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 Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People

People on the Move

N° 107, August 2008

 

 

Problèmes particuliers des familles en mobilité

 

Rev. Père Hans Vöcking, M.Afr.

Secrétaire de la Commission du CCEE

pour les Migrations

Belgique

 

Notes préliminaires

La mobilité est un phénomène universel et à plusieurs facettes: la migration des travailleurs, les réfugiés politiques, la mobilité estudiantine et le tourisme. La globalisation actuelle renforce toutes ses formes de mobilité. Cependant, je me contente de me limiter sur la mobilité en Europe étant donné que c’est mon champ de préoccupation et de travail comme Secrétaire de la Commission «Migration» du Conseil de Conférences épiscopales d’Europe (CCEE).

1. Introduction

Le flux migratoire existe dans de multiples formes: il allait de la migration individuelle aux migrations de saisonniers jusqu’aux migrations des «brain drain[1]» et d’étudiants. Ces formes de migrations ne forment qu’un aspect partiel du phénomène global qui maintient l’Europe en mouvement. Il faut y ajouter l’émigration, la migration euro-coloniale, la  fuite et l’expulsion ainsi que «l’épuration ethnique» à la suite des guerres comme dans l’ex-Yougoslavie par exemple.

Le flux migratoire a changé la société européenne qui est devenue inter-culturelle et multi-religieuse. Quelques millions de personnes rattachées d’une manière ou d’une autre à des religions non-chrétiennes vivent aujourd’hui en Europe. Pour certains pays, il s’agit là d’une réalité nouvelle. Pour les pays anciennement colonisateurs, comme la Russie, le Royaume-Uni, l’Espagne, la France, le Pays-Bas et l’Italie, il s’agit déjà d’une rencontre avec le Bouddhisme, l’Hindouisme, l’Islam et les religions traditionnelles de l’Afrique sub-sahariénne de longue date. Les pays comme la Bulgarie, la Hongrie, les Balkans connaissent la présence de l’Islam depuis leur occupation par les Ottomans. Sans ce flux migratoire, les religions non chrétiennes, seraient restées en fait marginales. Alors que, maintenant c’est un fait populaire et social en cours d’implantation profonde dans l’espace européen. La société en Europe est véritablement devenue une société inter-culturelle et multi-religieuse et cela n’a été ni prévu ni voulu. Cette réalité nouvelle influence fortement la discussion sur la famille en général et la famille dans la mobilité en particulier.[2]

L’Europe cesse d’être un continent d’émigration, malgré le fait que le nombre des européens qui quitte leur pays (Allemagne, Pays-Bas) est en augmentation constante depuis quelques années, pour devenir un continent d’immigration. Le flot des migrants-ouvriers allait depuis 50 ans du sud au Nord, d’abord au sein de l’Europe même, puis de pays extra-européens. Les raisons d’émigrer sont nombreuses mais souvent c’est la misère qui pousse à partir et qui sévit le trafic lié à l’argent ; nous vivons dans un monde où tout est commercialisé, et à cela s’ajoute encore, la crise du sens de la vie et des valeurs dans les pays en voie de développement.

Et si l’Europe veut garder son niveau économique et social actuel elle doit augmenter le nombre des immigrés dans le futur étant donné que l’évolution démographique est négative dans presque tous les pays.[3]

Ceci reste vrai aussi si, actuellement, nous constatons que les pays européens comme l’Union européenne pratiquent une politique d’immigration restrictive. 

Les défis d’immigration et d’intégration sont nombreux:  

2. La famille en mobilité

Les changements subis par notre société européenne[4] au cours des dernières décennies nous imposent une réflexion approfondie sur le sens que nous voulons donner à notre vie et sur le rôle que doit jouer la communauté chrétienne pour permettre à toutes personnes, femmes, hommes et enfants de vivre une vie pleinement épanouie. Il faut aussi créer une situation pour que chacun puisse apprendre des valeurs comme l’amour, la chaleur et les valeurs traditionnells qui font partie de la culture d’échange et de solidarité.

