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Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People People on the MoveN° 97 (Suppl.), April 2005
Les pèlerinages comme un facteurdintegration de lEurope
Prof. Antoni JACKOWSKI et Dr Izabela SOŁJAN Institut de Géographie et dAménagement Territorial de lUniversité Jagellonne de Cracovie, Département de Géographie de la Religion, Pologne
1. Introduction Dans de nombreux pays, dans les processus de migrations un rôle important jouaient et jouent encore les migrations qui ont à lorigine des motifs religieux. Les pèlerinages peuvent ainsi être considérés comme une forme de pratiques religieuses durables, se caractérisant par un aspect dépassant les différentes religions et se situant en quelque sorte hors du temps. Avant de parler des fonctions diverses que jouent les pèlerinages dans le monde contemporain, il convient de rappeler lampleur et le cadre géographique de ce phénomène. Malgré les tendances récentes à une perte de la spiritualité, on observe dans les vingt dernières années une croissance très significative des migrations dues aux pèlerinages. Parmi les chrétiens notamment, cette croissance est sûrement influencée par les nombreux voyages apostoliques de Jean-Paul II. On estime que le nombre des pèlerins voyageant en dehors de la région où ils habitent atteint 300 millions des personnes par an, dont 200 (cest-à-dire plus de 65%) sont des chrétiens, surtout des catholiques. Les statistiques révèlent que dans la seule Europe, quelques 35 millions de chrétiens, essentiellement des catholiques, consacrent leurs vacances (ou bien une partie de leurs vacances) à effectuer un pèlerinage. Rappelons que la plupart des pèlerinages chrétiens (80% environ) ont lieu dans les centres du culte marial qui fut approuvé officiellement au concile dEphèse en 431. Sans entrer dans les détails de lhistoire assez complexe de ce culte, signalons toutefois quà partir du XIème siècle au moins, ce culte se développa aussi bien au sein de lEglise occidentale que de lEglise orientale. Déjà au Moyen Age, il existait en Europe des pèlerinages de culte marial dune portée suprarégionale. Citons, à titre dexemple, Walshingham en Angleterre (appelé au Moyen Age le Nazareth du Nord), Le-Puy-en-Velay et Rocamadour en France, Montserrat et Saragosse en Espagne, Altötting en Allemagne, Mariazell en Autriche, Einsiedeln en Suisse, Přibram en Bohème et Levoča en Slovaquie. Parmi les pèlerinages polonais, dès la deuxième moitié du XIVème siècle Jasna Góra occupait une place de choix. A côté de ces pèlerinages nationaux existaient des centaines de centres moins importants dont la portée était régionale ou locale. En Pologne, aux pèlerinages participent chaque année de 5 à 7 millions de personnes (plus de 15% de la population). Outre les catholiques de rite latin et oriental, aux pèlerinages prennent part les représentants de lEglise orthodoxe, du Judaïsme et de lIslam. Ainsi, la Pologne peut être considérée comme un pays à très forte activité de pèlerinage. De même que dans lensemble du monde catholique, en Pologne aussi les pèlerinages étaient liés, et le sont toujours, au culte voué à la Sainte Vierge. Une très forte majorité de pèlerins se rend dans les centaines de lieux de culte (environ 450) dun rayonnement divers où ils rendent hommage aux images de la Vierge, à la Reine, à la Mère ... Le culte marial se développa également dans lEglise orthodoxe, tout particulièrement en Russie. Dans liconostase mariale, un grand culte était voué à licône de Notre-Dame-de- Vladimir (demeurant à tour de rôle à Kïev, Vichgorod, Vladimir-sur-Kliazma et à Moscou), célèbre pour ses miracles et auréolée par les grâces. On rendait hommage aussi à leffigie de la Vierge Orante de la Cathédrale Sainte-Sophie de Kïev ainsi quà licône de la Dormition de la Vierge à la Petcherskaïa Lavra de Kïev. Il convient de citer également les icônes de la Vierge Marie à Novgorod, Koursk, Smolensk, Kazan