Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People People on the Move N° 106 (Suppl.-I), April 2008 Diacre Jean-Philippe et Marie-Agnès Rigaud « Mission de la Mer », Marseille - France Nous avons eu la chance de vivre il y a 5 ans le XXI Congrès Mondial de lÂApostolat de la mer à Rio de Janeiro au Brésil. Etaient présents à ce rassemblement dÂéglise 8 diacres permanents des quatre coins du globe, dont trois français. Cinq étaient accompagnés de leurs épouses, deux étaient célibataires. Nous avions suscité une rencontre afin de partager sur la réalité de nos vies dans notre ministère auprès des marins. Cette réalité est bien différente en fonction des pays et dépend essentiellement de lÂorientation que chaque Conférence épiscopale a voulu donner au diaconat permanent pour répondre aux besoins de son église locale. Il nous semble important avant de vous partager un témoignage personnel, de vous rappeler lÂessentiel du ministère diaconal dans lÂEglise universelle, tel que définit dans le Catéchisme de lÂÉglise Catholique. « Le diacre reçoit le sacrement de lÂordre, par lÂimposition des mains de lÂévêque en vue du service, cela signifie quÂil est spécialement rattaché à lÂévêque dans les tâches de sa diaconie (art. 1569). » « Le diaconat permanent qui peut être conféré à des hommes mariés, constitue un enrichissement important pour la mission de lÂéglise. En effet, il est approprié et utile que des hommes qui accomplissent dans lÂéglise un ministère vraiment diaconal soit dans la vie liturgique et pastorale, soit dans les Âuvres sociales et caritatives «soient fortifiés par lÂimposition des mains transmises depuis les apôtres et plus étroitement unis à lÂautel, pour quÂil sÂacquittent. de leur ministère plus efficacement, au moyen de la grâce sacramentelle du diaconat (art. 1571) ». Cette description est particulièrement rassurante, elle parle dÂun sacrement qui vient renforcer, éclairer, un engagement qui existe déjà. CÂest exactement de cette façon là que cela sÂest passé pour moi, cÂest exactement en ces termes que jÂai été interpellé. Ma vie auprès des marins ressemblait à une mission de diacre mais je me privais des grâces dÂun sacrement. Point très important, cet appel venait par mon épouse, montrant bien que le sacrement de mariage était le premier reçu et que le diaconat en serait le fruit. En effet, cÂest dans ce contexte quÂa résonné pour moi aussi lÂappel au diaconat de Jean-Philippe. Au début de notre vie de couple, jÂai eu la chance, avant dÂavoir nos enfants, de naviguer comme épouse avec Jean-Philippe sur des porte-containers pour deux voyages de 4 mois vers lÂAustralie la Nouvelle Zélande et lÂExtrême Orient. Ces voyages mÂont permis de découvrir ce quÂest la réalité de vie dÂun marin embarqué : ses joies, ses peines, la dureté du rythme des quarts et des décalages horaires, la difficulté à vivre jour et nuit sur son lieu de travail avec des personnes quÂil nÂa pas choisies, lÂimpossibilité de recevoir lÂeucharistie, lÂattente des nouvelles de la famille. Un jour alors que les interpellations en vue du diaconat se faisaient plus pressantes, et que je vivais mal cette éventualité nouvelle pour notre couple, un diacre me dit : « Tu vois ce que vit Jean-Philippe dans le monde de la mer, cÂest exactement la réalité dÂun ministère diaconal, mais il se prive de la grâce du sacrement de lÂordre pour lÂaccomplir. A cet instant, alors que jÂavais du mal à comprendre comment lÂéglise pouvait ordonner mon mari pour une mission qui allait le séparer encore de nous par de multiples activités pendant ses congés ( seul moment de vie conjugale et familiale), jÂai découvert que sa mission était de continuer à être au service de ses frères marins, et que ma place et celle de nos enfants serait celle que nous avions toujours eu avec lui dans ce monde maritime. Selon les termes de Mgr Panafieu : « Je vous appelle tous les deux pour que Jean-Philippe soit ordonné diacre ». Ma réponse le jour de lÂordination ne fut pas un « oui » de permission à lÂévêque pour quÂil ordonne mon mari, mais un « oui » à Dieu, qui mÂa engagé personnellement. JÂai choisi dÂabandonner mes engagements personnels dans lÂéglise pour partager la mission de Jean-Philippe, ce qui a lÂavantage de nous rassembler et de donner à la vie familiale un meilleur équilibre, une véritable harmonie. Mon rôle auprès de Jean-Philippe, est devenu maintenant,
- Prier pour lui et sa mission.