Le message du Saint Père, Benoît XVI, pour la journée mondiale des migrants, en 2007, a permis de susciter une réflexion approfondie sur le rôle de la famille comme lieu principal de développement des enfants et d’épanouissement des adultes. La contribution fournie par les familles au développement social, économique et culturel de la société a été mise en évidence et il a été possible de rendre compte des conditions de vie des familles dans chaque milieu, que ce soit le quartier, la commune ou l’ensemble du pays. Suite à cette réflexion nous devons aujourd’hui nous pencher sur la réalité de la famille dans la mobilité.[5]

2.1. Le problème statistique

Avant d’aborder le thème de problèmes particuliers des familles en mobilité je voudrais aborder les problèmes liés aux données statistiques. Il faut le décrire pour mieux comprendre la spécificité de la migration en général et de la famille en particulier.

Combien de migrants rejoignent ou quittent les divers pays européens chaque année? D’où viennent-ils ou vont-ils? Il n’y a pas de réponse simple à ces questions. Les flux d’immigration mesurés dans les différents pays européens varient beaucoup d’un pays à l’autre, et il en est de même des flux d’émigration. Quand les chiffres existent, ils ne sont pas toujours fiables ni comparables. Il existe trois types d‘outils pour observer les migrations internationales en Europe: les registres de population, les fichiers de titres de séjour et les enquêtes statistiques, voire, mais plus rarement, les recensements. Les registres de population sont continuellement mis à jours par l’enregistrement des naissances, des décès et des changements de résidence. Néanmoins, tous les migrants ne font pas cette démarche, le taux  de déclaration varie selon les incitations et les traditions culturelles nationales. En général, les registres de population consignent mieux les immigrations que les émigrations. Le Royaume-Uni par exemple réalise une enquête aux frontières, qu’il faut corriger par des données administratives, vu la petitesse de l’échantillon.

A cette diversité d’outils s’ajoute une variété de définitions du migrant international. Ceci vaut pour les immigrations comme pour les émigrations, pour les mouvements de nationaux comme pour ceux d’étrangers, ressortissants de l’Union européenne compris. Ce n’est pas le cas des personnes qui effectuent des visites touristiques ou professionnelles. Selon le pays, certaines catégories de nouveau résidents dont la présence est jugée trop temporaire ou incertaine sont exclues: c’est presque toujours le cas des étrangers en situation irrégulière, qui ne font pas l’objet de comptages directs, assez souvent des demandeurs d’asile, qui ne sont pas comptés comme immigrants tant qu’ils n’ont pas reçu de réponses positives, et plus rarement des étudiants.

La plupart des pays ont fondé leur enregistrement sur une durée de séjour minimale, laquelle varie d’un pays à l’autre. Elle est par exemple d’un an au Royaume-Uni et en Suède, de six mois en Italie et aux Pays-Bas et de trois mois en Belgique et en Autriche. En Allemagne et en Espagne, il suffit même d’être installé depuis quelques jours seulement pour être compté aux nombres des migrants, avec pour conséquence un plus grand nombre d’immigrants. En Pologne ce n’est pas la durée de séjour qui compte, mais le fait de figurer ou non dans le registre municipal en étant titulaire d’un titre de séjour permanent. En France, le nombre d’immigrants se fonde sur le motif d’admission et non sur la durée de séjour.[6]

Mais l’harmonisation est en cours sous l’égide de l’OCDE des Nations unies et de l’Union européenne. Dans leurs dernières recommandations, publiées en 1998, les Nations unies préconisent de retenir comme migrants de long terme tous ceux dont la durée de séjour est d’au moins un an, quel que soit le motif de séjour.[7] En état actuel des données disponibles, la répartition des flux d’immigration par grands groupes des nationalités ne peut être établie que dans 16 pays sur 27 de l’Union européenne par exemple. L’insuffisante qualité des statistiques migratoires reste un handicap pour la connaissance et l’action politique et pour les activités pastorales.

