuées épaisses et la lumière antécédente. Depuis son enfance elle avait la certitude de vivre un jour auprès de Dieu. Mais tout à coup les brouillards qui m'environnent deviennent plus épais, ils pénètrent dans mon âme et l'enveloppent de telle sorte qu'il ne m'est plus possible de retrouver en elle l'image de ma Patrie, tout a disparu (MC 6v° ). Cette épreuve spirituelle aurait pu provoquer une révolte. Il n'en est rien: Thérèse accepte l'épreuve de la nuit. Plus fort que tout, la foi lui donne l'assurance de retrouver Celui qu'elle aime plus que tout. Même lorsqu'il semble absent pour le coeur, il ne cesse d'être présent au plus profond de l'être. Thérèse jeune docteur de l'Église nous montre dans la nuit, avec la confiance totale de l'enfant, le chemin de lumière qui est l'amour: de toute façon, je suis trop petite. Et devant les tout-petits, le démon ne peut rien. Le démon s'enfuit devant le regard d'un petit enfant.

Thérèse vit l'épreuve de la foi au milieu d'un monde assombri par l'incroyance. Elle doit se rendre à l'évidence: Jésus m'a fait sentir qu'il y a des âmes qui n'ont pas la foi (MC 5v° ). Étonnante actualité de Thérèse: Il faut avoir voyagé sous ce sombre tunnel pour en comprendre l'obscurité (MC 5v° ). De l'angoisse au doute, Thérèse s'élève à la prière qui lui donne la force de surmonter la tentation du suicide: Quelle grâce d'avoir la foi! Si je n'avais pas eu la foi, je me serais donné la mort sans hésiter un seul instant. Face à la méta-tentation, comme l'appelait Jean-Paul II, en 1980, il m'en souvient, lors de son premier voyage apostolique à Paris où j'avais la joie de l'accueillir à l'Institut Catholique dont j'étais le Recteur: être Dieu sans Dieu, Thérèse nous ouvre la seule voie d'accès possible au monde de l'incroyance: la foi, qui est l'espérance en l'amour. Avec amour, elle porte au coeur de la sainte agonie partagée avec le Seigneur une foi pour laquelle elle est prête à verser tout son sang. (juin 1897). On n'attend jamais trop de Dieu qui est si puissant et miséricordieux. On obtient tout de Lui, tout autant qu'on espère. Entre l'absurde et le mystère, le choix est clair, au cœur du mystère l'espérance nous porte à l'amour: l'espérance est la foi en l'amour.

Thérèse, jeune docteur de l'Église pour notre temps, nous apprend à vivre dans la foi l'épreuve du mal et de la souffrance, qui obscurcit le sens de la vie au cœur de nos cultures. Mystère étonnant de cette jeune fille: j'ai beaucoup souffert ici-bas, il faudra le faire savoir aux âmes. (DE 31.7.13) La souffrance unie à la Passion du Sauveur est mystère de participation à la Rédemption: souffrir avec et pour Jésus.

Nous sommes loin, me direz-vous, de la culture contemporaine. Jean-Paul II nous répond: Thérèse aide les hommes et les femmes d'aujourd'hui, et aidera ceux de demain à mieux percevoir les dons de Dieu et à répandre la bonne nouvelle de son amour infini. L'Évangile est bonne nouvelle aussi pour les cultures. Car les cultures se meurent lorsque l'espérance dépérit. L'athéisme est l'hiver du monde. La foi en est le printemps. (Pierre Emmanuel) Le message d'espérance de Thérèse traverse les frontières. Il ouvre les cultures au mystère où l'amour et la vérité se rencontrent et les renouvelle en leur apportant un surcroît de joie et de beauté, de liberté et de sens, de vérité et de bonté. Ce surcroît est le fruit de la foi.

Et c'est pourquoi le Pape des Missions, Pie XI, a choisi sainte Thérèse pour Patronne des Missions. Depuis Lisieux, Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte-Face a fait rayonner dans le monde entier son ardeur missionnaire (Jean-Paul II aux évêques de la Région apostolique de l'Ouest de la France en visite ad Limina; Doc Cath 2047 [1992] 305). Le vrai missionnaire, c'est le saint (Encyclique Redemptoris missio n° 90). Thérèse, ce géant de la sainteté, "la plus grande sainte des temps modernes" (saint Pie X), est une grande missionnaire, la plus grande missionnaire des temps modernes. Au seuil du nouveau millénaire, elle nous montre la voie de la nouvelle évangélisation qui sera l'évangélisation de l'amour.

