Le thème de mon intervention, qui est aussi celui de notre Instrumentum laboris −« LÂÂÉglise et le défi de la sécularisation »−, nous invite à examiner comment se rapportent lÂÂun à lÂÂautre dÂÂune part lÂÂÉglise et tout lÂÂensemble de croyances, de pratiques, de rites et dÂÂinstitutions qui lui donnent forme et corps, et dÂÂautre part le phénomène appelé sécularisation qui, « comportant une autonomie croissante du profane, est un fait marquant de nos civilisations occidentales » (Paul VI).
Nous savons bien quÂÂil y a eu une époque où, même dans notre civilisation occidentale, sÂÂexerçait une prévalence, pour ne pas dire une prédominance, du religieux et du sacré. Mais nous savons tout aussi bien quÂÂaujourdÂÂhui, et cette fois y compris en-dehors de lÂÂOccident, il nÂÂen va plus de même. Et cÂÂest bien pourquoi cÂÂest précisément en terme de défi quÂÂon nous convie à réfléchir présentement sur la manière dont se rapportent, et peuvent mieux se rapporter les uns aux autres, Église et croyances dÂÂun côté, société profane et sécularisation de lÂÂautre.
Si cet exposé liminaire ne vise certes pas à traiter exhaustivement lÂÂimportant sujet quÂÂénonce son titre, il se propose en somme de le "mettre en perspective" en lÂÂabordant sous lÂÂangle précis du défi que la sécularisation est susceptible de représenter pour la foi chrétienne et pour lÂÂÉglise ÂÂ défi tout à la fois aux plans socioculturel, théologique et pastoral.
Je procéderai en trois ou plutôt quatre étapes :
ÂÂ JÂÂinviterai dÂÂabord à jeter un regard sur le premier versant, celui de la sécularisation, celui du monde sécularisé.
ÂÂ Suivra un second regard portant, lui, sur lÂÂautre versant, celui de la religiosité ou de la croyance, celui de la foi, qui est bien entendu également celui de lÂÂÉglise elle-même.
ÂÂ Reconnaître ainsi les positions en présence, essayer de les caractériser avec une suffisante précision, ouvrira réalistement la voie à une troisième partie, à laquelle il incombera alors de présenter les considérants théologiques, les éléments doctrinaux, les propositions de foi qui pourraient nous permettre, ayant analysé la situation, de réduire la conflictualité qui la marque, en nous donnant de meilleures chances de mieux positionner lÂÂun par rapport à lÂÂautre les partenaires qui sÂÂy affrontent.
ÂÂ Il reviendra pour finir à une quatrième partie, qui se présentera plutôt simplement à vrai dire comme une conclusion et une ouverture, dÂÂesquisser quelques jalons destinés à nous acheminer vers les propositions pastorales que nous aurons à formuler (et dont nous aurons donc à débattre) dans la suite de cette Plenaria.
I. ÂÂ Regard sur le phénomène complexe et contrasté
de la sécularisation aujourdÂÂhui
Nous nous intéressons dÂÂabord à la sécularisation, cÂÂest-à-dire à ce phénomène qui se présente comme un amincissement, un effacement, voire une disparition plus ou moins marquée, plus ou moins progressive, du divin, du sacré, de la religion, de la foi, de lÂÂÉgliseÂÂ
au sein du monde, de la société et de la culture de notre époque. De ce point de vue, la situation présente apparaît à la fois dÂÂune grande variété et en évolution constante.
1. Une situation assez nette, mais complexe
Il nÂÂest pas nécessaire de sÂÂexercer longtemps à lÂÂanalyse du champ où sÂÂexerce la sécularisation, à savoir « le monde » comme tel, la société civile et politique ÂÂdisons : lÂÂespace de « la profanité »−, pour remarquer à quel point il apparaît caractérisé non seulement par un certain nombre de facteurs divers, mais encore par une évolution assez complexe de chacun dÂÂeux et de leurs rapports entre eux.
a. Croissance du nombre des « sans-religion »
Une première donnée caractéristique de notre situation et de son évolution est frappante : le nombre de ceux qui se déclarent sans religion va croissant dans nos sociétés. Nous avons certes depuis longtemps constaté un certain fléchissement de la pratique chrétienne et, plus précisément, de la régularité de la fréquentation liturgique. Nous avons enregistré aussi la crise des vocations sacerdotales et religieuses, la moindre participation des enfants à lÂÂenseignement catéchétique et, dÂÂune manière générale, le recul spectaculaire des connaissances religieuses chez nos contemporains. Nous savons par ailleurs la fréquence dÂÂune déclaration du type : "Je suis croyant mais non pratiquant", et le poids dÂÂindifférence grandissante quÂÂelle traduit.
Mais tout autre chose est désormais en cause: il ne sÂÂagit plus de « sans-religion » qui ont eu un rapport avec la religion, qui ont donc malgré tout gardé des connaissances à son sujetÂÂ
mais qui, par la suite et avec le temps, sÂÂen sont plus ou moins totalement et plus ou moins définitivement écartés. Il sÂÂagit de gens, et de plus en plus nombreux parmi les jeunes semble-t-il, qui nÂÂont jamais eu de comportements religieux ÂÂ identifiés en tout cas ÂÂ, jamais eu dÂÂattaches directes avec des institutions ni catholiques, ni protestantes, ni juives, ni autre chose encore, et qui nÂÂont donc de fait aucune réelle connaissance en matière de foi ou de doctrine religieuse. Et cela fait, bien entendu, une différence considérable avec ce que jÂÂai enregistré tout à lÂÂheure comme un constat patent, largement partagé. Nous nÂÂen sommes pas toujours suffisamment conscients. Tout se passe là, et cÂÂest la première chose quÂÂil nous faut enregistrer, comme si le religieux, le sacral, le sacré avait pratiquement disparu, était comme inexistant, paraissait absolument sans signification en tout cas, pour un nombre croissant de nos contemporains, dont un certain nombre figurent même éventuellement parmi nos proches.
b. Évidence répandue de la non-évidence du « religieux »
Ce premier trait ÂÂcroissance du nombre des « sans-religion » au sens que jÂÂai précisé sÂÂaccompagne dÂÂun autre, qui en aggrave encore la portée. Il me semble quÂÂon peut le caractériser comme lÂÂévidence, qui se répand de plus en plus, de la non-évidence du religieux.
De lÂÂignorance du religieux ou, plutôt, de la non-évidence de lÂÂexistence du religieux, on glisse facilement à lÂÂévidence de sa non-existence. On sÂÂinterroge alors ainsi face aux propositions de « la religion » : "Mais où va-t-on nous chercher tout cela ? QuÂÂavons-nous à faire, à vrai dire, de tout cela ?" Et non seulement ce genre de réaction devant lÂÂunivers des croyances paraît croître aujourdÂÂhui, mais il entraîne au moins deux attitudes elles-mêmes de plus en plus courantes : lÂÂextension du pseudo-savoir anti-religieux et la dérision.
DÂÂune part, on voit, face au religieux, sÂÂafficher une prétention péremptoire au nom de laquelle on estime en avoir toujours-déjà une interprétation déconstructrice, dissolvante, quelle que soit la forme sous laquelle il se présente. Les « maîtres du soupçon » (Marx, Freud, Nietzsche, etc.) sont passés par là, bien sûr. Leur discours déconstructeur, démythificateur, désacralisant, constitue comme la "rumeur de fond", le bruit de fond de toute notre époque, dans notre société et notre culture ÂÂ bref la "toile de fond" à partir de laquelle, tout spontanément, beaucoup abordent désormais ce qui, de près ou de loin, a trait au "religieux". Les multiformes relativismes qui se sont multipliés à partir de là ont pour effet quÂÂon dénonce a priori toute transcendance. Et il arrive fréquemment quÂÂon ne la dénonce même plus : on en a, tout simplement, perdu le sens ; elle paraît nÂÂavoir plus aucune place possible dans la configuration contemporaine du "pensable disponible". Impensée, elle est alors de soi tenue pour impensable.
Dans le même ordre de choses, à partir de diverses informations plus ou moins fondées dans lÂÂordre des sciences humaines, et spécialement en histoire ou en psychanalyse par exemple, nÂÂimporte qui peut se prétendre autorisé à dénier toute consistance réelle, et donc toute spécificité effective, au religieux, y compris bien sûr au religieux chrétien. Ce qui sÂÂest passé autour du Da Vinci code est à cet égard fort révélateur : pour un très large public, lÂÂévidence était que cÂÂétait le roman qui avait raison contre ce quÂÂauraient, bien entendu, caché les chrétiens ! En somme, chez un certain nombre de gens, et bien au-delà −ou plutôt bien en-deçà− de quelque discipline scientifique que ce soit, tout se passe comme sÂÂil semblait admis quÂÂon ne peut pas être à la fois moderne, savant, honnête ÂÂ
et croyant.
