"Son âme fut agréable au Seigneur": par ces paroles du Livre de la Sagesse, nous sommes introduits dans le souvenir du Card. Van Thuân, qui nous a quittés il y a un an pour retourner à la maison du Père. Son âme était prête pour la rencontre éternelle avec l'Amour et avec la Paix. "Devenu cher à Dieu, il fut aimé de Lui": ces paroles, elles aussi tirées du Livre de la Sagesse, nous aident à mieux comprendre le sens de la mort du Card. Van Thuân: un événement qui nous permet une compréhension totale et véritable de toute son existence, car il est marqué lui aussi par l'amour.
Dieu, avec son amour providentiel et miséricordieux, l'accompagna, le soutint, le sauva dans les vicissitudes compliquées d'une vie vécue dans les moments les plus dramatiques du siècle dernier. Le Cardinal sut répondre à cet amour par un abandon confiant; il demeura fidèle au Seigneur, également dans les moments les plus sombres et dangereux de l'épreuve et de la tentation. Il affirmait que rester dans le Seigneur n'est ni une preuve d'oisiveté, ni de passivité. C'est une action, un acte d'amour pour Dieu: "Celui qui demeure en moi, et moi en lui, celui-là produit beaucoup de fruit" (Jn 15, 5). Le témoignage radieux du Cardinal nous fait pénétrer en profondeur la signification de l'Evangile de saint Paul: "Je suis crucifié avec le Christ; et ce n'est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi" (Ga 2, 20). Ainsi, notre prière sait également devenir une parole d'amour: Seigneur Jésus, je désire rester en Toi; Toi et moi nous serons un, une seule volonté, un seul coeur, un seul élan, un seul amour. On ne distinguera plus ce qui t'appartient de ce qui m'appartient.
Lorsque, dans le déroulement des affaires et des activités du dicastère, apparaissaient des problèmes ou se présentaient des difficultés compliquées à résoudre et à maîtriser, le Cardinal avait l'habitude de me rassurer en s'exclamant, avec une simplicité évangélique: "Ne vous inquiétez pas, le Seigneur nous sauve!" Il ne fuyait pas ses responsabilités, mais ramenait tout dans la juste perspective de la volonté miséricordieuse de Dieu et de son amour providentiel. Cette exclamation révélait la qualité spirituelle de la vie intérieure du Cardinal et constitue la clef pour pénétrer le mystère de son âme. Tout est entre les mains de Dieu et tout doit être remis entre ses mains, sans résistance et avec une confiance absolue. C'est ce qu'a écrit S.Exc. Mgr Martino: "Quiconque a eu la chance de rencontrer le Cardinal Van Thuân a immédiatement perçu qu'il se trouvait face à un authentique homme de Dieu, un homme de prière, qui ramenait tout à Dieu, en sachant reconnaître dans chaque expérience la main providentielle du Seigneur. Dans le martyre de l'amour de Dieu, il avait vécu son histoire personnelle douloureuse et dramatique de chrétien et d'Evêque, en participant toujours, de tout son être, à la communion divine miséricordieuse. Au cours des treize années de réclusion injuste dans les prisons vietnamiennes, le Cardinal affronta la solitude et souffrit de la tentation angoissante du désespoir. C'est précisément dans cette terrible désolation existentielle, qui l'avait privé de toute référence humaine et de toutes les relations ecclésiales, que son âme eut la grâce de ne pas tomber dans le désespoir, mais de s'ouvrir plutôt à la joyeuse reconnaissance de l'amour de Dieu et de sa présence miséricordieuse. Dieu se manifestait à Lui comme le Tout". Cela lui suffisait à redimensionner le poids et la souffrance de la privation de sa dignité personnelle et de la liberté: lorsqu'on est en communion avec Dieu, qui est le Tout, pourquoi se laisser angoisser par le reste?
