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 Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People

People on the Move

N° 104 (Suppl.), August 2007

 

 

ORIENTATIONS

POUR LA PASTORALE DE LA ROUTE-RUE

 

 

INDEX

 

Présentation Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…

 

 

ière partie

 

Pastorale pour les usagers de la route

 

I.          Le phénomène de la mobilité humaine Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â….

            Circulation routière et progrès humain Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…..

 

II.        La Parole de Dieu illumine la route Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…

            A partir de l'Ancien Testament Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…..

            A partir du Nouveau Testament Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â….

            Le Christ est le Chemin, Il est la route Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…...

 

III.       Aspects anthropologiques Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…

            Psychologie particulière du conducteur Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…...

            Evasion du quotidien et plaisir de conduire Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…

            LÂ’Instinct de domination Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â….

            Vanité et exaltation personnelle Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…..

            Déséquilibre du comportement et conséquences inhérentes Â….

            Différentes manifestations Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…...

            Un phénomène non pathologique Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…

 

IV.       Aspects moraux de la conduite Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…

            Conduire, c'est "vivre avec" Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…...

            Conduire, c'est savoir "se contrôler" Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…..

            Aspects éthiques Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…..

            Conduite d'un véhicule et les risques qu'elle présente Â…Â…Â…Â…Â…Â…

            Caractère obligatoire des normes des circulation routière Â…Â…Â…Â…...

            Responsabilité morale des usagers de la route Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â….

 

V.        Vertus chrétiennes du conducteur et son « décalogue »

            La charité et le service du prochain Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â….

            La vertu de Prudence Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…..

            La vertu de Justice Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…...

            La vertu d'Espérance Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…..

            Le "décalogue" du conducteur Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…

 

VI.       Mission de l'Eglise Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…

            Prophétie, dans une situation grave et alarmante Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…..

            Education routière Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…...

            Destinataires Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…

            Appel du Concile ÂŒcuménique Vatican II Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â….

 

VII.      Pastorale de la route Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…..

            Evangélisation dans le milieu routier Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â….

 

 

iième partie

 

Pastorale pour la libération des femmes de la rue

 

 

I.          Quelques points fixes Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…...

            La prostitution est une forme d'esclavage Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…..

            Migrations, trafic des êtres humains et droits de ceux-ci Â…Â…Â…Â…...

            Qui sont les victimes de la prostitution ? Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…..

            Qui sont les "clients" ? Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…..

 

II.        Devoir de l'Eglise Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…..

            Promouvoir la dignité de la personne Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…..

            Dans la solidarité et dans l'annonce de la Bonne Nouvelle Â…Â…Â…Â…

            Approche pluridimensionnelle Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…

 

III.       Récupération des femmes et des "clients" Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…..

            Education et recherche Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â….

            Doctrine sociale catholique Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…..

 

IV.       Libération et rédemption Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…

            Assistance et évangélisation Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…

 

 

iiième partie

 

Pastorale pour les enfants de la rue

 

I.          Phénomène, causes et interventions possibles Â…Â…Â…Â…Â…

            Le phénomène Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…..

            Les causes phénomène Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â….

            Les interventions et leurs objectifs Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…..

 

II.        Questions de méthode Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â….

            Caractère pluridimensionnel Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…..

 

III.       Devoir d'évangélisation et promotion humaine Â…Â…Â…Â…

            Une pastorale spécifique Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…..

            Une pastorale de la rencontre, une nouvelle évangélisation Â…Â…Â…...

 

IV.       Quelques propositions concrètes Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…...

 

V.        Icônes de l'éducateur Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…..

            Jésus, le bon Pasteur, et les disciples dÂ’Emmaüs Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…

            Avec un unique objectif final Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â….

 

VI.       Agents pastoraux Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â….

            Préparation Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…..

            Ensemble pour un engagement commun Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…

            En "réseau" et avec un minimum de structures pastorales Â…Â…Â…Â…

 

 

ivème partie

 

Pastorale pour  les "sans domicile fixe"

 

I.          Destinataires Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â….

            Pourquoi sont-ils dans cette situation ?...............................................

            Précarité de la situation Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â….......

            Dignité des personnes Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â….

 

II.        Métodes d'approche et moyens d'assistance Â…Â…Â…Â…Â…Â…

            Sollicitude chrétienne Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…Â…..


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Présentation

 

 

Les présentes Orientations pour la (Pastorale de la route – rue), dont est chargé un secteur particulier du Conseil Pontifical pour la Pastorale des Migrants et des Personnes en Déplacement, sont le fruit d'une vaste Âœuvre d'écoute, de pondération et de discernement.

Le document est divisé en quatre parties bien distinctes, en vertu de la spécificité et de l'ampleur des problèmatiques liées à la route en tant que lieu où exercer la pastorale : la première partie est consacrée aux usagers de la route (automobilistes, routiers, etc. ) et du rail – la voie ferrée – et à tous ceux qui travaillent dans les différents services qui s'y rapportent ; la deuxième et la troisième partie sont réservées respectivement aux femmes et aux enfants de la rue, et la quatrième, enfin, aux personnes "sans domicile fixe" (clochards).

Le présent Document est consacré aux sujets indiqués ci-dessus, mais sans oublier toutefois les habitants du "trottoir" (pavement dwellers) et les vendeurs ambulants (street vendors), ni le lien existant entre la route et les touristes, les pèlerins, les nomades, les gens du cirque et les acteurs ambulants.

Certaines de ces catégories de personnes ont déjà fait l'objet de l'attention du Conseil Pontifical pour la Pastorale des Migrants et des Personnes en Déplacement, avec trois documents publiés au cours de la dernière décennie : Orientations pour une Pastorale des Tziganes[1], Orientations pour la Pastorale du Tourisme[2] et Le pèlerinage dans le grand Jubilé de l'an 2000[3].

Les Orientations du présent Document sont destinées aux évêques, aux prêtres, aux religieux et religieuses et aux agents pastoraux pour avancer ultérieurement dans une pastorale toujours plus attentive à toutes les expressions de la mobilité humaine et intégrée dans la pastorale ordinaire, territoriale et paroissiale.

 

Renato Raffaele Card. Martino

Président

 

 

+ Agostino Marchetto

Archevêque titulaire d'Astigi

Secrétaire


 

Ière PARTIE

 

Pastorale pour les usagers de la route

 

I. Le phénomène de la mobilité humaine

 

1. Aller d'un lieu à un autre, ou transporter des choses en utilisant différents moyens de déplacements sont des caractéristiques de l'être humain depuis la nuit des temps. En effet, la mobilité et les déplacement expriment la nature de l'homme et son évolution au plan  culturel.

2. Le trafic des marchandises et le mouvement des personnes augmentent aujourd'hui de façon vertigineuse, parfois dans des conditions difficiles, et mettant même en danger la vie des hommes. L'automobile conditionne l'existence, du fait que la mobilité est devenue une idole, symbolisée par la voiture.

La route et le rail doivent servir la personne humaine ; ce sont des instruments pour faciliter la vie et le développement intégral de la société. Ils doivent constituer un pont de communication entre les personnes, en créant de nouveaux espaces d'économie et d'humanité. Il est vrai, en effet, qu'"une grande partie de la vie d'un pays se passe en circulant sur les routes"[4].

3. Dans le cadre de cette mobilité et du progrès qui en dérive, la "circulation" en général, et le trafic routier en particulier, sont un phénomène contemporain, lourd de conséquences. Il a augmenté progressivement, exigence d'une société en développement constant, en raison aussi de moyens de locomotion toujours plus rapides et de dimensions toujours plus importantes, employés pour déplacer les personnes et les choses.

 

Circulation routière et progrès humain

 

4. La route n'est plus seulement une voie de communication : elle devient un lieu où l'on vit, dans lequel on passe une grande partie de son temps, dans les pays en voie de développement également. Il suffit de penser aux nombreuses routes déformées parcourues par des moyens de transport dangereux et surchargés, qui constituent un grave danger pour tous, particulièrement la nuit.

5. Les dangers directement encourus par les personnes proviennent, outre de la congestion de la circulation, d'autres problèmes qui y sont liés : le bruit, la pollution atmosphérique, l'emploi intensif des matières premièresÂ… De telles questions doivent être affrontées et non pas subies passivement, afin aussi de limiter les coûts d'une modernisation qui devient insoutenable. Il n'est pas inutile, dans ce contexte, de lancer un nouvel appel à s'engager à éviter d'utiliser l'automobile si cela n'est pas nécessaire.

6. Certes, nombreux sont les avantages offerts par les véhicules qui circulent. Ils constituent un moyen de déplacement rapide pour les personnes (pour arriver à leur lieu de travail ou d'étude, pour sortir les fins de semaines avec leur famille, pour partir en vacances, pour rencontrer parents et amis), mais aussi pour les marchandises. L'utilisation d'un véhicule favorise aussi la vie sociale et le développement économique. De plus, un grand nombre de personnes peuvent gagner honnêtement leur vie en conduisant.

7. Un autre aspect positif de la mobilité est la possibilité d'améliorer la dimension humaine de chaque homme en connaissant d'autres cultures et d'autres personnes, d'autres religions, d'autres ethnies et d'autres coutumes.[5] Les déplacements unissent les gens, facilitent leur dialogue en donnant lieu à des processus de socialisation et d'enrichissement personnel, en faisant des découvertes et de nouvelles connaissances.

8. Les  moyens de transport sont particulièrement utiles à l'humanité quand ils permettent de secourir les malades et les blessés, en facilitant les interventions urgentes et en les rendant plus accessibles. Ils peuvent également promouvoir l'exercice des vertus chrétiennes - prudence, patience et charité pour aider nos frères - au plan aussi bien spirituel que corporel. Ils peuvent enfin constituer une occasion pour se rapprocher de Dieu, du fait qu'ils permettent de découvrir les beautés de la création, signe de Son amour illimité pour nous.

L'esprit du voyageur pourra aussi s'élever en contemplant les différents témoignages de religiosité qu'il découvre le long de sa route, que ce soit en automobile ou en train ; les églises, les clochers, les chapelles, les chapiteaux, les croix, les statues, etc., les buts de pèlerinage vers lesquels on se rend aujourd'hui avec toujours plus de facilité, justement grâce aux moyens modernes de communication.

9. En soi, la circulation routière et ferroviaire est donc non seulement quelque chose de bon, mais aussi une exigence inéluctable de la vie de l'homme contemporain. Et, si celui-ci utilise à bon escient les moyens de transport, en les acceptant comme des dons de Dieu et, en même temps, le fruit du travail de ses mains actives et de son intelligence, il pourra en tirer avantage pour  son propre perfectionnement humain et chrétien.

 

II. La Parole de Dieu illumine la route

 

10. De l'engagement chrétien au cÂœur du mouvement routier et ferroviaire - que nous appelons Pastorale de la Route – ressort le devoir d'étudier et de promouvoir également une "spiritualité" correspondante adéquate, enracinée dans la Parole de Dieu. D'une spiritualité ainsi comprise  émane la lumière capable de donner un sens à la vie tout entière, justement à partir de celle qui est vécue dans le mouvement routier et ferroviaire. Phénomène caractérisant l'homme contemporain, la mobilité doit être vécue en chrétien, en exerçant les vertus théologales et cardinales. Pour le fidèle qui en est animé, la route aussi devient un chemin de sainteté.

 

A partir de l'Ancien Testament

 

11. Dans la Bible, on trouve des déplacements continuels et des pèlerinages. Les patriarches, Abraham (cf. Gn 12,4-10), Isaac ( cf. Gn 26,1.17.22), Jacob (cf. Gn 29,1 ; 31, 21; 46,1-7) et Joseph (cf. Gn 37,28) mènent une vie itinérante. Puis, lorsque leurs descendants forment un peuple nombreux, Moïse les conduit hors de l'Egypte (cf. Ex 12,41), en traversant la Mer Rouge (cf. Ex 14) et en parcourant le désert (cf. Ex 15,22).

12. Dans l'expérience de la mobilité, qui ne manque ni di risques ni de drames, le Peuple de Dieu bénéficie toujours de la protection particulière de Yahvé (cf. Ex 13,21). Les infidélités répétées à l'Alliance de la part des Israélites entraînèrent plus tard un voyage ultérieur, l'un des plus pénibles : la déportation à Babylone (cf. 2 R 24,15). Après de longues années d'exil, la fidélité de Dieu se manifeste dans l'édit de Cyrus, qui rend possible le joyeux voyage de retour dans la terre promise (cf. 2 Ch 36,22-23 ; Ps  125).

13. Le Psalmiste (cf. Ps 106,7) parle d'un "droit chemin" sur lequel conduit Yahvé, tandis qu'Isaïe lance l'invitation à "frayer le chemin de Yahvé" (cf. Is 40,3). L'importance que la Bible accorde au thème de la route, du voyage, apparaît clairement du fait aussi que le mot "chemin" est employé comme métaphore pour indiquer les comportements humains. Les Ecritures exhortent avec insistance à choisir des "droits chemins", à ne pas suivre "le conseil des impies" (Ps 1,1), à "suivre les voies du Seigneur" (cf. Dt 8,6 ; 10,12 ; 19,9).

 

A partir du Nouveau Testament

 

14. Dans le Nouveau Testament, on trouve un grand nombre de référence aux déplacements, à la route, aux voyages. Nous pensons à ceux de Marie et Joseph, avant et après la naissance de Jésus, aux déplacements continuels de celui-ci durant sa vie publique et à ceux des apôtres. Les évangélistes présentent la vie du Christ comme un voyage permanent : il parcourait les villes et les villages pour proclamer l'Evangile et soigner "toute maladie et toute langueur" (Mt 9,35) ; un long passage de l'Evangile de Luc (9,51 – 19,41) nous montre le Seigneur en route vers Jérusalem, où il devait accomplir son "départ" (cf. Lc 9,31)[6].

15. Le chemin et le voyage sont également présents dans les paraboles de l'Evangile. Outre à la parabole du Bon Samaritain - pouvant s'appliquer directement à la Pastorale de la Route (cf. Lc 10,29-37) - nous pensons à celle du fils prodigue qui part "pour un pays lointain" (Lc 15,13) et revient ensuite auprès de son père (cf. Lc 15,13-20). Et nous pensons encore au maître qui, "partant en voyage", remet ses biens à ses serviteurs (cf. Mt 25,14-30).

16. Jésus lui-même met ses disciples aussi en chemin. En effet, il les envoie, deux par deux, proclamer la Bonne Nouvelle du Royaume (cf. Mc 6,6-13). Et encore : dans l'Evangile de Luc, la mission des 72 disciples (cf. Lc 10,1-20) suggère une extension universelle de la mission successive, explicitée lorsque Jésus Ressuscité envoie ses disciples en disant: "Allez dans le monde entier, proclamez l'Evangile à toute la création" (Mc 16,15; Mt 28,19 et Lc 24,47). En effet, ils seront ses témoins "à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre" (Ac 1,8). Certes, cette mission universelle comportera pour Pierre (cf. Ac 9,32-11,2) et pour Paul (cf. Ac 13,4-14, 28 ; 15,36-28,16) d'innombrables voyages, ainsi que l'attestent les Actes des Apôtres.

17. Dans son ensemble, la Bible présente la réalité de la mobilité humaine, avec ses risques, ses satisfactions et ses difficultés ; elle en confirme aussi le lien avec le dessein salvifique de Dieu. Nous pouvons ainsi comprendre le voyage comme un déplacement non seulement physique d'un lieu à un autre, mais aussi dans sa dimension spirituelle, due au fait qu'il établit un lien entre les personnes en contribuant ainsi à la réalisation du dessein d'amour de Dieu.

