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 Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People

People on the Move - N° 93,  December 2003, pp. 203-210

Repartir du Christ pour un monde plus chrétien 

(à la lumière des Saintes Ecritures)

R.P. Albert Vanhoye, S.J.

Professeur Em. à lÂ’Institut Biblique Pontifical

(Rome) 

En cette troisième journée du Congrès, le thème général, "repartir du Christ", est précisé par un sous-titre : "parier sur la charité". Ce sous-titre est une vraie trouvaille. On ne pouvait pas en choisir un qui fût plus indiqué, car repartir du Christ signifie avant tout repartir de son amour, de sa charité surabondante, rejoindre en lui la source de lÂ’amour divin qui veut transformer le monde en y établissant la civilisation de lÂ’amour. Pour une nouvelle pastorale des migrants et des réfugiés il nÂ’existe pas de base de départ plus adéquate ni dÂ’orientation plus féconde. "Repartir du Christ pour un monde plus chrétien", cela veut dire puiser dans le CÂœur du Christ le dynamisme de lÂ’amour qui rend capable de surmonter toutes les barrières, tous les obstacles à lÂ’union, et établir partout des rapports de solidarité fraternelle. "Un monde plus chrétien", en effet, est un monde où la charité du Christ est davantage présente et opérante.

On mÂ’a demandé de traiter maintenant ce thème "à la lumière des Écritures". Celles-ci nous offrent effectivement un enseignement très clair et très stimulant sur ce sujet.

Pour point de départ, il convient de prendre un épisode fondamental de lÂ’évangile, celui où Jésus est interrogé par un scribe, qui lui demande : "Quel est le premier de tous les commandements ?" (Mc 12,28 ; cf. Mt 22,36). La réponse à cette question nÂ’allait pas de soi. La Loi de Moïse, en effet, contient des centaines de préceptes et de prohibitions. Comment discerner, dans cette multitude, le point le plus important ? Il est vrai que la Loi ne met pas tout sur le même plan. Certains commandements y sont présentés comme plus importants que dÂ’autres. CÂ’est le cas, surtout, des dix commandements du décalogue. Selon le Deutéronome, ces dix commandements furent les seuls à être prononcés par Dieu lui-même sur le Sinaï aux oreilles de tout le peuple. Moïse y déclare : "Ces paroles, le Seigneur les a dites à toute votre assemblée sur la montagne, du milieu du feu, des nuages et de la nuit épaisse, avec une voix puissante, et il nÂ’a rien ajouté" (Dt 5,22). Les autres préceptes et prohibitions furent communiqués au peuple indirectement, par lÂ’intermédiaire de Moïse. De ce point de vue, il aurait été naturel de répondre au scribe que le premier de tous les commandements, cÂ’est le premier commandement du décalogue, celui où Dieu ordonne : "Tu nÂ’auras pas dÂ’autres dieux devant ma face" (Ex 20,3; Dt 5,7). LÂ’importance fondamentale de cette prohibition est indéniable. Jésus, pourtant, nÂ’a pas donné cette réponse, mais il est allé chercher ailleurs dans la Loi de Moïse, non pas un commandement unique, comme le demandait son interlocuteur, mais deux commandements, qui commencent tous les deux par les mêmes mots, les mots "Tu aimeras". "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu" (Dt 6,5), "Tu aimeras ton prochain" (Lv 19,18.34). Cette réponse de Jésus est extrêmement significative, à bien des égards.

En premier lieu, Jésus y affirme clairement la primauté de lÂ’amour de charité et nous invite donc à "parier sur la charité" plutôt que sur toute autre attitude ou orientation. Pourquoi convient-il de parier sur la charité plutôt que sur lÂ’observance dÂ’un certain nombre de règles, les plus judicieuses possibles ? Pourquoi Jésus ne sÂ’est-il pas référé au décalogue ? Pourquoi a-t-il préféré le double commandement de lÂ’amour ? Il avait assurément de nombreux motifs pour justifier cette option.