et Moscou. Le village de Potchaïov (actuellement en Ukraine) joua un rôle important dans le développement du culte marial dans lEst de lEtat polono-lituanien. Les historiens observent que le culte marial a contribué dune façon essentielle à sauver la Russie à lépoque du morcellement féodal. La Russie était alors appelée communément « la Maison de la Très Sainte Vierge Marie »[1]. Dans chaque recoin des terres russes se trouve au moins une icône auréolée par les grâces, profondément respectée et honorée. Les fêtes des icônes de la Vierge Marie sont célébrées de nos jours en public et sans crainte de persécutions de la part des autorités[2]. Daprès les estimations, lEglise orthodoxe russe connaît plus de 600 icônes vénérées (ou leurs copies)[3]. En dehors du territoire de lancienne Russie, un culte particulier est voué à licône de la Vierge Marie en Grèce, sur lîle de Tinos, appelée le « Lourdes de lEst ». Grâce à ce culte, lîle de Tinos fut proclamée « île sainte » en 1972. Les lieux dapparition de la Vierge Marie ont constitué un facteur important du développement du culte marial et des pèlerinages relatifs à ce culte. Parmi les nombreux endroits qui furent les témoins de ces apparitions au cours de lhistoire, les places de choix reviennent pour le catholicisme contemporain en Europe à Lourdes, La Salette et Fatima, ainsi quà Medjugorje, bien que les apparitions dans ce village naient pas été encore reconnues officiellement par les autorités ecclésiastiques. LEglise orthodoxe, elle aussi, connaît de nombreux endroits dapparition de la Vierge Marie en personne ou en effigie. Rappelons ici les apparitions de la Vierge à Potchaïov, qui ont eu lieu, selon la tradition, en 1198 et 1260, ainsi que lapparition miraculeuse de licône de la Vierge au village de Kolomienskoje en 1917 (aujourdhui, un quartier de Moscou). 2. Les pèlerinages en tant que facteur dintégration dans le passé Dans le cadre de notre étude de la fonction dintégration des pèlerinages aujourdhui et dans lavenir, réfléchissons dabord sur leur fonction traditionelle dintégration. Les migrations de pèlerinages se composent de trois éléments constitutifs, auxquels appartiennent lhomme (« homo religiosus »), lespace et le sacrum. Les conditions de sanctification sont créées par « lespace du pèlerinage ». Cet espace est en général relativement uniforme et ses cadres sont délimités dhabitude par deux points: le lieu de départ et le lieu darrivée. Ce dernier est en même temps le point doù est entamé le retour mais il existe des cas où les pèlerins restent dans le lieu saint afin dy attendre la mort (en particulier dans lIslam et dans lHindouisme). En dautres termes, le pèlerinage exige de passer par un certain « espace sacré ». Cet espace sacré englobe ainsi litinéraire du pèlerinage appelé souvent route du pèlerinage. Litinéraire est généralement le même et sa longueur atteint parfois plusieurs milliers de kilomètres. A lépoque du Moyen Age se forma toute une structure ditinéraires qui conduisaient de toute lEurope à Saint-Jacques de Compostelle (magnum iter Sancti Jacobi), à Rome et à la Terre Sainte. Depuis longtemps il existe un système ditinéraires pour les caravanes en direction de la Mecque. Il faudrait aussi mentionner au moins les itinéraires employés par les pèlerins se rendant à Jasna Góra à Częstochowa, les routes de pèlerinage en Inde (par exemple le long du Gange ou Pancakrosi Yatra autour de Benares), au Tibet (la sainte route Lingkor) ou lîle Sikoku au Japon. Les voies maritimes fureur employées par les pèlerins qui se rendaient en Terre Sainte, à Compostelle ou à la Mecque. Les fleuves aussi jouent le rôle de route de pèlerinage, comme le Nil dans le passé et, actuellement, lIrtych en Russie et le Gange en Inde. En analysant la fonction dintégration des pèlerinages contemporains nous devrions toutefois faire appel à la tradition existant dans ce domaine. Chaque pèlerinage comporte toujours, outre