2.2. La féminisation

Une constatation générale: la migration féminine s’est nettement développée depuis environ 20 ans. Aux travailleurs migrants venus en Europe dans les années 1970 puis aux regroupements familiaux auxquels nous avons assisté, et ce qui continue encore, a succédé la période actuelle où près de 50% des migrants internationaux sont des femmes seules[8]. On a vu s’accroître le nombre de femmes qui quittent leur pays pour chercher de quoi vivre, des perspectives professionnelles meilleures ou certaines libertés, indépendamment de leurs familles, on trouve des femmes «réunies», des travailleuses «temporaires» ainsi que des femmes de la deuxième et de la troisième génération, des réfugiées et dans une proportion en constante augmentation, des femmes «achetées»[9], la situation la plus dramatique et la plus préoccupante étant justement celle des femmes victimes du trafic de la prostitution.[10]

C’est un phénomène nouveau et selon Catherine Withol de Wenden, du Centre National de la Recherche scientifique, Paris, cette féminisation est due tant à des «facteurs d’attirance» des pays d’accueil qu’à la situation générale de pauvreté dans nombre de pays de l’Est de l’Europe, de l’Amérique du Sud et de l’Asie, les pays de départ pour la plupart de ces femmes. Ce nouveau visage de la migration entraîne une évolution des comportements souvent liée à des difficultés d’insertion et une baisse de la fécondité. C’est ce dernier phénomène, en particulier, qui a fait l’objet de nombreuses recherches.[11]

2.3. Quelles unions matrimoniales?

Les familles en mobilité qui viennent, en général des sociétés traditionnelles avec une conception des mariages marquée par la doctrine chrétienne, islamique ou autre. Ils arrivent en Europe d’aujourd’hui et ils trouvent une société en pleine discussion sur l’union matrimoniale. Tous pourraient entrer dans l’observation: des unions libres ou des mariages. Mais les mariages peuvent être aussi religieux ou civils ou encore les deux à la foi.

En Europe actuelle, il faut aussi s’interroger sur des caractéristiques des personnes qui sont unies par ces mariages? A côté de mariages ou unions hétérosexuelles, les unions homosexuelles sont chose courante, elles sont acceptées par la société et reconnues juridiquement par les gouvernements. Nous rencontrons aussi les mariages forcés, des mariages arrangés, des mariages blancs. On parle également d’union de raison, de connivence et d’intérêt. Nous sommes habitués aux mariages monogames mais maintenant les mariages polygames sont arrivés avec les immigrés musulmans et africains. Pendant 20 ans beaucoup européens ont été fiers de vivre dans une société multiculturelle mais depuis septembre 2001 ils n’en sont plus convaincus.[12]

2.4. Une Lecture chronologique

On peut aussi proposer une « lecture chronologique » des faits liés aux unions ou aux familles en mobilité. Tout d’abord cela commence par l’éducation familiale. Au sein des familles, vis-à vis des enfants, voire vis-à-vis des tout jeunes enfants. Les promesses plus ou moins solennelles qui viennent petit à petit concrétiser les choses. Certains intérêts sont en jeu, dépassent de loin la seule volonté de deux personnes de s’unir: notamment le sens de la responsabilité des migrants de la première génération immigrée envers les familles restées au pays. Il s’agit parfois de poursuivre une chaîne migratoire grâce aux mariages. Et puis, une préparation plus formelle au mariage, voire une pression au mariage peut exister au sein des familles. La négation du mariage commence à l’âge pré-adulte et rend les choses d’autant plus concrètes. Avec les fiançailles commencent les choses vraiment sérieuses, et puis petit à petit on se prépare au vécu des noces.