Un premier motif est que le décalogue sÂ’exprime le plus souvent de façon négative : "Tu nÂ’auras pas dÂ’autres dieuxÂ…Tu ne te feras pas dÂ’idoleÂ…Tu ne prononceras pas à tort le nom du SeigneurÂ… Tu ne tueras pas. Tu ne seras pas adultère. Tu ne voleras pasÂ…" (Ex 20,3-17). Tout cela, ce sont des interdictions ; elles disent où il ne faut pas aller, mais nÂ’indiquent pas où il faut aller. Elles nÂ’expriment pas un dynamisme positif. Le 4e commandement semble positif ; il exige lÂ’observance du sabbat, mais cette observance est aussitôt définie de façon exclusivement négative : "Tu ne feras aucun travail" (Ex 20,10). Un autre commandement est positif, il prescrit dÂ’honorer son père et sa mère (Ex 20,12). Il est important, mais il ne concerne que les relations avec deux personnes ; sa portée est donc très limitée. Jésus nÂ’a pas voulu choisir des interdictions, ni se contenter dÂ’un précepte de portée restreinte. Il a choisi deux formules dynamiques qui, au lieu dÂ’interdire, poussent à aller de lÂ’avant dans une direction très positive, celle de lÂ’amour. Elles ouvrent des perspectives illimitées, qui invitent à de continuels progrès, car il sÂ’agit dÂ’aimer "de tout son cÂœur, de toute son âme, de toute sa force", selon le Deutéronome (6,5), et lÂ’évangile ajoute encore : "de toute son intelligence" (Mt 22,37 ; Mc 12,30 ; Lc 10,27)

Il y a donc lieu de "parier sur lÂ’amour de charité", parce que cet amour est un puissant dynamisme. "Les grandes eaux ne peuvent pas éteindre lÂ’amour ni les fleuves le submerger" (Ct 8,7). La pastorale des migrants et des réfugiés a besoin avant tout de ce dynamisme. Toute son organisation doit être inspirée par lÂ’amour de charité, imprégnée de cet amour. Elle doit viser à communiquer cet amour, car les migrants et les réfugiés ont surtout besoin dÂ’être accueillis comme des personnes dignes dÂ’amour. Ils nÂ’ont pas seulement besoin dÂ’être secourus, ils ont besoin de se sentir respectés et aimés. Ils ont aussi besoin dÂ’être encouragés à vivre eux-mêmes dans lÂ’amour. Pour être complète, en effet, la pastorale doit, me semble-t-il, prendre comme objectif dÂ’aider les migrants et les réfugiés à vivre dans lÂ’amour. Souvent, leur situation les pousse plutôt dans la direction opposée, car elle suscite en eux des sentiments de frustration, de mécontentement et dÂ’opposition. Il faut tout faire pour lÂ’améliorer et pour restaurer en eux le dynamisme positif de lÂ’amour de charité. "Parier sur la charité" comporte aussi cet aspect : parier non seulement sur la charité que lÂ’Esprit Saint verse dans nos cÂœurs pour venir en aide généreusement aux migrants et aux réfugiés, parier non seulement sur la charité dÂ’autres personnes qui nous aideront dans cette mission ecclésiale, mais parier aussi sur la charité que lÂ’Esprit Saint veut verser dans les cÂœurs des migrants et des réfugiés en nous prenant comme instruments de son action.

Un autre motif du choix de Jésus est suggéré par la situation de lÂ’épisode dans le récit évangélique. LÂ’interrogation sur "le premier de tous les commandements" y vient avant le récit de la Passion et sert visiblement à éclairer le sens de la Passion comme parfait accomplissement du double commandement de lÂ’amour. La chose est particulièrement manifeste dans lÂ’évangile de Marc ; elle lÂ’est moins dans lÂ’évangile de Matthieu, qui a surchargé cette section. Dans le chapitre 12 de lÂ’évangile de Marc, tous les épisodes sont en rapport avec le mystère pascal de Jésus ; ne font exception que les dernier versets (Mc 12,38-44). Le chapitre commence par la parabole des vignerons homicides, claire annonce de la Passion, suivie dÂ’une annonce de la glorification évoquée par la citation du Ps 118,22-23 sur la pierre rejetée par les bâtisseurs, qui devient pierre angulaire (Mc 12,1-11). Une tentative dÂ’arrestation de Jésus montre ensuite combien le danger est imminent (Mc 12,12). Vient alors la question insidieuse des pharisiens sur le tribut à César (Mc 12,13-17). Devant Pilate, Jésus sera accusé dÂ’avoir empêché de verser ce tribut (Lc 23,2). LÂ’épisode suivant a pour acteurs les sadducéens, qui expriment leurs objections contre la résurrection, objections réfutées victorieusement par Jésus (Mc 12,18-27). CÂ’est ensuite que se place notre épisode, interrogation sur "le premier de tous les commandements" (Mc 12,28-34). Selon le premier évangéliste, cÂ’est une question insidieuse, comme celle sur le tribut à César (cfr. Mt 22,35). Après y avoir répondu, Jésus prend lui-même lÂ’offensive, en posant la question de la filiation du Messie et en citant le psaume 110 : "Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Siège à ma droiteÂ…" (Mc 12,35-37). Au cours de la Passion, cÂ’est ce texte du psaume quÂ’il utilisera pour répondre au grand prêtre et affirmer sa filiation divine (Mc 14,61-62). On ne se trompe donc pas en discernant une relation étroite entre la réponse donnée par Jésus à la question sur "le premier de tous les commandements" et, dÂ’autre part, sa propre attitude dÂ’âme pendant sa Passion. 

