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 Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People

People on the Move

N° 96, December 2004

 

EXPERIENCE DE DIALOGUE DU CCIT DANS LE MONDE DES TSIGANES 

  

M. Léon TAMBOUR

Comité Catholique International 

pour les Tsiganes (C.C.I.T.)

 

Le CCIT a pour mission de créer des liens de réflexion, d’amitié et de solidarité internationale entre personnes engagées concrètement dans la promotion humaine et religieuse des Tsiganes. En tant que tel, il ne développe pas de projet humanitaire ou pastoral: il se veut un espace de gratuité, de liberté et de fraternité. Il existe depuis 29 ans et ses principales activités sont les suivantes:

l’organisation d’une rencontre internationale annuelle sur un thème donné, chaque fois dans un pays différent. La dernière a eu lieu en mars en Slovaquie, elle a rassemblé 120 personnes de 20 pays différents sur le thème «La communication verbale entre Tsiganes et Gadgé». Ces rencontres sont toujours caractérisées par un esprit de dynamique et joyeuse fraternité générateur d’amitiés et de collaborations.

l’édition, deux fois par an, d’un petit bulletin de liaison «Nevi Yag» (Feu nouveau) qui relate des expériences concrètes, ouvre à l’international et maintient les liens entre les membres du CCIT et ses sympathisants. Il parait à 400 exemplaires en F, D, I, H.

Les Tsiganes sont caractérisés par une culture qui leur est propre même si elle est multiple; elle est notamment fondée sur le rejet, une distanciation du monde des Gadgé, une mentalité de nomadisme et une religiosité souvent très explicite. Les personnes engagées dans ce milieu sont donc confrontées à des problèmes de rencontre culturelle et de dialogue religieux.

L’adhésion au CCIT suppose un engagement direct «sur le terrain». Chacun y apporte ses propres expériences; à ce titre, je me permets de partir d’une expérience personnelle concrète pour aboutir à l’expérience CCIT, plus exhaustive et que j’exprimerai ici à titre personnel.

 I. Deux brèves expérience personnelles sur «le terrain»

1. Nos premiers contacts avec un groupe Rom de Belgique remontent à 35 ans. Ces Tsiganes étaient illettrés, nomades, sans nationalité ni identité. Notre but était le service et l’apostolat, l’un ne pouvant être dissocié de l’autre. Leur sentiment religieux était très fortement exprimé d’autant plus qu’ils venaient de passer au Pentecôtisme où ils trouvaient un mode d’expression de leur Foi très émotif, proche de leur culture, davantage fondé sur la sensibilité que sur le raisonnement. Ce premier Pentecôtisme était messianique, prosélyte et pas dépourvu d’un certain sectarisme. Nous nous sommes affirmés catholiques, disponibles pour le service et solidaires. Si l’écart religieux n’empêchait pas l’amitié, il compliquait néanmoins les relations puisque nos amis s’étaient mis en devoir de nous convertir, de nous «sauver». Assister à leur culte n’était pas sans risque puisque c’était se prêter à une forme de récupération. Nous y avons renoncé. Cette situation – amitié d’une part, différence de culture et de confession de l’autre – nous a contraints à un nouveau dialogue avec notre propre Foi, un bien beau cadeau reçu des Tsiganes! Nous avons joué le jeu de la relation humaine forte et personnalisée. Ce qui supposait: accueil, accompagnement dans leurs problèmes administratifs, sociaux, familiaux, culturels, mais aussi partage patient de Foi, adapté à leur mentalité; en parlant de Dieu, de son Amour, de sa Fidélité, bien plus que de «doctrine» et en les affirmant dans leur propre Foi, par exemple en encourageant le pasteur tsigane dans son apostolat. Patient et long cheminement sous l’idée: «Nous sommes différents, mais Dieu est plus grand que nos différences, et fournissons ensemble la preuve que c’est l’Amour qui est le plus grand». Récemment, le pasteur m’a dit: «Nous avons eu une réunion entre nous et nous sommes maintenant convaincus que l’essentiel est de tendre vers Dieu et qu’il y a plusieurs chemins pour le faire». Parole peut-être dérisoire mais qui, à nos yeux, révèle une ouverture nouvelle, impensable encore il y a quelques années et qui est le contraire du sectarisme. Nous ne sommes pas la  cause de cette évolution qui est rapprochement, mais nous croyons l’avoir favorisée par une amitié fidèle.

