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 Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People

People on the Move - N° 88-89, April - December 2002

"LÂ’asile en France: état dÂ’urgence".

Declaration: accueillir les demandeurs dÂ’asile

Comité épiscopal des migrations
Commission sociale des Evêques de France
Justice et Paix-France 

Le droit dÂ’asile malmené 

Une longue tradition dÂ’asile

La France a une longue tradition dÂ’asile. A plusieurs moments de son histoire, elle a eu ses propres exilés : après la Révocation de lÂ’Edit de Nantes (1685), pendant la Révolution, sous lÂ’Occupation de la dernière guerre. En même temps, elle nÂ’a cessé dÂ’accueillir sur son sol à lÂ’époque contemporaine : les Arméniens fuyant le génocide, les Républicains au temps de la guerre dÂ’Espagne, les Chiliens sous le régime de Pinochet, et les réfugiés de lÂ’Est sous la dictature communiste.

CÂ’est au sortir du cauchemar nazi, voici exactement 50 ans, que la Convention de Genève, sous lÂ’impulsion de lÂ’ONU, a donné naissance à un système de protection sans précédent des réfugiés. Selon cette convention, le terme “ réfugié Â”, sÂ’applique à toute personne “ qui, craignant avec raison dÂ’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. Â” Ce texte oblige les Etats signataires à garantir la protection la plus étendue à des non nationaux, sans aucune considération de la nationalité dÂ’origine des intéressés. Il a permis de protéger 50 millions de personnes dans le monde depuis 1951.

La France a adhéré dès lÂ’origine à la Convention et a mis sur pied dès 1952 les organismes chargés dÂ’instruire les demandes individuelles de reconnaissance de la qualité de réfugié : lÂ’Office français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) et la Commission de Recours des Réfugiés, seule compétence pour statuer en appel des décisions de lÂ’OFPRA.

Une forme nouvelle de protection – connue sous le nom d’“asile territorial” - a été créée par la loi de 1998 pour lÂ’étranger qui est en mesure dÂ’établir que sa vie ou sa liberté est menacée dans son pays dÂ’origine ou quÂ’il y est exposé à des “traitements cruels, inhumains ou dégradants”. Cette innovation permet de prendre en compte certains types de persécution, notamment ceux dont les responsables ne sont pas des Etats, mais des groupes comme les GIA algériens par exemple. Cette loi a suscité beaucoup dÂ’espoirs, vite déçus.

Une demande dÂ’asile en forte hausse

Suite aux conflits et aux migrations qui bouleversent actuellement le monde, lÂ’Europe tout entière exerce un puissant effet dÂ’attraction par les conditions de vie quÂ’on y trouve et par sa proximité géographique, notamment du continent africain, de lÂ’Europe centrale et orientale, voire du Moyen-Orient. Mais les chiffres seuls sont impuissants à dire lÂ’histoire de chacun et les persécutions quÂ’il a connues, les menaces, les dangers et la fuite. Ils ne reflètent pas non plus les diverses situations personnelles auxquelles les réfugiés se trouvent confrontés, selon le pays où ils arrivent.

Tous les Etats de lÂ’Union Européenne sont signataires de la Convention de Genève de 1951 et travaillent à rapprocher leur politique dÂ’accueil en application du traité dÂ’Amsterdam. En octobre 1999, à Tampere en Finlande, les chefs dÂ’Etat et de gouvernement des pays de lÂ’Union ont pris un engagement solennel sur “le respect absolu du droit des demandeurs dÂ’asile”. Les premiers textes adoptés ensuite ont visé surtout à renforcer le contrôle des flux migratoires, car les demandes dÂ’asile augmentent fortement depuis 3 ans.

En France, cette demande, quoique encore inférieure à ce qui se passe dans certains pays comme lÂ’Allemagne ou la Grande-Bretagne, a progressé spectaculairement: 17 500 personnes ont frappé à la porte de nos frontières en 1996, 22 500 en 1998, 31 000 en 1999, 38 000 en 2000, probablement 48 000 en 2001. Les demandeurs, parfois avec leurs familles, arrivent maintenant de partout, souvent par lÂ’intermédiaire de filières qui font payer un prix fort élevé.