Et puis, le couple s’envole pour une vie commune. Parfois sous l’égide très proximale des parents, du mari ou de l’épouse ou des deux. Parfois en vivant chez les uns ou chez les autres. Peut s’entamer aussi une vie de couple en intimité, plus de liberté, en délien avec les parents. Mais commence à surgir très vite des questions de l’autorité parentale au sein du couple fraîchement formé. L’éducation des enfants et tout ce qui est lié avec cette éducation assez vite paraissent. Et le partage des tâches, bien entendu, des tâches et du pouvoir au sein du ménage du pouvoir économique et du pouvoir social, peuvent parfois surgir des crises. La gestion de ces crises de couple, les divorces et les séparations sont courantes dans tout type de mariage, et dans tout type de communauté religieuse. La gestion des séparations, les séparations des biens, séparation des corps qui ne va pas toujours de soi, séparation avec les enfants…font partie du tableau comme, hélas, des faits d’enfants volés. Tout cela défraye la chronique. Parfois, les séparations donnent paradoxalement aux jeunes la liberté de voler en noces avec l’élu(e) de leur choix, cette fois-ci, mais sans devoir rompre avec leur famille.

2.5. La famille islamo-chrétienne, une famille inter-religieuse et inter-culturelle

En Europe entière le pluralisme représente désormais l’une des données de la situation religieuse. Le nombre de personnes d’origine musulmane augmente régulièrement soit par migration, soit par l’excédent des naissances sur les décès, soit par conversion. Des gens se côtoient, fréquentent les mêmes écoles, partagent le même lieu de travail et s’engagent ensemble dans les activités associatives. On comprend que, de plus en plus souvent, des couples se forment entre un musulman et une chrétienne ou, de plus en plus aussi, entre un chrétien et une musulmane. Nous rencontrons des jeunes immigrés qui envisagent avec sérieux de fonder un foyer-inter-religieux.

En plus de la différence de religion, les différences culturelles y jouent un rôle important. De plus, bon nombre de ces mariages relèvent du droit international privé dès lors qu’il s’agit de personnes de nationalités différentes. Chacun des partenaires est soumis aux lois relevant du statut personnel de son propre pays. Dans ces cas les partenaires doivent prendre des décisions non seulement pour leur propre vie, mais également au sujet de leur lieu de résidence et de la nationalité de leurs enfants.

Cependant, aujourd’hui, les hommes et des femmes de la troisième ou quatrième génération sont en âge de se marier. Cela signifie que les différences culturelles entre les partenaires perdent de leur importance ou même disparaissent complètement. Bien souvent de tels mariages ne sont plus binationaux, dans la mesure où les mariés sont de même citoyenneté. Il en résulte que leur mariage, en ce qui concerne le statut personnel, relève d’une seule et même législation. Cette situation conduit à son tour à un double comportement:

D’une part, des jeunes, hommes et femmes, provenant de familles musulmanes, se trouvent mieux intégrés et subissent l’influence de la culture sécularisée environnante. Il arrive ainsi plus souvent que des musulmanes épousent des chrétiens sans exiger qu’ils deviennent musulmans.

D’un autre côté, il y a ceux qui veulent vivre comme musulmans dans un contexte européen et font alors de la garantie de la liberté religieuse la base pour l’introduction du droit de la  famille de l’islam classique.[13] En effet, lorsqu’un musulman et une chrétienne vivent ensemble sans avoir contracté un mariage civil, ils peuvent passer un contrat de mariage musulman, sans que cette union ne soit reconnue par l’état civil. Il arrive aussi fréquemment que le partenaire musulman demande de contracter un mariage conforme à la sharî’a après le mariage civil. Il arrive aussi, de plus en plus, que les deux partenaires musulmans signe uniquement un contrat de mariage, conforme à la sharî’a à la mosquée sans mariage civile et dans cette forme juridique la polygamie est aussi pratiquée en Europe.[14]

Dans ces cas les droits de l’homme, spécialement la liberté de chacun de se marier et s’unir avec la personne de son choix pour fonder une famille rentre en jeu. Est-ce qu’on peut demander de respecter un certain nombre de traditions ou faut-il respecter des droits des communautés immigrées? La question juridique introduit une interrogation sur l’inégalité entre les personnes: les époux sont-ils égaux devant la loi dès que l’immigration sur l’inégalité s’en mêle? Parce qu’un divorce peut compromettre tout et mettre à terre les droits d’une personne qui par ailleurs peut être la victime de la chose. Et puis les époux ne sont pas égaux non plus devant les faits. L’un parle la langue du pays de résidence, l’autre pas. L’un a de l’expérience, pas l’autre, etc. Dans quelle mesure ces inégalités de droit entre les hommes et les femmes ne sont-elles pas le cœur des problèmes?