- Gérer lÂagenda en harmonie avec une vie de famille et de couple (ce que lÂon appelle le discernement de calendrier !).
- Secrétariat et accueil au téléphone.
- Accompagnement des familles en deuil (particulièrement des mamans dont les enfants sont morts en mer).
- Préparations aux mariages et aux baptêmes dans le monde maritime.
- Accueil à la maison de marins (marins sur des bateaux saisis, pour la nuit de Noël).
- Préparations des journées de familles de marins et de la messe annuelle des marins.
- Et surtout lÂAumônerie de lÂécole de la marine marchande.
Cette réalité nÂest pas toujours facile, concilier la vie dÂune famille nombreuse, présence et absence, souci et fatigue dÂune vie professionnelle, et service de ses frères à la suite du Christ, est souvent un rude combat à mener mais riche au centuple du peu que nous pouvons donner. Seul notre foi en Dieu père infiniment bon, nous permet souvent de tenir. Une journée de désert dans un foyer de charité proche de chez nous tous les quinze jours, (c'est-à-dire toutes les semaines où Jean-Philippe est là) nous permet de faire le point, de corriger la route pour continuer à avancer au large, en eau profonde sans savoir où le souffle de lÂEsprit va nous conduire, mais confiants. Et quand la tempête souffle trop fort, comme dans tous les couples et toutes les familles, là encore notre force cÂest notre foi en Jésus Christ et la mission quÂil nous a confiée, dÂune part celle dÂêtre époux et parents, et dÂautre part celle du service diaconal. Nos enfants eux aussi sont forcément partie prenante dans la mission de leur père. Tous très engagés dans la foi, ils nous aident, donnent des idées, portent dans la prière des personnes où des évènements à venir quÂon leur confie. Notre famille est avant tout une famille de marin, cÂest à dire que la mer rythme notre vie. De plus, Marie-Agnès connaît une expérience de navigation et donne un témoignage vécu au quotidien. Comme elle lÂa dit elle-même, elle a orienté tout ses engagements dans lÂéglise au service de la communauté maritime de Marseille. Les marins étaient très fiers le jour de mon ordination. Ils avaient le sentiment dÂêtre reconnus par lÂéglise qui était venu chercher un des leurs. Puis elle mÂavait renvoyé au milieu dÂeux. Les marins me considèrent avant tout comme un marin qui est diacre et non comme un ministre de lÂéglise qui est marin. Cela est très important. Je ne suis pas avant tout envoyé dans la communauté maritime mais je suis pris dans cette communauté à laquelle jÂappartenais déjà, pour y devenir un signe. Ce point est essentiel dans le choix de la mission et la façon de la vivre. Il faut toujours garder à lÂesprit que lÂéglise nous a appelés dans un certain état de vie. La fidélité à cet état de vie est donc notre premier engagement, et ne doit jamais passer après notre ministère. La lettre de mission évoque des points précis, mais vous pouvez vous-mêmes les compléter par votre connaissance du rôle de lÂApostolatus Maris auprès des marins. La liste peut être encore allongée. Foyers dÂaccueil, bénédictions de bateaux, accompagnements aux sacrements ou de personnes dans la souffrance, visite aux malades, animation de la communauté maritime, aumônerie de lÂEcole Nationale de la Marine Marchande, relations avec lÂéglise locale, etc. On ne peux bien sur tout faire et être partout. Il est donc essentiel de bien discerner les engagements que lÂon peut prendre, ce que nous faisons toujours ensemble. Le critère le plus important à prendre en compte étant que cela ne pèse pas dangereusement sur la vie de couple et de famille. LÂéquilibre familial doit avoir la même priorité quÂun empêchement professionnel. Le point de la