Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People People on the Move - Supp. N° 93, December 2003, pp. 311-314 SuisseRev. P. Jean-Bernard Dousse, O.P. Aumônier National des Gens du Voyage Situation de notre intervention La Suisse a ses propres Gens du Voyage. Ce sont des Jenisch, nomades aux origines encore mal déterminées, qui se distinguent des autres ethnies par le fait quÂÂÂils nÂÂÂont pas dÂÂÂascendance orientale, mais sont probablement des européens (?). Ceux qui vivent en Suisse ont été intégrés et ont reçu la bourgeoisie de communes suisses au 18e siècle. Par certains traits de leur caractère, ils sont bien ÂÂÂsuissesÂÂÂ et se distinguent par là des tsiganes dÂÂÂautres ethnies, bien quÂÂÂils aient avec ceux-ci de nombreux traits communs et quÂÂÂil existe aussi des similitudes linguistiques. Nomades dans lÂÂÂâme, ils sont partiellement sédentarisés, ne voyageant que durant la bonne saison, de mars à novembre. Ils sont généralement catholiques. Mais depuis quelques années, les évangélistes exercent parmi eux un prosélytisme souvent anti-catholique qui divise les familles et y met la zizanie. Certes vivent aussi en Suisse des familles appartenant à dÂÂÂautres ethnies. Certes les mouvements de populations qui touchent lÂÂÂEurope nous atteignent aussi. Mais jusquÂÂÂà présent, en raison surtout dÂÂÂune politique gouvernementale rigide de refoulement aux frontières, ces mouvements nÂÂÂont pas concerné lÂÂÂactivité pastorale de notre aumônerie. Notre champ dÂÂÂobservation et de travail se limite donc pour lÂÂÂinstant au monde Jenisch. Rencontres et incompréhensions Nous notons deux lieux principaux dÂÂÂincompréhensions et dÂÂÂantagonismes: lÂÂÂappartenance confessionnelle que nous venons de signaler, et la diversité de cultures entre nomades et sédentaires, celle-ci se faisant sentir aussi bien dans la société civile que dans la vie religieuse. A. La diversité dÂÂÂappartenance confessionnelle Celle-ci devrait être une invitation au dialogue, en vue dÂÂÂune compréhension et dÂÂÂune acceptation mutuelles dans le respect de lÂÂÂautre. Or force est de constater que ce dialogue est pratiquement impossible en raison du durcissement anti-catholique des responsables évangélistes. Pour que la vie en commun sur les terrains et au sein des familles reste possible, les catholiques évitent la discussion, qui pourrait facilement dégénérer en polémique et en agressivité. Donc, sur ce point précis, nous nÂÂÂavons pas encore pu entamer un dialogue, tout en reconnaissant quÂÂÂil sÂÂÂavère indispensable. Un autre facteur indispensable pour que le dialogue puisse sÂÂÂinstaurer sur ce plan entre chrétiens de différentes confessions est une connaissance suffisamment claire des vérités auxquelles on croit. Notre effort dans ce sens consiste à éduquer la foi tant des adultes que des jeunes et des enfants, au moyen de catéchèses données en français et en allemand pendant les mois dÂÂÂhiver ainsi quÂÂÂau cours des pèlerinages. B. La diversité culturelle Les différences du plan de la culture sont causes dÂÂÂincompréhension, de peur, de méfiance, tant au plan social quÂÂÂau plan religieux. 1. Au plan social LÂÂÂattitude de rejet de la part des sédentaires et des autorités civiles se traduit par des limitations de liberté et par lÂÂÂimposition de mesures contraignantes qui méconnaissent et refusent les habitudes et modes de vie des nomades. Cela se fait particulièrement sentir lors des grands pèlerinages. Dans la vie quotidienne, pour les lieux de stationnement, les tracasseries policières obligeant les nomades à se déplacer sans cesse entravent gravement lÂÂÂexercice de leurs professions, les empêchant dÂÂÂoffrir leurs services et de gagner normalement leur pain. Il faut mentionner aussi les préjugés et légendes qui courent et qui donnent une image complètement fausse de la personnalité et de la vie des nomades. En Suisse, des idées nazies de pureté ethnique ont amené les autorités à prendre, durant la deuxième guerre mondiale, des décisions inhumaines, en arrachant des centaines dÂÂÂenfants de tziganes à leurs familles. Les adultes dÂÂÂaujourdÂÂÂhui se souviennent de ces tribulations quÂÂÂils ont eux-mêmes vécues. Et les parents hésitent encore aujourdÂÂÂhui à confier leurs enfants à des tiers, y compris dans le cadre de lÂÂÂaumônerie. Lorsque cela se passe entre chrétiens, de telles attitudes contredisent la fraternité universelle prescrite par Jésus Christ. Rejetés de partout, les nomades ont peur dÂÂÂêtre rejetés ou méprisés même dans la communauté dominicale. Ils hésitent à participer à lÂÂÂEucharistie et vont à lÂÂÂéglise lorsquÂÂÂils sont sûrs dÂÂÂy être seuls. 