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 Conseil Pontifical pour la Pastoral des Migrants et des Personnes en déplacement

V° Congrès Mondial de la Pastorale des Tsiganes

Budapest, Hongrie, 30 juin – 6 juillet 2003  

 

La Pastorale des Tziganes :

'Pour une spiritualité de communion'

(Extrait)

 

S.E Mons. Léo Cornélius, SVD 

Évêque de Khandwa, Inde 

 

Les Tziganes et l'Église 

L'expérience que les Tziganes vivent dans tous les Pays, et dans leur pays d'origine aussi, est marquée par la suspicion et le rejet des Gadjé. Nous pouvons dire que, sans aucun doute, leur identité est profondément marquée par l'expérience du rejet. Les Tziganes se voient exclus de la communion et de la communauté des Gadjé. La forme la plus douloureuse d'exclusion et de rejet vient de se voir considérés comme des criminels, des personnes antisociales et dangereuses, d'être soumis, par conséquent, à une vigilance continue et au contrôle des autorités, et de se voir finalement ségrégué par la société majoritaire. Trop peu nombreux sont les chrétiens qui ont tenté de construire des ponts entre Tziganes et Gadjé. Mais il est vrai aussi que quelques-unes des voix les plus fortes qui se sont élevées au service des Tziganes, sont bien celles de membres de l'Église Catholique, inspirés et alimentés par la parole que l'Église proclame. Ces mêmes voix, cependant, n'ont pas épargné leurs critiques à la même Église pour sa distance dÂ’avec les plus pauvres, comme les Tziganes. Ils manifestent souvent leur impression que la mission de l'Église, qui leur a été confiée, ne concerne pas l'ensemble de la communauté chrétienne, qu'ils sont trop seuls dans leurs efforts pour dépasser ou combler le fossé qui est allé en sÂ’élargissant entre les Gadjé et les Tziganes membres de l'Église. Historiquement, l'Église Catholique sÂ’est située, de préférence, plus du côté des Gadjé. Les Tziganes ne se sentent pas à leur aise dans nos églises et dans les assemblées chrétiennes. Il n'est pas rare, ensuite, de trouver des prêtres, des religieux/ses ou laïcs au service des Tziganes qui déclarent leur solitude et le manque de reconnaissance pour leur mission de la part des communautés ou d'autres prêtres et religieux. Leurs efforts pour créer une équipe de réflexion avec les Tziganes ne trouvent pas toujours beaucoup de soutien de la part des autres prêtres ou religieux. Ces observations et ces expériences manifestent la distance qui existe entre ce peuple et l'Église Catholique. 

Cependant, il y a toujours eu des ferments de compassion et de bonté dans le coeur de l'Église envers ce peuple. NÂ’ont pas manqué, au cours de l'histoire, les voix prophétiques qui ont apporté leur appui à la cause des moins favorisés. Pour citer seulement un exemple, le Pape Jean XXIII, dans Pacem in Terris, en traitant de l'idée de bien commun, citait Léon XIII : " On ne doit pas accepter que l'autorité civile serve l'intérêt d'individus ou de petits groupes, puisquÂ’elle a été établie pour l'avantage de tous". Et il continuait : " Cependant des raisons de justice et d'équité peuvent parfois exiger que les pouvoirs publics sÂ’occupent particulièrement des membres les plus faibles du corps social, qui se trouvent dans des conditions d'infériorité en faisant valoir leurs droits et en poursuivant leurs intérêts légitimes[1] ". En dÂ’autres termes, face au bien commun, le pauvre et le défavorisé ne se placent pas à côté du riche, mais devant lui. CÂ’est bien un des principes fondamentaux qui demeurent dans le coeur des disciples du Christ à travers les époques, même si ce nÂ’est pas toujours visible. Ce ferment assume une expression explicite dans le Décret Christus Dominus de Vatican II. Les Pères Conciliaires exhortèrent, en effet, à avoir "un intérêt spécial pour les fidèles qui, en raison de leur situation, ne peuvent bénéficier suffisamment du ministère pastoral ordinaire et commun des curés ou en sont totalement privés ; tels sont la plupart des émigrants, des exilés, des réfugiés, des marins ou des aviateurs, des nomades et autres catégories semblables[2]." Le Décret demandait aux Conférences Épiscopales de s'occuper des problèmes pressants de ces personnes. 