 

Le Christ est le Chemin, Il est la route

 

18. L'Evangile de Jean présente des expressions particulièrement importantes à propos de ce que nous appellerons une spiritualité routière, en vue de réaliser le plan de Dieu. Le Seigneur Jésus affirme : "Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père que par moi" (Jn 14,6). En se présentant comme le "Chemin", le Christ nous indique ainsi que tout doit être orienté vers le Père. L'expression "Je suis la lumière du monde. Qui me suit, ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie" (Jn 8,12) confirme qu'avec son message Jésus est le chemin lumineux pour orienter notre vie vers le Père. Celui qui suit le Seigneur, écoute sa Parole et la met en pratique avance sur le chemin de la vie.

19. Celui qui connaît Jésus-Christ est prudent sur la route. Il ne pense pas seulement à lui et n'est pas toujours pressé d'arriver. Il voit les personnes qui "l'accompagnent" sur la route, chacune avec sa propre vie, son désir d'arriver et ses problèmes. Il les voit toutes comme des frères et des sÂœurs, enfants de Dieu. Telle est l'attitude qui caractérise l'automobiliste chrétien.

20. Se trouve ainsi confirmé le fait que l'une des racines de nombreux problèmes de la circulation est d'ordre spirituel. Les croyants trouveront la solution à ceux-ci dans une vision de foi, dans le rapport avec Dieu et dans une option généreuse en faveur de la vie, démontrée aussi dans une attitude respectueuse de la vie d'autrui et des normes fixées pour la protéger tout au long de la route.

"On pourrait vraiment tirer des pages s'inspirant des deux Testaments, mais surtout des Evangiles et des Lettres apostoliques, un florilège de préceptes pouvant bien former un corpus de critères moraux, et jusqu'à un manuel de bonne conduite et de bonne éducation sur comment utiliser la route,  avec lequel soutenir et confirmer les prescriptions du «Code», en lui imprimant un souffle que ne peut assurer l'énonciation purement négative et préventive de ses normes. Tant que l'usager de la route ne parvient pas à considérer ses responsabilités dans cette lumière positive et encourageante – qui trouve sa justification dans les valeurs supérieures et imprescriptibles de la conscience -, il ne sera pas possible de réaliser la moralisation souhaitée"[7].

 

III. Aspects anthropologiques

 

Psychologie particulière du conducteur

 

21. Le véhicule constitue un instrument qui peut être utilisé avec prudence et en suivant l'éthique, en vue de la vie commune, de la solidarité et du service aux autres, mais il est aussi possible d'en abuser.

 

Evasion du quotidien et plaisir de conduire

 

22. Au volant du véhicule, certains allument leur moteur pour se lancer dans une course, pour échapper aux rythmes obsédants de la vie quotidienne. Le plaisir de conduire devient une façon de jouir de la liberté et de l'autonomie dont on ne dispose pas habituellement. Cela conduit aussi à pratiquer les sports de la route, le cyclisme, le motocyclisme, à participer à des courses de voitures, dans le cadre d'une émulation saine, avec toutefois les risques s'y rapportant.

23. Cela peut faire percevoir les interdictions imposées par les signaux routiers comme des limitations à la liberté. Si personne ne les voit et en absence de contrôle, certains sujets sont tentés d'enfreindre ces barrières qui, pourtant, ont été créées pour leur propre protection et pour celle des autres. Certains conducteurs arrivent même à considérer comme humiliant de devoir respecter les règles de prudence visant à diminuer les risques et les dangers de la circulation. D'autres jugent intolérable – et presque une limitation de leurs "droits" – le fait de devoir suivre patiemment un autre véhicule, lorsque celui-ci voyage à vitesse réduite, en présence de signaux routiers indiquant, par exemple, une interdiction de doubler.

24. Il faut tenir compte de ce que la personnalité du conducteur au volant est tout à fait différente de celle du piéton. Au volant d'un véhicule, des circonstances spéciales peuvent amener à avoir un comportement inadéquat, et même peu humain. Nous considérerons ci-après les principaux facteurs psychologiques qui agissent sur le comportement du conducteur.

 

L'instinct de domination

 

25. L'instinct de domination – ou sentiment de puissance – qui existe dans l'être humain pousse à rechercher le pouvoir afin de s'affirmer[8]. Or, la conduite d'une automobile offre la possibilité d'exercer aisément une telle domination sur autrui. En s'identifiant à sa voiture, le conducteur sent augmenter son pouvoir, celui-ci s'exprimant dans la vitesse, source de plaisir : le plaisir de conduire. Tout cela peut amener le conducteur à vouloir goûter l'ivresse de la vitesse, une manifestation caractéristique de l'augmentation de son pouvoir. Pouvoir disposer librement de la vitesse, avoir la possibilité d'accélérer à son gré et de se lancer à la conquête du temps et de l'espace, en effectuant des dépassements et en "subjuguant" presque les autres conducteurs, ces sentiments deviennent une source de satisfaction, due à la domination.

 

Vanité et exaltation personnelle

 

26. L'automobile est facilement utilisée par son propriétaire comme un signe d'ostentation personnelle et un moyen pour éclipser les autres et provoquer un sentiment d'envie. La personne s'identifie ainsi à son véhicule, sur lequel elle projette l'affirmation de son ego. Au fond, en vantant notre voiture, nous nous louons nous-mêmes car l'automobile nous appartient et, surtout, nous la conduisons. Les "records" battus, les vitesses élevées Â… font partie de ce dont nombre d'automobilistes, même d'un certain âge, se vantent avec le plus de satisfaction ; il est aisé de constater comment on ne supporte pas d'être considéré comme un mauvais conducteur, même si on peut reconnaître que c'est vrai.

 

Déséquilibre du comportement et conséquences inhérentes

 

Différentes manifestations

 

27. Les comportements peu équilibrés varient selon les individus et les circonstances : manque de politesse, gestes vulgaires, imprécations, jurons, perte du sens des responsabilité, violation délibérée du Code de la route. Chez certaines personnes, le déséquilibre du comportement se manifeste de façon insignifiante tandis que chez d'autres il entraîne de graves excès qui sont dus au caractère, au niveau d'éducation, à l'incapacité de se contrôler et au manque du sens des responsabilités.

 

Un phénomène non pathologique

 

28. On peut retrouver ces excès chez de nombreuses personnes normales. Ces phénomènes de déséquilibre du comportement pouvant avoir des conséquences graves sont toutefois considérés comme étant dans les limites de la normalité psychologique

29. La conduite d'une automobile tire de l'inconscient des inclinations qui, en temps ordinaire – lorsqu'on ne se trouve pas sur la route –, sont tout à fait "contrôlées". Au contraire, au volant, ces déséquilibres se manifestent et la régression à des formes de comportement plus primitives se trouve favorisée. La conduite doit être considérée comme tout autre activité sociale qui suppose un engagement à devoir traiter les exigences du moi et les limites imposées par les droits des autres.

Bref, l'automobiliste tend à présenter l'être humain tel qu'il est "primitivement", ce qui peut paraître assez désagréable. Il faut  tenir compte de ces dynamiques et réagir, en faisant appel aux tendances nobles de l'âme humaine, au sens des responsabilités et au contrôle de soi, pour empêcher ces manifestations de régression psychologique assez souvent liée à la conduite d'un véhicule.

 

IV. Aspects moraux de la conduite

 

Conduire, c'est "vivre avec"

 

30. La "vie en commun" est une dimension fondamentale de l'homme et la route doit donc être plus humaine. L'automobiliste n'est jamais seul au volant, même s'il n'a personne près de lui. Au fond, conduire un véhicule est une façon d'instaurer des relations, de se rapprocher, de s'intégrer dans une communauté de personnes. Cette capacité de "con-duire", d'établir des rapports avec autrui, suppose que le conducteur ait certaines qualités concrètes et spécifiques, par exemple : la maîtrise de soi, la prudence, la politesse, un esprit adéquat de service et la connaissance des règles du code de la route. Il devra aussi apporter une aide désintéressée à ceux qui en ont besoin, en donnant un exemple de charité et d'hospitalité.

 

Conduire, c'est "savoir se contrôler"

 

31. Le comportement de la personne se caractérise par sa capacité de se contrôler et de se dominer, de ne pas se laisser transporter par ses élans. La responsabilité de cultiver cette capacité personnelle de contrôle et de domination  est importante aussi bien pour ce qui concerne la psychologie du conducteur que pour les dommages sérieux qui peuvent être causés à la vie et à l'intégrité des personnes et des biens, en cas d'accident.

 

Aspects éthiques

 

32. Au cours de son évolution, en tant que fait social, le comportement au volant s'est  parfois développé en marge des normes éthiques ; ce qui a ainsi donné naissance – on peut le constater – à un contraste profond entre la réalité du progrès constant dans les transports, et à l'augmentation continuelle et chaotique de la circulation sur les routes, avec des conséquences négatives pour les conducteurs et pour les piétons.

 

33. Pour poser la base des principes éthiques qui doivent gouverner tout ce qui concerne le "professionnalisme" de l'usager de la route, il faut avant tout prendre en considération le danger encouru par les personnes et les biens et dérivant de la circulation routière. Ce danger existe pour le conducteur, pour ses passagers et pour toutes les personnes au volant. Le non-respect des normes éthiques fondamentales empêche les usagers de la route de jouir de leur droits personnels et compromet aussi la sauvegarde des choses.

34. Le devoir de protéger les biens peut être lésé non seulement par une conduite imprudente, mais aussi par le fait de ne pas veiller aux bonnes conditions mécaniques de sécurité de l'automobile ou du moyen de transport, en négligeant d'effectuer le contrôle technique périodique. Le devoir de pratiquer la révision des véhicules doit être respecté.

35. Il faut parler aussi des cas de conduite en absence des aptitudes physiques ou des capacités mentales nécessaires, après avoir pris de l'alcool ou d'autres excitants ou drogues, ou encore en état de grande fatigue ou de somnolence. Il existe aussi le danger venant des "voiturettes" (citycars) entre les mains d'adolescents ou d'adultes n'ayant pas le permis de conduire, et celui de l'usage inconsidéré des cyclomoteurs et des motos.

36. Au vu de tout cela, afin de protéger les devoirs et d'éviter les dommages causés par les accidents, les Autorités publiques établissent une série de normes pénales. Hélas, dans la pratique, étant donné que bon nombre d'entre elles sont considérées dans le cadre du code pénal – c'est-à-dire comme des événements non pas ordinaires, mais extraordinaires - leur caractère obligatoire n'est pas ressenti et s'atténue aisément dans la conscience des automobilistes, ou même disparaît. Le conducteur se trouve alors plus facilement dans la condition d'agir contrairement aux normes, en espérant ne pas être pris en défaut par les Autorités qui devraient le punir.

37. A ce propos, il est clair que l'exigence d'une pédagogie en faveur de la culture de la vie, en faveur du commandement "tu ne tueras pas", est toujours plus nécessaire. Dans la même perspective, les différentes campagnes pour la sécurité routière, l'amélioration des moyens de transport public, la sécurité du tracé des routes, la signalisation et le pavage adéquat des voies de communication, la suppression des passages à niveau non gardés, la création d'une mentalité publique responsable à travers des associations spécialisées et la collaboration des préposés aux services routiers avec les usagers se présentent comme étant des initiatives très utiles.

 

Conduite d'un véhicule et les risques qu'elle présente

 

38. Lorsqu'il sort en automobile, le conducteur doit être conscient - sans toutefois vouloir dramatiser - qu'un accident pourrait se produire à tout moment. Malgré,  généralement, la bonne qualité des voies de communication dans les pays développés aujourd'hui, il est insensé de conduire "joyeusement", comme s'il n'y avait aucun danger. L'attitude au volant devrait être celle assumée lorsqu'on utilise des instruments dangereux, c'est-à-dire devant être manipulés avec beaucoup de précautions.

39. Les chiffres le prouvent. En 2001, la production de véhicules à moteur dans le monde était de presque 57 millions, alors qu'elle n'était que de 10 millions et demi en 1950. En outre, au XXème siècle, on estime que 35 millions de personne environ ont trouvé la mort dans des accidents de la route, et que le nombre des blessés a été d'environ 1 milliard et demi. Dans l'année 2000 seulement, on a compté 1.260.000 décès ; il faut aussi relever que 90 % des accidents sont dus à une erreur humaine. On ne doit pas oublier non plus les dommages causés aux familles des accidentés, et les conséquences à long terme pour les blessés qui restent trop souvent handicapés à vie. Et avec les dégâts provoqués aux personnes, il faut aussi prendre sérieusement en compte les dommages importants aux biens matériels.

40. Le tout doit être considéré comme une véritable tragédie, et un sérieux défi pour la société et pour l'Eglise. On ne doit donc pas s'étonner de ce que l'Assemblée générale de l'ONU ait affronté sérieusement le problème dans une session plénière spécialement convoquée en avril 2004 sur le thème de la sécurité routière, et qui avait pour but de sensibiliser l'opinion publique aux dimensions du phénomène, avec l'intention d'élaborer des recommandations précises pour la sécurité routière[9].

41. Le Pape Paul VI a affirmé : "Trop de sang est versé chaque jour parce qu'on veut aller absurdement plus vite et gagner du temps. Pendant que les Organismes internationaux font tous leurs efforts pour apaiser de douloureuses rivalités, pendant que l'on fait des progrès merveilleux dans la conquête de l'espace, que l'on cherche les moyens de lutter contre la faim, l'ignorance et la maladie, il est douloureux de penser que dans le monde entier d'innombrables vies humaines continuent à être sacrifiées chaque année à ce sort implacable. La conscience publique doit réagir et considérer ce problème au même titre que ceux, plus ardus, qui suscitent la passion et l'intérêt du monde entier"[10].

 

Caractère obligatoire des normes de circulation routière

 

42. Lorsque quelqu'un conduit en mettant en danger sa vie ou celle d'autrui, ainsi que l'intégrité physique et psychique des personnes, ou encore des biens matériels importants, il se rend responsable d'une faute grave, même si son attitude ne provoque pas d'accident car, dans tous les cas, elle comporte des risques graves. Il faut ajouter que la plupart des accidents sont dus justement à l' imprudence.

 

43. Le Magistère de l'Eglise s'est prononcé clairement à propos de ces problématiques: "les conséquences si souvent dramatiques des infractions au code de la route lui confèrent un caractère d'obligation extrinsèque beaucoup plus grave que l'on ne pense généralement. Les automobilistes ne peuvent compter sur leur seule vigilance et leur seule habileté pour éviter les accidents ; ils doivent encore maintenir une juste marge de sécurité, s'ils veulent être à même d'épargner les imprudents et d'obvier aux difficultés imprévisibles"[11]. En effet, "il est juste que les lois civiles de la société humaine viennent appuyer la grande loi «Non occides» : tu ne tueras pas, qui resplendit dans le Décalogue pour tous les temps et reste pour tous le précepte sacré du Seigneur"[12].

44. Alors, "il faut que chacun s'engage à créer, à travers le respect rigoureux du code de la route, une «culture de la route» basée sur la compréhension répandue des droits et des devoirs de chacun et sur le comportement cohérent qui s'en suit"[13].