DÂÂautre part, on doit bien enregistrer une montée de la dérision. Dans les journaux, les livres, bandes dessinées comprises, à la radio, à la télévision, sur Internet, les ricaneurs se déchaînent et font feu de tout bois pour ridiculiser tout dogme, et finalement pour disqualifier non seulement les doctrines chrétiennes, mais également ceux qui les professent ou sÂÂen réclament, et à plus forte raison ceux qui sÂÂen présentent comme les gardiens et les garants. On le sait bien, une bonne manière de désamorcer voire dÂÂévacuer ce qui vous dépasse et pourrait vous gêner, est de le tourner en ridicule. Dans certains milieux la caricature est, en ces matières, le dernier mot. Cela se vérifie probablement plus encore vis-à-vis du christianisme (principalement sans doute sous sa forme catholique) qu'à propos du judaïsme et de lÂÂislam.
c. Déclenchement dÂÂune forte hostilité
Troisième trait de lÂÂévolution assez complexe que je suis en train dÂÂépingler : on a vu aussi se déclencher une hostilité plus forte que jamais sans doute à lÂÂégard du religieux et, plus largement, du sacré ou du sacral. La source non pas unique mais principale de cette hostilité à laquelle nous assistons paraît être la suivante. De plus en plus de nos contemporains estiment que les religions ÂÂcertains disent même : la religion comme telleÂÂ sont de fait, et probablement de plus en plus, source dÂÂintolérance et de violence entre les individus, et même à lÂÂéchelle de lÂÂensemble dÂÂune société. "Comment voulez-vous, estime-t-on de ce côté, que quelquÂÂun qui croit que sa religion le met en rapport direct avec ce quÂÂil considère comme lÂÂAbsolu, ne tienne pas tout le reste, suivant le cas, pour totalement aléatoire, pour parfaitement négligeable, pour intrinsèquement perverti, voire pour radicalement à exclure ?"
Une telle hostilité se manifeste cependant particulièrement là où apparaissent de fortes connivences entre le domaine politique et le domaine religieux. Parfois, mais assez rarement dans notre société française il faut le reconnaître, il sÂÂagit encore de connivences où le religieux prétend expressément régir toute la société, et mettre la main sur le champ politique en général. Mais le plus souvent à vrai dire, il sÂÂagit, tout au contraire, de connivences où cÂÂest le politique lui-même qui prétend inclure des éléments de religion, voire se donner à lui-même des prérogatives religieuses, ainsi quÂÂon le voit chez beaucoup de ceux qui se réclament des régimes islamistes, et ainsi que plusieurs courants évangélistes américains (non sans écho chez nous) tendent à le faire valoir.
Les réactions qui surgissent devant les tentatives de ce type dÂÂenvahissement par le religieux vont parfois si loin que, pour les caractériser, il ne suffit plus de parler de sécularisation, ni de sécularisme, ni dÂÂanticléricalisme, ni même de laïcisme ou dÂÂattitude antireligieuse : il faut bel et bien faire état, alors, dÂÂun intégrisme renversé, dÂÂun intégrisme laïque, dÂÂune véritable contre-religion, quÂÂon aurait pourtant crus dÂÂun autre temps. DÂÂune religion qui entend se contre-proposer, se mettre à la place de la religion qui avait prétendu tout confisquer. Bref, il sÂÂagit alors dÂÂune attitude qui apparaît finalement elle-même tout aussi assurée de soi, tout aussi convaincue de son bon droit absolu, que peut lÂÂêtre lÂÂintégrisme proprement religieux. Comment expliquer autrement les déferlements de haine, les effroyables menaces et les guerres quasiment inextinguibles qui ensanglantent des régions entières du globe, et trouvent des répercussions jusque dans nos propres contrées ?
2. Quelques effets qui portent déjà à se réinterroger
Il nÂÂest pas nécessaire de prolonger ce regard sur lÂÂévolution des attitudes du monde de la sécularisation face au champ du religieux. De la simple prise de distance factuelle enregistrée dès le départ (a) à la forte hostilité déclarée sur laquelle on vient de sÂÂarrêter (c), en passant par une dénonciation ou une remise en cause plus ou moins large et/ou profonde évoquée entre-temps (b), je viens, en somme, de dresser quelque chose comme une "typologie" qui suffit à nous éclairer, pour lÂÂinstant du moins. Il nous faut maintenant enregistrer soigneusement quelques effets qui portent, cependant, à pousser plus loin lÂÂobservation et la réflexion.
a. Surgissement dÂÂun problème considérable
Parmi les effets préoccupants de cette complexe évolution, il nous faut remarquer en tout premier lieu que les personnes quÂÂelle affecte vraiment se voient désormais affrontées à un problème quÂÂil faut bien reconnaître considérable. CÂÂest très joli de contester tout absolu et toute transcendance. Mais on se retrouve alors placé face à cette interrogation énorme : au nom de quoi, sÂÂil en va ainsi, proposer aux autres, à dÂÂautres, des orientations de vie et des choix de société ? Et puis, bien en-deçà encore, comment alors sÂÂengager, soi-même déjà, sur des valeurs capables de donner un vrai sens à sa propre vie, quand bien même on aurait totalement renoncé à les proposer à lÂÂacquiescement dÂÂautrui ?
On ne peut tout de même pas, toujours et partout, pour tous les domaines de lÂÂexistence et pour toutes les situations et tous les âges de la vie, suspendre indéfiniment son jugement, différer le moment du choix, se mettre tout le temps entre parenthèses ! Il faut bien de temps en temps, quand même, sÂÂexpliquer avec soi-même sur les considérants et les raisons de certains choix qui exigent une évaluation non évidente à formuler, qui demandent un engagement pour des objectifs parfois bien incertains, qui supposent une espérance dont rien nÂÂassure ici et maintenant quÂÂelle puisse être effectivement fondée.
En fait, la dénonciation de tout sacré, de tout religieux, de tout transcendant, finit toujours par acculer, à un moment ou à lÂÂautre, à la nécessité de chercher des équivalents ou des substituts. Ainsi voit-on se développer des propositions de « transcendance(s) non transcendante(s) », de « transcendance sans Transcendant », de « transcendance(s) immanente(s) ». De telles désignations ne sont-elles pas à elles seules très significatives ? Elles montrent en tout cas quÂÂon ne sait plus du tout quelles étoiles peuvent vraiment encore briller au firmament quand on a déclaré le ciel vide. À défaut de Lumières (elles-mêmes estimées alternativement ou plus ou moins aveuglantes ou en voie dÂÂextinction), ne resterait-il alors plus quÂÂà sÂÂinventer des lumignons, si lÂÂon veut continuer à marcher sans risquer de se voir englouti par la nuit ?
b. Perte du sens de lÂÂintériorité et de la profondeur
Une autre conséquence fréquente de lÂÂévolution de la situation que nous avons examinée est que lÂÂexistence se trouve alors en passe de perdre beaucoup de son intériorité et de sa profondeur. La tentation devient en effet grande de se replier sur le seul immédiat, de privilégier la consommation de ce que lÂÂon a sous la main, et donc la satisfaction à bon compte, avec, toujours, la tentation de sÂÂétourdir dans ce que Pascal appelait le « divertissement », ou dans la simple et multiforme distraction. Ainsi la vie finit-elle par se désenchanter elle-même, et règnent à la fois la superficialité et lÂÂencombrement. Menacent gravement, en tout cas, le manque total dÂÂintérêt réel pour ce que lÂÂon vit pourtant, et lÂÂennui profond dans lÂÂexistence.
À titre dÂÂexemple spécialement révélateur, je peux ici évoquer lÂÂécole. Les enfants dÂÂaujourdÂÂhui ont dÂÂun côté des programmes scolaires et des emplois du temps extrascolaires ÂÂ y compris de loisirs ÂÂ tels, et de lÂÂautre des conditions familiales telles aussi, quÂÂils risquent toujours dÂÂêtre comme arrachés à eux-mêmes. Plus exactement : de nÂÂadvenir jamais véritablement à eux-mêmes, à leurs vraies questions et à leurs vrais désirs, de nÂÂavoir plus ni le temps ni le goût dÂÂaccéder à une intériorité personnelle véritable, et aux moyens d'y réfléchir et de la cultiver.
c. Apparition, pourtant, dÂÂune certaine réinterrogation
Malgré ce recul assez général de la profondeur et de lÂÂintériorité, il arrive cependant que dans diverses circonstances ÂÂdécision importante ou épreuve graveÂÂ, on opère quand même un certain retour sur soi. Je lÂÂai laissé entendre déjà : on ne peut pas toujours éviter complètement de "revenir à soi". Or il est assez frappant que ceux qui sÂÂarrêtent alors un moment pour se réinterroger, pour faire le point, et qui, tout le reste étant dit, examinent alors quelque peu ce qui, malgré tout, compte vraiment pour eux, en viennent de plus en plus souvent désormais, semble-t-il, à reconnaître assez honnêtement quÂÂau fond ils ne sont pas si assurés quÂÂils le disent, de refuser vraiment tout "surnaturel", tout "religieux", toute "transcendance". Certains prétendent même quÂÂil nÂÂy a pas beaucoup dÂÂathées vrais, car ceux qui se donnaient naguère pour tels en viennent parfois, dans des circonstances très particulières, à ce genre dÂÂaveu : "Au fond, je ne suis pas si assuré que cela de mon incroyance !" Un certain nombre reconnaîtront ainsi que se déclarer eux-mêmes sans religion ne signifie pas quÂÂils sÂÂestiment et se veulent sans croyance, ni même sans spiritualité. Plusieurs peuvent même alors avouer très clairement quÂÂils en sont arrivés à douter expressément de leur propre incroyance.