Pour mettre en oeuvre les directives indiquées par Vatican II, quelques structures furent créées. En 1965, le Pape Paul VI fonda, près de la Sacrée Congrégation pour les Évêques, le Secrétariat International pour l'Apostolat des Nomades, afin dÂ’apporter une aide spirituelle aux personnes sans domicile fixe. Ce Secrétariat fut intégré à la Commission Pontificale pour la Pastorale des Migrants et Personnes en Déplacement, avec le Motu Proprio Apostolicae Caritatis (19/3/1970). La Commission dépendait de la Sacrée Congrégation pour les Évêques. Plus tard, elle devint un Conseil, avec sa propre autonomie, dÂ’après la Constitution Apostolique Pastor Bonus sur la Curie Romaine (28/6/1988). L'article 150 dit expressément : " Le Conseil veille à ce que, dans les Églises particulières, soit offerte une assistance spirituelle efficace et appropriée soit aux réfugiés et aux exilés, soit aux migrants, aux nomades et aux gens du cirque." Le but de ce service du Conseil Pontifical englobe les nomades, c'est-à-dire les individus, familles et groupes qui mènent une vie nomade, soit pour raison ethnique, p. ex. les Tziganes, soit pour raison socio-économique, p. ex. les travailleurs du cirque. Il s'étend, aussi, à toutes ceux qui ne disposent pas d'une résidence permanente et qui donc ne peuvent pas bénéficier du ministère pastoral paroissial comme les Irlandais nomades, Belges ou allemands qui vivent en caravanes, les nomades du Bangladesh qui vivent dans des bateaux sur les fleuves, etc. Pendant la Première Rencontre Internationale organisée par la Commission (dÂ’alors) Pontificale en 1975, des représentants d'Africains nomades étaient présents, bien quÂ’ils ne soient pas Tziganes mais bergers comme les Touaregs du Sahara, les Masai de la Tanzanie et du Kenya, les Pygmée dÂ’Afrique Centrale, etc[3]

Bien que la pastorale pour les nomades soit très récente, elle nÂ’a pas manqué de la confiance et du soutien des derniers Papes. Il y a trente-huit ans, en recevant le premier pèlerinage des Tziganes, le Pape Paul VI a pu dire : " Vous êtes dans le coeur de l'Église[4]." Il y a trente ans, Jean Paul II s'adressait aux participants du IV° Congrès International organisé par le Conseil Pontifical pour la Pastorale des Migrants et Personnes en Déplacement avec ces mots : " L'action pastorale dans ses multiples facettes réalisée par des groupes de tziganes engagés apostoliquement, des Écoles de la Foi et des Écoles de la Parole, des services nationaux et diocésains, des aumôneries pour les tziganes et finalement du Conseil Pontifical pour la Pastorale des Migrants et Personnes en Déplacement, manifeste combien profond est l'amour de l'Église pour le peuple tzigane[5]." Les paroles du Pape se réfèrent au nombre d'activités et dÂ’organisations nées dans l'Église au service des Tziganes dans une brève période. Dans le même discours, le Pape rappelait à l'Église quÂ’elle ne doit pas ignorer l'histoire des Tziganes, notamment ses phases les plus tragiques, et il répétait ce quÂ’il avait déjà dit à l'occasion du 50° anniversaire de la fin de la Second Guerre Mondiale en Europe : " les souvenirs de la guerre ne doivent pas être oubliés ; ils doivent plutôt être une leçon sévère pour notre génération et les générations futures. Oublier tout ce qui est arrivé par le passé peut ouvrir la voie à de nouvelles formes de rejet et d'agressivité[6]." 

Le 12 mars 2000 fut célébrée la Journée du Pardon. Après l'homélie, le Saint-Père dirigea la prière des fidèles. Il commença le rite qui, en chacune de ses parties, incluait une introduction, suivie, après un moment de silence, de la prière, du chant de trois kyrie eleison et de l'allumage d'une bougie. Une des introductions lue par S. E. Mons. Stephen Fumio Hamao, Président du Conseil Pontifical pour la Pastorale des Migrants et Personnes en Déplacement invita au repentir pour les paroles et les attitudes inspirées par l'orgueil, la haine, la volonté de domination sur les autres, l'inimitié envers les adhérents des autres religions et envers les groupes sociaux plus faibles comme ceux des immigrants et des tziganes. Voici quelle fut la réponse de prière du Saint-Père : "... mainte fois les chrétiens ont désavoué l'Évangile et, en cédant à la logique de la force, ils ont violé les droits d'ethnies et de peuples, en méprisant leurs cultures et leurs traditions religieuses : montrez-vous patient et miséricordieux envers nous et pardonnez-nous[7]...." Cette prière du Pape fut un acte de reconnaissance des fautes passées de l'Église et une invitation constante à chacun de nous pour que nous examinions nos attitudes et nos actions envers les gens les moins favorisés. 