2.6. Un regard anthropologique

Il est aussi possible de faire une lecture anthropologique de l’immigration familiale. Il est vrai que les choses se passent de façon ressemblante dans les familles de toutes les communautés confondues. Cependant, il existe des spécificités chez les Turcs, chez les populations issues du Maghreb, les populations issues de l’Extrême-Orient, les populations issues de l’Europe de l’Est et du Sud-Est, de l’Afrique subsaharienne et d’Amérique du Sud. Ainsi, nous connaissons des faits migratoires liés à des épouses importées, c’est ainsi que sur les 600 personnes qui sont originaires de l’île Maurice vivant en 2006 en Belgique, 580 sont des femmes. Tout cela est lié à des réseaux de mariages par Internet, par exemple. Il n’y a pas que les pays du soleil qui sont concernés, entre autre, l’Ukraine l’est aussi. 

3. Le point de vue des personnes concernées

Et finalement il y a aussi le point de vue des personnes concernées. La migration a-t-elle concerné les deux époux au même moment? Lequel des époux a été précurseur? Combien de temps a duré la séparation? Le regroupement familial a-t-il concerné les enfants? Tous à la fois? etc. Existe-t-il des migrations matrimoniales transnationales entre les pays européens au sein des groupes de migrants issus de pays tiers?

Il est bien certain que ce qui peut nous paraître problématique, en tant qu’intervenant social, pour un turc d’origine, n’est pas nécessairement problématique pour une autre personne d’une communauté par exemple chinoise, qui vient d’immigrer. Ce qui nous paraît problématique et difficile ne l’est pas nécessairement pour les autres et que ce qui nous paraît aller de soi n’est pas nécessairement important par rapport à ce genre de questions qui de surcroît touche l’intimité de tout un chacun.

Si nous regardons des familles en mobilité concernées nous pouvons faire une lecture problématique de ces phénomènes, comme nous pouvons faire une lecture plus positive, puisque si des exemples négatifs ne manquent pas, des exemples positifs existent aussi. Et le malheur veut que nous parlions plus souvent des défaites que des réalisations des unions plus positives. Un des objectifs d’une action peut justement être de pondérer les deux et voir comment on peut s’inspirer de ce qui réussit pour éventuellement transformer ce qui réussit moins bien. 

4. Les exigences politiques

Suite à ces réflexions, il faut en tirer les exigences politiques pour promouvoir une politique familiale et sociale marquée par le respect pour le famille.[15]

Dans une première étape, il est indispensable d’aborder les questions relatives à l’amélioration de la situation juridique des immigrés en générale et des familles en particulier. En Europe, l’Union européenne n’a pas toute la compétence en matière de migration, mais elle définit le cadre dans lequel les pays membres pratiquent une politique d’immigration et cette politique influence fortement la migration aussi dans les pays non membres de l’Union européenne. Les craintes à l’égard d’une ouverture et d’une politique de non-discrimination sont absolument injustifiées.

Les familles immigrées et réfugiées doivent pour voir bénéficier avec la conclusion du contrat de travail du droit au regroupement familial. Dans ce contexte nous relevons encore qu’il est inacceptable de maintenir des différences entre les groupes socio-économiques de provenance de l’Europe ou d’un autre continent. Cette politique tendant à faciliter le regroupement familial de certaines catégories socio-professionelles est actuellement encore pratiquée par quelques pays.

Tous les enfants conformément aux directives doivent avoir accès sans discrimination aucune à l’école.