son contenu religieux, lélément dintégration qui se différencie seulement par léchelle sociale et spatiale de ce rayonnement. Les migrations de pèlerinage se caractérisaient toujours par la fonction dintégration dans le cadre dune communauté de fidèles ou dune collectivité locale et cette diffusion pouvait intervenir à une échelle locale, régionale, nationale ou internationale. En regardant en aval lhistoire de la Pologne, cette fonction des pèlerinages apparaît manifeste, bien quelle ne soit pas toujours aperçue ni suffisamment appréciée. Nous pensons, notamment, à lintégration nationale des fidèles de diverses confessions chrétiennes pendant des pèlerinages qui ont rassemblé des catholiques et des protestants polonais à Gietrzwałd ou à Święta Lipka, à lépoque du partage de la Pologne. Nous pensons à lintégration nationale et religieuse des fidèles de lEglise orthodoxe, romaine et uniate, qui se rendent à Potchaïov. Nous pensons aussi à lintégration religieuse et patriotique des pèlerins « populaires » qui visitaient les grands lieux de lhistoire polonaise: Gniezno, Varsovie, Cracovie, Wieliczka et Vilnius au cours du XIXème siècle (pèlerinages dits « nationaux »). Dans la période de lentre-deux-guerres, les pèlerinages constituèrent le facteur essentiel de lintégration dune société « partagée » par plus de 100 ans de domination. Enfin, pendant le régime communiste, les pèlerinages, surtout pédestres à Jasna Góra, contribuèrent à lintégration des différents milieux sociaux dans leur lutte contre le totalitarisme. Dans le même temps, ces pèlerinages pédestres au sanctuaire de Jasna Góra ont joué, surtout à partir de 1991 (Sixième Journée Mondiale de la Jeunesse à Jasna Góra), et jouent encore un rôle considérable dans lintégration de jeunes issus de lEst et de lOuest dont les formations, les professions et les confessions sont variées. Lexemple de la Pologne permet de justifier la recherche de phénomènes semblables dans le cadre historique international et européen. Or, lhistoire européenne des pèlerinages fournit des exemples de processus à la fois religieux et sociaux et, dans un sens, aussi politique. Bien que ces phénomènes concernent principalement les catholiques romains et ne soient pas liés directement au culte marial, ils constituent un bon exemple des traditions existantes. En parlant des traditions, nous pensons notamment à deux itinéraires principaux empruntés par les pèlerins médiévaux: le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle et celui de la Terre Sainte. Le chemin de Rome constituait une sorte de résultante des deux premiers. Les pèlerinages de Saint-Jacques-de-Compostelle, au tombeau de lapôtre saint Jacques le Majeur, sont considérés par les historiens comme lun des plus importants événements du Moyen Age européen. Sans entrer dans les détails de lhistoire du lieu et du culte, rappelons toutefois que saint Jacques est devenu le modèle du pèlerin médiéval et son patron. Au XIIème siècle, le Saint-Siège a attribué à Compostelle le droit à « lAnnée Sainte ». A partir de ce moment, les fidèles sont arrivés par milliers: chaque année, ils étaient plus dun demi-million, ce qui représentait à lépoque un chiffre fort impressionnant. Plusieurs itinéraires traversaient lEurope; les pèlerins arrivaient de France, dAllemagne, dItalie, de Hollande, dAngleterre, par les chemins dits magnum iter Sancti Jacobi, les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle. Grâce au Guide du pèlerin de lépoque, Liber Sancti Jacobi (1130-1140), il nous est possible de reconstituer assez fidèlement ces itinéraires. Les routes internationales terrestres, le « chemin allemand » et le « chemin français », ainsi quune route maritime, le « chemin anglais », rejoignaient en Espagne les routes nationales. En France, les routes les plus importantes (camino francès - le « chemin français ») partaient de Paris (où affluaient les routes maritimes dAngleterre et une