Dans l'homélie prononcée à l'occasion du Jubilé des Migrants et des Personnes en Déplacement le 2 juin 2000, le Saint-Père réaffirma la place d'égalité qui appartient aux Tziganes dans l'Église. Il dit : " Depuis le jour où le Fils de Dieu ‘a planté sa tente au milieu de nousÂ’ chaque homme est, d'une façon ou d'une autre, devenu le 'lieu' de la rencontre avec Lui[8]." Paul VI quÂ’il cite, affirmait : " Pour l'Église catholique personne n'est étranger, personne n'est exclu, personne n'est loin" (AAS) 58 [1966], pp. 51-59. Le Saint-Père indiquait quÂ’il nÂ’y a pas dÂ’étrangers ou de gens de passage, mais bien des concitoyens des saints et des membres de la famille de Dieu, cf. Ef 2,19, "... des attitudes de fermeture et même de rejet, dûes aux peurs injustifiées et au repli sur ses propres intérêts ne manquent pas dans le monde. Il s'agit de discriminations incompatibles avec l'appartenance au Christ et à l'Église[9]." Le Pape soulignait le principe général qui doit régler les relations entre Tziganes et Gadjé : " dans une société comme la nôtre, complexe et marquée par de multiples tensions, la culture de l'accueil demande à être accompagné de lois et de règles prudentes et clairvoyantes, ceci pour faire en sorte que chaque personne soit respectée et accueillie effectivement." Toute initiative que lÂ’on peut prendre au service des migrants et des personnes en déplacement doit être soutenue par la règle suivante : "Que lÂ’homme et le respect de ses droits[10] soient toujours mis au centre des phénomènes de mobilité." 

Novo Millénaire Ineunte 

Le Saint-Père Jean Paul II conclut sa Lettre Apostolique Novo Millénaire Ineunte avec les mots suivants : "Duc en Altum." Il s'agit d'un appel à un engagement renouvelé de notre mission dans le contexte du nouveau millénaire qui s'ouvre devant l'Église, " comme un vaste océan dans lequel s'aventurer, en comptant sur l'aide du Christ." Plus loin le Saint Père ajoute : " les routes sur lesquelles marchent chacun dÂ’entre nous et chacune de nos Eglises, sont nombreuses, mais il y n'a pas de distance entre ceux qui sont reliés ensemble par une communion unique"[11]

Les Tziganes sont un peuple qui a besoin de l'aide de l'Église et de ses ministres. L'Église, qui incarne l'image du Bon Samaritain de la parabole du Seigneur, ne peut pas ignorer cette situation de préjugés, dÂ’oppression, de rejet et de souffrance, sans répondre d'une manière qui parle de la bonté du Père céleste dans ce monde. L'objectif de la pastorale ecclésiale est toujours la formation d'un être humain bon et digne de Dieu et la création d'une communauté humaine qui vive et qui proclame la koinonia du Dieu trinitaire. Il est évident qu'une pastorale qui se propose ces objectifs, va bien au-delà de quelconques programmes socio-économiques. Qui vit dans la précarité et qui est lÂ’objet de préjugés et dÂ’oppression, a certainement besoin de programmes socio-économiques pour satisfaire ses besoins fondamentaux et immédiats. Les agents pastoraux doivent promouvoir de tels programmes et/ou y collaborer. Une pastorale ecclésiale pour les affamés doit les soulager dans leur besoin immédiat de nourriture. Cependant, donner à manger ne constitue pas le seul objectif de cette pastorale. Parfois il faudra exercer une certaine pression publique et politique contre les forces qui les accablent, de manière que l'affamé puisse être alimenté et quÂ’il soit possible de créer les conditions qui continuent à en assurer la subsistance. 

Ces efforts peuvent faire partie de la pastorale de l'Église, mais ils ne peuvent pas la représenter entièrement. Les programmes socio-économiques et politiques peuvent aider les gouvernements et les systèmes, mais si le coeur des gens ne se convertit pas, rien ne change réellement. Les nouvelles structures de gouvernement et les nouveaux instruments de service, sÂ’ils ne se basent pas sur une conversion du coeur, deviendront bientôt aussi accablants que les précédents. La Pastorale des Tziganes, l'Église et ses ministres, en conséquence, au-delà des programmes socio-économiques et politiques, doivent sÂ’efforcer à ce que les Tziganes et Gadjé soient capables de se considérer les uns les autres comme enfants de Dieu, dignes de respect réciproque. Ils doivent expérimenter la solidarité entre eux, en se reconnaissant comme membres de la même famille du Père et du Corps Mystique de Jésus Christ. Ils doivent apprendre à apprécier les aspects positifs de la culture de l'autre comme un cadeau précieux de Dieu à partager, en portant réciproquement les fardeaux les uns des autres. Ils doivent s'offrir lÂ’hospitalité chrétienne, en reconnaissant au plus profond de leur cÂœur que la terre et ses richesses appartiennent à Dieu et que tous nous sommes étrangers et pèlerins. Des siècles de manque de confiance, de suspicion et de préjugés, endurcis dans l'inconscient des groupes, ne peuvent pas être arrachés des coeurs avec de simples programmes socio-économiques et politiques. Aux différents groupes on doit donner la capacité de célébrer la koinonia dans un cadre humain, culturel et spirituel. Le rapport UNDP signale que ni les ONG Rom, ni aucun parti politique Rom ne jouissent de confiance significative à lÂ’intérieur même de leurs communautés. Celles-ci, d'autre part, ne montrent pas quÂ’elles aient beaucoup de confiance non plus dans les ONG non-Rom[12]. En dÂ’autres mots, même si elles travaillent pour le bien de ces groupes marginaux, elles ne jouissent pas de leur pleine confiance, ni ne sont reçues dans leur communauté. CÂ’est pourquoi la pastorale ecclésiale envers ces peuples doit jouer un rôle crucial pour créer la confiance. 