2. Au plan religieux Au sein de la communauté chrétienne, lÂÂÂincompréhension des sédentaires et de lÂÂÂinstitution paroissiale traditionnelle nÂÂÂest pas moins importante. Le sédentaire se considère comme ÂÂÂnormalÂÂÂ, et il regarde le nomade comme ÂÂÂanormalÂÂÂ. On sÂÂÂefforcera donc de le faire entrer dans les ÂÂÂnormesÂÂÂ. La structure paroissiale est territoriale; et le droit canon est basé sur le principe de la résidence. Cela représente une grave lacune et une négation de facto de lÂÂÂuniversalité de lÂÂÂEglise et de sa volonté de sÂÂÂadapter à toutes les cultures. Car il y a méconnaissance dÂÂÂune culture particulière et refus (probablement inconscient) dÂÂÂintégrer la différence. A titre dÂÂÂexemples : dans nos paroisses, la première communion des enfants est habituellement célébrée au mois de mai; or les familles semi-nomades reprennent la route en mars. Ainsi, même si les enfants ont suivi la préparation catéchétique avec la paroisse pendant lÂÂÂhiver, ils ne peuvent participer à la fête; et comme cela se répétera lÂÂÂannée suivante, ces enfants sont en fait exclus et risquent de ne jamais faire leur première communion. Autre cas : incompréhension et mécontentement des responsables de la catéchèse traditionnelle parce que lÂÂÂaumônerie des Gens du voyage adopte une préparation plus rapide en vue de la confirmation de jeunes et dÂÂÂadultes. Difficulté encore pour que les aumôniers des Gitans obtiennent la délégation en vue de la célébration dÂÂÂun mariage, ou une simple autorisation en vue dÂÂÂun baptême ou même dÂÂÂune sépulture. En raison de lÂÂÂitinérance et de la dispersion de ce peuple de voyageurs, les pèlerinages sont des moments essentiels dans leur vie sociale, familiale et chrétienne. Ils représentent des temps de rassemblement et dÂÂÂarrêt de la vie habituelle, temps de retrouvailles joyeuses, temps aussi dÂÂÂopportunité pour une formation chrétienne plus approfondie, pour des célébrations religieuses ÂÂÂinculturéesÂÂÂ, où il est possible dÂÂÂinclure les sacrements et leur préparation. Là encore, un gitan ne vivra pas un pèlerinage comme un sédentaire. Car ce nÂÂÂest pas un ÂÂÂvoyageÂÂÂ, mais cÂÂÂest sa vie itinérante qui prend une orientation nettement spirituelle. Il est nécessaire que les responsables de la pastorale territoriale sachent et admettent que leurs manières de faire nÂÂÂont pas valeur universelle, et que si elles conviennent à une population sédentaire, elles sont tout à fait inadaptées à une population nomade. Mais pour pouvoir reconnaître et accepter ces différences, il faut se donner les moyens de découvrir la culture, le mode de vie, les valeurs essentielles de cette population; ce qui ne peut se faire que dans le dialogue et la rencontre. Intégrer à tout prix et vouloir ÂÂÂinculturerÂÂÂ le nomade à la culture des sédentaires est un non-sens. CÂÂÂest à lÂÂÂEglise de ÂÂÂsÂÂÂinculturerÂÂÂ dans un peuple de nomades, dont la culture propre doit être respectée, et pour cela connue et reconnue. Quelques convictions Au terme de ces réflexions, voici quelques convictions et requêtes : 1/ Si les Gens du voyage ont besoin de lÂÂÂEglise comme tous les chrétiens, lÂÂÂEglise a besoin dÂÂÂeux pour être lÂÂÂEglise du Christ, héritière dÂÂÂAbraham, nomade par la volonté de Dieu. Pour cela, elle doit faire place à leur culture et reconnaître quÂÂÂelle a comme deux ailes : lÂÂÂune sédentaire et lÂÂÂautre nomade, mais que la principale (pas numériquement, mais spirituellement) est lÂÂÂaile nomade (ce qui nous est rappelé entre autres à travers lÂÂÂinvitation à vivre des pèlerinages). 2/ PuisquÂÂÂon parle beaucoup dÂÂÂinculturation de lÂÂÂévangile, cette reconnaissance doit se traduire dans tous les domaines de la vie ecclésiale, y compris dans ses structures : communautés (paroisses personnelles non territoriales semblables aux missions linguistiques), ministères, calendrier, symboles, liturgie etc. 3/ Comme les autres chrétiens, ce peuple de nomades a droit à ses ministres propres, disposés sinon à partager toute leur vie, au moins à les comprendre. Des ministres non ordonnés issus de ce peuple pourront suppléer partiellement à la difficulté de trouver des prêtres, en attendant dÂÂÂen susciter au milieu dÂÂÂeux. 4/ Pour assurer connaissance, compréhension et ouverture au dialogue, il mÂÂÂapparaît nécessaire que des membres des aumôneries soient invités, dans les réunions pastorales habituelles, à venir présenter le peuple dont ils ont la charge, afin de le faire découvrir, apprécier dans ses richesses, et aimer. Cela devrait être également intégré de manière habituelle dans le formation des futurs prêtres et autres agents (et agentes) pastoraux. |
|