Dès avant sa Passion, cette attitude se manifeste dans lÂ’institution de lÂ’eucharistie. Jésus y prend à lÂ’avance sa Passion, rendue présente dans le pain rompu et le vin versé, qui deviennent son corps et son sang, et il sÂ’en sert pour un don dÂ’amour extrême. LÂ’amour envers le Père sÂ’exprime dans la double action de grâces prononcée par Jésus ; lÂ’amour envers ses sÂœurs et ses frères sÂ’exprime dans le don de son corps et de son sang, don offert alors à ses disciples, mais qui ne se limite pas au petit groupe présent : il est destiné à la "multitude" (Mc 14,22-24). DÂ’abord exprimé comme amour reconnaissant, lÂ’amour de Jésus envers le Père se manifeste ensuite dans toute sa générosité, par la prière de lÂ’agonie, comme une parfaite docilité filiale, une union héroïque des volontés : "Non pas ce que je veux, mais ce que tu veux" (Mc 14,36).

Déjà perceptible dans les évangiles synoptiques, la double dimension de lÂ’amour de Jésus devient plus explicite dans le quatrième évangile. Allant à sa Passion, Jésus déclare nettement : "CÂ’est afin que le monde sache que jÂ’aime le Père et que jÂ’agis comme le Père me lÂ’a ordonné" (Jn 14,31). Son amour pour le Père pousse Jésus à aimer en même temps ses frères. LÂ’évangéliste introduit le récit de la dernière Cène en affirmant que Jésus, "ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusquÂ’à la fin " (Jn 13,1), cÂ’est-à-dire jusquÂ’au don total de lui-même. "Il nÂ’y a pas de plus grand amour que dÂ’offrir sa vie pour ceux quÂ’on aime" (Jn 15,13). Jésus a vraiment "accompli" le double commandement de lÂ’amour. Il a réellement aimé "de tout son cÂœur, de toute son âme, de toute sa force". Il a aimé jusquÂ’à la mort.

On peut dire que Jésus a "parié sur la charité". Pour sauver le monde, il nÂ’a pas parié sur sa toute-puissance divine, il nÂ’a pas parié sur la lumière de son enseignement, il a parié sur lÂ’amour poussé à lÂ’extrême, sur le puissant courant dÂ’amour qui lui venait du Père, remplissait son CÂœur et débordait de tous côtés. Un amour capable de la plus complète abnégation et des plus audacieuses innovations, celle, en particulier, du mystère eucharistique, qui met à la disposition des croyants la force victorieuse de cet amour. SÂ’il nous est possible de "parier sur la charité", cÂ’est précisément parce que Jésus met à notre disposition, dans lÂ’eucharistie, la force de son amour, quÂ’il rend présent comme il était à la dernière cène, cÂ’est-à-dire au moment de la plus grande générosité, moment de la victoire complète de lÂ’amour sur le mal et sur la mort.