Je conclus. Docteur de l'Église, Thérèse est vraiment un signe de la tendresse de Dieu pour notre temps, pour chacune et chacun d'entre nous et pour toutes les femmes et les hommes de ce temps, croyants et non-croyants. Son message nous remplit d'émerveillement et de gratitude, dans son amour si simple et si bouleversant. Nous sommes aimés de Dieu. Tout est grâce. Tel est le message de Thérèse pour aujourd'hui: les jeunes ne s'y trompent pas, qui ont applaudi et plébiscité à Longchamp Jean-Paul II leur présentant Thérèse comme leur jeune modèle. Ils se pressent partout, en France et hors de France, hier à Paris aux JMJ, demain au Brésil, près de la chasse de Thérèse. J'en suis le témoin émerveillé. La jeunesse ne déserte pas l'Église! Elle l'envahit et prophétise par son existence même l'Église de demain, l'Église du troisième millénaire, une Église rajeunie par le message de Thérèse, qui nous révèle l'éternelle jeunesse de Dieu et qui nous le fait aimer.

Thérèse, parole de Dieu pour notre temps, attire les jeunes par le charme de sa sainteté, sa jeunesse, son courage, sa vérité, son horreur du mensonge, de la feintise. Thérèse annonce l'Amour et le vit dans toute sa vérité. L'amour seul est digne de foi. Thérèse touche nos coeurs et nos intelligences. Jeune Docteur de l'Église Universelle, elle est devenue, au cours de ce siècle, non seulement une inspiratrice, mais une maîtresse de vérité et un exemple de vie. Elle attire les jeunes vers l'espérance, elle suscite dans l'Église un renouveau d'amour, elle ouvre les cultures à la lumière de la foi et les embrase d'un feu d'amour.

Tout est grâce. C'est la petite voie de l'enfance spirituelle: "attendre tout du Bon Dieu, comme un petit enfant attend tout de son père; c'est ne s'inquiéter de rien, ne point gagner sa fortune. Même chez les pauvres on donne à l'enfant ce qui lui est nécessaire, mais aussitôt qu'il grandit, son père ne veut plus le nourrir et lui dit: Travaille maintenant, tu peux te suffire à toi-même." La petite voie de Thérèse est désormais comme le levain dans la pâte de l'Église au cœur de nos cultures. Elle attire les biographes et les romanciers, les historiens et les cinéastes, les artistes et les théologiens. Elle inspire les papes et les évêques, les prêtres et les fidèles, les religieuses et les religieux, les jeunes et les aînés. Petite sœur universelle, elle est aimée de tous. Et la décision de Jean-Paul II de proclamer sainte Thérèse de Lisieux Docteur de l'Église est un levier puissant qui suscite dans toute l'Église un nouvel élan pour partager la bonne nouvelle de l'Évangile, un bond dans l'espérance et un océan d'amour. C'est l'étoile lumineuse de la nouvelle évangélisation où toute l'Église s'engage avec le Saint-Père.

A l'aube du troisième millénaire, Thérèse est le don de l'amour de Dieu pour construire cette civilisation de l'amour appelée avec ardeur par Paul VI, et son successeur le Pape Jean-Paul II. Tel est le sens de la décision du Saint-Père qui fait de Thérèse, cette toute jeune fille de 24 ans, le plus jeune docteur de l'Église de tous les temps, pour les jeunes, en quête d'espérance, de foi et d'amour, l'Église et le monde.

Thérèse, qui passe ton ciel à faire du bien sur la terre (CJ 17.07), Thérèse, nous t'aimons. Thérèse, nous te prions. Thérèse, Docteur de l'Église, donnes-nous de vivre comme toi en enfants de Dieu dans l'Église du Christ Jésus, avec ta foi profonde, une espérance renouvelée et un immense amour du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen.

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[English]
As part of the year of celebrations in honour of Saint Thérèse of the Child Jesus, and on the occasion of her being declared a Doctor of the Church, Cardinal Paul Poupard presents three complementary aspects of the message of Lisieux: hope – for today's young people (a hope which is a call to holiness which comes from Mary's smile), love – for the Church (filial, feminine and ecclesial love), and faith – for contemporary culture (the contemplation of God's infinite mercy as a hermeneutic key for facing up to the night of faith and the mystery of suffering). Thérèse is God's messenger for the new Millennium.

[Español]
El Cardenal Paul Poupard, con ocasión del año teresiano y del doctorado de Santa Teresa del Niño Jesús, presenta en tres puntos el mensaje de Lisieux: la esperanza, para la juventud de hoy (la esperanza de una sonrisa de María, y la llamada a la santidad); el amor por la Iglesia (un amor filial, femenino, eclesial); y la fe, para la cultura contemporánea (la contemplación de la misericordia infinita de Dios como clave hermeneútica ante la noche de la fe y ante el misterio del sufrimiento). Teresa es mensajera de Dios para el nuevo milenio.


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