Il méditait, au cours des terribles journées de son incarcération, sur la question posée par ses disciples à Jésus au cours de la tempête: "Maître, tu ne te soucies pas de ce que nous périssons?" (Mc 4, 38), jusqu'à ce qu'une nuit, du fond du coeur, une voix lui parlât: "Pourquoi te tourmentes-tu ainsi? Tu dois établir une distinction entre Dieu et les oeuvres de Dieu, tout ce que tu as accompli et désire continuer à faire, les visites pastorales, la formation des séminaristes, des religieux, des religieuses, des laïcs, des jeunes, la construction d'écoles, de centres pour étudiants, de missions pour l'évangélisation des non-chrétiens..., tout cela est une oeuvre excellente, ce sont des oeuvres de Dieu, mais elles ne sont pas Dieu! Si Dieu veut que tu abandonnes toutes ces oeuvres, en les mettant entre ses mains, fais-le immédiatement, et aie confiance en lui. Dieu le fera infiniment mieux que toi; il confiera ses oeuvres à d'autres, beaucoup plus capables que toi. Toi, tu as seulement choisi Dieu, pas ses oeuvres!". Il avait appris à faire la volonté de Dieu. Cette lumière lui apporta une force nouvelle, qui changea complètement sa façon de penser et qui l'aida à surmonter des épreuves physiquement presque impossibles. Nous avons ici, en termes essentiels, la pleine et profonde vérité d'un christianisme vécu saintement, de façon exemplaire. Tel fut vraiment le grand secret du Cardinal Van Thuân!
Ainsi sut-il vivre dans la joie du Christ ressuscité, dans le pardon, dans l'amour et dans l'unité, même face à des difficultés presque insupportables. Cette attitude fit également changer ses geôliers, qui devinrent ses amis. Ils l'aidèrent même, en cachette, à fabriquer une croix à partir d'un morceau de bois et ensuite à assembler une chaîne avec du fil électrique de la prison; une croix qu'il porta toujours, car elle lui rappelait l'amour et l'unité que Jésus nous a laissés dans son testament. Cette chaîne soutint toujours sa croix pectorale d'Evêque, puis de Cardinal, cette vieille croix de bois, recouverte d'un peu de métal. Croix de témoignage héroïque, croix d'amour.
L'amour donnait une profonde tonalité eucharistique à sa spiritualité. Cet enseignement du Cardinal sur l'Eucharistie, peu avant de mourir, en témoigne. On peut y saisir toute la délicatesse et la sensibilité de son âme, la simplicité complexe de son grand esprit: "Ce dont nous avons besoin, Jésus nous le donne dans l'Eucharistie: l'amour, l'art d'aimer: aimer toujours, aimer avec le sourire, aimer immédiatement et aimer ses ennemis, aimer en pardonnant, en oubliant d'avoir pardonné. Je pense que Jésus, dans l'Eucharistie, peut nous enseigner sept aspects de cet amour. Dans le cénacle, Jésus nous manifeste l'amour sacrifié: "Ceci est mon corps, offert en sacrifice pour vous". Après la Cène, lorsqu'il va au Gethsémani, c'est un amour abandonné: Jésus se sent abandonné par le Père, mais, pourtant, il s'abandonne complètement et totalement entre les mains du Père: "Non sicut ego volo sed sicut tu". Sur la croix, Jésus a manifesté l'amour consommé, car il nous a aimés jusqu'au bout et il a dit: "Tout est accompli". Il ne reste rien qu'il n'ait fait pour nous. Et, une fois ressuscité, lorsqu'il accompagne les deux disciples à Emmaüs, parlant avec eux en leur expliquant les Ecritures et se révélant à eux comme Eucharistie dans la fraction du pain, il s'agit d'un amour intime. Dans la Messe, Jésus s'offre entre nos mains chaque jour; son sacrifice pour nous et pour tous est un amour immolé, un amour mangé, comme disait le curé d'Ars. Dans le tabernacle, Jésus nous manifeste l'amour caché dans le silence et dans la prière. Dans l'ostensoir, Jésus nous montre l'amour rayonnant et nous sommes tous un rayon de Jésus, nous devons être une lumière comme il le désire"
Nous confions ces pensées à Marie, que le Cardinal Van Thuân aimait avec tendresse et priait avec ferveur: Elle saura les conserver dans son coeur de Mère et les rendre fécondes de bien et de grâce, au ciel et sur la terre.