En somme, de même que dans un monde où la croyance régnait largement, on pouvait être conduit à douter de sa propre croyance, de même, dans une société où tout sÂÂest inversé et où tant de choses, au contraire, sont ou apparaissent sécularisées, il nÂÂest pas rare quÂÂon en vienne à problématiser sa propre incroyance ÂÂ
quand bien même on continue pourtant, à lÂÂoccasion, de la déclarer.
d. Déploiement dÂÂune religiosité plus ou moins sauvage
Une fois la porte ouverte, la "machine" peut se relancer ! Chez un certain nombre de ceux qui en sont ainsi venus à douter de leur incroyance, on peut assister à une sorte de reprise à nouveaux frais de la question de la croyance. Si rien ne lÂÂimpose plus, ni contrainte sociale plus ou moins généralisée, ni pouvoir plus ou moins occulte, la croyance peut retrouver un attrait. Elle peut même en arriver à se débrider, et se mettre à déferler. Ainsi, dans ce monde pourtant à lÂÂévidence sécularisé, totalement désenchanté, voit-on se développer une religiosité sauvage, incontrôlable, étrangère à toute régulation.
Je nÂÂinsiste pas sur ce point, tellement il est devenu évident aujourdÂÂhui. JÂÂen souligne seulement un aspect particulier. Ne voulant pas renoncer à la croyance alors que pourtant ils prennent de fait distance par rapport à ce qui les insatisfait dans leur propre confession religieuse, certains pratiquent alors lÂÂamalgame. Restant intéressés par le religieux et relancés dans leur intérêt par la sécularisation générale, ils prennent le parti de faire leur choix, de trier au sein de la palette désormais si diversifiée qui sÂÂoffre à eux en matière religieuse. Un peu de zen japonais par-ci, un peu de réincarnation bouddhiste par-là et puis, dans le même temps, par exemple, toujours la référence à Jésus, un bout de prière à Marie ou à tel ou tel saint ou sainte, et même peut-être, pourquoi pas, la référence à un "divin" un peu paternel !
3. Ouvertures nouvelles sur le front de la sécularité
Notre point dÂÂaboutissement présent est, reconnaissons-le, assez paradoxal : alors que nous avons, au départ, très honnêtement diagnostiqué un rétrécissement du champ de la/des croyance(s) dans notre monde, voici que nous sommes bien obligés dÂÂen enregistrer au point dÂÂarrivée une certaine relance, et tellement effervescente même le cas échéant, quÂÂelle peut aller jusquÂÂà récuser tout contrôle à son endroit. Ce nÂÂest pas tout pourtant car, à côté et au-delà des effets, dont certains fort préoccupants, que je viens dÂÂenregistrer, il nous faut bien constater, en parallèle, ce quÂÂon pourrait considérer ÂÂtoujours dans ce monde par ailleurs tellement, et de plus en plus, distancié du religieuxÂÂ comme des ouvertures nouvelles. JÂÂen retiens trois.
a. Au plan global, une attente déclarée vis-à-vis des instances religieuses
En France en tout cas, on ne peut pas manquer dÂÂêtre frappé par la fréquence et par lÂÂinsistance de demandes de prise de position adressées aux représentants des Églises et des cultes sur tout ce qui concerne les grands "débats de société". En dÂÂautres espaces politiques ÂÂ Italie ou Espagne, par exemple ÂÂ la situation est sans doute différente, mais chez nous cÂÂest assez net. Des responsables politiques ou sociaux souhaitent notre prise de parole dès quÂÂun problème se pose, où des valeurs humaines fondamentales entrent en jeu. Ainsi en va-t-il, par exemple, pour les recherches en bioéthique, les interrogations soulevées par le commencement et par la fin de la vie humaine, les questions de guerre et de paix, de justice et de violence, ou bien pour celles qui concernent lÂÂattitude à tenir vis-à-vis des sans-papiers, des sans-abris, des criminels récidivistes ou des malades mentaux.
Cela ne veut certes pas dire que beaucoup de ceux, politiques ou non, qui réclament de telles interventions dans le débat en cours, les mettront en ÂÂuvre par après ! Mais tout se passe souvent comme si, aussi indépendants et sécularisés quÂÂils se veuillent, nombre de décideurs sociaux et politiques avaient besoin de se voir indiquer des repères de la part de telles instancesÂÂ
quitte, le cas échéant du reste, à en prendre le contre-pied : "QuÂÂest-ce que dit là-dessus le « magistère » catholique ?" Tout se passe souvent comme si lÂÂon avait, malgré tout, besoin que ces instances se soient dÂÂabord exprimées, pour pouvoir ensuite prendre les décisions quÂÂon estimera fondées au titre de la responsabilité politique quÂÂon a conscience dÂÂavoir à exercer, et − lÂÂon ne se prive pas éventuellement de le faire savoir − dans une optique tout à fait séculière.
b. Au plan des individus, une montée de lÂÂécoute voire de lÂÂadmiration
pour des personnalités marquantes
Deuxième trait significatif dÂÂouvertures nouvelles de la profanité dans son évolution dÂÂaujourdÂÂhui : des admirations déclarées pour de grandes figures religieuses. Citons seulement ici, pour notre pays, lÂÂabbé Pierre, longtemps présenté comme la personnalité la plus estimée et la plus aimée des Français, et SÂÂur Emmanuelle ; et, à lÂÂéchelle mondiale, Mère Teresa et Jean-Paul II. Inutile dÂÂépiloguer tant cÂÂest clair, nÂÂest-ce pas ?
Toujours au titre de ces signes dÂÂune attention portée à des personnalités religieuses ou liées à la religion, mais en débordant beaucoup à nouveau lÂÂespace français, on peut signaler lÂÂattention récemment portée à deux personnalités de grande dimension internationale : Ingrid Bettancourt dÂÂun côté, Tony Blair de lÂÂautre. Concernant la première tout dÂÂabord, il est frappant que tous les médias ont fait écho : dÂÂabord aux remerciements quÂÂelle a directement adressés à Dieu (en même temps quÂÂaux hommes) lors de sa libération, ensuite à ses propos sur le soutien quÂÂelle a trouvé dans la force de la prière tout au long de sa détention en Colombie, enfin à lÂÂ « expérience extraordinaire » quÂÂa représentée pour elle, quelque temps après son retour, sa rencontre avec Benoît XVI, cet « homme de Dieu [qui lÂÂa écoutée] de telle manière quÂÂil a élevé vers le haut [son] histoire ». Propos dÂÂautant plus suggestifs sans doute, quÂÂinterrogée sur le fait qu'elle est par ailleurs divorcée remariée, elle nÂÂa pas cru devoir taire complètement son interrogation en cette matière sur lÂÂattitude d'une Église catholique à l'égard de laquelle elle déclarait pourtant son attachement résolu (La Croix, 10 août 2008).
Quant au second, Tony Blair, tels sont les propos que, dans sa série « I have a dream », Le Monde lui attribuait en son numéro du 22 juillet 2008 :
« Pour un leader politique britannique, parler de sa foi est toujours suspect, et même très mal vu. Dans mon cas personnel en tout cas, jÂÂai trouvé cela difficile. Et cela me révolte. Ce nÂÂest tout de même pas quelque chose dont on devrait avoir honte ! CÂÂest un pôle essentiel de notre vie, et lÂÂon devrait pouvoir en parler simplement, sans que cela soit jugé ridicule ou réactionnaire, et sans donner lÂÂimpression de remettre en question les fondements dÂÂun État laïque. Cela fournirait dÂÂailleurs aux électeurs des clés pour mieux comprendre le caractère et la motivation de leurs leaders.
Comment imaginer en effet que leur foi nÂÂaffecte pas leur action politique ? CÂÂest impossible ! Ma foi est le point dÂÂancrage de mes convictions, elle fonde les valeurs auxquelles je me réfère, elle forge ma vision de lÂÂhumanité. Mon engagement pour lÂÂAfrique ou mes positions sur le problème du changement de climat en sont clairement le reflet. En revanche, quÂÂon nÂÂessaie pas de décrypter lÂÂensemble de nos décisions quotidiennes par la présence de la religion ! Ce serait absurde. Je nÂÂinterrogeais pas Dieu en permanence ! »
Et lÂÂancien Premier Ministre de préciser : « On ne peut pas prétendre gouverner le monde sans comprendre ce qui touche les peuples, et correspond à leur irrésistible aspiration à une spiritualité. »
Entendons-nous bien ! Je ne suis pas en train de vouloir prouver une thèse : par exemple que lÂÂincroyance ou lÂÂindifférence seraient décidément en recul dans le monde dÂÂaujourdÂÂhui puisque de tels propos, émanant de telles personnalités, recueillent un tel écho. Je me contente dÂÂenregistrer que, dans le monde qui est le nôtre ÂÂnous sommes bien, en effet, "dans le monde" avec les figures évoquées : actions humanitaires, grandes responsabilités politiques, engagements médiatiques marquésÂÂ, à côté dÂÂavatars nombreux et inquiétants de la religion ou du religieux en général, et bien au-delà du fameux et suspect "retour du religieux", on ne peut pas ne pas enregistrer toujours et encore, et fût-ce de manière assez inédite, quelques indicateurs nouveaux dÂÂune réelle présence, et peut-être même dÂÂune certaine relance, du religieux et de la religion.
c. Au plan officiel, une forme de "reconnaissance" inédite
Au titre toujours des "ouvertures nouvelles", et après celles qui viennent dÂÂêtre relevées successivement au plan "global" puis au plan des individus, il convient de relever un troisième type, qui nous situe carrément, lui, à un plan tout à fait officiel et même, à vrai dire, au plan du gouvernement français lui-même.