Les dispositifs dÂ’accueil sont saturés. Simplement, pour obtenir lÂ’autorisation provisoire de séjour (APS), qui est un passage obligé pour pouvoir ensuite déposer un dossier à lÂ’OFPRA, il faut obtenir un rendez-vous en préfecture. Ce rendez-vous est fixé dans des délais de plusieurs mois, jusquÂ’à dix mois dans certains cas extrêmes. 

Les délais de traitement du dossier par lÂ’OFPRA et la commission de recours sÂ’étirent sur des mois ou des années pour certains nationalités (Rwandais, ex-Zaïrois). Ces services sont complètement engorgés. Ne sont pas rares les dossiers qui mettent dix-huit mois à deux ans avant de connaître une solution définitive. 

Les critères de lÂ’application de la Convention de Genève sont interprétés dÂ’une façon très restrictive : seulement 17 % des demandes déposées ont été accordés par lÂ’OFPRA en lÂ’an 2000, soit 5200 décisions positives. Ceux dont la demande est acceptée obtiennent une carte de séjour pour 10 ans. Ceux qui nÂ’ont pas obtenu le statut quÂ’ils espéraient constituent cette catégorie importante des “déboutés du droit dÂ’asile” qui peuvent être reconduits à la frontière ou deviennent des “sans papiers”.

Les conditions dÂ’accueil sont très préoccupantes

Les centres dÂ’accueil pour demandeurs dÂ’asile (CADA), littéralement débordés, ne peuvent répondre à la fois aux besoins financiers, alimentaires et dÂ’hébergement. Il existait environ 3500 places de CADA, fin 1998. Au 1er janvier 2002, ce nombre aura été porté à 8500. La situation est particulièrement tendue à Paris et en Ile de France où se concentrent plus de 60 % des demandes. 

Durant le temps dÂ’attente, les demandeurs vivent dans lÂ’incertitude, dans la précarité. Ils ont quitté leur pays parce quÂ’ils y étaient menacés et ils ne bénéficient que dÂ’une protection au rabais quand ils arrivent en France. Ils nÂ’ont même pas le droit de travailler puisque, depuis 1991, lÂ’accès au marché du travail leur est interdit. Ils sont placés dans des situations dÂ’endettement, de dépendance vis-à-vis de compatriotes ou sont contraints de recourir au travail clandestin. LorsquÂ’ils obtiennent enfin leur autorisation provisoire de séjour, ils peuvent tout de même bénéficier dÂ’une allocation dÂ’insertion dont le montant est dérisoire et ne tient pas compte des enfants : 282 € (1850 FF) par mois et par adulte.

Autrement dit, le dispositif est aujourdÂ’hui totalement inadapté et défaillant. Il a même des effets pervers dans la mesure où les “déboutés du droit dÂ’asile” nÂ’apprennent la décision négative quÂ’après des années de procédure. On ne peut attendre 2 ou 3 ans sans se nourrir, se loger et sans travailler clandestinement. Installés, parfois même en bonne voie dÂ’intégration, ces “déboutés” ne peuvent plus repartir dans leur pays dÂ’origine. Se constitue ainsi un accroissement permanent des “sans papiers”. Le monde associatif se retrouve totalement incapable de répondre à ces situations dÂ’urgence et a lÂ’impression que lÂ’Etat se décharge sur lui. 

En ouvrant des droits aussi faibles aux demandeurs dÂ’asile et en cultivant chez elle la suspicion à leur égard, la France honore-t-elle une cause dont elle se prétend garante? 

Soulignons la situation particulière des mineurs isolés qui arrivent sur le territoire sans être accompagnés dÂ’une personne détenant lÂ’autorité parentale.

Leurs conditions dÂ’accueil sont déplorables. Les services de lÂ’Aide Sociale à lÂ’Enfance et les foyers éducatifs sont débordés et peu formés à lÂ’accueil de ces populations particulières qui ont souvent subi de graves traumatismes physiques et/ou psychologiques. Par ailleurs, un grand nombre de ces mineurs, pour des raisons non identifiées, ne sont pas confiés aux services sociaux et sont “lâchés” dans la ville avec un simple sauf-conduit de huit jours. Ceux-ci, ainsi que ceux qui fuguent des foyers, sont une proie facile pour les réseaux de travail clandestin ou de prostitution.