45. Ce sont des principes théologiques, éthiques, juridiques et technologiques qui se trouvent à la base de la moralisation de l'usage de la route. En effet, "de tels principes se fondent sur le respect dû à la vie humaine, à la personne humaine, tel que l'enseignent les toutes premières pages des Saintes Ecritures. La personne humaine est sacrée : elle a été créée à l'image et à la ressemblance de Dieu (cf. Gn 1,26), elle est rachetée par le prix inestimable du sang du Christ (cf. 1 Co 6,20 ; 1 P 18-19), elle a été insérée dans l'Eglise, dans la communion des saints, avec le droit et le devoir de la charité sincère, effective et mutuelle envers les frères et les sÂœurs, selon le précepte de l'apôtre Paul : «Que votre charité soit sans feinte (Â…) que l'amour fraternel vous lie d'affection entre vous, chacun regardant les autres comme plus méritants» (Rm 12,9-10)"[14]

 

Responsabilité morale des usagers de la route

 

46. Il est certain que ni l'automobiliste, ni le motocycliste, ni le cycliste, ni le piéton imprudents ne désirent les conséquences fatales d'un accident qu'ils provoquent. Ils n'ont pas non plus l'intention de porter atteinte à la vie ou aux biens d'autrui. Toutefois, ces conséquences étant le produit d'une action consciente, on peut, avec raison, parler de responsabilité morale.

"Pour que l'effet nuisible puisse être imputé à quelqu'un, il faut qu'il soit prévisible, et que celui qui agit ait la possibilité de l'éviter ; c'est le cas d'un homicide commis par un conducteur en état d'ivresse"[15]. Lorsqu'on conduit sans remplir les conditions requises pour ce faire (par exemple, imprudemment, en n'ayant pas les capacités nécessaires, etc.), on met la vie et les biens en danger, ce qui suppose une violation de la loi morale, du fait du caractère volontaire de l'acte.

47. La responsabilité morale de l'usager de la route, qu'il soit conducteur ou piéton, émane de l'obligation de respecter le 5ème et le 7ème commandement : "tu ne tueras pas" et "tu ne voleras pas". Les péchés les plus graves contre la vie humaine, contre le 5ème commandement, sont le suicide et l'homicide, mais ce commandement exige aussi le respect de l'intégrité physique et psychique propre et de celle d'autrui.

Les distractions imprudentes et les négligences sont des actes contre ces commandements ; leur gravité morale se mesure suivant leur degré de prévisibilité et, d'une certaine façon, d'intention. Ce qui signifie que, en plus de l'interdiction de tuer, de blesser ou de mutiler directement, le commandement du Seigneur interdit tout acte pouvant procurer de tels dommages, même indirectement. On peut dire de même pour ceux causés aux biens d'autrui.

48. La loi morale interdit d'exposer quelqu'un à un danger grave, sans une raison grave, ainsi que de refuser d'aider une personne en danger. Par ailleurs, le Catéchisme de l'Eglise catholique enseigne que "la vertu de tempérance dispose à éviter toutes les sortes d'excès, l'abus de la table, de l'alcool, du tabac et des médicaments. Ceux qui, en état d'ivresse ou par goût immodéré de la vitesse, mettent en danger la sécurité d'autrui et la leur propre sur les routes, en mer ou dans les airs, se rendent gravement coupables"[16].

 

V. Vertus chrétiennes du conducteur et son "décalogue"

 

La charité et le service du prochain

 

49. Déjà en 1956, le Pape Pie XII exhortait ainsi les automobilistes : "Vous n'oubliez pas (Â…) de respecter les usagers de la route, d'observer la courtoisie et la loyauté envers les autres pilotes et les piétons, et de leur montrer votre caractère serviable. Mettez votre gloire à savoir dominer une impatience souvent bien naturelle, en sacrifiant parfois un peu de votre sentiment de l'honneur pour faire triompher celui de la politesse qui est une marque de vraie charité. Vous pourrez ainsi non seulement éviter des accidents regrettables, mais encore contribuer à faire de l'automobile un instrument encore plus utile pour  vous-mêmes et pour les autres et plus capable de vous procurer un plaisir du meilleur aloi"[17].

50. A cette exhortation pontificale répond plus tard l'Episcopat belge qui invite les conducteurs à faire "montre de cet esprit de courtoise dans le respect de la priorité, dans une attitude de compréhension vis-à-vis des manÂœuvres maladroites dÂ’un débutant, dans sa prévenance envers les veillards et les enfants, son attitude envers cyclistes et piétons, dans sa maîtrise de soi en face dÂ’une action fautive dÂ’un tiers.

Enfin, la solidarité chrétienne incite tous les usagers de la route à une grande serviabilité : assistance aux blessés, aide aux personnes âgées, sollicitude envers les enfants et les handicapés"[18].

51. Chez le conducteur, l'exercice de la charité présente une double dimension. La première se manifeste dans l'entretien de son propre véhicule, dont il se doit de réviser tous les éléments techniques relatifs à la sécurité, afin de ne pas mettre consciemment en danger sa propre vie et celle des autres.  « Aimer » sa voiture, c'est aussi ne pas prétendre d'elle ce qu'elle ne peut pas donner.

La seconde dimension est celle de l'amour pour les voyageurs, dont il ne faut pas mettre la vie en danger en se lançant dans des manÂœuvres erronées et imprudentes pouvant entraîner des dommages aussi bien pour les passagers que pour les piétons. On emploie ici le mot "amour" en se référant aux nombreuses formes qui expriment la charité authentique, c'est-à-dire le respect, la courtoisie, la considération, etc. Le bon conducteur laisse poliment le piéton traverser, ne se sent nullement offensé si un autre automobiliste le dépasse, n'entrave pas celui qui veut aller plus vite et ne se venge d'aucune façon.

 

La vertu de Prudence

 

52. Cette vertu a toujours été présentée comme une des plus nécessaires et importantes dans le contexte de la circulation routière, comme l'atteste la déclaration suivante : "Une autre vertu à ne pas oublier est la prudence. Elle exige une marge appropriée de précautions avec lesquelles affronter les imprévus pouvant se présenter à tout moment"[19]. Il est certain que le conducteur qui se laisse distraire lorsqu'il conduit, en téléphonant ou en regardant la télévision, ne se comporte pas selon les règles de la prudence.

53. Et encore à propos de la prudence : "lÂ’usager de la route ne roule pas exagérément vite, quÂ’il apprécie, avec une large marge de sécurité, le temps techniquement  et psychologiquement nécessaire pour freiner, quÂ’il ne surestime pas sa propre agilité et habilité, quÂ’il surveille constamment son attention et sa conversation. Sur ce point, les compagnons de voyage doivent aussi connaître leurs responsabilités "[20].

 

La vertu de Justice

 

54. Il ne fait aucun doute que toute relation humaine doit être étayée par la justice, d'autant plus lorsque c'est la vie même qui est en jeu. Aussi, l'Eglise s'est référée à cette vertu dès le moment où  elle s'est intéressée au problème de la circulation. Nous rappelons à ce propos l'exhortation selon laquelle : "La justice requiert de celui-ci une connaissance complète et exacte du Code de la Route. Qui emploie la route, doit en connaître les règlements et les prendre en considération.

LÂ’automobiliste est en outre obligé de veiller à être dans une forme physique et psychique convenable. SÂ’il est en état dÂ’ivresse, il ne peut jamais prendre le volant, et on ne peut pas lÂ’y autoriser. LÂ’automobiliste est plus que quiconque tenu à observer la sobriété : lÂ’alcool engendre en effet un état dÂ’euphorie et diminue la présence dÂ’esprit à un point qui peut être fatal "[21].

55. Dans le respect de la justice, "l'usager de la route qui  a causé un dommage à autrui doit le réparer. SÂ’il est en conscience responsable de ce dommage, il doit veiller à ce quÂ’une réparation adéquate soit fournie à la victime ou à ses proches. Si le dommage sÂ’est produit dÂ’une façon tout à fait indépendante de sa responsabilité morale, il reste néanmoins tenu en conscience dÂ’indemniser les victimes selon les prescriptions légales et, en cas de constatation, dÂ’obtempérer à une sentence judiciaire"[22].

56. Par ailleurs, il faut aussi encourager les parents des victimes à pardonner à l'agresseur, en signe, difficile certes, de maturité humaine et chrétienne. Dans ce processus de pardon, il est utile, sinon nécessaire, de bénéficier du soutien spirituel de l'aumônier ou de l'agent pastoral et de célébrer expressément la "Journée du pardon"[23].

 

La vertu d'Espérance

 

57. C'est là une autre vertu qui doit caractériser le conducteur et le voyageur. En effet, celui qui entreprend un voyage part toujours en espérant arriver sain et sauf à destination, que ce soit pour réaliser ses affaires ou jouir de la nature, pour visiter des lieux célèbres ou lui rappelant des souvenirs, ou encore pour retrouver les personnes qui lui sont chères. Pour les croyants, la raison d'une telle espérance – tout en tenant compte des problèmes et des dangers de la route – réside dans la certitude qu'en voyageant vers son but, l'homme sera accompagné par Dieu qui le protégera des dangers. En vertu de cette compagnie de Dieu, et grâce à la collaboration de l'homme, il arrivera à destination.

58. Bien que Dieu soit le rocher sur lequel se fonde l'espérance chrétienne, la dévotion catholique emploie de nombreux intercesseurs auprès de Lui, Ses – et nos – véritables amis, les Anges, les Saints et les Saintes de Dieu, auxquels nous nous confions pour surmonter les dangers du voyage, avec la grâce divine. Rappelons à ce propos saint Christophe (Porteur du Christ), la présence de l'Ange gardien, l'Archange Raphaël qui accompagna Tobie (cf. Tb 5, 1 et suiv.), et que l'Eglise considère comme le protecteur des voyageurs. Les titres donnés aussi à la Sainte Vierge Marie, dans le cadre des voyages, sont aussi très significatifs. En effet, ne l'invoque-t-on pas comme Notre Dame de la route, la Vierge pèlerine, l'icône de la femme migrante ?[24]

59. Mais le recours à nos Intercesseurs célestes ne doit pas faire oublier l'importance du signe de la croix, fait avant de commencer le voyage. Par ce signe, on se met directement sous la protection de la Très Sainte Trinité. En effet, il nous fait nous adresser avant tout au Père, origine et fin. A ce propos, nous rappellerons les expressions du Psaume (91,11) : "il a pour toi donné ordre à ses anges de te garder en toutes tes voies".

En outre, par le signe de croix nous nous en remettons à Jésus-Christ, notre guide (cf. Jn 8,12). La rencontre d'Emmaüs (cf. Lc 24,13-35) nous assure que le Seigneur vient au devant de chaque personne sur la route, il vient loger chez celui qui l'invite, il voyage avec nous et reste à nos côtés.

Enfin, le signe de croix nous confie à "l'Esprit Saint, qui est Seigneur et donne la Vie"[25]. Il éclaire notre esprit et concède, à celui qui l'invoque, le don de la prudence pour parvenir à son but. Cela nous est confirmé par le chant du Veni Creator : "Ductore sic te praevio, vitemus omne noxium" (Si tu es là pour nous guider, nous éviterons tout ce qui est mauvais pour nous).

60. On pourra, pendant le voyage, prier utilement à haute voix; les passagers pourront eux aussi répondre et s'alterner dans la récitation, par exemple en récitant le Chapelet[26] dont le rythme et la répétition harmonieuse ne distraient pas le conducteur. Cela contribuera à faire ressentir la présence proche de Dieu, à rester sous sa protection, et il se peut que naisse le désir d'une éventuelle célébration communautaire, ou liturgique, si possible, en des lieux "stratégiques au plan spirituel" de la route ou du chemin de fer (sanctuaires, églises et chapelles, même mobiles).

 

Le "décalogue" du conducteur

 

61. En tous cas, en sollicitant l'automobiliste à exercer les vertus, certains ont voulu formuler à son intention un "décalogue" spécial, en analogie avec les dix "Paroles", c'est-à-dire les commandements du Seigneur. Nous le rapportons ci-après à titre indicatif, en étant conscients qu'il pourrait aussi être formulé différemment. Le voici :

  1. Tu ne tueras pas.

  2. Que la route soit pour toi un instrument de communion entre les personnes et non pas de dommage mortel.

  3. Que la courtoisie, la correction et la prudence t'aident à surmonter les imprévus.

  4. Sois charitable et aide ton prochain dans le besoin, en particulier s'il est victime d'un accident.

  5. Que l'automobile ne soit pas pour toi une expression de pouvoir, de domination, ni une occasion de pécher.

  6. Sois charitable envers les jeunes  - et ceux qui le sont moins aussi – en les dissuadant de se mettre au volant s'ils ne sont pas en condition de conduire.

  7. Aide les familles des victimes des accidents.

  8. Fais ton possible pour faire rencontrer au moment opportun la victime et l'automobiliste responsable de l'accident, afin qu'ils puissent vivre l'expérience libératrice du pardon.

  9. Sur la route, protège toujours celui qui est le plus faible.

  10. Sois conscient de ta responsabilité envers autrui.

 

VI. Mission de l'Eglise

 

Prophétie, dans une situation grave et alarmante

 

62. Dénoncer les situations dangereuses, comme celles provoquées par la circulation routière fait partie de la mission prophétique de l'Eglise. Le nombre d'accidents où les piétons aussi peuvent avoir une grave responsabilité est source de préoccupation. En outre, il faut dénoncer le danger de certaines courses automobilistes et de celles illégales sur le réseau urbain, qui constituent un risque grave.

63. Il n'est pas rare qu'en cas d'accident, la faute soit donnée aux conditions du revêtement routier, à un problème mécanique ou à des circonstances environnementales ; il faut cependant souligner que la plupart des accidents de voiture sont dus à des insouciances graves et gratuites – pour ne pas parler de comportement stupide et arrogant de la part du conducteur ou du piéton – et donc à un facteur humain.

 

Education routière

 

64. Devant un problème si grave, l'Eglise comme l'Etat, chacun dans le cadre de ses compétences propres, doivent agir et aller au-delà de la simple dénonciation, afin de créer une conscience générale et publique à propos de la sécurité routière, et de promouvoir, par tous les moyens à disposition, une éducation correspondante adéquate des automobilistes, mais aussi des voyageurs et des piétons.

65. De façon plus générale, rappelons que pour pouvoir faire quelque chose correctement, trois éléments sont nécessaires : savoir ce que l'on veut faire, vouloir le faire et enfin avoir développé suffisamment de réflexes et d'habitudes pour le faire de façon précise, exacte et rapide. Cela est valable aussi pour l'éducation routière, qui doit faire s'exercer l'intelligence et la volonté, mais aussi les comportements de routine.

66. A ce propos, l'Eglise se souciera de sensibiliser les consciences et de promouvoir une éducation routière qui tienne en considération les trois éléments cités précédemment: savoir ce que l'on veut en étant conscient du danger, de la responsabilité et des obligations qui en dérivent pour les conducteurs ou pour les piétons ; vouloir le faire, avec attention et application ; et enfin, développer les réflexes et les habitudes suffisants pour agir de façon précise, sans imprudence et sans courir de risques.

67. Pour ce faire, il ne faudra pas négliger, outre à l'engagement de la famille,  les possibilités d'éducation que proposent les paroisses, les associations laïques et les mouvements ecclésiaux, en particulier à l'intention des enfants et des jeunes.

68. Cela signifie susciter et encourager ce que nous pourrions appeler une "éthique de la route" qui, en définitive, n'est pas différente de l'éthique en général mais constitue une de ses applications.

 

Destinataires

 

69. Une question importante est la définition des sujets de l'éducation routière ; nous considérerons en premier lieu les sujets dits "actifs". La question de la circulation étant liée au bien commun, la solution du problème de la formation des automobilistes, des motocyclistes et des piétons implique toute une série d'acteurs et d'organismes sociaux, outre l'individu et la famille, la société en générale et les pouvoirs publics.