partie des routes dAllemagne), Vézelay, Clermont, Le-Puy-en-Velay (où affluaient dautres routes allemandes et suisses), Saint-Gilles (noeud de communication pour les fidèles dAllemagne et dItalie). Le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle (surtout le chemin « français » et « espagnol ») était considéré comme « la plus belle route du monde ». Les connaissances géographiques dun habitant moyen de lEurope médiévale étant assez rudimentaires, les pèlerins situaient souvent Compostelle « au bout du monde », là où « le soleil va mourir chaque jour ». Les itinéraires étaient jalonnés de relais: hospices, lieux de change, commerces... Les églises et les monastères se multipliaient. Le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle est appelé par les historiens de lart « le chemin roman » ou « le chemin dart roman ». Il était bordé par des villages à la structure caractéristique. A lest, il atteignait la Pologne. Les « chemins polonais » commençaient habituellement à Gniezno, Cracovie et Wrocław, pour rejoindre ensuite les chemins allemand et français. Parfois, les fidèles polonais empruntaient la route maritime à partir de Gdańsk[4]. Actuellement, le Conseil de lEurope tente de réactiver le chemin médiéval de Saint-Jacques-de-Compostelle en tant quitinéraire touristique au sein dun réseau de routes culturelles qui quadrille le continent européen. Plusieurs pèlerins de tous les coins de lEurope voyageaient aussi en Terre Sainte. Heureusement, les plus anciennes descriptions de ces itinéraires ont été conservées, que ce soit loeuvre dun habitant anonyme de Bordeaux (333) ou celle dune religieuse nommée Egeria (381-384). Ceux qui décidaient de voyager par itinéraire terrestre, en empruntant les grandes routes, mettaient quelquefois plus de 170 jours. Les autres choisissaient la route maritime ou une version mixte, moitié terrestre, moitié maritime. Les ports et centres de transit principaux étaient Venise et Marseille[5]. Enfin, les milliers des pèlerins européens se rendaient par des voies diverses à Rome. Les itinéraires principaux traversaient la France, lAllemagne, lAngleterre et les pays scandinaves. Le nombre des pèlerins augmenta après lan 1300 qui avait été déclaré « Année Sainte » par Boniface VIII. Pendant le premier jubilé, Rome fut visitée par presque 2 millions de pèlerins issus de tout le continent[6]. Ce rappel, très bref par nécessité, des grands moments de lhistoire des pèlerinages, témoigne du rôle considérable joué par ceux-ci dans la formation des liens interpersonnels ainsi que dans le développement économique et culturel des pays et des régions traversés par les itinéraires qui menaient aux lieux saints. Une question se pose alors: nous est-il possible de renouer avec ces traditions au seuil du nouveau millénaire? 3. Les pèlerinages et lintégration européenne au tournant des deux millénaires A présent, la fonction intégrative des pèlerinages se dessine clairement, męme si elle nest pas encore évidente pour tous et quil arrive quelle soit consciemment négligée ou même niée. Il a été déjà question dune reprise des pèlerinages dans la dernière décennie. Ce phénomène concerne aussi bien les pays occidentaux que ceux situés à lest de lEurope, où les pratiques religieuses avaient été restreintes ou même simplement interdites par les régimes communistes, comme dans les pays membres de lancienne Union Soviétique ou dans les pays socialistes de la péninsule des Balkans. Les recherches entreprises récemment ont pour but de créer une carte des itinéraires de pèlerinages (existants, historiques et potentiels) en Europe, pour le catholicisme et les autres confession chrétiennes (uniates et orthodoxes). Nous avons réussi à recenser quelques 800 centres qui se différencient selon leur portée géographique et leur importance au sein de leur propre Eglise. Six cents environ sont des pèlerinages catholiques et deux cents des pèlerinages uniates et orthodoxes. Dans