mission représentant certainement le plus grand enjeu pour lÂavenir est la présence auprès des jeunes de lÂécole de la marine marchande. Cela est confirmé par la déclaration de Mg Panafieu lors de la conférence plénière des évêques de France en 2000 que vous avez à votre disposition. Il a comparé lÂaumônerie à « un grain de sénevé ». Nous avions également rédigé un petit article après Rio de Janeiro pour attirer lÂattention sur lÂimportance de lÂapostolat auprès des jeunes marins. Il nous a été demandé un témoignage plus précis sur ce que nous vivons dans le cadre de lÂécole de la marine marchande. Actuellement à Marseille, lÂaumônerie fait partie intégrante de la vie de lÂécole, ce qui nÂest pas habituel en France. Nous disposons dÂun local situé à lÂétage de toutes les associations, et sommes considérés comme lÂune dÂentre elles à part entière. Nous sommes également répertoriés parmi les aumôneries des grandes écoles françaises. LÂécole compte de 300 à 350 élèves dont 40 à 50 participent régulièrement à nos activités. Il y a maintenant à Marseille 2 équipes de jeunes couples, de lÂécole, ou anciens élèves, qui se retrouvent 1 fois par mois autour dÂun prêtre et dÂun couple de marin plus ancien. Ces équipes de partage totalisent 10 jeunes couples ayant entre 20 et 30 ans. Une nouvelle devrait démarrer à la rentrée scolaire prochaine. Jean-Baptiste qui était à Rio de Janeiro en fait partie, avec Catherine son épouse. Ce « service après vente » de lÂaumônerie est une source dÂaction de grâces pour le présent mais surtout dÂespérance profonde pour lÂavenir par la présence de ces jeunes témoins sur les bateaux. Le plus rapidement possible maintenant un peu dÂhistorique, afin que notre expérience puisse servir à dÂautres. Tout sÂest déroulé progressivement, et même si il semble maintenant que cela sÂest passé relativement rapidement, ce nÂétait pas lÂimpression que cela donnait sur le moment. Dès 1997, année suivant mon ordination, nous sommes allés à lÂécole régulièrement, une semaine sur 2, tous les deux, avec le Père René de la Mission de la Mer. Cela consistait bien simplement à aller déjeuner avec les élèves. Nous nÂavions aucune ambition, aucun projet, sinon être là, être présents pour ceux qui auraient souhaité nous rencontrer. Nous pensions seulement orienter ces jeunes venus pour la plupart dÂautres villes, vers les familles de marins de Marseille, les foyers dÂaccueil, ou lÂinter aumônerie étudiante. JÂai toujours pensé quÂil est de la responsabilité de tout Chrétien adulte de retourner dans lÂécole ou le centre de formation dÂoù il sort pour témoigner auprès de ceux qui se préparent à faire le même métier que lui. Notre démarche a certainement été très favorisée par le fait que je sors de la même école et que jÂy étais en même temps que les professeurs actuels. Pour les élèves, cela était également très important, et on parlait certainement plus souvent de bateaux (et de pilotage), que de religion. Apres de longs mois de patience et persévérance, un petit groupe a pris forme, et a grossi progressivement jusquÂà lÂan 2000. Parallèlement, lÂadministration de lÂécole nous a donné un panneau dÂaffichage, puis une boite aux lettres et enfin un petit local où ranger nos affaires car les élèves de lÂaumônerie avaient constitué une chorale. En 2000, pour le changement de millénaire et lÂannée jubilaire, nous avons organisé un pèlerinage maritime nocturne introduisant les fêtes de la Chandeleur (présentation de Jésus au temple) qui sont très importantes et vivantes à Marseille. Cette nuit, de réflexion, prière et partage festif se termine par la traversée de la merveilleuse rade de Marseille en bateau afin dÂaccoster à 5h00 