Revenant maintenant à lÂ’interrogation du scribe sur "le premier de tous les commandements", nous pouvons remarquer la double originalité de la réponse de Jésus. Nous avons déjà observé la première originalité, qui consiste en ce que Jésus nÂ’a pas choisi un commandement du décalogue. Une seconde originalité sÂ’y ajoute : Jésus est allé au delà de la demande du scribe. Cette demande ne concernait quÂ’un seul commandement, le premier de tous. Jésus, de son propre mouvement, a défini en outre le second commandement. Au commandement de lÂ’amour de Dieu, il a uni étroitement celui de lÂ’amour du prochain. Dans lÂ’Ancien Testament, ces deux commandements sont très distants lÂ’un de lÂ’autre. Ils ne se trouvent pas dans le même livre. Le premier se trouve dans le Deutéronome (Dt 6,5) ; le deuxième dans le Lévitique, où il est répété deux fois (Lv 19,18.34). Jésus les unit lÂ’un à lÂ’autre, et déclare que "il nÂ’y a pas dÂ’autre commandement plus grand que ceux-là" (Mc 12,31). Il a même lÂ’audace, selon le premier évangile, de dire que le deuxième est "semblable" au premier et que "de ces deux commandements dépendent toute la Loi et les prophètes" (Mt 22,40). LorsquÂ’on veut "parier sur la charité", il convient dÂ’être très conscient de lÂ’union étroite mise par Jésus entre les deux dimensions de lÂ’amour. La charité nÂ’est pas un simple amour humain, une simple philanthropie. CÂ’est un amour divin, un amour en même temps divin et humain, une participation à lÂ’amour divin et humain du CÂœur de Jésus. La charité est divine en plusieurs sens. En premier lieu, par son origine : cÂ’est un amour qui a sa source en Dieu, amour versé dans nos cÂœurs par lÂ’Esprit Saint (cf. Rm 5,5). Elle est divine par sa nature, car elle est une participation à la vie même de Dieu. Elle est divine par son orientation, car elle nous fait aimer Dieu et aimer les autres personnes avec Dieu. Elle est en même temps humaine, car elle prend notre affectivité humaine, sÂ’exprime par des gestes humains, des paroles humaines, des dévouements au service des personnes humaines. Votre dévouement pastoral au service des migrants et des réfugiés nÂ’est pleinement valable — vous le savez bien — que sÂ’il part dÂ’un cÂœur uni à Dieu. CÂ’est dÂ’abord et avant tout une Âœuvre du Christ lui-même, à laquelle vous êtes associés et que vous ne pouvez réaliser avec lui que si vous êtes unis à son CÂœur. "Parier sur la charité", cÂ’est surtout parier sur la charité du CÂœur du Christ.

En unissant étroitement le deuxième commandement au premier, Jésus a révélé la manière authentique de comprendre lÂ’un et lÂ’autre. Cette union était déjà préparée dans lÂ’Ancien Testament, car de nombreux textes y exprimaient une connexion entre le respect de Dieu et les relations avec les personnes humaines. Cette connexion apparaît avec force dans le chapitre 19 du Lévitique, celui, précisément, qui contient le commandement de lÂ’amour du prochain. Les préceptes concernant les relations humaines y sont appuyés dÂ’une déclaration concernant la relation avec Dieu ; à de nombreuses reprises Dieu y dit : "CÂ’est moi, le Seigneur" (Lv 19,3.10.12.14.16.18.31.32.34.36.37). Il prescrit, par exemple : "NÂ’insulte pas un sourd et ne mets pas dÂ’obstacle devant un aveugle ; cÂ’est ainsi que tu auras la crainte de ton Dieu. CÂ’est moi, le Seigneur" (Lv 19,14). Ces textes, toutefois, ne parlent pas dÂ’amour de Dieu et nÂ’ont donc pas la même portée que la réponse de Jésus au scribe.

A propos de lÂ’Ancien Testament, une constatation présente pour notre thème un intérêt particulier. Le commandement de lÂ’amour du prochain sÂ’y trouve appliqué explicitement aux immigrés. Ce fait passe habituellement inaperçu. On dit ordinairement que la réponse de Jésus se réfère au texte de Lv 19,18. On oublie le verset 34, qui répète le même précepte à propos des immigrés.

Dans le premier passage, le commandement de lÂ’amour du prochain nÂ’a quÂ’une extension limitée et il est expliqué en termes négatifs : "NÂ’aie aucune pensée de haine contre ton frère" (Lv 19,17), cÂ’est-à-dire contre un autre Israélite ; "ne te venge pas et ne sois pas rancunier è lÂ’égard des fils de ton peuple : cÂ’est ainsi que tu aimeras ton prochain comme toi-même" (Lv 19,18, traduction de la TOB).