70. Chaque individu a l'obligation éthique de respecter les normes de circulation et, pour ce faire, il doit avant tout posséder des connaissances, fruit d'une formation apte à approfondir son sens des responsabilités. Le rôle de la famille occupe ici une place évidente et fondamentale dans l'éducation routière, qui fait partie du bagage devant nécessairement être transmis aux enfants pour leur bonne éducation générale.

De son côté, la société a l'obligation et le droit d'affronter ce problème, du fait qu'il concerne le bien commun. Le mot "société" est employé ici au sens large et diversifié, du fait qu'il englobe, par exemple, l'école, l'entreprise privée, le club, l'institution, la presse, etc. Par "société", on entend aussi les pouvoirs publics et l'administration civile dont l'intervention dans ce domaine spécifique – comme dans d'autres également – doit être basée sur le principe de subsidiarité[27].

71. Parmi les sujets "passifs" devant être éduqués, nous citerons en premier lieu l'enfant. En effet, il est nécessaire qu'il soit préparé très tôt à affronter la circulation, ce milieu dans lequel il passera une partie de sa vie, et ce pour deux raisons fondamentales.

Tout d'abord, parce qu'éduquer l'enfant à se diriger dans le trafic signifie lui donner les meilleurs moyens pour protéger sa propre vie. En effet, de nombreux enfants meurent chaque année sur les routes et nombreux aussi sont ceux qui, sans perdre la vie, restent handicapés et marqués pour toujours dans le physique et dans le psychique. Ensuite, parce que donner à l'enfant une éducation routière est la meilleure façon de garantir une future génération plus sûre et plus juste que celle d'aujourd'hui dans ce domaine.

72. Il faut aussi mettre l'accent sur le rôle irremplaçable de l'école, qui forme et informe. Car c'est surtout à l'école que l'enfant peut, en temps opportun, saisir le fondement éthique des problèmes de la circulation et le pourquoi de ses règles. C'est à l'école qu'il apprend que les problèmes de circulation ressortent du domaine plus vaste des problématiques de la vie humaine en commun, où la première urgence est de respecter autrui. C'est à l'école encore qu'on apprend la limitation personnelle consciente dans l'usage et la jouissance des biens communs et c'est aussi le lieu où doivent être apprises la courtoisie et la grandeur d'âme dans les rapports humains.

73. L'école est l'institution à laquelle la famille confie une partie très importante de ses devoirs éducatifs. C'est pourquoi elle constitue un instrument puissant et irremplaçable pour la formation intégrale de la personne ; si le devoir d'éducation routière n'est pas rempli, il s'en suivrait une lacune dangereuse dans la formation, qui serait alors difficile à combler.

74. Une importante occasion d'éducation routière est donnée à ceux qui entendent passer leur permis de conduire. Il s'agit là d'une étape de formation spécifique, d'une importance évidente, en particulier si le sujet n'a reçu précédemment aucune éducation routière. Les auto-écoles ont ici une grande responsabilité, ainsi que l'administration publique, à qui il revient de réglementer les épreuves auxquelles doit se soumettre l'aspirant conducteur.

75. Enfin, d'autres sujets devant recevoir une formation sont les nombreux usagers de la route eux-mêmes : non seulement les conducteurs, mais aussi les piétons non automobilistes qui, dans la plupart des cas, n'ont reçu aucune éducation routière adéquate. Nombre d'entre eux sont des personnes âgées qui ont des réflexes moins rapides pour affronter la circulation en toute sécurité. Le risque d'accident est donc plus élevé pour eux. 

 

Appel du Concile ÂŒcuménique Vatican II

 

76. Alors qu'il était mis à jour, et qu'en lui résonnait le Magistère ecclésiale précédent, le Concile Vatican II – en percevant les changements sociaux du XXème siècle et en mettant en garde contre l'individualisme pur et simple – a également attiré l'attention sur le problème de la circulation dans les termes suivants : "L'ampleur et la rapidité des transformations réclament d'une manière pressante que personne, par inattention à l'évolution des choses ou par inertie, ne se contente d'une éthique individualiste. Lorsque chacun, contribuant au bien commun par ses capacités propres et en tenant compte des besoins d'autrui, se préoccupe aussi, et effectivement, de l'essor des institutions publiques ou privées qui servent à améliorer les conditions de vie humaines, c'est alors et de plus en plus qu'il accomplit son devoir de justice et de charité (Â…). D'autres négligent certaines règles de la vie en société, comme celles qui ont trait à la sauvegarde de la santé ou à la conduite des véhicules, sans même se rendre compte que, par une telle insouciance, ils mettent en danger leur propre vie et celle d'autrui"[28].

77. En nous efforçant de répondre de façon appropriée et pastorale aux défis du monde contemporain, nous pouvons entrevoir ici un domaine pour un apostolat vaste et renouvelé, qui exige des sujets pastoraux dûment informés et actifs. Nous nous référons par exemple à l'expression de la sollicitude pastorale pour les chauffeurs de poids lourds, qui transportent des marchandises sur de longues distances, pour les chauffeurs d'automobiles et d'autocars, pour les touristes qui voyagent sur la route et par le rail, pour les responsables de la sécurité routière, pour les pompistes, les employés de la restauration routière, etc.

78. C'est aussi là le domaine pour  une "nouvelle évangélisation", cette nouvelle évangélisation tant désirée par le Pape Jean-Paul II. De ce secteur naît un appel urgent à chercher de nouvelles voies pour apporter l'Evangile sur les routes du monde, sur celles aussi de la communication routière et ferroviaire, ces nouveaux aréopages pour annoncer la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ, notre Sauveur. 

 

VII.      Pastorale de la route

 

79. Devant l'urgence de cet engagement évangélisateur dans la société industrialisée et techniquement avancée, et sans oublier les pays en voie de développement, l'Eglise veut susciter une prise de conscience renouvelée des obligations inhérentes à la pastorale de la route et de la responsabilité morale quant à la transgression des normes routières, et ce afin de prévenir le plus possible les conséquences fatales qui en dérivent. Le Concile ÂŒcuménique Vatican II demande aux évêques d'avoir "une sollicitude particulière pour les fidèles qui, en raison de leur situation, ne peuvent bénéficier suffisamment du ministère pastoral ordinaire et commun des curés, ou en sont totalement privés"[29].

 

Evangélisation dans le milieu routier

 

80. L'évangélisation du milieu routier se propose dans ce domaine particulier, en facilitant en tout lieu la course de la Bonne Nouvelle et l'administration des Sacrements, la direction spirituelle, le counselling et la formation religieuse des automobilistes, des transporteurs professionnels, des passagers et de tous ceux qui, d'une façon ou d'une autre, sont liés à la route et au chemin de fer.

Un effort commun est nécessaire, qui vise à prendre conscience des exigences éthiques dérivant de la circulation ;  il est nécessaire et opportun de soutenir les initiatives et les engagements qui ont pour but de promouvoir les valeurs éthiques et humaines sur la route et le chemin de fer, afin que la mobilité constitue un facteur de communion entre les hommes.

Il faut encore diffuser dans la société le message évangélique d'amour appliqué à la réalité de la route en renforçant en premier lieu la conscience des obligations morales incombant sur ceux et celles qui voyagent. en alimentant le sens des responsabilité et en assurant le respect des lois pour éviter toute atteinte et tout dommage à des tiers.

81. Les destinataires de cette pastorale sont tous ceux qui, dans des mesures différentes, sont liés à la route et au rail, et donc pas seulement les usagers de ceux-ci, mais aussi les professionnels et les travailleurs du secteur. Cette pastorale entend rapprocher les hommes d'aujourd'hui dans le milieu qui est le leur, pour les aider à vivre ensemble en paix, à exercer une solidarité réciproque, et pour les unir à Dieu en contribuant à faire de ce milieu un domaine plus conforme au message chrétien, et donc plus humain.

Pour ce faire, il faudra redécouvrir et mettre en pratique les vertus que doit posséder tout usager de la route, en particulier la charité, la prudence et la justice. Dans cette tâche, une aide consistante pourra être apportée par les moyens de communication, spécialement la radio, qui tient compagnie aux voyageurs.

Les Radios catholiques devront assumer un rôle plus actif dans ce domaine, au moyen aussi de chansons, d'un contenu non superficiel, et en exploitant les possibilités dont elles disposent pour la formation personnelle.

82. A propos de cette pastorale spécifique, il existe déjà diverses initiatives dans différents pays, dont certaines sont véritablement créatives et capables d'obtenir concrètement d'excellents résultats. Nous pensons, par exemple, aux chapelles (à demeure ou mobiles) le long des autoroutes, aux Liturgies célébrées périodiquement dans les noeuds routiers importants, dans les restoroutes et les parkings d'autocars. Nous pensons aussi aux "boutiques" d'objets religieux ou aux centres d'attention et d'information chrétienne pour les agents et les voyageurs, dans les gares ferroviaires et routières, dans les centres de rencontres, les paroisses, sur les autoroutes mêmes, aux frontières : activités dirigées par des prêtres et religieux/ses ou encore par des agents pastoraux laïcs.

Rappelons encore l'attention pour les âmes des transporteurs et de leurs familles, les clubs de motocyclistes, les rallyes et autres réunions semblables, ainsi que la bénédiction des véhicules, la "Journée européenne sans automobile", la célébration - nationale, diocésaine ou paroissiale - de la "Journée sans blessés de la route", ou encore de la "Journée du pardon", la collaboration avec la pastorale du tourisme et des pèlerinages, et d'autres secteurs de la mobilité, avec les aumôniers de la police de la route, les auto-écoles, etc.

83. Il revient, certes, aussi, aux Conférences épiscopales et aux structures correspondantes des Eglises catholiques orientales de fournir une réponse adéquate à ces défis pastoraux également. Pour cet apostolat, un minimum d'organisation est nécessaire, ou du moins un point de référence au plan de la nation, du diocèse, de l'éparchie ou de la région, capable de fournir des repères institutionnels à l'action de cette pastorale spécifique à ses débuts. Il pourrait être opportun de nommer à cet effet, un Promoteur national et, pourquoi pas, pour commencer, un Délégué diocésain, en confiant l'animation pastorale spécifique à un aumônier ou à un diacre, même à temps partiel.

Dans tous les cas, cette pastorale demande une conscience ecclésiale davantage missionnaire dans les structures ecclésiales aussi liées au territoire, une conscience capable d'imaginer et de réaliser une "pastorale en mouvement" et aussi de la mobilité, en vue d'une pastorale globale, ou "intégrée", pourrait-on dire, réelle et efficace. En effet, "à la mobilité contemporaine doit répondre la mobilité pastorale de l'Eglise"[30]. Pour ce faire, il sera souhaitable d'envisager des rencontres à différentes niveaux entre les agents pastoraux se consacrant à l'apostolat spécifique de la route, en vue d'échanger les informations et les expériences qui aideront à récolter davantage de fruits dans ce domaine de nouvelle évangélisation[31].

84. La mobilité – et ses problèmes -, véritable signe des temps, est une caractéristique de la société moderne dans le monde entier  et elle constitue aujourd'hui un défi important et urgent pour les Institutions,  pour les personnes, et pour l'Eglise aussi, qui a une  mission à cet égard. Ceux qui croient dans le Fils de Dieu fait homme, venu sur terre pour sauver l'humanité, ne peuvent pas rester inactifs face à ce nouvel horizon qui s'ouvre à l'évangélisation, en vue aussi de la promotion intégrale de tout l'homme et de tous les hommes, au nom de notre Seigneur Jésus-Christ.

 

 

IIème Partie

 

Pastorale pour la libération des femmes de la rue

 

85. Les femmes de la rue abordent leur "client" alors qu'ils sont dans leur véhicule, celui-ci étant aussi utilisé comme lieu du commerce sexuel. Une pastorale de la rue doit prendre en considération aussi ces situations, hélas communes, et accorder une grande attention à ceux qui "habitent" dans la rue.

86. Le Magistère du Pape Jean-Paul II encourage cet engagement pastoral, en dénonçant l'exploitation des femmes : "En considérant l'un des aspects les plus délicats de la situation des femmes dans le monde, comment ne pas rappeler la longue et humiliante histoire – fréquemment «souterraine» – d'abus commis à l'encontre des femmes dans le domaine de la sexualité ? A la veille du troisième millénaire, nous ne pouvons rester impassibles face à ce phénomène, ni nous y résigner. Il est temps de condamner avec force, en suscitant des instruments législatifs appropriés de défense, les formes de violence sexuelle qui ont bien souvent les femmes pour objet. Au nom du respect de la personne, nous ne pouvons pas non plus ne pas dénoncer la culture hédoniste et mercantile fort répandue qui prône l'exploitation systématique de la sexualité, poussant même les filles dès leur plus jeune âge à tomber dans les circuits de la corruption et à faire de leurs corps une marchandise"[32].

87. Le Saint-Père Benoît XVI enseigne que la prostitution féminine est un élément du trafic des personnes : "Le trafic d'êtres humains - et surtout de femmes - qui se développe là où les possibilités d'améliorer ses conditions de vie, ou même de survie, sont rares. Il devient facile pour le trafiquant d'offrir ses «services» aux victimes, qui souvent, n'ont pas le moindre soupçon de ce qu'elles devront ensuite affronter. Dans certains cas, des femmes et des jeunes filles sont destinées à être ensuite exploitées sur le lieu de travail comme des esclaves, et souvent également dans l'industrie du sexe. Bien que ne pouvant pas approfondir ici l'analyse des conséquences d'une telle migration, je fais mienne la condamnation, déjà exprimée par Jean-Paul II de «la culture hédoniste et mercantile fort répandue qui prône l'exploitation systématique de la sexualité» (Lettre aux femmes, 29 juin 1995, n° 5). Il existe ici tout un programme de rédemption et de libération, auquel les chrétiens ne peuvent se soustraire"[33].

 

I. Quelques points fixes

 

La prostitution est une forme d'esclavage

 

88. La prostitution est une forme d'esclavage moderne qui peut toucher aussi les hommes et les enfants. Il faut relever, hélas, que le nombre des femmes de la rue s'est accru de façon dramatique dans le monde, pour un ensemble de raisons complexes, qu'elles soient économiques, sociales ou culturelles. Il est important de reconnaître en tout premier lieu que l'exploitation sexuelle et la prostitution liée au trafic des êtres humains sont des actes de violence qui constituent une offense à la dignité humaine et une grave violation des droits fondamentaux.

89. Il faut aussi tenir compte du fait que, dans de nombreux cas, les femmes impliquées dans la prostitution ont connu des violences ou des abus sexuels déjà dans leur enfance. Elles arrivent à la prostitution soit dans l'espoir d'assurer un moyen suffisant de subsistance pour elles-mêmes et pour leurs familles, soit parce qu'elles doivent faire face à des dettes importantes, ou encore pour abandonner la situation de pauvreté qui était la leur dans leur pays d'origine, en pensant que le travail qui leur est offert à l'étranger pourra changer leur vie. Il est clair que l'exploitation sexuelle des femmes est une conséquence de différents systèmes injustes.

90. Un grand nombre des femmes de la rue qui se prostituent dans le monde dit développé, proviennent de pays pauvres ; et en Europe comme ailleurs, nombreuses sont celles qui sont victimes de la traite des êtres humains en réponse à une demande croissante de la part des "consommateurs" du sexe.

 

Migrations, trafic des êtres humains et droits de ceux-ci

 

91. Le lien entre migration, traite des êtres humains et droits est défini dans le Protocole des Nations Unies pour la prévention, la suppression et la punition de la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants[34].