Les familles monoparentales étrangères ne peuvent être privées de ce droit au regroupement familial sous prétexte que la garde de l’enfant ou des enfants n’est pas assurée durant l’absence du parent responsable. Il est du devoir des entreprises et de la collectivité de veiller à ce que les personnes avec responsabilité familiale bénéficient d’un soutien efficace pour qu’une conciliation des tâches éducatives et professionnelles soit possible. Les entreprises ne peuvent ignorer le contexte familial de leur personnel, elles doivent développer des structures d’accueil ou tout ou moins soutenir la création de structures reposant sur des initiatives privées ou publiques dans la commune. Le bien-être du personnel et de leur famille a des répercussions sur l’engagement et la disponibilité du personnel et par conséquent sur la productivité. Ceci est valable tant pour les familles nationales que pour celles étrangères.

Il est du devoir des autorités scolaires d’introduire des classes d’apprentissage de la langue écrite et parlée pour les enfants d’origines étrangère en âge de scolarité. Les enfants participants à ces classes entreront dans le système scolaire obligatoire certes avec un retard mais avec infiniment plus de chance de réussite scolaire et professionnelle que s’ils sont privés d’un enseignement particulier ayant pour objectif l’intégration dans un nouvel environnement.

Les discriminations en matière d’assurances sociales doivent être éliminées.

Afin d’éviter la création de ghetto ou une société parallèle dans les villes européennes, les autorités communales ont l’obligation de veiller à ce que les règles immobilières ne pratiquent pas une politique discriminatoire à l’égard de la population immigrée.

Toutes les personnes immigrées au bénéfice d’un contrat de travail dans un pays européen doivent jouir des même droits sociaux et familiaux. Il faut s’opposer tant au statut de saisonnier qu’à celui des travailleurs de courte durée puisque tous deux ne tiennent compte que de la force de travail et excluent de leur considération les aspects psychologiques et éducatifs.

Face à des défis de la féminisation de la migration, la société a une action à entreprendre. Ceci souligne aussi la Charte œcuménique des Eglises d’Europe d’avril 2001, qui condamne «toute forme de violence contre les femmes et les enfants» (n° 8). Cela est d’autant plus nécessaire que la migration féminine continuera sans doute à se développer dans le contexte de la mobilité croissante.

Il est du ressort de la mission de l’Eglise de défendre la dignité et les droits des personnes, de mettre sa propre voix à la disposition de ceux qui sont sans voix.

5. Les exigences pastorales

Les migrants de croyance chrétienne, issus d’autres origines culturelles, races, nations et langues, posent aussitôt à l’Eglise d’accueil, la question de l’universalité de l’Eglise.[16] Non pas à un niveau spirituel, mais au niveau des pratiques au quotidien, qui font émerger nos difficultés de vivre l’unité de notre foi, avec les différences culturelles, les normes et les valeurs qui nous marquent en profondeur. Il s’agit donc, d’être toujours prêts à remettre en question nos habitudes et nos pratiques. Elles aussi doivent être pénétrées par l’esprit évangélique. Nous ne pouvons pas être frères et sœurs en esprit et en méconnaître cette dimension dans les pratiques existentielles de la vie concrète.

Tout d’abord, la présence des familles en mobilité confronte l’Eglise d’accueil à sa «capacité d’accueil» et à son sens de l’hospitalité, valeur profondément ancrée dans l’histoire sainte. Elle questionne ensuite radicalement sa disposition à vivre la solidarité avec les plus démunis et la défense des sans voix. Elles interpellent enfin l’Eglise à faire son propre choix de ce qu’on appelle «l’intégration».

Au niveau des paroisses, les prêtres, les agents pastoraux et des conseils pastoraux devraient avoir le souci de connaître la structure sociale et culturelle de la commune et de prendre conscience des véritables problèmes qui touchent les familles immigrées. La sensibilisation à ces problèmes devrait impliquer pour les aumôniers de langue étrangère une participation à une formation spécifique et adéquate dans les institutions existantes de formation.

A la présence de familles immigrées s’ajoutent les familles binationales qui sont inter-culturelles. Elles ont d’autres besoins et l’Eglise doit répondre à leurs attentes. Celles-ci sont souvent déchirées, la culture religieuse des deux partenaires chrétiens n’étant pas toujours la même. Aussi ont-elles besoin d’un dialogue pour mieux se situer à l’intérieur de la paroisse en particulier.