Face à ces mineurs isolés, les intervenants sociaux connaissent plusieurs difficultés :

- Dans lÂ’état actuel de la législation française, un mineur ne peut être expulsé. Dans le meilleur des cas, les structures éducatives travaillent en vue dÂ’une intégration scolaire, professionnelle et sociale, mais avec le risque dÂ’un refus de carte de séjour à leur majorité, suivi dÂ’une expulsion.

- Comme conséquence de “lÂ’espace Schengen”, un grand nombre de ces mineurs ne souhaitent pas rester en France mais aller dans lÂ’un des pays de lÂ’Union Européenne ou aux Etats-Unis pour rejoindre leur famille proche. Mais contrôlés en zone de transit, ils sont bloqués en France, dÂ’où le grand nombre de fugues et les nouveaux dangers encourus.

Eléments pour une réflexion chrétienne

“Dieu aime lÂ’étranger”

La Bible, tant dans lÂ’Ancien que dans le Nouveau Testament, nous offre une riche moisson de faits et dÂ’événements qui se rapportent à lÂ’accueil de lÂ’étranger et à lÂ’expérience de lÂ’asile.

LÂ’histoire biblique, inaugurée en Abraham, est quasi immédiatement placée sous le signe de lÂ’errance : “Dieu dit à Abraham : Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je tÂ’indiquerai …” (Gn 11,31 ; 12,1).

Cette errance se poursuit lors de la sortie dÂ’Egypte du peuple choisi et de sa pérégrination au désert pendant 40 ans. Israël est devenu un étranger en Egypte. Il fait lÂ’expérience dÂ’être de trop, dÂ’être un danger. Il est soumis à de rudes corvées et ses premiers-nés mâles sont éliminés. Aussi, sous la conduite de Moïse, prend-il la voie de lÂ’exil vers le pays de Canaan. 

Mais lÂ’expérience cruciale dÂ’Israël a été celle de lÂ’exil à Babylone à partir de 587, et pour une cinquantaine dÂ’années : nouvelle expérience de vie en terre étrangère qui lui permet de relire son histoire et de développer une intelligence particulière de lÂ’exil et de lÂ’accueil de lÂ’étranger. Il ne sÂ’agit pas seulement dÂ’avoir pitié de lÂ’étranger, mais de se souvenir quÂ’on a été soi-même étrangerÂ…et quÂ’on peut le redevenir. “Tu te souviendras que tu as été en servitude au pays dÂ’EgypteÂ…Il y aura toujours chez toi une gerbe, une grappe de raisin et suffisamment dÂ’olives pour que lÂ’étranger vive…” (Dt 24, 18 ss). Car “Dieu aime lÂ’étrange Â” (Dt 10,18).

“JÂ’étais un étranger et vous mÂ’avez accueilli”

Le message du Nouveau Testament se situe dans le prolongement de lÂ’Ancien. Dans sa façon de traiter les Samaritains, de respecter le centurion romain, de guérir la Cananéenne Jésus lui-même a constamment manifesté à ses contemporains son refus de toute discrimination. Personne nÂ’est étranger à son message puisquÂ’il est venu annoncer à tous quÂ’ils nÂ’ont quÂ’un seul Père.

Mais surtout dans sa grande fresque du Jugement dernier (Mt 25), Jésus-Christ sÂ’identifie lui-même à lÂ’affamé, au malade, au prisonnier, à lÂ’étranger: “JÂ’étais un étranger et vous mÂ’avez accueilliÂ…Tout ce que vous faites au plus petit dÂ’entre les miens, cÂ’est à moi que vous le faites”. Dans la personne de lÂ’étranger réfugié, il y a une présence spéciale du Fils de Dieu !

CÂ’est un message très actuel, dérangeant: il nÂ’est pas dans lÂ’air du temps. Mais il sÂ’adresse avec urgence à tous, citoyens et gouvernants. Message que ne cesse de rappeler aujourdÂ’hui le Pape Jean-Paul II lorsquÂ’il invite à voir dans lÂ’étranger clandestin ou dans le réfugié “lÂ’icône contemporaine du voyageur dépouillé, roué de coups ou abandonné sur le bord de la route de Jéricho”. Message qui a été fortement rappelé au cours du Synode des évêques réuni à Rome au mois dÂ’octobre 2001: “Nous ne pouvons pas ne pas exprimer notre solidarité avec la masse des réfugiés et des immigrés qui, par suite de la guerre, de lÂ’oppression politique ou de la discrimination économique, sont contraints dÂ’abandonner leur terre, à la recherche d‘un travail et dans un espoir de paix”, (Message au Peuple de Dieu n° 11).