Ceux qui émigrent pour faire face aux nécessités de la vie, et les victimes de la traite des êtres humains présentent de nombreux aspects semblables de par leur vulnérabilité ; mais il existe aussi des différences importantes entre la migration, la traite et la contrebande des personnes. Les femmes endettées et sans travail à cause de politiques de macro-développement, et qui émigrent pour vivre et aider leurs familles ou leurs communautés, sont dans une situation bien différente de celle des femmes qui sont victimes du trafic des êtres humains.

92. Pour élaborer une réponse pastorale efficace, il est important de connaître les facteurs qui poussent ou attirent les femmes à la prostitution, les stratégies utilisées par les intermédiaires et les souteneurs pour les garder sous leur contrôle, les itinéraires des pays d'origine à ceux de destination, et les ressources institutionnelles permettant d'affronter le problème. La communauté internationale et de nombreuses ONG augmentent progressivement leurs initiatives capables d'affronter les activités criminelles et de protéger les personnes victimes de la traite des êtres humains, en développant une vaste gamme d'interventions pour prévenir le phénomène et réhabiliter ses victimes au niveau de l'intégration sociale.

 

Qui sont les victimes de la prostitution ?

 

93. Les victimes de la prostitution sont des êtres humains qui, très souvent, crient pour demander de l'aide, pour être libérées de leur esclavage, car vendre son corps dans la rue n'est généralement pas ce que l'on choisirait de faire volontairement. Certes, chaque personne a sa propre histoire, mais toutes les histoires individuelles ont des facteurs communs : la violence, l'abus, le découragement et une moindre estime de soi, la peur et le manque de choix différents. Chacune porte des blessures profondes qui doivent être soignées, tandis que ce qu'elle recherche c'est le rapport, l'amour, la sécurité, l'affection, l'affirmation de soi, un avenir meilleur pour elle et pour sa famille.

 

Qui sont les "clients" ?

 

94. Les "clients" aussi sont des personnes ayant des problèmes profonds car, dans un certain sens, ils sont également des esclaves, avec leurs 40 ans d'existence et plus (dans la majorité des cas). Mais, parmi les "clients", on trouve aussi un nombre croissant de jeunes de 16 à 24 ans. Le nombre d'hommes recherchant les prostituées plus pour les dominer que pour satisfaire des pulsions sexuelles est également en augmentation. Dans ce cas il s'agit de personnes qui dans leurs relations sociales et personnelles, se trouvent à expérimenter une perte de pouvoir et de "masculinité", et ne parviennent pas à développer des relations de réciprocité et de respect. Ces hommes recherchent les prostituées pour avoir une expérience de contrôle total et de domination sur une femme, même si ce n'est que brièvement.

95. Les "clients" doivent être aidés à résoudre leurs problèmes les plus intimes et à trouver des manières plus adéquates pour traiter leurs tendances sexuelles. "Acheter du sexe" à une prostituée ne résout certes pas les problèmes qui naissent surtout des frustrations, du manque de rapports authentiques et de la solitude qui caractérisent aujourd'hui un grand nombre de situations de la vie. Une démarche efficace vers un changement culturel dans le cadre du commerce sexuel pourrait consister à associer le code pénal à la condamnation de la part de la société.

96. Dans de nombreux cas, le rapport entre l'homme et la femme n'est pas un rapport d'égalité, du fait que la violence, ou la menace de la violence, assure à l'homme des privilèges et un pouvoir qui peuvent rendre les femmes silencieuses et passives. Avec les enfants, elles sont mises sur le trottoir, ou attirées par lui, à cause de la violence qu'elles subissent de la part des hommes vivant sous le même toit qu'elles qui, à leur tour, ont "intériorisé" des modèles de violence liés aux idéologies cristallisées dans les structures sociales. Il est extrêmement triste de constater que des femmes aussi participent à l'oppression et à la violence exercées sur d'autres femmes, au sein de réseaux criminels liés à la prostitution.

 

II.  Devoir de l'Eglise

 

Promouvoir la dignité de la personne

 

97. L'Eglise a la responsabilité pastorale de défendre et de promouvoir la dignité humaine des personnes exploitées dans la prostitution, et d'argumenter pour leur libération en assurant, pour ce faire, un soutien économique, éducatif et de formation.

98.  Pour répondre à ces besoins pastoraux, l'Eglise dénonce les injustices et la violence perpétrées contre les femmes de la rue et  invite tous les hommes et les femmes de bonne volonté à s'engager pour soutenir la dignité humaine, en mettant fin à l'exploitation sexuelle.

 

Dans la solidarité et dans l'annonce de la Bonne Nouvelle

 

99. Une solidarité renouvelée est donc nécessaire dans les communautés chrétiennes et entre les congrégations religieuses, les mouvements laïcs, les nouvelles communautés, les institutions et les associations catholiques, afin d'accorder davantage d'attention et de "visibilité" à la pastorale des femmes exploitées dans la prostitution, une pastorale qui ait en son centre l'annonce explicite de la Bonne Nouvelle de la libération intégrale en Jésus-Christ, c'est-à-dire du salut chrétien.

100. En se chargeant des besoins des femmes tout au long des siècles, les congrégations religieuses – en particulier celles féminines – ont toujours été attentives aux signes des temps en redécouvrant la valeur et l'importance de leurs charismes dans de nouveaux contextes sociaux. Aujourd'hui, en méditant fidèlement la Parole de Dieu et la Doctrine sociale de l'Eglise, les religieuses à travers le monde cherchent de nouveaux moyens pour témoigner en faveur de la dignité féminine.

Elles offrent aussi aux femmes de la rue un large éventail de services d'assistance, dans des centres d'accueil, des logements et des maisons sûres et en réalisant des programmes de formation et d'éducation. En outre, les membres des ordres contemplatifs assurent leur solidarité en apportant leur soutien par la prière et, dans la mesure du possible, une assistance financière.

101. Des programmes spécifiques de formation destinés aux agents pastoraux sont nécessaires pour développer les compétences et les stratégies visant à combattre la prostitution et la traite des personnes. Ces programmes sont des réalisations importantes du fait qu'ils engagent les prêtres, les religieux, les religieuses et les laïcs dans la prévention des phénomènes qui sont en cause ici, et dans la réinsertion sociale des victimes. Un rôle essentiel est celui joué par la collaboration et la communication entre les églises d'origine et celles de destination[35].

 

Approche pluridimensionnelle

 

102. Une approche pluridimensionnelle est nécessaire pour que l'Eglise puisse mettre en Âœuvre son action de libération des femmes de la rue. Cette approche doit impliquer aussi bien les hommes que les femmes, et mettre les droits humains au centre de toutes les stratégies.

103. Les hommes ont un rôle important à jouer dans les efforts pour réaliser l'égalité entre les sexes, dans un contexte de réciprocité et de différences justes. Les exploiteurs (en général les "clients" sont des hommes, des trafiquants, des touristes du sexe, etc.) ont besoin d'être éclairés sur la hiérarchie des valeurs humaines et sur les droits humains. Ils doivent aussi entendre clairement que l'Eglise les condamne pour leur péché et pour l'injustice qu'ils commettent. Cela est également valable pour le "négoce" homosexuel et transsexuel.

104. Dans les Etats où la prostitution est répandue - conséquence du trafic des personnes -, les Conférences épiscopales, ainsi que les structures correspondantes des Eglises orientales catholiques devront dénoncer ce fléau social. Il faut aussi que soient promus le respect, la compréhension, la compassion et une attitude s'abstenant de tout jugement - dans le bon sens du terme - à l'égard des femmes prisonnières du réseau de la prostitution.

Les évêques, les prêtres et les agents pastoraux doivent être encouragés à affronter cet esclavage dans leur ministère ecclésial, du point de vue pastoral. Les congrégations religieuses s'efforceront de compter sur la force de leurs institutions et d'unir leurs énergies pour informer, éduquer et agir.

105. Toutes les initiatives pastorales mettront l'accent sur les valeurs chrétiennes, sur le respect réciproque, sur de saines relations familiales et communautaires, en même temps que sur la nécessité d'équilibre et d'harmonie dans les relations interpersonnelles entre hommes et femmes.

En outre, il est urgent que les différents projets promus afin de faciliter le rapatriement et la réinsertion sociale des femmes prisonnières de la prostitution reçoivent aussi un soutien financier approprié. A ce propos, il est recommandé aux associations religieuses, ayant pour but l'assistance et la libération de ces personnes et opérant à travers le monde, de se rencontrer.

Pour ce qui est des "clients", l'implication et le soutien du clergé ont un rôle déterminant, qu'il s'agisse de la formation des jeunes, en particulier des hommes, ou de la difficile action de proximité humaine, mais aussi de la formation et de la guide spirituelle.

106. Pour ce qui est de la coopération pour parvenir à éliminer l'exploitation sexuelle, elle doit être totale entre les organismes publics et privés.

Il est aussi nécessaire de collaborer avec les moyens de communication sociale, pour assurer une information correcte sur ce très grave problème. L'Eglise souhaite que soient présentées et appliquées les lois qui protègent les femmes du fléau de la prostitution et de la traite des personnes. Il est également important de tout mettre en Âœuvre pour parvenir à des mesures efficaces pour lutter contre les représentations dégradantes de la femme dans la publicité.

Enfin, les communautés chrétiennes seront encouragées à collaborer avec les Autorités nationales et locales pour aider les femmes de la rue à trouver des ressources alternatives leur permettant de vivre.

 

III. Récupération des femmes et des "clients"

 

107. Des rapports pastoraux instaurés avec les victimes, il ressort que leur guérison nécessite des soins longs et difficiles. Les femmes de la rue ont en effet besoin d'être aidées à trouver un logement, un milieu familial et une communauté où elles se sentent acceptées et aimées, et où elles puissent commencer à reconstruire leur vie et leur avenir. Cela leur permettra de retrouver l'estime de soi et la confiance en soi, ainsi que la joie de vivre, et de recommencer une vie nouvelle sans se sentir montrées du doigt.

La libération et la réinsertion sociale des femmes de la rue exigent acceptation et compréhension de la part des communautés ; le chemin de la "guérison" de ces femmes sera facilité par un amour authentique et des propositions diversifiées capables de satisfaire leurs désirs de sécurité, d'affirmation de soi et d'occasions pour une vie meilleure. Le trésor de la foi (cf. Mt 6,21), si celle-ci est encore vivante en elles malgré tout, ou bien sa découverte, les aidera immensément, car la certitude d'être aimées de Dieu, miséricordieux et grand dans l'amour, assure une grande force dans le bien.

 

108. Les "clients", eux, ont besoin d'être éclairés sur le respect et la dignité de la femme, les valeurs interpersonnelles et tout ce qui concerne les rapports et la sexualité. Dans une société où les idéaux sont l'argent et le "bien-être", des relations adéquates et une éducation sexuelle sont nécessaires pour la formation globale des personnes. Ce type d'éducation doit illustrer la véritable nature des rapports interpersonnels basés non pas sur l'intérêt égoïste ou sur l'exploitation, mais sur la dignité de la personne, celle-ci devant être respectée et appréciée avant tout en tant qu'image de Dieu (cf. Gn 1,27). Dans ce contexte, il faut rappeler aux croyants que le péché est une offense au Seigneur, et qu'ils doivent l'éviter de toutes leurs forces, en s'en remettant avec confiance à l'action de  la grâce de Dieu.

 

Education et recherche

 

109. Il est important d'aborder le problème de la prostitution à partir d'une vision chrétienne de la vie. Cela pourra être fait dans les groupes de jeunes au sein des écoles, des paroisses et des familles, afin de développer des jugements corrects sur les rapports humains et chrétiens, du respect, de la dignité, les droits humains et la sexualité. Les formateurs et les éducateurs devront tenir compte du contexte culturel dans lequel ils opèrent, mais ne pas permettre qu'un sentiment indu d'embarras les empêche de s'engager dans un dialogue approprié sur ces sujets, afin d'éveiller la conscience et une juste préoccupation à propos de l'abus de la sexualité.

110. La cause de la violence en famille et son effet sur les femmes doivent être pris en considération et étudiés à chaque niveau de la société, en particulier pour ce qui est de leur impact sur la vie familiale. Les conséquences pratiques de la violence "intériorisée" devront être clairement identifiées, pour les hommes comme pour les femmes.

111. L'éducation et l'augmentation de la prise de conscience sont des conditions essentielles pour affronter l'injustice dans les relations homme-femme et pour créer l'égalité entre eux, dans un contexte de réciprocité et en tenant compte des justes différences. Les hommes, tout comme les femmes, doivent prendre conscience du phénomène de l'exploitation sexuelle et connaître les droits et les responsabilités qui sont les leurs.

Aux hommes en particulier, il faut proposer des initiatives qui affrontent les problématiques de la violence contre les femmes, de la sexualité, de l'HIV/SIDA, de la paternité et de la famille, en les situant en rapport avec le respect et la charité envers les femmes et les jeunes filles, dans le cadre de relations réciproques, et dans un examen comprenant une juste critique des coutumes traditionnelles liées à la masculinité.

 

Doctrine sociale catholique

 

112. L'Eglise enseigne et diffuse sa doctrine sociale qui propose des lignes claires de comportement et invite à lutter pour la justice[36]. S'engager à différents niveaux – local, national et international – pour la libération des femmes de la rue, c'est agir en véritable disciple du Seigneur Jésus, une expression d'amour chrétien authentique (cf. 1 Co 13,3). Il est essentiel de développer la conscience chrétienne et sociale des personnes à travers la prédication de l'Evangile du salut, l'enseignement catéchétique et diverses initiatives de formation.

La formation spécifique des séminaristes, des jeunes religieux et religieuses et des prêtres est également nécessaire afin qu'ils puissent acquérir les capacités et les attitudes justes leur permettant, toujours avec un amour authentique, d'être aussi des pasteurs pour les femmes prisonnières de la prostitution  et pour leurs "clients".

 

IV. Libération et rédemption

 

Assistance et évangélisation

 

113. Pour ce qui est de l'assistance à assurer, l'Eglise peut en proposer une grande variété aux victimes de la prostitution : logements, centres de référence, assistance médicale et légale, centres de consultation, formation vocationnelle, éducation, réhabilitation, défense et campagnes d'information, protection contre les menaces, liaisons avec la famille, assistance pour le retour volontaire et la réintégration dans le pays d'origine, aide pour l'obtention du visa leur permettant de rester lorsque le retour se révèle impossible.

Mais avant tous les services indiqués, et outre ceux-ci, c'est la rencontre avec le Christ Jésus, Bon Samaritain et Sauveur, qui constitue le facteur décisif de libération et de rédemption, pour les victimes de la prostitution également (cf. Mc 16,16 ; Ac 2,12 ; 4,12 ; Rm 10,9 ; Ph 2,11 et 1 Th 1,9-10).

114. Aborder les femmes et les jeunes filles de la rue pour les affranchir est une entreprise complexe et exigeante, qui implique aussi des activités visant la prévention et un accroissement de la conscience du problème dans les pays d'origine, dans ceux de transit et de destination des femmes qui font l'objet du trafic.

115. Des initiatives de réintégration sont indispensables dans les pays d'origine, pour les femmes qui y retournent. Tout aussi importants sont la défense et l'information, ainsi que l'existence d'un "réseau de liaison". Il faut renforcer celui qui est engagé dans la pastorale de ce secteur, c'est-à-dire les volontaires, les associations et les mouvements, les congrégations religieuses, les diocèses, les organisations non gouvernementales (ONG), les groupes Âœcuméniques et interreligieux, etc.