Les paroisses doivent par conséquent encourager l’accueil fraternel des immigrés et favoriser l’échange et la communication. Elles peuvent soutenir les initiatives qui permettent de créer des espaces de rencontres entre les différentes cultures.

Les grandes paroisses dans les villes ou les secteurs pastoraux pourraient désigner un ou une délégué(e) pour les familles immigrées chrétiennes ou inter-religieuses ou encore bi-nationales. Ces personnes seraient non seulement chargées de recenser les problèmes plus spécifiques des communautés étrangères mais encore d’inviter le conseil pastoral à mettre en place des structures d’accueil pour enfants et adultes permettant un accompagnement et une participation réelle pour faciliter l’adaptation aux nouvelles conditions de vie et l’intégration.

La pastorale des migrants en général et des familles inter-religieuses en mobilité en particulier  tient compte du dialogue inter-religieux. La création de groupes inter-religieux au niveau des paroisses, des regroupements pastoraux et dans le centre de formation continue, permet de discuter ensemble de problèmes socio-politiques, favorise une entente mutuelle et une collaboration, et évite le développement de tendances extrémistes.

Le droit à la participation de tous et de toutes sans discrimination implique aussi le droit au vote. Beaucoup de paroisses en Europe ou de communautés ecclésiastiques confèrent aujourd’hui déjà aux étrangers le droit de vote et d’éligibilité. D’autres par contre ignorent encore et toujours la reconnaissance de ces droits aux paroisses d’origine étrangère. Une ouverture doit se traduire par l’accueil et la reconnaissance des droits pour toutes les personnes.

La mis en place d’un véritable réseau d’entraide, au sein de la paroisse, du secteur pastoral et de la Conférence Episcopale profiterait à toutes les familles, nationales ou étrangères, et inciterait toutes les personnes participant à l’échange de vivre une véritable solidarité dans un esprit de charité et de respect mutuel.

Les responsables d’Eglise apportent leur contribution aux travaux des gouvernements nationaux et des instances européennes, Commission et Parlement européen, pour lutter contre le trafic des femmes et les protéger, aussi bien dans les pays de destination que dans les pays d’origine.

La paroisse et les œuvres chrétiennes sont attentives pour que les femmes immigrées aient plus de place de responsabilités dans les communautés chrétiennes ainsi que l’Eglise renforce davantage encore le soutien aux groupes qui luttent contre le trafic des femmes[17], contre la violence contre les femmes et aux personnes et groupes qui apportent une aide aux femmes sans papier, plus fragilisées que les hommes dans nos sociétés européennes.

L’Eglise, en tant qu’employeur, a aussi une responsabilité face à son personnel étranger. Aussi est-il de son devoir de veiller à ce que les enfants puissent non seulement s’intégrer dans le système scolaire libre ou confessionnel, mais encore bénéficier de structures d’accueil pour les petits enfants dans les jardins d’enfants confessionnels ainsi que pour les enfants en âges scolaire.[18] 

6. Conclusion

Par les différentes fonctions qu’elles exercent, les familles en mobilité, c’est à dire, les familles étrangères, binationales qui sont souvent aussi inter-religieuses, apportent le renouvellement et l’innovation nécessaires à toute société et cela dans tous les domaines culturels, économiques, politiques et sociaux. Elles favorisent et soutiennent la socialisation des membres de la famille et, par leur dynamisme, elles contribuent à une certaine culture du dialogue et cultivent le sens de la co-responsabilité. Il importe de promouvoir un dialogue authentique, en veillant à créer des espaces d’écoute attentive et d’échanges réels entre les personnes concernées, pierres  vivantes du corps ecclésial. Il nous faut reconnaître l’autre dans ce qu’il est,  et non pas le voir dans ce que nous voudrions qu’il soit. Et finalement, elles peuvent transmettre des valeurs et apporter plus d’humanisme à la génération de demain. L’engagement politique et pastorale à leur côté s’avère donc indispensable.