Le second passage élargit la perspective et sÂ’exprime de façon positive : il applique le commandement à des personnes qui ne sont pas Israélites et il prescrit positivement de les traiter comme des Israélites. Voici le texte :

"LorsquÂ’un immigré se sera installé chez toi, dans votre pays, vous ne lÂ’exploiterez pas ; cet immigré installé chez vous, vous le traiterez comme un autochtone, comme lÂ’un de vous ; tu lÂ’aimeras comme toi-même, car vous-mêmes vous avez été des immigrés dans le pays dÂ’Égypte. CÂ’est moi le Seigneur, votre Dieu" (Lv 19,33-34). LÂ’extension du précepte est notable. Elle correspond à une orientation fréquente dans lÂ’Ancien Testament , qui se préoccupe de donner un statut positif à lÂ’étranger résident, qui se nomme en hébreu : le ghér. La Loi de Moïse recommande plusieurs fois de bien le traiter (cf. Ex 22,20 ; 23,9) ; le Deutéronome invite à lÂ’aimer (Dt 10,19), car Dieu lui-même "aime lÂ’immigré et lui donne nourriture et vêtement" (Dt 10,18). LÂ’immigré est mentionné plusieurs fois avec la veuve et lÂ’orphelin, autres catégories défavorisées, à qui la législation assure une spéciale protection (cf. Dt 10,18 ; 14,29 ; 24,17.19.20.21).

Il faut toutefois remarquer que lÂ’extension du précepte à lÂ’immigré nÂ’est pas une extension universelle. LÂ’Ancien Testament en reste è une conception limitée du prochain. Sa législation ne considère pas le cas des réfugiés. Elle ne pense pas à cette catégorie, mais seulement à lÂ’étranger qui habite de façon stable dans le pays. Quelques textes narratifs apportent toutefois, sur ce point, des compléments, en montrant des exemples de généreuse hospitalité (cf. Gn 18,1-8 ; Ruth 2,8-9.14-16).

Dans lÂ’évangile, Jésus a mis en pleine lumière lÂ’importance du commandement de lÂ’amour du prochain et il lui a donné une extension universelle. Il sÂ’est opposé résolument à la mentalité pharisienne, qui, en fait, séparait le premier commandement du deuxième, car elle prétendait aimer Dieu en se séparant des autres hommes. Un préoccupation unilatérale de pureté religieuse conduisait les pharisiens à manquer de solidarité. La prière du pharisien est révélatrice à ce sujet. «Le pharisien, debout priait ainsi en lui-même : O Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme les autres hommes, qui sont voleurs, malfaisants, adultèresÂ…» (Lc 18,11). Jésus, au contraire, a proclamé que, sans lÂ’amour du prochain, lÂ’amour de Dieu nÂ’est pas authentique. On ne peut pas séparer lÂ’un de lÂ’autre les deux commandements de lÂ’amour. La Première Lettre de Jean le déclare nettement : "Si quelquÂ’un dit : JÂ’aime Dieu, et quÂ’il haïsse son frère, cÂ’est un menteur" (1 Jn 4,20). Pour plaire à Dieu, les chrétiens doivent accueillir dans leur cÂœur lÂ’amour de Dieu, qui sÂ’étend aux autres personnes. Aux pharisiens qui le critiquaient Jésus a rétorqué : «Allez donc apprendre ce que signifie cette parole [de Dieu] : "CÂ’est la miséricorde que je veux et non le sacrifice rituel" (Os 6,6)» (Mt 9,13 ; cf. 12,7). La meilleure façon dÂ’aimer Dieu nÂ’est pas de lui rendre un culte extérieur, mais dÂ’accueillir sa miséricorde et de la répandre sur tous ceux qui sont dans la misère. Jésus lui-même a pratiqué continuellement cette façon dÂ’aimer Dieu. Il sÂ’est mis entièrement à la disposition de la miséricorde de son Père envers les pauvres et les petits, les malades et les infirmes, les personnes méprisées et marginalisées, envers les foules affamées de pain et de vérité, envers les pécheresses et les pécheurs ; à la fin, il a donné "sa vie en rançon pour la multitude" (Mc 10,45 ; Mt 20,28) ; "il est mort pour tous" (2 Co 5,15).