On le voit bien avec le "fait islamique", mais cela a produit des conséquences pour lÂÂensemble de la religion et plus précisément pour la place reconnue et faite à lÂÂensemble des religions dans la société. CÂÂest tout à fait clair : lÂÂarrivée, lÂÂinstallation et la présence massive de musulmans dans notre pays, a contraint un certain nombre de politiciens et de sociologues à sortir de la thèse séculariste selon laquelle, le religieux et la religion représentant toujours très évidemment une menace pour les libertés publiques, il faudrait désormais décréter que, sÂÂils devaient ou pouvaient néanmoins subsister un temps encore, ce ne pourrait être quÂÂà lÂÂimpérative condition de rester strictement cantonnés dans le sanctuaire intime de la conscience individuelle. Et si de la sorte cette position tranchée sÂÂest trouvée ébranlée avec lÂÂarrivée et lÂÂimplantation de lÂÂislam, elle lÂÂa été aussi avec lÂÂapparition et la diffusion des sectes et, plus généralement, avec la multiplication des petits groupes religieux. Avec ces nouveaux phénomènes et courants en effet, il a bien fallu admettre, contre la théorie laïciste donc, que la religion non seulement gardait et garde encore une place importante chez un certain nombre dÂÂindividus, non seulement pourrait et peut ici ou là se recruter assez bien et constituer de petits groupes bien vivants, mais avait et a bel et bien une dimension sociale, et qui sÂÂimpose même désormais avec une certaine massivité.
Faut-il sÂÂétonner, alors, quÂÂune telle évolution ait fini par conduire à l'idée que, gardant bel et bien toujours, de fait et quÂÂon le veuille ou non, une forme dÂÂexistence et une dimension sociales, "la religion" méritait bel et bien un certain type de "reconnaissance", quitte bien sûr à assortir cette dernière d'un certain type de "contrôle" ? CÂÂest ainsi, en tout cas, quÂÂon en est venu, en France, à souhaiter et favoriser la constitution dÂÂun groupe représentatif des citoyens de religion musulmane (les « Musulmans de France »), et à reconnaître et recevoir comme partenaire qualifié, au niveau proprement gouvernemental, une délégation musulmane constituée en bonne et due forme.
Or, cela ne sÂÂétait jamais produit dans notre pays pour la religion catholique ! Le contexte ayant changé, vint pourtant finalement à se produire ce qui nÂÂavait jamais été pensable jusque là, à savoir que les autorités de notre Église purent obtenir dÂÂêtre très officiellement et régulièrement reçues par le chef du Gouvernement français le socialiste Lionel Jospin à lÂÂépoque, avec à leur tête le Président de la Conférence épiscopale et le Nonce apostolique. Moyennant quoi, du reste, les protestants eux-mêmes, qui avaient cru bon de reprocher aux catholiques cette espèce de cléricalisme, cette sorte de connivence suspecte avec le pouvoir politique, en sont vite venus à réclamer le même traitement pour eux aussi, et lÂÂont obtenu à leur grande satisfaction, bien entendu ÂÂ
II. ÂÂ Regard sur le champ de la religiosité / de la croyance
Il est temps de passer maintenant sur notre second versant, le champ de la religiosité et de la croyance. Là aussi, s'impose le constat dÂÂune grande diversité de facteurs contrastés, dans une situation en grande mutation.
1. Une situation en évolution constante
a. Maintien mais diversification grandissante du religieux
Un premier trait majeur à enregistrer ici est non seulement − malgré tout ce qui paraît le mettre en péril aujourdÂÂhui −, le maintien du religieux dans notre société mais bel et bien sa diffusion et sa diversification grandissante, pouvant aller même jusquÂÂà lÂÂéclatement. Dans un pays comme la France, où le catholicisme a été si amplement majoritaire à travers les siècles, il ne faut plus seulement reconnaître leur place au protestantisme classique et au judaïsme (actuellement 500.000 représentants pour ces derniers, qui représentent dÂÂailleurs la communauté juive la plus importante dÂÂEurope). Il faut désormais enregistrer aussi lÂÂimportance considérable du fait musulman : ceux qui se réclament de lÂÂislam seraient chez nous plus de quatre millions ; ils représenteraient donc entre 4% et 5% de la population française. Plus précisément point très important que je nÂÂavais pas repéré jusquÂÂà la préparation de cet exposé : ils constitueraient à peu près 14% de la tranche dÂÂâge des 18 à 24 ans dans notre pays.
Par ailleurs, au-delà encore du protestantisme classique, luthéro-calviniste, on doit aussi enregistrer la nébuleuse assez éclatée des groupes évangéliques ou évangélistes. Les témoins de Jéhovah, par exemple, ne seraient pas moins de 120.000. Quand jÂÂétais en Alsace, nous avions constitué un "Conseil des Églises chrétiennes" dans lequel nous avions invité à siéger ÂÂen même temps que les catholiques, les luthériens, les réformés et les orthodoxes (grecs, russes et roumainsÂÂ, aussi les représentants des Églises évangéliques libres, au moins celles qui étaient fédérées : elles étaient douze.
Je ne fais que mentionner, enfin, les religions orientales, spécialement le bouddhisme, qui serait en montée constante, particulièrement dans sa variante tibétaine : il y aurait en France au moins 600.000 bouddhistes, dont 100.000 environ dÂÂorigine "française autochtone".
b. Une sécularisation croissante à lÂÂintérieur même du religieux
LÂÂanalyse ne sÂÂarrête pas là dans le champ de la croyance ! Ce nÂÂest pas pour rien −on va le vérifier plus nettement encore− que, dÂÂemblée, jÂÂai cru devoir faire état dÂÂune « grande complexité » dans la situation globale que nous examinons. Cette situation est à vrai dire si diverse et si contrastée quÂÂelle en est même devenue tout à fait étonnante. Si, dans la société civile sécularisée, on tient désormais davantage compte du religieux, si même on ne peut pas ne pas faire à ce religieux comme tel une certaine place ainsi que nous avons pu le vérifier à lÂÂinstant, si les formes et les institutions religieuses apparaissent plus diversifiées que jamais, au sein même de certaines religions en revanche, la nôtre comprise, on assiste au contraire à une sécularisation croissante du champ qui est proprement celui de la croyance elle-même et de ses expressions.
On peut sans doute dire quÂÂon est face au développement dÂÂun processus "sécularisationnel" qui affecte les institutions religieuses et ecclésiales les plus essentielles, et qui va jusquÂÂà concerner les consciences mêmes des croyants.
Ainsi, des gens qui peuvent continuer à se déclarer croyants et croyants catholiques, et à se laisser enregistrer sans problème comme de confession catholique, en sont arrivés : à laisser totalement de côté, parfois de propos tout à fait délibéré, des pans entiers de la doctrine catholique, à négliger totalement les prescriptions ou recommandations de la hiérarchie de leur Église en matière de morale (économique ou sexuelle), à ne plus faire ni baptiser ni catéchiser leurs enfants, à ne plus se marier ou à différer très longtemps le temps de leur mariage, voire à sÂÂaccommoder dÂÂobsèques civiles pour de proches défunts, etc. Ainsi encore a-t-on vu certains célébrants en prendre à leur aise avec le rituel liturgique au point que les lectures sont trafiquées, la présidence plus ou moins escamotée, etc., avec pour résultat que tout caractère de "sacré", voire toute dignité du "culte", quelle que soit la désignation quÂÂon retienne ici, paraissent bel et bien négligés, sinon quelquefois purement et simplement évacués. Ainsi a-t-on également vu naguère des clercs, des religieux, des religieuses, adopter en paroles et en actes des positions par lesquelles ils donnent lÂÂimpression de sÂÂaligner (quasi-)totalement sur les mentalités ambiantes, sur les comportements généralement admis autour dÂÂeux et sur les opinions couramment reçues dans leur environnement ... Il nÂÂest pas besoin dÂÂêtre "intégriste" ou "réac" pour devoir en convenir.
c. Des réactions dÂÂauto-défense caractérisées
Devant une évolution pareillement complexe, on ne peut guère sÂÂétonner de voir prendre de lÂÂimportance, toujours du côté de la croyance, un type de réaction adopté comme moyen de résister à cette vague de fond du sécularisme qui a ses répercussions jusque dans lÂÂÉglise. Dans le souci dÂÂarrêter la débâcle que lÂÂon ressent et de maintenir la croyance religieuse envers et contre tout ce qui la menace de lÂÂextérieur ou la mine de lÂÂintérieur, on assiste à une montée des purismes, des exclusivismes, des traditionalismes, des conservatismes, des intégrismes, des fondamentalismes, des extrémismes. Intransigeance accrue et large condamnation dans lÂÂordre moral, crispation sur "la tradition" (ou sur ce quÂÂon tient pour tel) et anathémisations faites dans le domaine doctrinal, tentatives de re-sacralisation à outrance au plan liturgique, etc. Une telle montée "réactionnaire", voulue comme une auto-défense tous azimuts, se vérifie dans quasiment toutes les religions et confessions religieuses, y compris la nôtre bien entendu, avec des risques d'intolérance, de violences de tous ordres, et une montée croissante des peurs des uns vis-à-vis des autres.
Si donc le tableau était contrasté du côté du monde de la sécularité, il ne lÂÂest pas moins du côté de la croyance, de la religion et, bien entendu, du côté de lÂÂÉglise dans la société. Cela va dÂÂun déferlement sans précédent du religieux à des réactions crispées voire à des violences intégristes, en passant à la fois par une valorisation assez inattendue par le partenaire extérieur, mais aussi par une dégradation interne plus ou moins marquée. On le voit clairement : ici, sur le plan de la croyance comme auparavant sur celui de la profanité, il est possible, au bout du compte, dÂÂétablir une "typologie" assez rigoureuse, et tout aussi contrastée que la précédente. Faut-il dès lors tellement sÂÂétonner que puissent apparaître, également, de nouvelles chances ?