Une pastorale pour les Tziganes qui soit valide doit tendre à leur intégration dans la société, plus qu'à leur assimilation. Intégration signifie leur fournir l'opportunité de participer à la vie socio-économique sur un plan d'égalité, sans perdre leur propre identité distinctive[13]. Bien trop souvent les initiatives prises par les gouvernements ou d'autres organisations pour aider ce peuple ont prétendu les assimiler à la société majoritaire. Assimilation signifie "inclusion sociale aux dépens de l'identité distinctive du groupe. L'assimilation des minorités, en général ethniques, exige, en général, le sacrifice de leur différence ethnoculturelle pour gagner 'lÂ’opportunité de participer.' LÂ’assimilation a rarement réussi, au moins à bref ou à moyen terme. Les minorités peuvent perdre très aisément leurs différences caractéristiques, sans quÂ’ils gagnent 'lÂ’opportunité de participer[14]". Les programmes qui exigent l'assimilation partent d'une prémisse implicite, celle que le style de vie de la minorité en problème n'est pas seulement différent, mais dévié, déficient et même faux, et donc il doit être corrigé, changé et le peuple doit même être réhabilité. C'est une perspective hautement offensive et désagréable, pour utiliser des termes modérés. Cela ne peut jamais être la perspective et le programme à entreprendre. 

Les prêtres engagés dans la pastorale de ces groupes marginaux, comme le sont les Tzigane, ont la grande responsabilité de les mener à lÂ’interaction avec ceux qui représentent la majorité de la société. Il est compréhensible que, de côtoyer les injustices et les privations subies par ce peuple, les agents pastoraux partagent l'angoisse de ceux qui souffrent. Ils doivent, cependant, trouver en soi la force spirituelle pour que, à la fin, leur ministère soit un ministère de réconciliation et non de division. Mettre en oeuvre une option préférentielle pour les marginaux peut signifier, parfois, prendre position contre le groupe dominant. Dans la pastorale chrétienne, une telle attitude et ses expressions ne peuvent pas être purement politiques. Il ne sÂ’agit pas seulement de secouer l'opinion publique et de faire pression sur le groupe dominant, mais il sÂ’agit de convaincre l'autre, de l'inviter à une conversion du coeur, en proclamant la bonté de Dieu dans une situation de péché. Quand il faut ‘pousserÂ’, parfois littéralement, l'agent pastoral chrétien tâchera de répondre de manière que sa réponse laisse derrière elle un souvenir de bonté et de sens de Dieu qui se grave dans la mémoire de ceux qui sont présents. 


[1] Jean XXIII, Pacem in Terris, p. 56

[2] Vatican II, Christus Dominus, n° 18

[3] Cf. la Conférence de Mgr Anthony Chirayath à la Rencontre Internazionale sur la Pastorale des Nomades, Rome, jeudi 29 novembre 2001. Cf. en outre Velasio De Paolis : La Pastorale des Migrants et ses structures selon les Documents de lÂ’Eglise, People on the Move, Réfugiés, Marins, Nomades, Tourists, Tous en Déplacement, XXXIV (12/2001, p. 134

[4] Insegnamenti III (1965), p. 492

[5] Actes, Rome 6-8 juin 1995, Cité du Vatican, p. 9.

[6] Ibidem

[7] LÂ’Osservatore Romano, 13-14 mars 2000

[8] LÂ’Osservatore Romano, 2-3 juin 2000

[9] Ibidem.

[10] Ibidem.

[11] Novo Millénaire Ineunten° 58

[12] Information UNDP, op. cit. 82

[13] Information UNDP, op. cit. 16

[14] Ibidem

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