la partie occidentale de la Russie, en Ukraine et en Biélorussie jusquà lest de la Pologne, ainsi que dans la péninsule des Balkans, les itinéraires orthodoxes et catholiques se confondent et se croisent. La frontière occidentale des itinéraires orthodoxes se trouve à lest de la Pologne et dans les Carpates. Les pèlerinages consacrés à la Vierge Marie et ceux où le culte marial redouble celui de la Passion du Christ et de ses saints sont dispersés dans toute lEurope (et dans la partie asiatique de la Russie), de Khabarovsk en Extrême-Orient russe et des Iles de Solovetsk dans la Mer Blanche, en passant par Moscou, Sergïev, Smolensk, Kïev, Potchaïov, Grabarka et Częstochowa en Pologne, Lewoča, Přibram, Mariazell, Altötting, jusquà Lourdes en France et Fatima au Portugal, ou bien, sur laxe Nord-Sud, de Walshingham et Canterbury jusquà Syracuse en Italie ou à la Montagne dAthos et lîle de Tinos en Grèce. Dans la partie asiatique de la Russie, les routes terrestres se transforment en routes fluviales (sur lIrtych) ou aériennes (pour lExtrême-Orient). Au Nord de lEurope prédominent les routes maritimes, par exemple celles dIrlande, de Grande-Bretagne, de Norvège ou de Suède qui mènent aux sanctuaires continentaux. Au cours de ces recherches, nous avons rencontré des difficultés majeures lors de la vérification des listes des pèlerinages sur le territoire de lancienne Union Soviétique et des anciens pays communistes balkaniques. A lépoque communiste, plusieurs pèlerinages, situés habituellement dans la proximité immédiate des monastères orthodoxes, ont été détruits ou transformés en musées de lathéisme ou du léninisme, en granges, dépôts, cinémas... A présent, ces centres religieux sont revendiqués aussi bien par lEglise orthodoxe que romaine. Ce nest toutefois que le début dun long parcours que devront accomplir les deux Eglises dans leur tâche de reconstruction du réseau des centres du culte religieux. Egalement difficile ou peut-être plus difficile encore sera la résurrection de la tradition de certaines pratiques religieuses, notamment des pèlerinages. Noublions pas que pendant près de cent ans, à la suite dune politique de répression menée par les bolcheviques, le territoire de lancienne Union Soviétique constituait une sorte de « désert religieux ». Les églises et monastères orthodoxes peu nombreux, maintenus en létat comme instruments de propagande, nont pas amélioré la situation. On pourrait sattendre à ce quune société élevée dans lesprit de lathéisme devienne une communauté areligieuse. Or, malgré une interdiction officielle des pratiques religieuses publiques, celles-ci ont survécu dans la conscience collective de deux ou trois générations. Les informations sur les centres de culte aussi bien les centres principaux, nationaux, que ceux de portée régionale ou locale, où se rendaient les arrière-grands-pères ou les grands-pères ont été transmises de génération en génération. Comme cela a déjà été mentionné, une partie de ces centres a été détruite. La perfidie des communistes allait jusquà transformer les centres les plus sacrés de lEglise orthodoxe en camps de travail forcé au régime aggravé pour le clergé. Tel fut notamment le cas du sanctuaire des îles Solovetsk qui devint lune des premières prisons pour le clergé orthodoxe. Plus tard, en cet endroit, fut créé lun des plus terrible camps de « larchipel du Goulag ». Presque toute lélite de lEglise orthodoxe a été exterminée. En mars 1919, les autorités communistes ont nationalisé les laures ensembles monastiques qui jouaient un grand rôle dans la vie religieuse et culturelle. Dans la laure de Sergïev près de Moscou (après Zagorsk, actuellement de nouveau Sergïev), on a sorti de leurs tombes les dépouilles de 50 moines, opération qui fut bientôt répétée à Potchaïov et à la Petcherskaïa Lavra de Kïev. En 1920, le Commissariat à la Justice décréta la destruction des reliques, des icônes et des autres objets ayant pour but