2. De nouvelles chances du côté de la foi
a. La chance redonnée dÂÂun véritable choix
Dans un tel contexte, une première chance se profile. Lorsque la religion ne paraît plus sÂÂimposer, lorsquÂÂau contraire cÂÂest lÂÂirréligion et le sécularisme qui prétendent faire la loi, et que pourtant le besoin religieux se remet à surgir ici ou là de temps en temps, fût-ce selon une bien grande diversité et avec de nombreuses ambiguïtés, puis à se diffuser assez largement, la religion finit par apparaître comme relevant dÂÂun choix véritable. Elle peut même alors prendre les traits dÂÂun juste mouvement de protestation contre un ordre établi, comme une audace nouvelle par laquelle on peut se démarquer, faire preuve dÂÂoriginalité, introduire du nouveauÂÂ
Or, tout cela ne manque pas dÂÂattrait, auprès des jeunes en particulier.
Et, notons-le bien, dans une évolution de ce genre de lÂÂinterrogation religieuse, beaucoup de gens qui lÂÂexpérimentent, et surtout sans doute parmi les jeunes, ne font plus guère de complexes vis-à-vis des préventions et des interdits que dÂÂautres continuent de manifester mordicus à lÂÂégard du religieux. Ils se refusent totalement à céder à lÂÂintimidation : "Vos convictions soi-disant définitivement établies par les Lumières, vos belles théories contestataires, gauchistes ou libertaires, vos grands idéaux révolutionnaires (marxistes-léninistes, maoïstes, trotskystes ou autres), que sont-ils maintenant devenus ? QuÂÂest-ce que tout cela, additionné, nous a finalement apporté comme résultats, tant au plan personnel quÂÂau plan collectif, et tant au niveau international quÂÂau niveau planétaire ? QuÂÂen a-t-il réellement résulté comme fruits de liberté personnelle profonde, de bonheur partagé, de justice sociale, de paix mondiale et de sauvegarde de la planète ?"
b. Un processus de reconfessionnalisation
Dans certains cas, on va plus loin. On sÂÂengage en quelque sorte dans ce quÂÂon peut appeler un processus de reconfessionnalisation positive qui peut représenter une deuxième "chance nouvelle". On sÂÂaperçoit bien que, dans le désert spirituel quÂÂentraînent la sécularisation et le sécularisme qui menace toujours, on ne peut pas sÂÂen sortir tout seul. On se retourne alors vers ce qui pourrait demeurer, au-delà de toutes les débâcles et de toutes les remises en cause quÂÂil a bien fallu traverser. On revient vers lÂÂoublié, le rejeté, le refoulé pourtant toujours ressurgissant, de la croyance et des religions.
"Maman ÂÂinterroge la petite filleÂÂ, Deborah dit quÂÂelle est juive, Fatima dit quÂÂelle portera le voile quand elle sera grande parce quÂÂelle est musulmane. Maman, ma religion à moi, cÂÂest quoi ? " Ainsi voit-on des jeunes revenir à la prière, participer à des pèlerinages, sÂÂagréger à des groupes de réflexion, de méditation, de célébration, redécouvrir le sacrement de la réconciliation, pratiquer pendant des heures lÂÂadoration eucharistique silencieuse toutes choses que, bien entendu, on aurait crues totalement inenvisageables il y a encore bien moins de vingt ans, nÂÂest-ce pas ? Et ainsi voit-on des laïcs, des chrétiennes et des chrétiens, sÂÂengager à nouveau dans la société civile et dans le champ politique au nom même des valeurs religieuses quÂÂils professent, et non plus dÂÂune manière totalement indépendante dÂÂelles, et à plus forte raison pas contre elles. On voit, qui plus est, nombre dÂÂentre eux sÂÂinscrire pour des formations doctrinales et même préparer des diplômes en théologie, et/ou se mettre à la disposition de leur paroisse ou de leur mouvement pour accomplir de vrais services dÂÂÉglise des services éventuellement reconnus par lettre de mission officielle de leur évêque ; et cela aussi bien dans la catéchèse et dans lÂÂaction caritative que dans lÂÂanimation liturgique.
c. Des facteurs de crédibilité
Tout le reste étant dit, trois facteurs paraissent de plus en plus favoriser et soutenir ce quÂÂon peut appeler un processus non pas seulement de retour à la croyance, à la religion, à la confession de la foi, mais bel et bien un processus de « reconfessionnalisation ». Il suffira pour lÂÂheure de les signaler brièvement.
− Plaide tout dÂÂabord en faveur du christianisme ou, plus précisément, de lÂÂÉglise, sa grande histoire, sa permanence à travers les âges. Même là où "la tradition" continue de faire lÂÂobjet de procès et de contestations, il nÂÂen reste pas moins quÂÂen ce temps de toutes les débâcles, on nÂÂest plus porté comme on le fut à tenir pour rien, et donc à négliger, des doctrines, des comportements et des institutions qui ont traversé vingt siècles. La stabilité, la permanence, la vitalité maintenues et sans cesse relancées à travers tant de crises et dÂÂécroulements paraissent comporter, malgré tout, une certaine crédibilité. Avant de brader ce que nous avons reçu de nos pères, retournons-nous vers lÂÂhéritage, réinterrogeons-le, et demandons-nous si, tout compte fait et après tout, il ne recélerait pas pour nous des possibilités, des réserves de "sens" comme cela a été le cas pour ceux qui nous ont précédés, lorsquÂÂils ont eux-mêmes eu à affronter des crises, à traverser toutes sortes de mises en cause. "Je ne suis pas toujours très assuré dans ma foi et je ne pratique ma religion que par intermittences, dit cet intellectuel père de famille. Mais je tiens à donner une formation chrétienne à mes enfants, car je ne voudrais pas porter la responsabilité dÂÂavoir, par ma faute ou par mon inconscience, interrompu le fil dÂÂune transmission restée vivante jusquÂÂà moi à travers deux millénaires."
− Ensuite, il faut mettre au crédit de la religion, de la croyance, de la foi chrétienne, son souci et sa culture de la rationalité. Beaucoup dÂÂintellectuels, en particulier, enregistrent avec faveur lÂÂinsistance mise par les derniers papes sur le lien nécessaire et réciproque de la foi et de la raison (fides et ratio) : Jean-Paul II, déjà, Paul VI ensuite et, bien entendu, Benoît XVI maintenant, y insistent à plaisir. Si lÂÂintervention de ce dernier à Ratisbonne a, de fait, prêté à équivoque en certains esprits ou dans certains courants, beaucoup se sont au contraire indignés de ce quÂÂil ait été ensuite comme interdit de parole à La Sapienza « par crainte de le voir conforter lÂÂobscurantisme » ! Et le récent voyage en France, en particulier le discours aux « représentants de la culture » au collège des Bernardins, a bien manifesté, en tout cas, que ce nÂÂest pas en se donnant pour tâche de négliger, à plus forte raison dÂÂhumilier, lÂÂintelligence ou la raison des hommes, que ce Pape entend souligner, et valoriser si possible, les chances de la foi dans notre monde.
− Compte enfin, du côté de lÂÂÉglise catholique plus particulièrement, lÂÂaspect institutionnel et, plus précisément même, lÂÂaspect régulateur. On vient de le dire, on fait effectivement fonctionner la raison, et donc on nÂÂest pas livré au seul fameux et suspect "retour du religieux" déjà évoqué, ainsi quÂÂà toutes les violences qui peuvent en découler. Mais on nÂÂest pas non plus livré aux aléas de la solitude, et de lÂÂéclatement social qui risque toujours de sÂÂensuivre. Apparaît lui aussi comme un facteur de crédibilisation majeure le fait quÂÂexistent, dans le catholicisme, des instances à la compétence reconnue pour discerner le vrai, et pour ne lÂÂénoncer jamais quÂÂen sÂÂefforçant toujours de respecter la liberté de ceux auxquels elles sÂÂadressent, puisquÂÂil leur revient dÂÂen appeler toujours à leur compréhension, cÂÂest-à-dire à leur intelligence, et donc à leur liberté.
3. À certaines conditions
Naturellement, pour nÂÂêtre pas trop incomplet, il convient de ne pas manquer de préciser les conditions auxquelles tout cela apparaît aujourd'hui susceptible dÂÂoffrir, dans la durée, de nouvelles chances à la religion et à la foi. Je relève brièvement quelques-unes de ces conditions indispensables, avant de poursuivre la réflexion sur un plan proprement théologique.
a. Nécessité dÂÂun discernement
Dans une situation aussi complexe et contrastée, il nÂÂy a véritablement de chances pour une foi authentique que là où un certain discernement a pu être opéré. Un vague sentiment religieux ou, et à plus forte raison, une exaltation souvent tentée par lÂÂextrémisme, ne sont aucunement à mettre en équivalence avec la foi. Ils risquent même toujours, au contraire, de la compliquer, de la dénaturer, et finalement de la mettre en péril.