LÂ’amour de Dieu pour les hommes est un amour universel. Il les a tous créés. Dans le Christ, il leur offre à tous le salut (cf. Rm 5,18 ; 1 Tm 2,5-6). Il sÂ’ensuit que lÂ’union du deuxième commandement au premier exige que lÂ’amour du prochain soit universel. Mon prochain, cÂ’est nÂ’importe quelle personne humaine que les circonstances mettent sur mon chemin. Je suis appelé à lÂ’aimer, même si elle est misérable, surtout si elle est misérable. Je suis appelé à lÂ’aider, si elle a besoin de mon aide. Plus que dÂ’autres, les migrants et les réfugiés ont besoin dÂ’aide et dÂ’amour. Le Seigneur nous invite donc à répondre à leurs besoins et il met à notre disposition pour cela lÂ’inépuisable charité de son CÂœur. Dans lÂ’évangile de Luc, Jésus précise en ce sens universel le précepte de lÂ’amour du prochain. Son interlocuteur lui demandait : "Qui est mon prochain ?" (Lc 10,29) ; il voulait connaître les limites au dedans desquelles le précepte lÂ’obligeait. Mon prochain, est-ce simplement mes proches, ma famille, mes amis ? faut-il y inclure tous les gens de mon village ou de ma ville ? tous les citoyens de mon pays ? faut-il aller plus loin encore ? jusquÂ’où faut-il aller ? Et quels sont les gens que je peux exclure ? Telle était la question du légiste. Jésus nÂ’y a pas répondu, et cela est très significatif. Jésus a refusé de fixer des limites à lÂ’amour du prochain. Il a raconté la parabole du Bon samaritain (Lc 10,30-35) ; celle-ci met en scène un homme qui ne se pose pas la question du légiste. Le Bon samaritain ne sÂ’est pas demandé si le blessé que des bandits avaient laissé à demi mort au bord de la route faisait partie ou non de son prochain. Il a simplement constaté sa détresse et, rempli de compassion, il lui est venu généreusement en aide. Il sÂ’est fait ainsi lui-même le prochain de cet inconnu. Par cette parabole, Jésus nous invite à ne mettre aucune limite à notre notion de prochain, mais bien plutôt à supprimer les barrières et à créer partout des rapports de proximité effective et efficace, des rapports dÂ’amour et de solidarité.

Jésus a toujours refusé de séparer les deux dimensions de lÂ’amour. Le mystère de son Incarnation a renforcé leur union au plus haut point. Lui, le Fils de Dieu, nÂ’a pas hésité à sÂ’identifier avec toutes les personnes qui se trouvent dans des situations de difficulté et de dénuement, les personnes            qui ont faim et soif, qui nÂ’ont rien pour sÂ’habiller ni pour se loger, qui sont incarcérées. Il sÂ’est identifié, en particulier, à lÂ’étranger qui est hors de son pays et a besoin dÂ’être accueilli (Mt 25,35.43). Il nous demande de le reconnaître, lui, en toutes ces personnes, de lÂ’aimer et de le secourir.

Jésus a enseigné une charité universelle et désintéressée. La pastorale des migrants et des réfugiés correspond pleinement à cette orientation, exprimée de manière très concrète dans un conseil de Jésus rapporté par Luc : "Quand tu donnes un banquet, dit Jésus, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles et tu seras heureux, parce quÂ’ils nÂ’ont pas de quoi te rendre" (Lc 14,13-14). Jésus désire pour nous la joie divine de lÂ’amour généreux, sans aucun mélange de recherche intéressée. Se dévouer pour les migrants et les réfugiés donne cette joie profonde, car ces personnes nÂ’ont pas la possibilité de nous procurer des biens matériels. Notre joie est plus grande encore, lorsque notre dévouement suscite de leur part une réponse dÂ’amour reconnaissant et donc une union dans lÂ’amour. Le monde devient ainsi plus chrétien.

Pour ne pas abuser de votre attention, ma conclusion sera très brève :les Saintes Écritures montrent on ne peut plus clairement que "repartir du Christ pour un monde plus chrétien" exige avant tout de "parier sur la charité", en la recevant de sa source divine grâce au CÂœur du Christ et en la communiquant généreusement à toutes les personnes qui nous sont confiées. La Pastorale pour les Migrants et les Réfugiés trouve là lÂ’orientation la plus stimulante et la plus féconde.
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