2. Lors de la guerre en Yougoslavie, de nombreux Tsiganes Kosovars sont venus demander l’asile en Belgique. Beaucoup viennent chez nous pour recevoir aide, information et amitié. Ils sont musulmans. L’écart culturel et religieux, auquel s’ajoute la précarité de leur situation, est plus grand encore qu’avec les Rom belges. Au Kosovo le 15 août, ils allaient en pèlerinage à ND de Letnica. En Belgique, ils ont trouvé le centre marial de Banneux: ils ont repris leur tradition et viennent à Banneux le 15 août spontanément, sans que ce pèlerinage soit organisé. Ils y sont nombreux: ± 2.000 l’an dernier. Nous vivons ce pèlerinage de deux jours avec eux dans le plus grand respect de leur expression religieuse, en assurant la liaison, parfois difficile, avec les autorités civiles et religieuses, nous les accompagnons dans leurs prières à la Vierge et ils nous accueillent avec joie et délicatesse dans leur camion, leur tente ou leur caravane. Certes, ils s’affirment musulmans mais ils apprécient que l’Eglise soit un espace d’accueil et de liberté dans lequel ils expriment leur Foi à leur manière. Grâce à notre participation à «leur» pèlerinage, nos relations avec eux sont devenues plus fortes, plus vraies et, au-delà de leur situation difficile, nous nous retrouvons désormais dans une connivence de Foi.

Il va de soi que ces deux types de dialogue culturel et religieux sont intégrés dans la vie de tous les jours et ne sont jamais intellectuels. Nous en tirons pour nous les leçons suivantes:

- il s’agit d’être vrai et de ne pas «faire semblant» de nier les différences: il faut au contraire les «dire» fraternellement pour pouvoir ensuite cheminer ensemble sans ambiguïté.

- Il s’agit de donner à «l’autre» la permission d’être différent, le respecter «libre». Et il ne suffit pas de respecter les différences, il faut encore les aimer: telle est l’unité de l’Amour.

- L’autre n’est pas un adversaire qu’il faut convaincre et encore moins réduire: il est un partenaire devenu nécessaire dans l’approfondissement de notre vie de Foi. Nous avons appris que notre adhésion à l’Eglise doit être à la fois forte et humble. En l’occurrence, le rôle de l’Eglise, c.à.d. notre propre rôle est moins de transmettre une doctrine que d’être le visage compatissant et souriant du Christ pour cette population oubliée de l’histoire des hommes. Et rien n’est possible sans une relation personnelle forte, de cœur à cœur, qui transcende les différences mais aussi les inévitables déceptions et insuffisances.

 II. Le CCIT

Le CCIT est un rassemblement d’amitiés et d’expériences apportées et vécues en son sein. Il rassemble des prêtres, religieuses, laïcs et des Tsiganes engagés sur le plan local ou national.

 Expériences apportées au CCIT.

Chacun apporte donc au CCIT ses propres expériences, toutes étant différentes, liées aux contextes et aux engagements divers. Ce partage est un enrichissement grâce auquel chacun pourra accompagner les communautés tsiganes avec une sensibilité plus fine, plus évangélique et entretenir avec elles un dialogue plus vrai. Les thèmes de réflexion et échanges aboutissent, en effet, à une meilleure connaissance de l’aspect culturel et de l’aspect religieux.

- aspect culturel. 

La diversité des Tsiganes est très grande puisqu’ils se trouvent dans des contextes socio-culturels et économiques très différents. Il y a toutefois des constantes sur lesquelles la réflexion peut s’appuyer. La mentalité des Tsiganes s’est forgée par leur histoire qui est faite du rejet, qui a connu des formes diverses: interdiction du nomadisme, discriminations banalisées, persécutions systématiques (leur statut d’esclave en Roumanie n’a été levé qu’en 1840, l’holocauste «oublié» sous le nazisme a fait des centaines de milliers de victimes, l’épuration ethnique au Kosovo en a poussé des dizaines de milliers sur les routes d’Europe Occidentale etc). Ces événements, et bien d’autres, sont constitutifs de la tsiganité telle qu’elle existe encore aujourd’hui et qui a contraint le monde tsigane a se replier sur lui-même, en marge de la société des Gadgé. Il y a donc le double phénomène de rejet et de repli encore très vivant. Ce repli a créé la «culture tsigane»; celle-ci cultive des valeurs fondamentales et nécessaires à la survie du groupe, comme l’importance de la famille, le respect des anciens, la fécondité; mais elle entretient aussi une distanciation de la «société  à laquelle on ne peut faire confiance» avec comme conséquence une grande vulnérabilité, par exemple, importance de l’analphabétisme, grande faiblesse sur le marché du travail. Tout dialogue, s’il veut être vrai, doit tenir compte de ces réalités concrètes et il doit être très patient car il faut du temps pour conjurer un passé séculaire et une actualité encore brûlante.