Par les formations, il convient de favoriser l’émergence d’une véritable conscience ecclésiale de tous les membres de l’Eglise. Cette conscience est d’autant plus importante que nos Eglises locales sont souvent en état de refonte intérieure, de réorganisation institutionnelle, avec l’apprentissage d’un nouveau partage de responsabilités entre prêtres et laïcs. Des baptisés de plus en plus nombreux sont appelés à participer activement à la mission de l’Eglise.[19]

«La catholicité ne se manifeste pas seulement dans la communion fraternelle des baptisés, mais s’expriment également dans l’hospitalité assurée à l’étranger, quelle que soit son appartenance religieuse, en rejetant toute forme d’exclusion ou de discrimination raciale, en reconnaissant la dignité personnelle de chacun et par conséquent en s’engageant à promouvoir ses droits inaliénables.»[20] 


 

[1] Le migrazioni qualificata tra mobilità e brain drain. Studi Emigrazione, Centro Studi Emigrazione, Roma, 156, 2004.

[2] Pour une vue d’ensemble: Hans Vöcking; Islam en Europe. Législation relative aux Communautés Musulmanes, Bruxelles, COMECE, 2001, p. 237.

[3] Klaus J. Bade: Europa in Bewegung. Migration vom späten 18. Jahrhundert bis zur Gegenwart. München: Verlag C.H. Beck, 2002.

[4] Hartmut Kaeble: Sozialgeschichte Europas 1945 bis zur Gegenwart.München: Verlag C.H. Beck, 2007; hier Familie, S. 27-36.

[5] „La famille migrante“ pour la Journée des Migrants et des Réfugiés, prononcé dans son allocution de l’Angélus pour la Journée des Migrants du 14 janvier 2007.

[6] Xavier Thierry: Population & Sociétés, n° 442, 2008, p. 2.

[7] Thierry, p. 3.

[8] Femmes et Migrations: passé et présent. Migrations Société, 13, 2001, 78, p. 55-68.

[9] Stopp dem Frauenhandel! Brennpunkt Osteuropa. Politische Studien 395, 2004, p. 17-52.

[10] Report on the communication from the Commission to the Council and the European Parliament‚ For further actions in the fight against trafficking in women. 2 May 2000, PE 286.979.

[11] Jesuit Refugee Service: War has changed our life, not our spirit. Experiences of forcibly displaced women. Roma: Jesuit Refugee Service, 2001.

[12] Stefan Luft: Abschied von Multikulti. Wege aus der Integrationskrise. Gräfelfing: Resch Verlag, 2006.

[13] Il y a des voix européenne qui soutiennent cette demande. Le chef de l’Eglise d’Angleterre estimant 7 février 2008 que la législation britannique devait continuer à trouver des accommodements avec les droits religieux dont la sharî’a, surtout dans le domaine du statut personnel.

[14] David J. Rusin: Take my wives, please: Polygamy heads West. http://www.meforum.org/article/1865

[15] Ahsène Zehraoui: Famille, discrimination et citoyenneté. Migrations Société 13, 2001, 75-76, p. 63-72.

[16] La migration, une chance pour vivre la catholicité. Congrès des Evêques responsables de la Pastorales des Migrants. Iasi/Roumanie, 17 – 20 juin 1999. St. Gall, CCEE, 2000.

[17] The Working Group on Trafficking in Women. Women’s desk. Churches in Europe against Trafficking in Women: Proposals for practical church work. Working directions for neworking, Background information. KEK, Geneve, 2003, p. 25.

[18] Wolfgang Barth: Von der Ausländerbetreuung zu Migrationssozialarbeit. p. 195-212, in: Ursula Mehrländer/Günther Schultze (Hg): Einwanderungsland Deutschland. Neue Wege nachhaltiger Integration  Bonn: Dietz, 2001.

[19]Mgr.  Claude d’Agens: L’Eglise comme  sacrement du Christ et comme communion dans les sociétés européennes. In: La religion fait privé et réalité publique. Paris: CCEE/Edit. CERF, coll. Document des Eglises. 1997, p. 101.

[20] Jean Paul II dans son message pour le 85è Journée du Migrant.

 

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