le « maintien du peuple dans lobscurantisme ». Dans la période du redoublement des répressions dans les années 30, les autorités ont procédé à une destruction massive des églises. A Moscou, des milles églises orthodoxes il nen restait à peine que 20[7]. Malgré ces outrages, la chrétienté en Russie a survécu pour célébrer son millénaire en 1988. A présent, on assiste à une activité grandissante des pèlerins de lEglise orthodoxe des pays de lancienne Union Soviétique. Les fidèles se rendent dans les centres qui nont pas disparu pendant la période du communisme. Il sagit là surtout des centres principaux, mais à leur côté il y a également des pèlerinages de portée locale ou tout au plus régionale. Le plus grand nombre de fêtes des icônes de la Vierge Marie a lieu à Moscou (vingt-trois), Saint-Pétersbourg (cinq dont la fête de licône de Jasna Góra le 6 mars) et Kiev (cinq). Les autres centres du culte marial importants sont Kursk, Smolensk, Wiazniki, Tobolsk, Vitebsk, Vologda, Novgorod et Potchaïov. Certains pèlerinages durent très longtemps, plusieurs mois même[8]. Enfin, il faut mentionner les pèlerinages des fidèles orthodoxes en des lieux où les sanctuaires de jadis ont été détruits par les communistes, mais dont le souvenir est resté ancré dans la mémoire des gens au point que dès que cela a été de nouveau possible, ils se sont rendus en ces lieux vides dont seule une croix, placée récemment, rapelle la sainteté. Sur le territoire de la Russie, de lUkraine et de la Biélorussie réapparaît donc un réseau ditinéraires de pèlerinage de plus en plus dense. Dans leur cheminement vers louest, ils rencontrent les routes catholiques en Ukraine, en Biélorussie et en Lituanie. Ils se rencontrent, sassimilent et se croisent en Pologne, le long du « mur oriental » (dont les noeuds principaux sont Grabarka et Jabłeczna) et dans les Carpates, surtout dans les montagnes des Bieszczady et des Beskid Niski. Ces dernières régions ont été objet dune étude du Prof. D. Ptaszycka-Jackowska qui fait apparaître la proposition dune « route des icônes » dans lEurorégion des Carpates. La variante internationale dune telle route traverserait les parties des Carpates appartenant à la Pologne, à la Slovaquie et à lUkraine. Les variantes nationale, régionale et locale ont été également tracées[9]. Rappelons que la région en question se trouve à la jonction de diverses religions chrétiennes: romaine, orthodoxe et uniate. La « route des icônes » ne constituerait pas une route de pèlerinage stricto sensu, mais elle serait lexemple typique de ce quon désigne par le nom de « tourisme religieux ». Une partie des routes des pèlerins orthodoxes rejoint dune façon « naturelle » la route principale de pèlerinage des Carpates qui traverse presque tous les centres du culte marial situés dans ces montagnes. Dautres routes conflueront certainement avec les chemins pour Jasna Góra. Déjà en 1991, de nombreux adeptes de la religion orthodoxe des territoires de lancienne Union Soviétique parcouraient ces chemins dans leur voyage à la rencontre de Jean-Paul II à Częstochowa, à loccasion de la Sixième Journée Internationale de la Jeunesse. La plupart dentre eux étaient partis pour Jasna Góra en compagnie des fidèles de Przemyśl, de Lublin et de Białystok. Il semble que ce sont ces jeunes-là, ainsi que leurs successeurs, qui décideront dans lavenir de limportance des pelèrinages sur les lieux saints. Eux aussi devraient apprécier la dimension oecuménique de cette pratique religieuse. Pour revenir à nos considérations antérieures, soulignons que les routes des pèlerinages catholiques menant de Pologne jusquen Europe Centrale et Occidentale existent déjà. La Pologne peut ainsi jouer un rôle considérable dans lintégration européenne à travers les pèlerinages et le tourisme religieux[10]. 