- aspect religieux.

La religiosité des Tsiganes est connue. Elle est un sentiment mais aussi une Foi convaincue même si elle n’est pas toujours alimentée par une doctrine solide. Très souvent les Tsiganes adoptent la religion, ou du moins certaines pratiques, de la population dominante. L’émergence du Pentecôtisme depuis une quarantaine d’années est un phénomène nouveau dont le succès est dû sans doute à la sensibilisation de l’expression de la Foi et à une inculturation complète: il s’agit d’Eglises «Tsiganes». Il faut encore souligner une prise de conscience et de responsabilité de plus en plus grande de certains Tsiganes. En dépit des différences de confessions, on retrouve aussi des constantes comme l’importance du Baptême, des vœux, des privations, des pèlerinages ou rassemblements. Il s’agit aussi au CCIT de réfléchir sur la manière d’évangéliser ces pratiques avec la conscience très forte que l’évangélisation est une démarche commune d’Amour: nous nous trouvons avec les Tsiganes, qui nous acceptent sur le même chemin vers le Seigneur. Le dialogue, également sur le plan religieux, nous place sur un pied d’égalité fraternelle, Tsiganes et Gadgé, sous le regard de Dieu.

Des exemples de thèmes étudiés montrent le type de réflexion au CCIT: «Le sens de la fête», «La notion du temps», «La famille tsigane entre tradition et modernité», «Les Tsiganes aux frontières des Etats et des Eglises», «La Foi des Tsiganes à l’épreuve des migrations», «La libération des Tsiganes en Jésus-Christ», etc. 

2. Expérience interne au CCIT

La chute du rideau de fer a évidemment permis une participation plus large de personnes d’Europe Centrale et de l’Est, là d’ailleurs où la densité des Tsiganes est la plus forte. Ce fut aussi, pour nous, une nouvelle expérience de dialogue, car les différences ont été plus marquées en matière d’engagement, de sensibilité, de conception de l’Eglise et de l’apostolat. Le CCIT a donc été confronté à une diversité nouvelle et son rôle a été, non pas de réduire cette diversité, mais de l’assumer dans la fraternité et la joie. Tous attachés à l’Eglise, tous passionnés par l’amour des Tsiganes, nous faisons l’expérience de nos différences, parfois profondes. Elle nous a poussés à une fraternité dans un esprit évangélique qui est devenue la caractéristique du CCIT et qui nous permet de cheminer ensemble, que nous soyons dans une mouvance plus progressiste ou plus traditionnelle. La prière, et notamment l’Eucharistie, reste un moment fort de nos rencontres qui brise l’isolement que ressentent bien des participants: ce n’est pas impunément que l’on vit avec une population mal-aimée une solidarité qui nous pousse aussi parfois en marge des communautés chrétiennes. Comme le dialogue avec les Tsiganes, le dialogue au sein du CCIT ne peut se fonder, pour être fécond, que sur des relations fortes dans lesquelles la liberté et la vérité de chacun sont scrupuleusement respectées. On ne peut nier qu’il y a eu des difficultés – il n’est pas toujours facile d’aimer nos différences, mais on peut affirmer que le temps vécu fraternellement nous permet de mieux nous connaître, de créer des liens durables et des collaborations en faveur des Tsiganes.

Il faut ajouter que nous sommes confrontés à une situation nouvelle qui s’accentue: la mobilité des Tsiganes à travers l’Europe s’affirme et nous sommes ou serons tous confrontés à des rencontres avec des Tsiganes d’autres confessions. Il y a là un enjeu d’avenir qui nous pousse à nous tourner vers les autres confessions et à rechercher une collaboration avec leurs agents pastoraux ouverts aux Tsiganes et qui sont confrontés comme nous à la nécessité d’un dialogue, celui-ci devant permettre un meilleur accompagnement des Tsiganes dans leurs démarches spirituelles propres. Il s’agit, bien entendu, d’un œcuménisme «de la base». Nous plaçons délibérément dans un esprit d’ouverture: une prière œcuménique a lieu lors de chacune de nos rencontres et nous avons des collaborations et amitiés de membres de l’Eglise Réformée et plus timidement de l’Orthodoxie. C’est sur le chemin du pèlerinage vers les plus démunis que nous espérons pouvoir nous retrouver fraternellement avec des frères «autres», mêmes enfants du même Dieu. 

 

 

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