Quelques mesures urgentes.

Ce sont tous les citoyens qui sont invités à transformer le regard quÂ’ils portent sur les demandeurs dÂ’asile. Le visage de lÂ’immigré change dans notre société: de travailleur immigré, il devient de plus en plus le réfugié qui fuit son pays pour insécurité 

Nous nous adressons surtout aux responsables politiques car ils adoptent une position attentiste et laissent aux seules associations humanitaires le soin de pallier aux difficultés. Aussi les invitons-nous à prendre plusieurs mesures dÂ’urgence, réalisables rapidement, afin dÂ’améliorer la qualité de lÂ’accueil de ces demandeurs dÂ’asile et de les traiter avec humanité.

1 – La durée des procédures trop complexes a des effets catastrophiques, entraîne une précarité extrême incompatible avec la convention de Genève, et incite au travail illégal pour simplement pouvoir subsister. Il est donc impératif de réduire les délais dÂ’attente afin que les demandeurs dÂ’asile sachent rapidement si leur demande est agréée.

Pour cela, il faut dÂ’une part simplifier les procédures (réduire le nombre de démarches à effectuer : Préfecture, OFPRA et éventuellement Commission de recours) et dÂ’autre part, de toute urgence, renforcer les moyens de lÂ’OFPRA et de la Commission des recours, spécialement en augmentant leur personnel et leur budget. Les organismes analogues en Allemagne et en Grande Bretagne disposent de moyens bien supérieurs. 

2 – Il faut que les demandeurs dÂ’asile aient le droit de travailler lorsque le délai de réponse à une demande dÂ’asile dépasse six mois ( à compter de la date du dépôt de leur première demande en Préfecture). Le travail nÂ’est pas seulement un moyen de subsistance: il permet également de respecter la dignité des personnes et donne la possibilité de mener une vie familiale normale.

La Commission européenne a fait une proposition de directive sur ce point précis de lÂ’accès au travail. La France devra donc de toute façon sÂ’exprimer sur cette question.

3 – Les procédures dÂ’accès à lÂ’asile territorial, prévu par la loi de 1998 sont inadaptées pour faire face aux traitements de dossiers individuels en grand nombre: il est souhaitable que leur durée soit réduite, spécialement en Préfecture. Ces procédures sont également opaques: elles devraient se dérouler dans une plus grande transparence et les critères dÂ’attribution de cet asile territorial gagneraient à être connus.

Il serait logique que lÂ’OFPRA se voit attribuer le pouvoir de décision en matière dÂ’asile territorial à la place du Ministère de lÂ’Intérieur. 

En matière de droits sociaux et de conditions dÂ’accueil, il serait logique que la situation des demandeurs dÂ’asile territorial soit alignée sur celle des réfugiés selon la Convention de Genève.

4 - Les droits sociaux et lÂ’hébergement des demandeurs dÂ’asile doivent être clairement pris en considération. Pour cela, il importe dÂ’accroître le nombre des logements spécialisés qui permettent dÂ’accompagner le demandeur dÂ’asile dans sa demande et dÂ’augmenter la prestation financière allouée, qui ne prend pas en compte la famille.

5 – Enfin la situation des mineurs doit être davantage prise en compte: ils sont demandeurs de protection pour laquelle il importe de trouver des solutions adaptées.

Dans notre société actuelle, “les pauvres” par excellence sont bien les demandeurs dÂ’asile, eux dont les vies sont détruites par la misère, la violence et lÂ’incertitude du lendemain. Tous les citoyens de notre pays sont appelés à soutenir les mesures qui leur permettront de sortir du silence et de lÂ’anonymat, et de vivre dignement parmi nous. Les chrétiens, en particulier, qui savent combien les psaumes font retentir le “cri de lÂ’oublié”, puisent dans la fidélité à lÂ’Evangile le désir de se faire “la voix des sans voix”.

Monseigneur Olivier de BERRANGER,
évêque de Saint-Denis,
Président de la Commission sociale des Evêques de France,

Monseigneur Jean-Luc BRUNIN,
évêque - auxiliaire de Lille,
Président du Comité épiscopal des Migrations,

Monseigneur Lucien DALOZ,
évêque de Besançon,
Président de “ Justice et Paix – France Â”.

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