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CONFÉRENCE DES NATIONS UNIES
SUR LE COMMERCE ET LE D
ÉVELOPPEMENT (
CNUCED)

INTERVENTION DE S. Exc. MGR SILVANO MARIA TOMASI
REPRÉSENTANT DU SAINT-SIÈGE*

São Paulo, Brésil
Mercredi 16 juin 2004

 

Monsieur le Président,

La délégation du Saint-Siège s'unit aux orateurs précédents pour vous féliciter, ainsi que votre service, pour votre élection à la tête de cette importante Conférence ministérielle, à l'occasion du 40 anniversaire de l'établissement de la CNUCED. Elle remercie chaleureusement le gouvernement et le peuple du Brésil pour leur accueil et leur hospitalité.

1. Il y a quarante ans, les Etats participant à la première Conférence des Nations unies sur le Commerce et le Développement à Genève avaient exprimé leur détermination en vue de "rechercher un système meilleur et plus efficace de coopération économique internationale, dans lequel la division du monde en régions pauvres et riches puisse être éliminée et la prospérité atteinte par tous". Ils ont appelé à l'élimination de la pauvreté partout et ont considéré essentiel "que les flux du commerce mondial contribuent à éliminer les vastes inégalités économiques existant entre les nations... La tâche du développement - ajoutaient-ils - doit être au bénéfice de la personne tout entière" (Acte final de la CNUCED I, adopté le 15 juin 1964, Préambule, 1, 4).

Aujourd'hui, la CNUCED demeure un instrument précieux pour atteindre ses aspirations initiales et promouvoir le développement et le dialogue entre les pays développés et les pays en voie de développement. L'objectif de la Conférence actuelle montre l'importance d'accroître la cohérence entre les stratégies de développement national et les processus économiques mondiaux.

2. En effet, la mondialisation est une réalité. Au cours des 15 dernières années, ce processus a été encore davantage accéléré par les changements dans la géopolitique internationale, par la baisse rapide des coûts de transport, et, plus particulièrement, par l'expansion des technologies d'information et de communication. Un grand nombre des économies mondiales sont de plus en plus intégrées les unes aux autres. En ce qui concerne les avantages et les défis, les coûts et les bénéfices, chaque société et chaque économie doit s'adapter aux marchés mondiaux.

3. L'importance de la dimension économique, fondée sur l'intégration du marché, est telle que de nombreuses Institutions internationales considèrent qu'il s'agit là du point le plus important de la mondialisation. Mais la mondialisation possède d'autres aspects, comme les aspects culturel et éthique. Confrontée à des problèmes tels que la pauvreté, la protection de l'environnement, la sécurité et le droit au développement, la Communauté mondiale commence à se fixer des objectifs communs partagés par tous les Etats et par la société civile dans son ensemble. La reconnaissance du droit au développement, l'importance de la participation de chacun comme moyen d'y parvenir, représentent certaines des étapes dans le développement d'une conscience commune des aspects éthiques et culturels impliqués dans le processus d'intégration. Comme l'a déclaré le Pape Jean-Paul II, "L'Eglise, pour sa part, continue à affirmer que le discernement éthique dans le cadre de la mondialisation doit être fondé sur deux principes inséparables:  premièrement, la valeur inaliénable de la personne humaine, source de tous les droits humains et de tout ordre social... Deuxièmement la valeur des cultures humaines, qu'aucun pouvoir externe n'a le droit de minimiser, ni encore moins de détruire" (Jean-Paul II, Discours à la VII Assemblée plénière de l'Académie pontificale des Sciences sociales, 25-28 avril 2001).

4. Nous devons reconnaître que les bénéfices actuels sont très inférieurs à ce qu'ils pourraient être et que le processus de la mondialisation a conduit à la marginalisation, voire à l'appauvrissement, de nombreux peuples du monde.

C'est pour cette raison que les différents aspects de la mondialisation, qu'ils soient positifs ou négatifs, doivent être étudiés par les divers acteurs qui en partagent la responsabilité. Dans des situations différentes, la mondialisation produit des résultats différents. "La mondialisation n'est, a priori, ni bonne ni mauvaise. Elle sera ce que les personnes font d'elle. Aucun système n'est une fin en soi, et il est nécessaire d'insister pour que la mondialisation, comme tout autre système, soit au service de la personne humaine; elle doit servir la solidarité et le bien commun" (ibid., n. 2).