Inversement, des positions à première vue fort éloignées de la foi peuvent ne pas exclure une réelle disponibilité voire peuvent, avec le temps, creuser une attente qui pourra découvrir son possible exaucement, et finalement peut-être conduire à une démarche dÂÂadhésion. Cela pourra se produire lorsque dÂÂanciennes préventions viendront à tomber parce que, enfin, lÂÂon aura été mis en situation de découvrir ce quÂÂil en est de lÂÂauthenticité de la démarche de foi.
b. Caractère décisif de la dimension personnelle
Un point est, en lien avec le nécessaire discernement, spécialement important en matière de démarche croyante : cette dernière relève proprement et directement dÂÂune décision personnelle. Autant un certain environnement peut sÂÂavérer porteur, autant il revient à chaque personne, en son âme et conscience et en sa souveraine liberté, de trancher. Ni la généralisation de lÂÂindifférence ou de lÂÂhostilité ni, non plus, la relance, le retour ou le succès de la religion dans un contexte donné, nÂÂexemptent quiconque dÂÂavoir à prendre position par soi-même et à trancherÂÂ
On a vu des croyants et des saints fleurir sur des terrains quasiment déchristianisés (ou non-christianisés). Et puis, on lÂÂa dit, le fait que la croyance ne soit plus ni imposée par quelque pression que ce soit, ni impulsée par lÂÂenvironnement, peut tout à fait lui conférer un nouvel attrait : celui, justement, de la nouveauté par et dans la liberté.
Corrélativement, bien entendu, toute entreprise se proposant dÂÂattirer à la foi, ne pourra retenir l'attention que si elle sÂÂimpose de respecter scrupuleusement la liberté du partenaire. Aucune évangélisation ne peut se concevoir aujourdÂÂhui, qui ne se préoccuperait pas de remplir une telle condition. Et il ne faut pas manquer de préciser qu'une telle nécessité ne résulte pas seulement des dispositions de nos contemporains et de leurs exigences expresses en matière de respect de leur liberté ; elle représente dÂÂabord et tant mieux si la situation présente nous le rappelle une condition sine qua non de la pure et simple authenticité de la démarche de foi comme telle.
c. Importance dÂÂun contexte communautaire
Troisième condition que lÂÂon retiendra, déjà pour la possibilité et surtout pour la durabilité dÂÂune démarche proprement croyante dans le contexte actuel de la sécularité et de la croyance : si, par sa décision, la personne est essentielle dans lÂÂaccès à la foi, elle nÂÂa de chances de venir à cette foi, puis de tenir en elle, quÂÂà la condition dÂÂêtre effectivement accompagnée.
Déjà la sollicitation première ne peut venir que dÂÂun groupe de croyants dont les membres apprennent à témoigner de leur foi au dehors. Ensuite, une fois effectuée, une démarche croyante ne pourra se maintenir et croître que si elle reste portée par une communauté qui, la professant expressément, puisse la soutenir dans la durée en chacun de ses membres. Le cas des catéchumènes, dont le nombre est en croissance constante ces dernières années dans notre Église, est sur ces deux points tout à fait instructif. On peut dÂÂailleurs ajouter que dans le contexte dÂÂune sécularisation assez générale, cÂÂest bien la dimension communautaire qui permettra à la foi de se donner une véritable visibilité, lui méritera une réelle reconnaissance dans le corps social, et lui vaudra, en son sein, une effective crédibilité.
III. ÂÂ Considérants théologiques
Comment se comporter devant une situation si contrastée, si évolutive : dÂÂun côté un domaine de la sécularité qui, même sÂÂil développe aussi une hostilité redoublée, refait tant bien que mal une place à la religion et à la croyance ÂÂ quÂÂon croyait définitivement condamnées ÂÂ, et de lÂÂautre côté un champ de la croyance et de la religion qui se repositionne tout autrement par rapport au monde et à la profanité, avec certes des risques de se laisser contaminer par la sécularité, mais avec aussi de nouvelles chances par rapport à elle.
Quelles lignes dÂÂaction définir ? Quelles orientations pastorales se donner ? CÂÂest bien notre question. Pour y répondre, et cela est naturellement de la plus grande importance aujourdÂÂhui, il faut marquer le temps de la réflexion. Nous nous arrêterons dans ce but à trois éléments essentiels de notre foi : la création ex nihilo, lÂÂIncarnation rédemptrice, lÂÂaccomplissement eschatologique.
1. La création ex nihilo
Le premier élément doctrinal, le premier considérant théologique à faire valoir quand on se propose de réfléchir à la gestion possible et souhaitable des rapports entre profanité du monde ou société séculière dÂÂun côté, et foi chrétienne ou Église Cité de Dieu de lÂÂautre, est la foi en la création. Notre credo ne commence-t-il pas ainsi : Je crois en Dieu le Père Tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre, de lÂÂunivers visible et invisible ? Ce premier article de notre foi nous donne déjà une série dÂÂindications et dÂÂorientations précieuses.
a. Tout ce qui existe a un caractère positif
Puisque création il y a, et création ex nihilo, il faut bien considérer que « tout ce qui existe a été fait par Dieu et que rien de ce qui existe nÂÂa été fait sans Lui » ! Or il découle de là une conséquence immédiate : tout ce qui est a un caractère positif, et donc doit être radicalement et constitutivement tenu pour bon. La première page du Livre de la Genèse tient à lÂÂaffirmer et à le répéter : Dieu vit que cela était bon. Et dès ses débuts comme à travers les siècles, la tradition chrétienne et catholique a résolument exclu, anathèmisé même, toute forme de manichéisme. Il est à partir de là clair que la première chose que nous avons et aurons toujours à penser au sujet du monde, cÂÂest-à-dire concernant ce qui nÂÂest pas Dieu, est quÂÂil sÂÂagit dÂÂune réalité fondamentalement positive et bonne, qui mérite radicalement reconnaissance et valorisation.
Ce nÂÂest donc ni par concession, ni par capitulation, ni en cédant indûment à une revendication de ce partenaire quÂÂest le monde, que nous sommes invités à lÂÂestimer et à lÂÂhonorer, mais bel et bien au nom même de notre foi et de ce quÂÂelle a de plus originaire. Ne nous laissons pas ravir cela par notre partenaire ! Ce qui est ainsi reconnu au monde nÂÂest pas retiré à Dieu. Nous aimons le monde : cÂÂest Dieu qui nous lÂÂa donné. Et, nous devons bien le noter, cela signifie une reconnaissance de la consistance propre et dÂÂune réelle autonomie du monde. Car ce que Dieu crée, il ne peut le créer que différent de lui et, dans le même temps, que le "poser" face à lui dans une vraie consistance, dans une réalité effective propre. Sinon, disons-le, cÂÂest son acte créateur qui, à la lettre, nÂÂaurait pas son effet.
b. Rien ne peut avoir le caractère dÂÂabsolu
Une précision sÂÂimpose cependant tout de suite : par définition, par essence, par principe, cette réalité, et finalement ce monde tout entier que la doctrine de la création nous convie donc à regarder avec estime et à valoriser, nÂÂa et ne peut jamais avoir quoi que ce soit dÂÂabsolu. Tout ce qui nÂÂest pas Dieu nÂÂexiste quÂÂen dépendance du Dieu qui lÂÂa fait surgir et qui ne cesse de le maintenir en dehors du néant ; et donc tout ce qui nÂÂest pas Dieu, ne peut être que relatif, non-transcendant, non-absolu. Quelles que soient sa dignité et sa grandeur, ces dernières ne peuvent être et ne sont effectivement, toujours, que reçues.
c. Le monde a été remis à lÂÂhomme
Seconde précision quÂÂimpose la doctrine de la création par Dieu : par la volonté du Créateur lui-même, toute la réalité de ce qui est "notre monde" a été remise à lÂÂhomme, confiée à lÂÂhomme, pour quÂÂil assure sa gestion et conduise son destin. Il suffit pour sÂÂen convaincre dÂÂévoquer une nouvelle fois les premières pages du Livre de la Genèse. Bien entendu, autant il est vrai que lÂÂhomme se voit confier la gestion et la conduite de tout le créé, c'est-à-dire de "tout le monde" qui l'entoure, et autant il est certain dÂÂautre part que, si Dieu a résolu dÂÂinstaurer et de conduire une alliance avec ce monde, il a fait de lÂÂhomme son partenaire décisif ÂÂ
autant il est, ou il devrait être, clair, aussi, que la dignité et la maîtrise qui en résultent pour lÂÂhomme ne le retirent pas au monde et à la condition créée. Si maître de la création puisse-t-il être, il ne lÂÂest quÂÂà titre de gestionnaire appelé à rendre des comptes à Celui qui, étant son Créateur, est lÂÂunique Seigneur et le seul Dieu, devant qui il doit se reconnaître responsable.
2. LÂÂIncarnation rédemptrice
Le deuxième élément doctrinal auquel la foi nous invite à nous référer pour évaluer les rapports du monde séculier et sécularisé avec le domaine de la foi et de lÂÂÉglise, est le dogme de lÂÂIncarnation rédemptrice.
a. La gratuité redoublée du don de Dieu
Confesser en Jésus la révélation du Fils et Verbe de Dieu venu sur terre pour nous les hommes et pour notre salut ÂÂ comme nous invite à le faire cette fois le deuxième article de notre credo ÂÂ est du même coup redoubler la conscience que le destin de lÂÂhomme et du monde dont la gestion a été confiée à lÂÂhomme, ne saurait aucunement dépendre seulement de lÂÂhomme.