du matin en apportant la parole de Dieu aux « terriens » rassemblés sur le quai. Chaque année, nous reprenons cette démarche. Nous vous avons apporté un montage visuel réalisé lÂannée dernière par un élève de lÂécole. Ce pèlerinage maritime, réservé aux élèves fait partie maintenant de « la tradition marseillaise » et la foule de plus en plus nombreuse vient sur le quai attendre les bateaux. Imaginez cette flottille, composée dÂun remorqueur, dÂune pilotine, dÂune embarcation du lamanage, du sauvetage en mer, et dÂun chalutier professionnel. LÂannée 2000, avec la mise en place de ce temps fort a été le grand tournant de lÂaumônerie à lÂécole. Nous organisons chaque année un week-end de « service » dans un « foyer de charité » afin que les élèves se découvrent entre eux en dehors de lÂécole. Bricolages, travaux dÂextérieur, ramassage de bois, etc., sont au programme. CÂest aussi lÂoccasion dÂun temps fort spirituel qui a déjà donné beaucoup de fruits (dont Arthur que nous évoquerons tout à lÂheure). Notre maison leur est ouverte, et ils nÂhésitent pas à venir pour une soirée, un repas, une nuit ou un week-end. Parfois leurs parents, leur rendant visite, viennent dormir chez nous. Régulièrement nous partageons une soirée, messe puis temps de réflexion sur les thèmes qui les intéressent. Les plus prisés sont : « vie de famille, vie de marins » et « lÂexercice de lÂautorité à bord des navires ». Toutes les activités sont bien sûr ouvertes à tous les élèves, croyants ou non et nous avons parfois de bien agréables surprises. Elles sont également ouvertes aux fiancées,( ou celles qui pourraient le devenir) afin de leur faire découvrir notre communauté maritime et les réalités de leur éventuelle future vie de femmes de marins. Nous avons eu la joie dÂaccompagner les élèves pour des préparations aux sacrements, mariages, baptêmes, et cette année Arthur nÂa pas voulu quitter Marseille sans avoir fait sa confirmation car, a-t-il dit, cÂest le lieu ou il a redécouvert la Foi. CÂest une grande joie pour nous car cela signifie que les élèves de lÂaumônerie sont maintenant témoins et évangélisateurs. Quand nous avons eu notre nouveau local, Mg Panafieu est venu à lÂécole pour le bénir. La cérémonie que nous avions organisée a cette occasion a contribué à un plus grand enracinement dans lÂécole tout en rassurant sur notre appartenance à lÂéglise diocésaine. DÂautres évènements ont montré aux administrations successives que notre présence, loin de desservir lÂécole, apportait une aide parfois précieuse. Décès accidentel dÂélèves, disparition en mer dÂun élève, bénédiction de la nouvelle embarcation, lutte contre lÂalcoolisme, relations élèves/administration, Â
Actuellement, notre équipe est constituée dÂun autre couple, Didier et Odile, (Didier était élève quand on a démarré), et du Père Arnaud qui est présent parmi nous à ce Congrès. Nous pensons sérieusement à passer la suite, car mÂapprochant de la retraite, je pense quÂil est nécessaire que lÂaumônier soit un marin en activité afin dÂavoir un témoignage présent et vécu sur le plan maritime. En conclusion, nous voudrions vous dire que le diaconat a vraiment sa place dans le milieu maritime, quÂil y est même parfaitement adapté. Nous aurons plus tard lÂoccasion de prolonger le partage avec vous afin dÂaider chacun de vous à se poser une des questions suivantes : Et moi, est ce que jÂai le cÂur suffisamment ouvert pour entendre un éventuel appel du Seigneur mÂinvitant à le suivre dans un ministère ordonné ? Est-ce que je vais maintenant oser interpeller quelquÂun de mon entourage qui par son engagement au service des marins me semble pouvoir envisager un chemin vers le diaconat permanent ? |