4. Conclusions Essayons alors de procéder à une sorte de typologie des éléments qui caractérisent le caractère dintégration du pèlerinage. En tenant compte dune longue et riche histoire des pèlerinages religieux nous pouvons considérer le pèlerinage comme étant un facteur: - dintégration religieuse (différentes églises, confessions, religions), - dintégration locale, - dintégration régionale, - dintégration nationale et des nationalités, - dintégration internationale, - dintégration sociale et culturelle, - dintégration des malades avec les sains (p.ex. Lourdes), - dintégration économique, - dintégration spatiale (p.ex. villes et régions de pèlerinage). Il faut souligner que les pèlerinages exercent un rayonnement important en tant quélément dintégration religieuse (différentes églises). Nous observons ce phénomène dans toutes les religions, aussi bien dans celles qui ont disparu que dans celles que lon retrouve actuellement. Les pèlerinages dans les lieux de culte intégraient toujours les différentes communautés religieuses. Souvent les pèlerinages ont un caractère oecuménique. Ainsi, il apparaît que nous pouvons parler dores et déjà de la fonction intégrative des pèlerinages à léchelle de lEurope. Le tournant a été marqué certainement par la Sixième Journée Internationale de la Jeunesse à Częstochowa (1991) et une participation nombreuse des jeunes pèlerins venus de létranger, provenant surtout des anciens pays socialistes, pas nécessairement catholiques. Cette rencontre entrera sans doute dans lhistoire des pèlerinages. Car vers la fin du XXème siècle, sont arrivés à Jasna Góra quelques 2 millions des jeunes gens du monde entier qui cherchent auprès du Saint-Père un soutien dans leurs tentatives et leurs efforts à créer dès le IIIème millénaire une grande communauté, libre de toutes divisions et frontières politiques. Certaines des routes mentionnées plus haut traversent des régions riches, dautres relient des pays en voie de développement (Portugal, Espagne, une partie de lEurope Centrale) ou des pays qui viennent juste demprunter cette voie (la plupart des anciens membres du bloc communiste). Les routes de pèlerinage et de tourisme religieux peuvent devenir pour ces régions un facteur stimulant de lactivité économique, tout en offrant des possibilités culturelles et éducatives importantes. Elles peuvent toutes remplir à merveille la fonction dun facteur intégrateur des pays de lEurope.
[1] W. Lebiediev,
Ikona Matki Bożej Kurskiej-Korennej. [dans:]
Kult maryjny w Kościele Rzymskokatolickim w Polsce i Rosyjskim Kościele Prawosławnym, Warszawa-Moskwa 1989 p. 86.
[2] P.L. Lebiediev, W. Lebiediev,
Kult Matki Bożej w prawosławiu związany z kultem Jej świętych ikon. [dans:]
Kult maryjny w Kościele Rzymskokatolickim ..., op. cit., p. 79-80.
[3]
op. cit., p. 80.
[4] A. Jackowski.
Zarys geografii pielgrzymek. [
An outline of geography of pilgrimage], Kraków 1991 p. 42-45, 72-73.
[5]
op. cit., p. 36-37.
[6]
op. cit., p. 41-42.
[7] A. Grajewski.
Rosja i Krzyż. Z dziejów Kościoła Prawosławnego w ZSRR. Katowice 1991 p. 13, 16-17, 26-27, 41.
[8] Par exemple, en 1992, un petit groupe des pèlerins a mis presque 3 mois pour arriver à Potchaïov à partir de la Sibérie. Le pèlerinage sur les Iles Solovetsk ou à Khabarovsk dure en général quelques dizaines de jours.
[9] D. Ptaszycka-Jackowska.
Szlak ikon w Euroregionie Karpackim (zarys koncepcji) [« La route des icô
nes » dans lEurorégion des Carpates (esquisse du projet)]. Peregrinus Cracoviensis 1995, n° 1, p. 67-84.
[10] Le tourisme religieux va se développer en profitant également de certaines des itinéraires culturels européens tracés sous légide du Conseil de lEurope. Nous pensons notamment au « Chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle » ainsi quà la « Route monastique » et à la « Route cistercienne » qui traversent aussi le territoire de la Pologne. La « Route des icônes » renoue avec la tradition de ces grandes routes. Leur création a pour but, entre autres, une intégration, largement comprise, de lEurope.
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