5. Le nombre de personnes vivant au-dessous du seuil d'un dollar par jour et par personne a baissé depuis les années 80. Ce résultat positif a été attribué au processus d'intégration économique instauré par certains pays.

Il existe, toutefois, un déséquilibre régional marqué. Tandis que certains pays ont réduit de façon significative le nombre, en valeur absolue, de personnes vivant dans la pauvreté grâce à une forte croissance, dans d'autres régions, en particulier l'Afrique sub-saharienne et l'Amérique latine, ce nombre a augmenté.

En termes généraux, la relation entre l'ouverture économique et la réduction de la pauvreté ne semble pas établie de manière systématique. La croissance de la participation et de l'intégration représente un chemin important vers une vie plus digne. Dans le même temps, la compréhension de la relation entre l'intégration économique et la réduction de la pauvreté doit être approfondie et améliorée.

6. On a observé que l'intégration économique, sous certaines de ses modalités actuelles, a conduit à de plus grandes inégalités L'écart dans le revenu par personne entre les plus riches et les plus pauvres s'est accru de façon significative et aucune indication ne laisse entrevoir que cette tendance sera inversée.

De plus, ce processus est souvent associé à une plus grande inégalité à l'intérieur des pays. Il existe des pays dont la forte croissance économique est accompagnée d'une inégalité croissante des revenus et d'un écart croissant entre les diverses couches de la population, dus à d'autres aspects de la pauvreté tels que l'accès au marché, les conditions de santé, le taux de mortalité - en particulier la mortalité infantile - et l'éducation.

L'inégalité croissante, si elle est permanente, conduit à l'exclusion totale de couches entières de la population et peut déboucher sur un dualisme structurel difficile à éliminer une fois établi. Un exemple est la marginalisation de vastes régions rurales et l'augmentation du nombre de personnes employées dans le secteur non-officiel par rapport à celui du secteur officiel dans les zones urbaines des pays en voie de développement, ce qui constitue des problèmes structuraux qui doivent être traités de façon appropriée.

7. Ce type de marginalisation viole la dignité humaine et prive les personnes de leur droit à participer pleinement aux opportunités de croissance et cela étouffe la croissance, créant un cercle vicieux:  de nombreux pays ne peuvent pas suivre le rythme de la dynamique complexe de l'économie mondiale et sont donc conduits vers de nouvelles formes de pauvreté.
8. L'inégalité est une source de conflit. Les attentes non satisfaites dans certains cas et dans certaines conditions engendrent des troubles sociaux et même l'acceptation de la violence comme forme d'expression sociale.

9. En bref, bien que l'intégration économique puisse conduire à davantage de croissance et, "à travers la croissance, le commerce est bon pour les pauvres", il faut faire attention aux inégalités dans le processus de développement. Etant donné que l'ouverture de l'économie ne constitue pas, en soi, une politique de lutte contre la pauvreté, nous  devons développer une compréhension de la façon dont les politiques d'intégration commerciale peuvent être de véritables politiques de réduction de la pauvreté.

10. L'élimination de la pauvreté accroît la cohésion sociale et devient un moyen de croissance durable. A cet égard, nous devons souligner avec force l'importance de l'"éradication de la pauvreté" comme objectif commun, et la voie pour y parvenir passe à travers le renforcement des marchés nationaux et, surtout, à travers l'investissement dans le développement des ressources humaines et à travers l'amélioration de la capacité à participer aux opportunités offertes par l'intégration économique, d'abord pour la population active, puis pour toute la communauté. A côté des investissements en infrastructures, les investissements en capital humain représentent un facteur décisif pour assurer une croissance durable, plutôt qu'éphémère.

11. L'unique objectif du développement n'est pas de rendre les personnes "plus productives", mais plutôt de garantir leur dignité et d'améliorer leur capacité à agir librement.