Les Conférences nationales de religieux et religieuses sont encouragées à nommer, dans ce secteur pastoral spécifique, une personne chargée de la liaison au sein du "réseau" opérant dans le pays et hors du pays.

 

 

IIIème Partie

 

Pastorale pour les enfants de la rue

 

116. Nous voulons rappeler ici les mots du Pape Jean-Paul II : "Donnons aux enfants un avenir de paix! Tel est l'appel que j'adresse en toute confiance aux hommes et aux femmes de bonne volonté, les invitant tous à aider les enfants à grandir dans un climat de paix authentique. C'est leur droit, c'est notre devoir. (Â…) Dans certains pays, il y a des enfants qui sont contraints à travailler à un âge encore tendre, qui sont maltraités, punis avec violence, rétribués avec un salaire dérisoire; ils n'ont aucun moyen de se faire valoir: ils sont donc les victimes les plus faciles du chantage et de l'exploitation"[37]. Dans un télégramme au Directeur général de l'Organisation Internationale du Travail, le Saint-Siège a déclaré : "Personne ne peut rester indifférent face aux souffrances des nombreux enfants qui sont victimes d'une exploitation et d'une violence intolérables, non comme étant précisément le résultat du mal perpétré par les individus, mais souvent comme la conséquence directe de structures sociales corrompues"[38].

117. L'Organisation des Nations Unies a affirmé solennellement qu'il "importe de préparer pleinement l'enfant à avoir une vie individuelle dans la société, et de l'élever dans l'esprit des idéaux proclamés dans la Charte des Nations Unies, et en particulier dans un esprit de paix, de dignité, de tolérance, de liberté, d'égalité et de solidarité"[39].

Aussi, le Conseil pontifical pour la Pastorale des Migrants et des Personnes en Déplacement accorde-t-il aussi son attention pastorale aux petits habitants – garçons et filles - de la rue.

 

I. Phénomène, causes et interventions possibles

 

Le phénomène

 

118. Les enfants de la rue constituent  l'un des défis les plus contraignants et inquiétants de notre siècle pour l'Eglise comme pour la société civile. Il s'agit d'un phénomène d'une étendue insoupçonnée, une population en croissance presque partout, qui compte  déjà 100 millions d'enfants environ. Il s'agit d'une véritable urgence sociale, outre que pastorale.

119. Même lorsque les institutions publiques prouvent qu'elles sont conscientes de la gravité du phénomène, elles ne se mobilisent pas de façon appropriée en vue d'interventions efficaces de prévention et de récupération. Dans  la société civile elle-même, l'attitude qui prévaut est celle de l'alarme sociale, qui se déclenche devant une menace à l'ordre public. Les attitudes humanitaires, solidaires, mais aussi chrétiennes, ont du mal à émerger : il en découle qu'une pastorale spécifique est encore davantage absente.

120. Les enfants des rues, au sens strict, n'ont aucun lien avec leur noyau familial d'origine, c'est-à-dire que ce sont des enfants qui ont choisi de loger dans la rue et qu'ils y dorment aussi, et ce dans un large éventail de situations. Certains ont souffert l'expérience traumatisante d'une famille désagrégée et sont restés seuls, d'autres se sont enfuis de chez eux parce qu'ils étaient négligés ou maltraités.

D'autres refusent le toit familial ou en ont été chassés, parce qu'ils sont compromis avec des formes de déviation (drogue, alcool, vols et divers expédients pour survivre), et d'autres encore ont été amenés à vivre dans la rue à la suite de promesses, de séduction ou de violence de la part d'adultes ou de clans mafieux.

C'est souvent le cas pour les jeunes filles étrangères contraintes de se prostituer ou, pour les enfants mineurs étrangers non accompagnés, obligés de demander l'aumône, ou même de se prostituer. Il arrive que tous ces jeunes ont fréquemment à faire avec les forces de l'ordre et qu'ils font souvent l'expérience de la prison.

121. Une situation différente est celle des "enfants dans la rue", c'est-à-dire de ceux qui passent une grande partie de leur temps dans la rue, même s'ils ont une "maison" et sont liés à leur famille d'origine. Ceux-ci préfèrent vivre au jour le jour, avec peu ou pas du tout de responsabilités pour ce qui est de leur formation et de leur avenir, dans des groupes peu recommandables, habituellement hors de leurs familles, même s'ils peuvent encore trouver chez eux un lit pour dormir. Leur nombre est certainement préoccupant, dans les pays développés également.

 

Les causes du phénomène

 

122. Nombreuses sont les causes à la base de ce phénomène social aux dimensions toujours plus alarmantes. parmi les principales : la désagrégation croissante des familles, les situations de tension entre les parents ; les comportements agressifs, violents et parfois pervers, à l'égard des enfants ;  l'émigration, avec ce qu'elle comporte de déracinement du contexte de vie habituel et la désorientation qui en découle ; les conditions de pauvreté et de misère qui mortifient la dignité et privent de l'indispensable pour survivre ; la diffusion de la dépendance de la drogue et de l'alcoolisme ; la prostitution et l'industrie du sexe, qui continuent de moissonner un nombre impressionnant de victimes, poussées au plus atroce des esclavages, souvent par des violences hallucinantes.

Parmi les causes du phénomène, il faut aussi compter les guerres et les désordres sociaux qui  bouleversent la normalité de la vie, y compris celles d'enfants mineurs ; et il ne faut pas sous-estimer,  en Europe surtout, la diffusion d'une "culture de la défonce et de la transgression" dans des milieux caractérisés par le manque de valeurs de référence, et où la solitude et un sentiment toujours plus profond de vide existentiel caractérisent le monde des jeunes en général.

 

Les interventions et leurs objectifs

 

123. Plus on constate l'importance alarmante du phénomène et l'absence effective des pouvoirs publics, et plus est précieuse et appréciable l'intervention du secteur privé social et du volontariat dans ce domaine. L'associationnisme ecclésial et celui d'inspiration chrétienne se révèlent actifs et efficaces à travers leurs nouveaux mouvements et communautés, mais ils sont toutefois insuffisants face à l'étendue des nécessités, en étant souvent dépourvus de toute pastorale organique spécifique.

Il faut donc que les diocèses et les Conférences épiscopales, mais aussi les structures correspondantes au sein des Eglises orientales catholiques, affrontent  ce problème au plan pastoral, pour la prévention comme pour la récupération des jeunes.

124. Dans la variété des initiatives concrètes, on constate dans ce domaine une concordance substantielle des objectifs : la récupération des enfants de la rue pour un retour à une vie normale, qui comporte leur réinsertion dans la société mais surtout dans un milieu familial, si possible dans la famille d'origine ou bien dans une autre, ou encore si cela n'est pas possible, dans des structures communautaires, mais toujours de type familial.

L'engagement prioritaire est de redonner aux jeunes la confiance en soi, en leur faisant retrouver l'estime de soi, le sens de leur dignité et, par conséquence, la conscience de leur responsabilité personnelle, pour que puisse naître en eux le désir profond de reprendre un parcours scolaire et de se préparer professionnellement à une insertion dans le monde du travail, au sein de la société, afin de pouvoir développer, en comptant sur leurs propres forces et non seulement en dépendant exclusivement d'autrui, des projets de vie dignes et enrichissants.

125. Les typologies d'interventions peuvent être très diversifiées. par exemple, ce qui est appelé l'engagement dans la rue, et qui prévoit de contacter les enfants dans leurs lieux où ils se réunissent, afin d'instaurer un rapport empathique et de confiance qui leur permette de s'ouvrir aux éducateurs ; ou encore les centres diurnes visant à promouvoir les conditions essentielles pour que les enfants puissent vivre dignement.

Il existe aussi des initiatives de soutien  pour venir en aide aux besoins primaires des jeunes : cantines, dépôts vestimentaires, assistance socio-sanitaire et structures pour l'éducation et la formation (écoles maternelles, écoles, cours de formation professionnelle). Des centres d'accueil résidentiels sont aussi organisés, qui leur dispensent instruction et éducation mais surtout où l'accent est mis sur l'accompagnement humain, à partir aussi des disciplines psycho-pédagogiques.

126. Dans le cadre des activités organisées pour la réinsertion des jeunes dans leur noyau originel d'appartenance ou dans de nouvelles communautés d'adoption, des parcours d'accompagnement spirituels basés sur l'Evangile sont aussi réalisés dans certains cas.

Enfin, il ne faut pas oublier, sur une plus vaste échelle, les activités de la société civile et ecclésiale non seulement pour informer, mais aussi pour sensibiliser et impliquer principalement pour prévenir le phénomène, et pour soutenir les enfants de retour dans leur milieu naturel, ainsi que des cours de formation et d'aggiornamento destinés aux agents et aux volontaires, de sorte à garantir à tous un professionnalisme sérieux.

 

II. Questions de méthode

 

Caractère pluridimensionnel

 

127. Pour ce qui est de la méthode, l'objectif fondamental est l'intégration des différentes interventions : le travail de tous les agents en équipe, l'engagement parallèle de soutien aux parents - si ceux-ci sont repérables et disponibles à collaborer -, la réinsertion des jeunes dans l'école ou dans la formation professionnelle, la construction et l'élargissement de réseaux d'amitié - hors des structures d'accueil également -, les activités ludiques et sportives et tout ce qui encourage les jeunes à assumer des rôles actifs de responsabilité et de création.

128. Certes, l'engagement auprès des enfants de la rue n'est pas des plus faciles et, parfois, il semble même vain et frustrant ; on peut alors avoir la tentation de baisser les bras et de se retirer. Dans ces cas, il faut s'accrocher aux motivations de fond qui ont poussé à se consacrer à cette Âœuvre méritoire. Pour le croyant, ce sont en premier lieu des motivations de foi.

Dans tous les cas, il est utile de s'arrêter sur les cas d'expériences vraiment positives, sur ceux qui soutiennent, justement, que le travail obtient des résultats satisfaisants chez beaucoup des personnes, parfois même dans la plupart des cas. Il faut, avec prudence et patience, attendre la confirmation dans le temps, en vérifiant, par exemple après cinq ans, le "maintien" de la récupération et de la normalisation du sujet. Il peut y avoir une rechute, un retour à la rue, mais il peut aussi arriver que le jeune qui, dans un premier temps, est réfractaire à l'Âœuvre des éducateurs, s'ouvre plus tard au chemin de récupération et aux valeurs qui lui avaient été proposées auparavant sans obtenir de résultat.

 

III. Devoir d'évangélisation et de promotion humaine

 

Une pastorale spécifique

 

129. L'évidence apparaît clairement qu'il est nécessaire de prendre davantage conscience de la gravité du phénomène analysé ici et de s'engager de façon plus systématique pour l'affronter – et cela est aussi valable pour le milieu ecclésial. A ce niveau, les interventions à caractère humanitaire en faveur des enfants de la rue devraient être accompagnées du devoir général premier de l'évangélisation ; il est donc recommandé de préparer une pastorale spécifique caractérisée par la proposition de nouvelles stratégies et de nouvelles méthodes pour placer ces jeunes en contact avec la force libératrice et apaisante de Jésus, ami, frère et Maître. Une pastorale compétente de première – ou nouvelle – évangélisation est nécessaire et irremplaçable si l'on veut récupérer et valoriser la dimension religieuse, fondamentale dans chaque personne.

130. L'éducateur et l'agent pastoral se trouvent alors face à une double possibilité et modalité d'intervention : celle qui vise directement la proposition religieuse et spécifiquement évangélique, pour que les enfants – une fois ceux-ci insérés dans ce domaine de foi et de valeurs humaines – puissent se libérer des conditionnements et surmonter les difficultés qui les ont conduits dans la rue ; ou bien celle qui vise la récupération humaine des enfants jusqu'à leur redonner l'équilibre, la normalité et une pleine identité humaine.

Cette Âœuvre patiente doit aussi être accompagnée de propositions et de références religieuses, dans la mesure où cela est compatible avec la condition des enfants eux-mêmes, et avec celle des pays où ils se trouvent. De tels itinéraires ne doivent certes pas être opposés l'un à l'autre. Ils peuvent tous être efficaces.

131. La proposition religieuse reste fondamentale dans le tableau global de l'intervention de récupération. Le problème qui unit une grande partie de la "population de la rue" n'est pas seulement la misère, la dépendance de la drogue, l'alcoolisme, les déviations, la violence, la criminalité, le SIDA ou la prostitution, mais plutôt le mal terrible dit de "la mort de l'âme". Il s'agit trop souvent de personnes qui, tout en étant dans la fleur de la jeunesse, sont "mortes au dedans".

 

Une pastorale de la rencontre, une nouvelle évangélisation

 

132. Il faut donc saisir l'invitation pressante qui a résonné souvent au cours du pontificat de Jean-Paul II, celle d'une nouvelle évangélisation. Seule la rencontre avec le Christ ressuscité peut redonner la joie de la résurrection à ceux qui ont connu la mort. Seule la rencontre avec Celui qui est venu panser les plaies des cÂœurs transpercés (cf. Is 61,1-2 ; Lc 4,18-19) peut opérer une guérison profonde des blessures dévastatrices d'êtres traumatisés et pétrifiés par les trop nombreuses frustrations et violences subies.

133. Il est important de passer de la pastorale de l'attente à la pastorale de la rencontre, de l'accueil, en agissant avec imagination, créativité et courage pour atteindre les enfants dans leurs nouveaux lieux de rencontre, dans les rues, sur les places, ainsi que – en élargissant la perspective – dans les différents night clubs et discothèques, et dans les zones plus "chaudes" de nos grandes villes. Il faut aller à leur devant, avec amour, pour leur apporter l'heureuse Nouvelle et pour témoigner, avec notre propre expérience de vie, que le Christ est le Chemin, la Vérité et la Vie.

134. Il est indispensable d'être des témoins de la lumière du Christ qui éclaire et ouvre de nouveaux chemins à ceux qui se sentent assaillis par les ténèbres. Il est urgent de réveiller, dans la communauté chrétienne, la vocation au service et à la mission, dans une conscience croissante et ressentie du pouvoir salvifique de la foi et des sacrements. Trop d'enfants continuent en effet de mourir dans les rues dans la plus grande indifférence.

Ne pas relever, dans un engagement profond, l'invitation vibrante à une nouvelle évangélisation constitue un véritable péché. Aussi est-il important de contempler, dans les projets pastoraux, les interventions les plus diversifiées susceptibles d'apporter la première annonce à ceux qui sont "éloignés", de donner la possibilité aux enfants de la rue aussi de découvrir que quelqu'un les aime et qu'ils ne sont pas seuls dans leur recherche pour rétablir un nouveau rapport avec eux-mêmes, avec les autres, avec Dieu, avec la communauté d'appartenance ou d'adoption.