Déjà, se produisant ex nihilo, la création représente pour lÂÂhomme et pour tout ce qui existe un premier gratuit. Mais il y a bien plus car, de par la volonté de Dieu, le destin de ce gratuit premier ne pourra de fait se jouer que par lÂÂintervention dÂÂun autre gratuit, dÂÂun gratuit redoublé : par cette gratuité qui se signale précisément dans lÂÂenvoi par Dieu de son propre Fils en notre monde. Telle est bien la Bonne Nouvelle quÂÂapporte lÂÂapparition de Jésus le Christ, puisqu'en lui se révèle ni plus ni moins que ceci : Dieu veut faire de nous ses fils en nous rendant « participants de sa propre nature divine ». Cette donnée est évidemment à prendre en compte elle aussi dans lÂÂévaluation des rapports entre le monde et lÂÂÉglise. Ou bien, se fermant sur lui-même, le monde et lÂÂhomme voudront sÂÂaffirmer dans une autonomie totale et refuseront de considérer quÂÂen Jésus Christ Dieu leur propose sa grâce et son salut ; dans ce cas leur destin se trouvera de fait amputé ou compromis, puisquÂÂils ne reconnaîtront pas les perspectives pourtant ouvertes par Dieu dans son plan à la fois créateur et sauveur, et alors lÂÂÉglise ne pourra que le leur signifier en les alertant sur les risques par là-même encourus. Ou bien le monde et lÂÂhomme accepteront de sÂÂouvrir à la Bonne Nouvelle de Jésus que leur annonce lÂÂÉglise, et ils devront bien, dÂÂune manière ou dÂÂune autre, se reconnaître dans la position dÂÂavoir à accepter de recevoir de lÂÂÉglise, au nom de Dieu, quelque chose dÂÂessentiel pour eux, quelles que soient leur propre dignité et leur propre grandeur.
b. En régime dÂÂhumanité
Pour autant, le don gratuit de Dieu à lÂÂhomme en Jésus-Christ se fait par et dans lÂÂIncarnation du Fils. En conséquence, pour recevoir ce don, lÂÂhomme nÂÂaura pas tant dÂÂabord à sÂÂabaisser lui-même pour se conformer aux perspectives que Dieu lui a ouvertes en Jésus ; il aura bien plutôt dÂÂabord à reconnaître que Dieu lui-même sÂÂest abaissé jusquÂÂà venir à sa rencontre, jusquÂÂà prendre une véritable chair dÂÂhomme, jusquÂÂà se faire frère de ceux quÂÂil vient gratifier, devenant « en tout semblable à eux ». Ce que Dieu offre, Il vient lÂÂapporter dans le monde, en se faisant lui-même "mondain".
Là encore, il faudra bien sûr retenir la leçon : Dieu est, certes, totalement transcendant et ses dons sont totalement gratuits par rapport à ceux auxquels Il les destine ; mais en Jésus-Christ, Il a voulu, restant Dieu, nÂÂêtre pas ailleurs que avec nous, chez nous, parmi nous, afin de nous les donner. Il est, certes, infini, mais Il a justement voulu être infiniment avec nous. Et sÂÂil pourra arriver à lÂÂhomme de vouloir entrer en concurrence avec Lui, lui-même a tout fait pour ne pas concurrencer lÂÂhomme. Il n'offre à l'humanité de la combler quÂÂen la respectant pourtant totalement, puisquÂÂil ne la gratifie quÂÂen venant à sa rencontre et quÂÂen se plaçant à son niveau.
On sait bien quÂÂà travers toute lÂÂhistoire et depuis les origines, les chrétiens ont eu peine à admettre vraiment lÂÂhumanité réelle de Jésus. Il y a du reste toujours parmi nous des relents sinon de docétisme, du moins de monophysisme. Et si nous nous efforçons assurément de tenir la pleine unité personnelle du Verbe fait chair, nous ne parvenons pas toujours à tenir, en même temps que la permanence de sa divinité, la vérité plénière de son humanité ÂÂ
Or telle est, ni plus ni moins, la foi christologique de lÂÂÉglise ! Il nÂÂest donc pas exclu que certains mépris du monde, certaines dévaluations du "temporel" et de lÂÂhumain aient en réalité leur racine dans une déviance doctrinale purement christologique. Le risque existe toujours, aujourdÂÂhui, quÂÂon veuille ré-instaurer un sacré séparé, et qui sépare, au nom dÂÂun divin qui nÂÂest justement pas celui qui sÂÂest révélé en Jésus-Christ, à savoir un pleinement Divin qui sÂÂest voulu et sÂÂest fait, précisément en Jésus-Christ, pleinement humain. Il en a résulté des conséquences graves sur la prise en compte quÂÂils ont faite de la valeur de lÂÂhomme et de la réalité du monde.
c. Sous le signe de la Croix, donc sous la marque du péché
Il faut cependant ajouter un point encore à notre considérant christologique : sÂÂil place lÂÂhumain, le mondain, le profane, le séculier sous le signe dÂÂune grâce de Dieu qui se fait elle-même pleinement humaine, lÂÂarticle central de notre credo lÂÂinscrit du même coup sous le signe de la Croix.
Cela ajoute nécessairement un aspect quÂÂil importe absolument de prendre en compte dans notre évaluation du défi adressé à la foi ecclésiale par le monde et sa sécularisation. Il apparaît en effet par là que lÂÂhomme et le monde sont assez radicalement marqués par le péché ! Non pas, certes, au point dÂÂavoir perdu toute "bonté ontologique", comme si le péché avait totalement corrompu la nature humaine (et mondaine) selon ce que prétend par exemple le luthéranisme classique, mais véritablement tout de même, avec la conséquence que, plus ou moins mais réellement, les réalités humaines de ce monde sont toujours à convertir, à redresser, à purifier, et donc toujours, pour une part, à interpeller et à dénoncer.
3. LÂÂaccomplissement eschatologique
Troisième et dernier considérant dogmatique, indispensable lui aussi à notre évaluation : notre credo se termine, à la fin de son troisième article, en reconnaissant la nécessité dÂÂune rémission des péchés (que nous venons du reste déjà dÂÂévoquer) ; mais bien au-delà de cela, il professe de surcroît lÂÂattente de la résurrection de la chair et de la vie éternelle. Une nouvelle fois, il y aura là un éclairage précieux pour notre problématique.
a. Elle passe la figure de ce monde
SÂÂil y aura, un jour, un accomplissement et même une consommation de toutes choses en Dieu, cela veut dire que toutes choses sont, en ce monde, relatives et provisoires. Elles nÂÂexistent toujours que selon le régime dÂÂune inéluctable caducité, que sous le signe dÂÂune essentielle fragilité. Elles sont, à la lettre, condamnées à mort à plus ou moins long terme, car « elle passe la figure de ce monde ».
Il nÂÂy a pas à voir là une raison de mépriser ou de déprécier la vie quÂÂil sÂÂagit de mener en ce monde ; dÂÂailleurs, pour lÂÂheure en tout cas, nous nÂÂen avons pas dÂÂautre ! Il y a plutôt là, tout au contraire, une belle et bonne raison dÂÂapprécier lÂÂexistence temporelle, de la chérir même, justement parce quÂÂelle ne durera pas toujours. La conscience de la non-éternité de ce monde que Dieu a voulu créer, quÂÂil nous a donné et où son Fils nous a rejoints, ne peut que nous porter à un juste attachement et même, disons-le, à un vrai amour à son égard.
Ce qui vient dÂÂêtre dit à propos du monde vaut aussi, mutatis muntandis, à propos de lÂÂÉglise. Elle nÂÂexisterait pas pour nous si elle nÂÂétait pas, elle aussi, temporelle, charnelle, mondaine : si elle nÂÂétait pas, elle aussi, logée à lÂÂenseigne du temps et du monde ÂÂ
Mais alors il faut bien considérer quÂÂelle non plus nÂÂa pas sa figure définitive. En elle aussi, autrement dit, le « pas encore » lÂÂemporte sur le « déjà-là ». Elle nÂÂa donc pas à se positionner par rapport au monde comme si elle seule, elle était déjà pleinement dans le définitif, tandis que le "pauvre" monde resterait, lui, logé à la simple enseigne du provisoire. La figure de la Jérusalem glorieuse et définitive nÂÂest pas encore descendue du ciel. Pour lÂÂinstant, elle est toujours, elle aussi, pérégrinante in terris. Ce qui nÂÂempêche que dÂÂelle aussi on peut estimer que ses fragilités mêmes nous la rendent précieuse, et lui valent notre attachement, notre engagement, notre dévouement, et tout notre amour.
b. Une dynamique dÂÂespérance
Nous rendant donc attentifs à la fragilité et à toutes les limites du présent de ce monde, la foi chrétienne en la consommation, un jour, de toutes choses, peut nous éveiller à lÂÂespérance. Elle peut même nous relancer sans cesse dans lÂÂespérance. Chaque fois que nous envahissent les tristesses et les angoisses de ce monde, chaque fois que nous accablent les misères et les souffrances de ce temps, nous pouvons trouver réconfort dans la Bonne Nouvelle eschatologique de notre foi : « LÂÂÂÂil de lÂÂhomme nÂÂa pas vu, son oreille nÂÂa pas entendu, et nÂÂest pas encore monté à son cÂÂur, ce que Dieu a préparé pour ceux quÂÂil aime. »
À la condition de ne pas céder, à partir de là, à lÂÂangélisme, à lÂÂexaltation ou à lÂÂ "enthousiasme", à la condition de "bien garder les pieds sur terre", une telle annonce peut être pour le monde, et elle est déjà pour les chrétiens qui vivent dans le monde et pour lÂÂÉglise quÂÂils y forment, un solide soutien, un puissant secours.
c. Dans le temps de ce monde
Reste alors à dire un mot de ce qui peut résulter pour notre vie, dans le temps de ce monde, de cette double dimension de notre foi eschatologique. Oui, elle passe, la figure de ce monde, ne le voit-on pas tous les jours ? Mais nous sommes déjà, et déjà définitivement, en route vers la consommation que Dieu nous a préparée en son Christ et dont, par son Esprit, il réalise chaque jour lÂÂanticipation même en nos vies mortelles : je viens de le rappeler.