Parler de capital humain et de ressources humaines signifie identifier l'élément central dans le processus de développement. Le développement ne signifie pas seulement l'élimination de la pauvreté, mais également l'amélioration de la santé et de l'éducation, la participation  à la société et la pleine jouissance des droits civils et politiques. Les dimensions économiques, sociales, culturelles et politiques du développement sont liées de façon indissoluble. Le lien entre toutes ces dimensions est la personne humaine dans toutes ses relations.

12. Si l'on veut que les hommes et les femmes deviennent des protagonistes, ils ont avant tout besoin d'un contexte familial et social dans lequel ils puissent être éduqués afin de répondre aux défis de la vie avec responsabilité. Les politiques de développement devraient donc devenir plus créatives en prenant ces aspects en considération. La question du genre est tout aussi importante en vue de garantir un développement équilibré. Traiter de la question du genre signifie adopter des politiques et des modes de comportements qui garantissent la pleine intégration des femmes, en particulier des jeunes femmes, dans le tissu social, leur garantissant ainsi l'égalité des droits et de l'accès à l'éducation, à la santé et à la croissance. La valorisation des femmes contribue au changement et produit des résultats immédiats en ce qui concerne l'efficacité, l'augmentation des revenus et la croissance des investissements en capital humain.

13. Tous les acteurs, nationaux et internationaux, publics et privés, peuvent garantir un plus grand succès si, dans leur objectif commun, ils adoptent un concept de développement qui porte de façon simultanée sur l'aspect micro-économique de l'assistance à la croissance des personnes et de la société civile, et sur les politiques de soutien macro-économiques nationales et internationales.

14. Au niveau international, les politiques de soutien comportent les actions suivantes:  renouveler les flux d'Aide publique au Développement (APD), adopter des formes plus avancées d'allègement de la dette pour assurer le développement social, adopter des règles communes en vue de contrôler l'instabilité des marchés financiers, réviser les réglementations commerciales sur les marchés qui sont cruciaux pour le développement des pays les plus pauvres. Le secteur privé, pour sa part, devrait prendre une plus grande conscience de sa responsabilité pour devenir un acteur davantage impliqué dans cet objectif du développement.

15. Dans le contexte actuel d'interdépendance, les Etats doivent s'engager dans un dialogue afin d'identifier les modes et les moyens particuliers d'atteindre leur développement national personnel. Dans la mise au point de ce processus, la responsabilité fondamentale revient à chaque gouvernement. L'accès à l'éducation et à la santé, une meilleure qualité de l'administration publique, la bonne gestion, la formation des hauts fonctionnaires publics constituent, entre autres choses, des éléments indispensables pour assurer un développement durable.

16. Il ne s'agit pas uniquement d'atteindre un équilibre entre la responsabilité nationale et internationale, mais plutôt de réorienter l'action commune de tous les acteurs, de façon simultanée et cohérente, vers le même objectif:  un développement amplement partagé par tous les acteurs de la société et un système commercial international équitable et juste.

Monsieur le Président,

17. Je ne peux conclure sans mentionner le rôle fondamental de pionnier joué par la CNUCED au cours des quarante dernières années dans l'accomplissement de son triple mandat. Sans la CNUCED, le dialogue et la recherche de consensus entre les pays en voie de développement et les pays développés seraient moins riches, moins efficaces et moins significatifs. Dans un monde de plus en plus interdépendant, le rôle de la CNUCED demeure précieux et nécessaire si nous voulons tirer le maximum des avantages de la mondialisation et réduire au minimum, voire éliminer, certaines de ses conséquences perverses. Le Saint-Siège profite de cette occasion pour réaffirmer son soutien en vue de donner un nouvel élan à la CNUCED, afin qu'elle puisse mieux répondre à son mandat et atteindre ses objectifs en étroite collaboration avec les Organisations internationales compétentes.

J'aimerais également, dans ce cadre, souligner l'importance du rôle du secrétariat de la CNUCED et féliciter en particulier le Secrétaire général, M. Rubens Recupero, pour son engagement et son dévouement à la cause du développement mondial.

Monsieur le Président,

nous sommes convaincus que la CNUCED-XI représentera un moment décisif dans le processus long et délicat du développement.


*L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française n.36 p.10.

 

 

 

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