 

IV. Quelques propositions concrètes

 

135. Des expériences ayant déjà fait leur preuve présentent comme souhaitables :

-    la création de communautés et de groupes (paroissiaux ou non) où les jeunes aient la possibilité de connaître et de vivre l'Evangile de façon radicale, en expérimentant par eux-mêmes la puissance qui guérit ;

-  l'institution, dans les paroisses et dans les différentes réalités ecclésiales, d'écoles de prière qui impriment un nouvel élan à la dimension contemplative et missionnaire des divers groupes ;

-   la formation d'équipes évangélisatrices, capables de témoigner, avec enthousiasme, de la merveilleuse Nouvelle que le Christ est venu nous apporter, ainsi que de jeunes "missionnaires" qui apportent l'étreinte du Christ ressuscité aux jeunes de leur âge et aux "nouveaux pauvres" ou esclaves de notre monde ;

-   la formation, dans les diocèses et les éparchies, de jeunes toujours mieux préparés au plan professionnel et qui sachent orienter leurs talents artistiques et musicaux vers la création de nouveaux spectacles caractérisés par des contenus "évangéliques" ;

-    la création de centres de formation pour l'évangélisation de la rue ;

-    la réalisation de lieux alternatifs où les jeunes puissent se retrouver et qui offrent des propositions denses en valeurs et en signification;

-  l'institution de centres d'écoute et l'élaboration d'initiatives de prévention et d'évangélisation au sein des écoles ;

-  un engagement pour utiliser les mass media comme de précieux instruments pour "crier l'Evangile sur les toits" (cf. Mt 10,27) ;

-    la constitution de nouvelles communautés et de nouveaux groupes d'accueil, qui puissent accompagner les enfants sur un chemin long et contraignant de guérison intérieure, basé sur l'Evangile, grâce à cet amour que le Christ nous a enseigné, un amour qui ne se contente pas de "faire la charité", mais qui prend sur soi les cris, les angoisses, les blessures, la mort des petits et des pauvres, un amour prêt à donner sa vie pour ses amis.

 

V. Icônes de l'éducateur

 

Jésus, le bon Pasteur, et les disciples d'Emmaüs

 

136. L'éducateur également, sans partir d'une proposition religieuse forte et explicite, peut vivre une attitude intérieure s'inspirant de l'Evangile, et bien exprimée dans une triple icône évangélique. En premier lieu, celle de Jésus face à l'adultère (cf. Lc 7,36-50 ; Jn 8,3-11) : le Maître est respectueux et affectueux, il ne juge ni ne condamne la personne ; au contraire, par son attitude même  il l'encourage à changer de vie.

La deuxième icône. celle du bon Pasteur (cf. Mt 18,12-14 ; Lc 15,4-7) qui part à la recherche de la brebis égarée (d'autant plus s'il s'agit d'un agneau), invite à ne pas attendre, et encore moins à ne pas prétendre, que ce soit la brebis qui retrouve le chemin de la bergerie. Aussi, les étapes obligatoires souhaitées pour une pastorale des enfants de la rue sont les suivantes : observer, écouter, comprendre du dedans ce monde si mystérieux (le bon Pasteur connaît ses brebis) ; prendre l'initiative de la rencontre, aller dans les rues, afin que l'enfant comprenne que les éducateurs sont à leur aise là aussi où il a choisi de vivre, ou est obligé de vivre (le Pasteur quitte la bergerie et part à la recherche de la brebis égarée) ; tisser avec lui un rapport spontané, chaleureux, affectueux et intéressé, un rapport véritablement amical qu'il n'est pas nécessaire de déclamer avec beaucoup de mots mais qui transparaît dans chaque geste (le Pasteur porte la brebis sur ses épaules et fait la fête avec ses amis, une fois qu'il l'a retrouvée).

La troisième icône est celle des disciples d'Emmaüs (cf. Lc 24,13-35): ceux-ci ouvrent enfin les yeux devant le Christ ressuscité et la perspective de la résurrection, après avoir avancé sur le chemin, le long duquel ce ne sont pas les yeux, mais le cÂœur, devenu ardent, qui s'est ouvert à la nouveauté de l'Evangile.

 

Avec un unique objectif final

 

137. Il est évident qu'avec une telle attitude intérieure, le second parcours éducatif présenté ci-dessus (n° 130) a beaucoup d'éléments en commun avec le premier et, surtout, tous deux ont un même objectif final.  Tous deux partagent aussi la même méthode, en particulier dans les traits fondamentaux que nous proposons ici :

- susciter la confiance et l'estime de soi chez les enfants, de sorte qu'ils comprennent et expérimentent qu'ils sont importants aux yeux de l'éducateur et que celui-ci est important pour eux. C'est là un point de départ indispensable pour que les enfants en difficultés puissent, avec conviction et décision, faire les premiers pas vers un autre choix de vie. Les enfants ont besoin d'être accompagnés dans la découverte de l'Amour de Dieu, à travers l'expérience concrète de se sentir accueillis, acceptés sans condition et aimés personnellement pour ce qu'ils sont. Ce contact en tête à tête doit se poursuivre également ensuite, après que les enfants aient été confiés aux soins d'autres éducateurs ou qu'ils aient quitté la structure d'accueil.

-  Laisser un espace aux enfants qui sont éduqués afin qu'ils aient un rôle actif dans la communauté, et susciter leur sens de responsabilité et de liberté pour qu'ils se sentent comme chez eux au sein de la communauté. Cela implique que, dans la "maison",  continuent de régner la chaleur, la spontanéité et la proximité amicale, plutôt que l'ordre, la discipline et des règles écrites.

- Cultiver les rapports personnels avec chaque enfant. En effet, pour autant que puissent être utiles les méthodologies et les règles générales, chaque enfant est un cas particulier, un monde original, et il a son histoire propre. Nombre d'entre eux ont fait preuve d'intelligence et d'énergie pour survivre à des situations très difficiles, se sont révélés habiles, créatifs, rusés. Alors, il faudra continuer de s'appuyer sur ces ressources, témoignages plus ou moins évidents de leur personnalité, pour les orienter et les "faire changer de chemin", pour les faire devenir eux-mêmes les sujets, et pas seulement les objets, de la pastorale en vue de leur récupération. Les programmes pédagogiques éducatifs ont un rôle important à jouer : conduire les enfants à redécouvrir et à mettre en valeur le potentiel positif qui est le leur, exploiter leurs talents et développer le plus possible leurs capacités.

- Avoir pour objectif que les enfants fassent leur et intériorisent en profondeur le projet éducatif, au point de devenir eux-mêmes, peut-être après quelques années, une aide pour d'autres enfants des rues et un encouragement pour eux à suivre le même itinéraire.  De sorte qu'ils assistent leurs éducateurs, devenant eux-mêmes tels, et sujets de cette pastorale spécifique.

-  Reconnaître dans l'engagement en faveur des enfants de la rue une voie privilégiée pour servir le Seigneur et Le rencontrer. N'a-t-Il pas dit, en effet : "Dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait" (Mt 25,40).

 

VI. Agents pastoraux

 

Préparation

 

138. Il va s'en dire que le meilleur des ressources engagées dans ce domaine doit avoir pour objectif de préparer les agents pastoraux au plan professionnel et spirituel, ceux-ci devant faire preuve d'une grande maturité humaine, c'est-à-dire être capables de renoncer au succès immédiat et avoir confiance en ce que le fruit de leur engagement se révèlera plus tard, sans doute après des moments où tout pouvait sembler perdu. Ils doivent en outre pouvoir agir en syntonie et en collaboration avec les autres éducateurs.

 

Ensemble, pour un engagement commun

 

139. Dans la mesure du possible, il faut prévoir un engagement avec la famille d'origine, qui puisse influencer positivement les dynamiques familiales et qui vise à soutenir, à reconstruire le tissu familial et à accompagner et réinsérer graduellement les enfants dans le noyau d'appartenance.

140. Il faut poursuivre un travail d'ensemble non seulement au sein des structures éducatives et pastorales elles-mêmes, mais aussi avec tous ceux qui, dans la région, sont engagés dans le même service, ou bien qui s'y intéressent.

Il faudra donc rechercher et accueillir toutes les collaborations possibles avec les autres forces, même si elles ne sont pas de matrice ecclésiale, et si elles s'appuient sur une sensibilité humaine authentique, ainsi qu'avec les organismes publics, même lorsqu'on ne peut pas ou qu'on ne désire pas, volontairement, compter sur les financements publics.

141. Cependant, une grande attention devra être réservée à ce que les interventions de suppléance de l'associationnisme et du volontariat ne créent pas, chez ceux qui devraient intervenir, la mentalité et le prétexte pour se libérer de tout engagement. De la part de l'Eglise également, il faudra, lorsque cela est nécessaire, ajouter à la fonction de proposition et d'encouragement celle de la critique constructive et de la dénonciation prophétique des situations injustes et inhumaines.

 

En "réseau" et avec un minimum de structures pastorales

 

142. Il faudra, en outre, s'efforcer de "mettre en réseau" ce qui existe déjà sur un territoire donné afin que les personnes qui ont déjà une longue expérience puissent la partager, surtout si elle est positive, avec ceux qui en sont encore à leurs premières armes, et leur apporter un soutien éventuel.

143. Les enfants de la rue sont le reflet de la société dans laquelle ils vivent. Les agents doivent aider la société à prendre conscience de la responsabilité qui est la sienne, et alimenter en elle un certain sentiment de saine inquiétude à l'égard des enfants. L'Eglise locale et les communautés chrétiennes doivent, elles aussi, leur accorder une attention semblable.

144. Dans le cadre de cette mobilisation en faveur des enfants de la rue, il sera très utile de créer, au sein des Conférences épiscopales et des structures correspondantes des Eglises orientales catholiques et/ou dans les diocèses/éparchies les plus intéressés au problème, un bureau spécifique (ou une section dans un bureau déjà existant, par exemple celui de la pastorale de la mobilité humaine, ou celle de la route), en liaison avec l'engagement apostolique des jeunes ou de la famille.

Il est également souhaitable que, dans les projets pastoraux généraux, soient insérées des propositions organiques, incisives, assurant un engagement continu, qui accordent une attention particulière à la "pastorale de la rue" à laquelle les agents spécifiques doivent ouvrir les communautés paroissiales et ecclésiales, dans une sensibilité croissante et avec attention, dans la recherche de réponses à la hauteur de l'urgence du problème, à la Parole du Seigneur : "Quiconque accueille un petit enfant tel que lui à cause de mon nom, c'est moi qu'il accueille" (Mt 18,5).

 

IVème partie

 

Pastorale pour les Sans Domicile Fixe

 

145. Dans son choix préférentiel pour les pauvres et les nécessiteux, l'Eglise encourage les chrétiens à les accompagner et à les servir, quelle que soit la situation morale ou personnelle où ils se trouvent[40]. A propos des sdf aussi, il suffit de penser au nombre de personnes qui vivent dans les grandes villes sans avoir de domicile fixe, pour se rendre compte de la situation de la pauvreté dans le monde[41].

 

I. Destinataires

 

146. L'un des aspects de la pauvreté se manifeste dans les personnes qui vivent et dorment dans les rues ou sous les ponts. Elles sont l'un des nombreux visages de la pauvreté dans le monde d'aujourd'hui : ce sont les clochards, des personnes contraintes à vivre dans la rue parce qu'elles n'ont pas de logement, ou bien des étrangers immigrés des pays pauvres et qui, parfois, bien que travaillant, ne trouvent pas de domicile où s'abriter, ou encore des personnes âgées sans domicile ou, ceux qui – et en général ce sont des jeunes – ont "choisi" un type de vie errante, seuls ou en groupes.

147. Parmi les personnes vivant dans la rue, un discours à part doit être fait pour les étrangers : il s'agit en général de jeunes, qui se retrouvent sans domicile seulement pendant la première période de l'immigration, à cause du manque de structures, et qui vivent cette expérience avec humiliation, tout en l'acceptant comme un passage obligatoire vers un futur meilleur.

 

Les causes

 

148. Au cours des dernières années, dans les sociétés industrialisées, et plus spécialement dans la vieille Europe, la crise de l'Etat social ou les difficiles conditions économiques (par exemple dans l'Europe de l'Est) ont fait que nombre de personnes ne sont plus soutenues par les mesures d'assistance de l'Etat. Les retraites de vieillesse sont insuffisantes, le droit au logement est souvent refusé, le chômage ne garantit souvent aucunes indemnités et les frais sanitaires sont importants. Il arrive alors qu'un grand nombre de personnes se retrouvent, à une certaine époque de leur vie, à devoir vivre dans la rue.

Parmi les autres raisons d'une telle situation il peut y avoir une expulsion, des problèmes familiaux non résolus,  la perte de l'emploi, une maladie. Tous ces motifs peuvent – là où le soutien nécessaire vient à manquer – transformer des personnes qui, jusqu'alors, menaient une vie "normale", en personnes démunies du plus strict nécessaire.

 

Précarité de la situation

 

149. Contrairement à ce qu'on pense souvent, vivre dans la rue – et il est important de le savoir – n'est pas toujours un choix. En effet, la vie dans la rue est difficile et dangereuse ; il faut lutter chaque jour pour survivre. Et c'est encore bien moins un choix de liberté : ceux qui sont sans domicile vivent dans une condition de grande vulnérabilité du fait qu'ils sont obligés de dépendre des autres, même pour leurs besoins primaires, et ils sont exposés aux agressions, au froid, à l'humiliation d'être chassés parce qu'indésirables.

150. Cela se produit toujours plus souvent, étant donné que le nombre des pauvres sans domicile augmente, mais les espaces où ils peuvent trouver un abri se réduisent (par exemple, les gares, les bancs publics, les portiques, les ponts), tandis que l'on constate aussi un changement graduel de mentalité à leur égard : les pauvres n'émeuvent plus, ils sont devenus un problème d'ordre public ; il existe une attitude de gêne croissante envers ceux qui demandent l'aumône, du fait aussi que peut exister un véritable réseau de mendicité.

151. Ainsi, les personnes qui vivent dans la rue sont regardées avec méfiance et suspicion et le fait de ne pas avoir de domicile devient le début d'une perte progressive des droits : il devient plus difficile de bénéficier de l'assistance, il est presque impossible de trouver un travail, d'obtenir des papiers d'identitéÂ… Ces pauvres deviennent une foule sans nom et sans voix, incapables souvent de se défendre et de trouver les ressources nécessaires pour améliorer leur avenir.

La Parole de Dieu stigmatise toutes les formes de gêne ou d'indifférence envers les pauvres (poverty fatigue), en nous rappelant que le Seigneur jugera nos vies à partir du comment et du combien nous avons aimé les pauvres (cf. Mt 25,31-46). Selon saint Augustin, nous sommes invités à apporter notre aide à tous les pauvres, pour ne pas courir le danger que celui justement auquel nous la refusons soit le Christ lui-même[42].

 

Dignité des personnes

 

152. Bien qu'ils soient dans des conditions de nécessité et de difficultés, les clochards sont des personnes, avec une dignité propre qui ne doit jamais être perdue de vue, et avec toutes les conséquences qui en découlent.

Les interventions en leur faveur doivent être innovatrices, afin que soit enfin brisé le binôme de la simple réponse au besoin, et que le regard aille au-delà, pour tenter de saisir toujours la personne.

153. Il s'agit de partir de ce qu'a le clochard, de ses capacités, et non de ses carences. Dans ce contexte, même les plus petites nouveautés de changement qui sont manifestées doivent être mises en valeur par les agents pastoraux.

154. De toute façon, il est important de reconnaître les "différences", qui doivent être intégrées, ainsi que les limites, qui ne doivent pas conduire à faire sentir le clochard comme étant différent, comme une personne de catégorie inférieure. Personnaliser l'intervention signifie aussi discerner ce qui peut être fait et ce qui ne peut pas l'être.

A ce propos, certains parlent d'un "droit à la crise" qui touche directement l'agent pastoral gérant le rapport d'assistance. A son tour, celui-ci se sent, d'une certaine façon, comme égratigné ou blessé. Les "différences", et les crises possibles, conduisent la structure de soutien à sortir de l'isolement dans lequel elle risque parfois de se trouver, et à mettre en Âœuvre un "travail en réseau", avec les divers services présents sur le territoire.