Nous pouvons déduire de là une première consigne dÂÂexistence en ce temps de lÂÂentre-deux : il nous revient de nous mettre nous-mêmes, et dÂÂaider les autres à se mettre, toujours et partout, à la recherche, en ce monde tel qu'il est, des signes qui invitent et amènent sans cesse le présent à se dépasser lui-même, à se projeter en avant, à exister vers ce qui vient.
Nous pouvons aussi comprendre, deuxième consigne, quÂÂil nous faut toujours nous abstenir de juger et, à plus forte raison, de condamner. SÂÂimpose ici la leçon de la parabole du bon grain et de lÂÂivraie : tant que lÂÂheure de la moisson nÂÂa pas sonné, il ne faut pas tenter dÂÂextraire prématurément le bon grain, et de le dissocier de lÂÂivraie. Qui sait, en effet, si en prétendant se débarrasser définitivement de lÂÂivraie, on nÂÂarrachera pas en même temps le bon grain qui y est parfois si étroitement mêlé ? La "réserve eschatologique" qui sÂÂimpose ainsi interdit de jeter des anathèmes qui seraient bien précipités. Elle permet de traiter avec le monde de sorte quÂÂon soit toujours à même, ainsi, de réserver les "possibles" de Dieu.
Du reste, réserver les possibles de Dieu peut être entendu en un autre sens, beaucoup plus radical encore, selon lÂÂeschatologie chrétienne telle que la comprend, par exemple, un Hans Urs von Balthasar. À vues humaines, nous pouvons avoir lÂÂimpression que tant dÂÂhommes, dans le monde, sont tellement éloignés de Dieu voire tellement étrangers ou hostiles à lui, que, peut-être, cela pourrait bien leur valoir dÂÂêtre voués à la perdition éternelle ÂÂ
Or dans ce cas aussi, notre foi, et plus précisément notre foi eschatologique et lÂÂespérance quÂÂelle nourrit en nous, sont susceptibles de nous fournir une clé précieuse : nous pouvons cette fois réserver les "possibles" de Dieu au sens où un Balthasar nous invite à ne pas craindre dÂÂ « espérer pour tous ». Selon notre foi à nous, avec les limites terrestres des croyants que nous sommes, nous pourrions sans doute/peut-être désespérer du salut et de lÂÂaccomplissement de la Promesse pour un nombre assez important de nos frères en humanité, pour une grande part de ce monde, qui nous paraît si écartée de Dieu. Mais selon notre espérance en revanche, nous pouvons aussi envisager de les confier à la toute-puissante bonté et miséricorde dÂÂun Dieu qui dispose peut-être, par devers lui, de moyens qui nous échappent totalement à nous-mêmes, pour décider du sort éternel de ceux qui auront vécu dans le temps, avec toutes les limites que cela entraîne ?
IV. ÂÂ Pour des orientations pastorales
Nos deux premières parties nous ont permis dÂÂexaminer la situation telle quÂÂelle apparaît sur les deux "fronts" en présence : le monde et sa sécularisation dÂÂun côté, la religion, la foi et donc lÂÂÉglise de lÂÂautre. Nous venons, en une troisième étape, de nous donner les moyens dÂÂéclairer du point de vue de la foi les rapports de ces deux partenaires. Si nous avons pu dÂÂabord (I et II) constater à quel point et sous quelles formes la sécularisation du monde peut représenter un véritable défi pour la foi ecclésiale des chrétiens, après nos considérants théologiques (III), nous sommes en mesure de voir quel défi-en-retour la foi chrétienne, considérée en tout cas dans son essentiel, peut représenter pour un monde sécularisé. Il sÂÂagit maintenant (IV) de tirer de là quelques éléments susceptibles de nous éclairer pour la définition d'orientations pastorales et pratiques.
Pour ne pas prolonger trop, on donnera plutôt à cette quatrième partie la forme et la portée dÂÂune conclusion. Cela permettra du reste de mieux marquer les accents en fonction des "acteurs" concernés. Il y en aura trois, avec un mot marquant pour chacun dÂÂeux :
- le mot "grâce", qui renverra à Dieu ;
- le mot " acquiescement", qui concerne lÂÂhomme et lÂÂhumanité ;
- le mot "responsabilité", qui vaudra pour lÂÂÉglise.
1. Le primat de la grâce divine
Compte tenu de ce que nous ont enseigné nos considérants théologiques, il nous faut dÂÂabord ne jamais sortir de lÂÂidée que ce qui prime tout dans la gestion que nous avons à faire du rapport entre le monde sécularisé et le domaine de la foi, cÂÂest la grâce divine. Dans toutes nos entreprises pastorales, nous devons mettre en premier ceci :
- Dieu a créé ce monde liberrimo consilio, cÂÂest-à-dire par pur amour ;
- Dieu a tellement aimé ce monde quÂÂIl y a envoyé son propre Fils ;
- Dieu est si positif à lÂÂégard du monde, quÂÂIl veut sceller avec lui une Alliance qui débouche dans lÂÂéternité.
Face au monde, nos attitudes, nos actions doivent en premier lieu se référer à cela. Nous nÂÂavons donc pas dÂÂabord à chercher à le concurrencer, pas dÂÂabord à le mépriser ÂÂmême sÂÂil le mérite quelquefoisÂÂ, pas dÂÂabord à le dénoncer dans ses certes nombreuses misères et turpitudes. Nous ne pouvons pas nous lancer au nom de notre foi dans quelque entreprise de rapport au monde que ce soit, si nous ne mettons pas en avant que, par pure grâce, Dieu a aimé notre monde, continue de lÂÂaimer, et lÂÂaimera toujours : « Sache bien que tu as du prix à mes yeux et que, moi, je tÂÂaime » : voilà ce qui, en lÂÂoccurrence, doit fournir leur base à toutes nos décisions pastorales.
2. LÂÂindispensable acquiescement humain
Le deuxième mot, après la grâce, est lÂÂacquiescement − lÂÂacquiescement de lÂÂhomme. Ce que nous avons à présenter au monde, et qui est donc finalement la grâce de Dieu, il faut absolument nous arranger pour faire comprendre à lÂÂhomme que nous le présentons, que nous lÂÂadressons, à sa libre décision : à sa liberté.
Il nous faut renoncer, si jamais nous en étions tentés, à toute prétention à la contrainte. Nous ne voulons "propagander" personne. Nous proposons de grand cÂÂur à dÂÂautres ce que nous estimons par-dessus tout, parce que cela nous fait vivre nous-mêmes. Mais nous savons bien que nous ne convaincrons pas tout le monde, et nous déclarons dÂÂemblée que nous ne condamnerons définitivement personne de ne pas nous rejoindre. Nous renonçons de propos délibéré à tout moyen de pression. Nous rejoignons ici Péguy quand il fait dire à Dieu : « Quand on a connu ce que cÂÂest que dÂÂêtre aimé par des hommes libres, les prosternements dÂÂesclaves ne vous disent plus rien. » Nous annonçons une Bonne Nouvelle, en fonction de laquelle nous adressons des appels ; nous attendons des réponses libres, nous n'en rajoutons pas dans la culpabilisation.
3. La multiforme responsabilité ecclésiale
Le troisième mot est responsabilité : il permet, lui, de présenter le rôle de lÂÂÉglise. La responsabilité propre de lÂÂÉglise est appelée, en notre situation, à jouer de deux manières.
ÂÂ DÂÂabord, lÂÂÉglise doit répondre de ce quÂÂelle dit. Et ce quÂÂelle dit, cÂÂest Dieu et la grâce de Dieu, cÂÂest le Dieu de la grâce. Elle doit donc sÂÂarranger pour disparaître devant Lui, devant sa proposition à Lui. Elle doit nÂÂêtre et nÂÂapparaître quÂÂau service du Dieu dont il lui revient dÂÂannoncer et de communiquer la grâce salvifique et pardonnante. QuÂÂaurait-elle à dire, quÂÂaurait-elle à donner, quÂÂelle nÂÂait elle-même reçu ?
ÂÂ Ensuite, elle doit répondre à ceux auxquels elle prétend sÂÂadresser. Et elle a deux grands moyens de le faire : premièrement, la réflexion de la théologie, secondement, les effectuations de la charité. CÂÂest bien à la fois en donnant au monde quelque chose à comprendre (et donc en sÂÂefforçant de prendre en compte ses questions à lui), et en même temps en lÂÂaimant en actes et en vérité (et donc en se portant généreusement au secours des plus démunis de ses habitants), quÂÂon sera en mesure de lui faire pressentir puis, peut-être, découvrir et reconnaître à son tour, que Dieu lÂÂaime et quÂÂil nÂÂest donc pas condamné à la mort. Il nÂÂy a pas dÂÂautre manière responsable de répondre de ce quÂÂon annonce, quand ce quÂÂon annonce est une grâce, un amour totalement gratuit.
* * *
Je ne suis pas loin de penser qu'il n'y a sans doute pas l'imcompatibilité que l'on pourrait craindre entre :
ÂÂ d'une part notre monde de fait de plus en plus largement sécularisé,
ÂÂ et, de l'autre, un Dieu que non seulement l'évolution du monde mais la réinterrogation à laquelle elle convie notre foi nous invitent de plus en plus à reconnaître comme Celui qui, en Jésus-Christ, s'est précisément voulu et s'est définitivement révélé comme le Dieu de la Grâce du monde.