155. Et si nous regardons au-delà du monde en développement, nous découvrons un nombre croissant de mendiants, souvent des personnes malades, des aveugles ou des lépreux, des malades du SIDA, qui se trouvent exclus de leurs villages ou de leurs familles et contraints de vivre, sur les trottoirs, d'expédients et d'aumônes.

 

II. Méthodes d'approche et moyens d'assistance

 

156. Grâce à Dieu, les réponses pastorales adéquates ne manquent pas, même si elles sont insuffisantes, de la part des paroisses, des associations catholiques, des mouvements  ecclésiaux et des nouvelles communautés. C'est-à-dire qu'il existe des personnes qui vont à la recherche de ces frères et sÂœurs dans le besoin, et la rencontre a été à l'origine d'un réseau d'amitié et de soutien, donnant lieu à des initiatives stables de solidarité.

157. La recherche des clochards, la rencontre avec eux, porte à briser l'isolement dans lequel ils vivent, à les protéger du froid et de la faim.  On leur apporte de la nourriture et des boissons chaudes (une sorte de "repas itinérant"), des couvertures et autres matériels de réconfort pour aller au-devant de leurs besoins.

158. Des centres d'accueil ont aussi été créés, aptes à garantir un ensemble d'initiatives organisées pour satisfaire les nombreux besoins des personnes nécessiteuses : informations et conseils, distributions de denrées alimentaires et de vêtements, possibilité d'hygiène personnelle (douche, buanderie, coiffeur) et de consultations en dispensaire. 

159. Il faut tenir compte aussi du fait que les personnes sans domicile fixe perdent souvent la possibilité d'utiliser les services publics car, à cause de leur situation, ils n'ont plus ni résidence administrative ni papiers. Il faut lutter contre cette condition de "mort administrative" en cherchant, avec les Municipalités et les Autorités civiles, à établir une résidence administrative auprès – pourquoi pas ? - d'une communauté d'assistance ou d'un centre d'accueil. Une solution semblable pourrait être mise en Âœuvre pour la remise du courrier aux personnes sans domicile fixe.

160. A propos de l'offre de nourriture, le fait de donner à manger à ceux qui ont faim (cf. Mt 25,35) est une valeur humaine très ancienne diffuse dans toutes les cultures, du fait de son rapport direct avec la reconnaissance de la valeur de la vie. Le scandale du pauvre Lazare et du riche Epulon (cf. Lc 16,19ss.) dans la célèbre parabole de Jésus a aussi son équivalent dans la culture juive et dans celle islamique, toujours dans le cadre des thèmes liés à l'hospitalité. Celui qui a faim interpelle donc la conscience de tous les hommes, laïcs et croyants, dans le contexte d'une culture de la solidarité[43].

161. Pour ce qui concerne les réfectoires - quels que soient leur genre et leur ordre - outre un repas chaud et abondant servi gratuitement, il est important d'assurer un climat familial et accueillant. Les hôtes qui y viennent, dans leur pauvreté, n'ont pas besoin de satisfaire seulement une faim de nourriture, mais surtout de retrouver la sympathie, le respect et la chaleur humaine qui leur sont souvent refusés. L'idéal est le service fourni par des volontaires, qui offrent gratuitement leur temps libre pour assurer leur aide.

L'attention à la dignité et à la personnalité de chaque hôte s'exprimera aussi dans le décor du réfectoire et dans l'attitude accueillante des volontaires servant à table. Il faudra aussi tenir compte des habitudes alimentaires de chacun, dans le respect de leur tradition religieuse.

162. Dans cette situation, les volontaires vivent avec ces pauvres un rapport spécial, pouvant presque atteindre un type de rapport familial, d'amitié, d'une famille que beaucoup de clochards ont perdue ou n'ont jamais eue. C'est dans ce cadre que s'insère l'organisation du repas de Noël – quasiment familial - pour les sans-abri, qui devient une tradition en de nombreux endroits.

 

Sollicitude chrétienne

 

163. Là se trouve révélé le lien entre la rue, la pastorale spécifique qui s'y rapporte, avec sa source, le Christ Seigneur, dans le mystère de Son Incarnation, et avec l'Eglise et son option préférentielle pour les pauvres, qui doivent être évangélisés, en respectant cependant toujours la liberté de conscience de chacun. D'ailleurs, les pauvres aussi nous évangélisent (cf. Is 61,1-3 ; Lc 4,18-19).

164. Il ne faut pas, dans cette perspective, oublier parmi les autres Âœuvres de miséricorde celle de la sépulture. Les agents pastoraux devront s'attacher à garantir des obsèques aux personnes qui meurent et qui n'ont pas de famille. Une fois par an, il sera bon, avec les personnes vivant dans la rue, de commémorer celles connues et décédées, en citant leurs noms un par un. Pour qu'ils soient inscrits dans le livre de la vie !

165. Au terme de notre errance sur les différentes voies de la pastorale de la rue, nous tournons notre regard contemplatif vers Marie, notre Mère et notre Dame, en récitant la prière consacrée aux agents pastoraux, dans le quatrième mystère glorieux du Rosaire des Migrants et des Personnes en Déplacement : "afin que dans lÂ’exercice de leur travail ils ne se laissent pas «diriger par des intérêts et des préoccupations purement matérielles», ni écraser par lÂ’incertitude, par lÂ’anxiété et la solitude, mais quÂ’ils cherchent leur réconfort dans le cÂœur aimant de Marie, élevée au ciel"[44].

 

Rome, du siège du Conseil Pontifical de la Pastorale pour les Migrants et les Personnes en Déplacement, le 24 mai, 2007, mémoire de Notre-Dame de la Rue.

 

 

 

Renato Raffaele Card. Martino

Président

 

 

 

 

Agostino Marchetto

Archevêque titulaire d'Astigi

Secrétaire

 


 

[1] conseil pontifical pour la pastorale des migrants et des personnes en déplacement, Orientations pour une Pastorale des Tziganes, Librairie Editrice Vaticane, Cité du Vatican 2005.

[2]  idem, Orientations pour une Pastorale du Tourisme, Librairie Editrice Vaticane, Cité du Vatican 2001.

[3]  idem, Le pèlerinage dans le grand Jubilé de l'an 2000, Librairie Editrice Vaticane, Cité du Vatican 1998.

[4] Pie XII, Discours à la Fédération routière internationale, 3 octobre 1955 : Discorsi e Radiomessaggi di S. S. Pio XII, vol. XVII (1955), p. 275.

[5] Cf. S.Em. le Cardinal Angelo Sodano, Message pontifical pour la Journée mondiale du Tourisme 2005 : People on the Move XXXVII (2005), p. 29.

[6] Cf. conseil pontifical pour la pastorale des migrants et des personnes en déplacement, Instruction Erga migrantes caritas Christi, n° 15 : People on the Move XXXVI (2004) n. 95, p. 191.

[7] Cf. paul vi, Discours aux participants au "Dialogue international pour la moralisation de l'usage de la route", 2 octobre 1965 : Insegnamenti di Paolo VI, vol. III (1965), p. 499.

[8] Dans une exhortation pastorale sur  la sécurité routière, la Commission sociale de la Conférence épiscopale française a déclaré: "Â… selon les psychologues, les conducteurs utilisent souvent leur véhicule de façon irresponsable, voire dangereuse. La voiture, le camion, la moto deviennent lÂ’expression de la puissance, de lÂ’intolérance, de lÂ’exhibition, quelquefois même de la violence. Le conducteur peut manifester des sentiments et des attitudes quÂ’il nÂ’adopte pas dans la vie habituelle. (Â…) Cette insécurité routière est un scandale qui doit provoquer la réflexion de tous les conducteurs de véhicules et les inciter à une conversion de leurs comportements" Conférence épiscopale française, Sécurité routière: un défi évangélique, 24 octobre 2002. Site web: www.cef.fr/catho/actus/comminiques/2002/commu20021029

securiteroutiere.ph. 

[9] Cf. General Assembly Plenary Meeting and Expert Consultation on the Global Road Safety Chrisis, 14-15 April 2004.

[10] paul vi, Résumé du Discours aux participants au "Dialogue international pour la moralisation de l'usage de la route", 2 octobre 1965 : La Documentation  catholique n° 1458, 7 novembre 1965, col. 1830, cf. aussi benoît xvi, Angelus Domini : du 20 novembre 2005 : LÂ’Osservatore Romano, 22 novembre 2005, p. 10.

[11] Pie XII, Discours à la "Fédération Routière Internationale : l.c., p. 275 ; cf. episcopat de la belgique: Lettre Pastorale sur la morale de la circulation routière, Malines, 15 Janvier 1966 : Pastoralia (1966) n. 8, feuillet 1 verso , col. II.

[12] jean xxiii, "Le respect de la vie humaine, fondement d'une discipline routière efficace", 9 août 1961 : La Documentation catholique n° 1359, 3 septembre 1961, col. 1079.

[13] Cf. jean-paul ii, "Une culture de la route. Contre le trop grand nombre d'accidents", 4 juillet 1987: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, vol. X,3 (1987), p. 22.

[14] Cf. Paul VI, Discours aux participants au "Dialogue international pour la moralisation de l'usage de la route", 2 octobre 1965 : Insegnamenti di Paolo VI, vol. III (1965), p. 499.

[15] Catéchisme de l'Eglise catholique, n° 1737, Librairie Editrice Vaticane, Cité du Vatican 1999.

[16] Ibidem, n° 2290.

[17] pie xii, Allocution aux membres de l'Automobile Club de Rome, 12 avril 1956 : La Documentation catholique n° 1226, 27 mai 1956, col. 660.

[18] épiscopat de la Belgique, : l.c., feuillet 2 recto, col. II.

[19] Cf. episcopat espagnol, Exhortation Pastorale Espíritu cristiano y tráfico, n° 7: Ecclesia , n. 1481, 21 juillet 1968.

[20] episcopat de la belgique : l.c.

[21] Ibidem, col. I.

[22] Ibidem.

[23] Voir "La Journée du pardon" : L'Osservatore Romano, éd. française, n° 11, 14 mars 2000, p. 1.

[24] Voir conseil pontifical pour les migrants et les personnes en déplacement), Instruction Erga migrantes caritas Christi n° 15, l.c.

[25] Catéchisme de l'Eglise Catholique, n° 485 : l.c. ; jean-paul ii, Lettre encyclique Dominum et vivificantem n° 66 : AAS LXXVIII (1986), p.  896.

[26] Cf jean-paul ii, Homélie à l'Aéroport Leonardo da Vinci de Rome, 10 décembre 1991 : L'Osservatore Romano, éd. française n° 51, 24 décembre 1991, p. 19 ; cf. aussi conseil pontifical pour la pastorale des migrants et des personnes en deplacement, Rosaire des Migrants, Librairie Editrice Vaticane, Cité du Vatican 2004.

[27] Cf. paul vi,  Discours aux participants au VIIème Congrès de l'Association nationale des Organismes d'assistance, 16 mai 1964 : La Documentation catholique n° 1425, 7 juin 1964, col. 709.

[28] concile ecumenique vatican ii, Constitution pastorale sur l'Eglise dans le monde contemporain "Gaudium et spes", n° 30 : AAS LVIII (1966), p. 1049-1050.

[29] idem, Décret sur la mission pastorale des Evêques dans l'Eglise "Christus Dominus", n° 18: AAS LVIII (1966), p. 682.

[30] paul vi,  Allocutiones, I, 17 octobre 1973: L'Osservatore Romano, éd. Française n° 43, 26 octobre 1973, p. 1.

[31] Cf. conseil pontifical pour la pastorale des migrants et des personnes en deplacement, Ière Rencontre européenne des Directeurs nationaux pour la Pastorale de la Route, Document final sur le site web: www.vatican.va/curie_romaine/conseils_pontificaux/Pastorale_des_Migrants_et_des_Personnes_

en_déplacement/Pastorale_de_la_Route ; idem, Ière Rencontre internationale de la Pastorale des enfants de la rue, Document final: People on the Move XXXVII (2005) Suppl. 98, p. 109. et idem, Ière Rencontre  internationale de  pastorale  pour la  libération  des femmes de la  rue, Document final : People on the Move xxxviii (2005) Suppl. 102, p. 107.

[32] jean-paul ii, Lettre aux femmes n° 5 : La Documentation catholique 6/20 août 1995, n° 2121, p. 718. Rappelons ici que "L'attitude de Jésus à l'égard des femmes rencontrées sur la route au cours de son ministère messianique est le reflet de l'éternel dessein de Dieu qui, en créant chacune d'elles, la choisit et l'aime dans le Christ (cf. Ep 1,1-5)Â… Chacune  reçoit également en héritage, dès le commencement, la dignité de personne en tant que femme": idem, Lettre apostolique Mulieris dignitatem n° 13 : AAS LXXX (1988), p. 1685. Voir aussi : idem, Message pour la Journée mondiale des Migrants 1995, n° 3, dont le thème est "Solidarité, accueil, sauvegarde contre les abus et protection en faveur de la femme" : Insegnamenti di Giovanni Paolo II, XVII, 2 (1994), p. 118-119.

[33]  benoit xvi, Message pour la Journée mondiale des Migrants 2006 (Migration : signe des temps) : People on the Move XXXVII (2005) n°  99, p. 52.

[34] Cf. Protocol to Prevent, Suppress and Punish Trafficking in Persons, Especially Women and Children, supplementing the United Nations Convention against Transnational Organized Crime, 15 novembre 2000.

[35] Cf. conseil pontifical de la pastorale pour les migrants et les personnes en déplacement, Erga migrantes caritas Christi, n°s 70-72 et l'Ordre juridique et pastoral s'y rapportant, articles 1 § 3 et 19 § 1 : 1.c. 

[36] Cf. conseil pontifical "justice et paix", Compendium de la doctrine sociale de l'Eglise, n° 19,  Librairie Editrice Vaticane, Cité du Vatican 2004.

[37] jean-paul ii, Message pour la Journée mondiale de la Paix 1996 : Insegnamenti di Giovanni Paolo II, vol. XVIII, 2 (1995), p. 1331.

[38] Cf. s.em. le cardinal angelo sodano, secrétaire d'etat, Télégramme au Directeur général de l'O.I.T. à l'occasion de l'entrée en vigueur de la Convention n° 182 sur l'interdiction et l'élimination des pires formes de travail des enfants : Insegnamenti di Giovanni Paolo II, vol.  XXIII, 2 (2000), p. 921-922.

[39] onu, Convention Internationale relative aux droits de l'enfant, 1989, Préambule.

[40] Cf. iiième conference generale de l'episcopat latino-americain, célébré à Puebla de los Angeles, Mexique, en 1979 : Puebla. L'évangélisation dans le présent et le futur de l'Amérique latine, n° 1142, Editrice Missionaria Italiana, Bologna 1979, p. 327.

[41] Cf. jean-paul ii, Lettre au Cardinal Roger Etchegaray sur le problème des sans logis : Insegnamenti di Giovanni Paolo II, vol. X, 3 (1987), p. 1352 et conseil pontifical "Justitia et Pax", Qu'as-tu fait de ton frère sans abri ? L'Eglise et le problème de l'habitat, Typographie Polyglotte Vaticane 1987.

[42] Ps. Augustinus, "Date omnibus, ne cui non dederitis ipse sit Christus", Sermon 311 : PL 39, 2342 s.

[43] Cf. conseil pontifical de la pastorale pour les migrants et les Personnes en deplacement, Instruction Erga migrantes caritas Christi, n° 9, l.c.

[44] conseil pontifical de la pastorale pour les migrants et les personnes en deplacement, Rosaire des Migrants, 28, l.c.

 

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