DANS LE CADRE DES TRAVAUX DE LA XIII SESSION PLÉNIÈRE DE L'ACADÉMIE PONTIFICALE DES SCIENCES SOCIALES Casina Pie IV, Vatican
Préambule Je remercie sincèrement l'Académie pontificale des Sciences sociales de l'invitation qui m'a été faite à participer à cette Assemblée plénière, en me réservant l'opportunité de proposer une brève réflexion sur le thème International justice and international governance in the context of the crisis of multilateralism. Il s'agit d'un thème assez complexe que je m'efforcerai d'examiner en approfondissant en particulier le concept de gouvernance. Cet approfondissement, en plus de répondre à l'exigence de mieux définir les contours de ce concept à partir de la doctrine sociale de l'Eglise, apparaît extrêmement utile et nécessaire pour définir les voies en vue d'affronter de manière adéquate les problèmes liés à la promotion de la justice internationale et ceux, plus spécifiques, qui sont liés aux difficultés actuelles - je ne parlerais pas de crise - dans lesquelles se débat le multilatéralisme. La vision faible de la "gouvernance" internationale Dans les sciences politiques et sociales, ainsi que dans la pratique des relations internationales, on parle aujourd'hui beaucoup de gouvernance (de l'anglais governance), en particulier pour indiquer une réalité différente du gouvernement (Government). Toutefois, l'on ne comprend pas toujours clairement si l'on parle d'un pire ou d'un mieux. Les raisons de cette large utilisation du concept de gouvernance, sont surtout, selon moi, la complexité sociale et la mondialisation. Comme le gouvernement se réfère surtout au domaine de l'Etat, la complexité sociale explique l'exigence de la gouvernance au niveau infra-étatique, tandis que la mondialisation explique son emploi au niveau supra-étatique. Complexité sociale signifie que les systèmes sociaux d'aujourd'hui sont articulés en sous-systèmes qui ont souvent des codes et des langages différents et ne sont donc plus gouvernables depuis un centre. C'est pour cette raison que sont entrées en crise les catégories modernes de la planification, de l'organisation et de la programmation centralisée. Mondialisation signifie interdépendance entre les divers systèmes - économique, juridique, fiscal, financier, social - au-delà des frontières des Etats et des nations de sorte qu'il devient impossible de délimiter avec précision les domaines d'interventions et de diviser de façon nette les compétences. Les deux processus - d'articulation sociale infra-étatique et d'articulation mondiale supra-étatique - ont mis en crise l'idée de "souveraineté" à laquelle était lié le concept même de gouvernement. On peut ainsi avoir l'impression que la gouvernance naîtrait d'une crise de gouvernabilité et soit l'expression d'un déficit, comme si elle représentait un "moins" de gouvernabilité ou se réduisait à la gouvernabilité "possible" en fonction de la situation de complexité. Il s'agit là d'une conception faible de la gouvernance, envisagée comme une navigation à vue, en flottant sur une situation confuse, dans l'impossibilité de donner vie à un gouvernement mondial. L'un des aspects principaux de cette acception faible de gouvernance est son usage prédominant au sens technique, laissant de côté les questions éthiques et anthropologiques. La complexité et la mondialisation font à première vue ressortir la diversité et même l'hétérogénéité, en particulier dans les systèmes éthiques de référence et alimentent donc une certaine vision relativiste des relations entre les personnes, entre les peuples et entre les Etats. La tendance est donc forte à réduire le domaine de la gouvernance aux seuls aspects techniques ou de procédures On en vient ainsi à envisager la gouvernance internationale comme un étroit réseau de contacts entre les chancelleries, la gouvernance de l'usage des ressources et de l'exploitation de l'environnement comme rien d'autre, au fond, qu'une question de protocoles internationaux, et la gouvernance du commerce international comme un habile équilibre entre tarifs douaniers et prix de vente. Dans la réalité, on a souvent vu que les chancelleries ne savent pas éviter les guerres, que les protocoles sur l'environnement sont rédigés avec beaucoup de difficultés et que les accords tarifaires connaissent des phases prolongées de stagnation. Je ne peux manquer de faire mienne la grave préoccupation exprimée par le Saint-Père Benoît XVI sur le fait que, même face à la gouvernance des "urgences humanitaires" d'aujourd'hui, de nombreux Etats ne font pas ce qui est en leur pouvoir d'accomplir (1). Multilatéralisme et unilatéralisme dans la "gouvernance" faible La conception que l'on envisage à présent est une conception de gouvernance plutôt faible dans laquelle peuvent trouver place certains dysfonctionnements dans les relations internationales dont, au cours de toutes ces années, nous avons pu faire l'expérience. Le débat sur le multilatéralisme et sur l'unilatéralisme en constitue un exemple. Certaines limites des Organisations internationales en sont un autre, qui est toutefois lié au précédent. Le multilatéralisme ne peut pas, bien évidemment, être un phénomène uniquement quantitatif. Une intervention militaire internationale n'est pas davantage justifiée par le fait qu'elle a été entreprise par plusieurs Etats plutôt qu'un seul. Ce qui éventuellement peut la justifier - outre le fait de répondre aux exigences de l'éthique internationale et du droit humanitaire bien connues de tous, comme la légitime défense contre une attaque et l'usage proportionnel de la force - est sa légitimité internationale, à savoir le fait qu'elle ait été décidée non seulement de manière multilatérale, c'est-à-dire par plusieurs Etats, mais surtout et essentiellement par les Organismes internationaux légitimes (2). Cette exigence renvoie au problème non seulement et non tant des structures organisatives des Organisations internationales, en premier lieu de l'ONU, mais plus encore et avant tout à leur autorité morale face à la famille humaine. Or, dans un contexte de gouvernance faible, tel que nous avons tenté de le décrire ci-dessus, l'autorité des Organisations internationales est à risque et plusieurs éventualités d'interventions multilatérales restent ouvertes. Pour la même raison, l'unilatéralisme devient une tentation, en particulier si le système de gouvernance ne parvient pas à affronter sérieusement, d'abord sur le plan théorique puis sur celui des stratégies pratiques, les problèmes soulevés par les nouveaux visages que malheureusement la guerre - également à cause du terrorisme - a revêtus ces dernières années. La faiblesse du système actuel de gouvernance internationale apparaît également dans le fait que les nations et les Etats ont rarement été en mesure de mettre en œuvre des interventions de type humanitaire et ce que l'on appelle le "devoir d'ingérence humanitaire", proposé il y a plusieurs années par Jean-Paul II, n'a pas bénéficié de l'approfondissement nécessaire d'un point de vue éthique, juridique et politique. L'Eglise l'a souvent reproposé dans les assemblées internationales et dernièrement, le Cardinal Angelo Sodano, mon prédécesseur comme Secrétaire d'Etat, l'a défini comme le "devoir de protéger" (3). Actuellement, le débat sur le multilatéralisme et l'unilatéralisme est centré sur le devoir légitime de "se protéger", également face aux nouvelles situations, très préoccupantes d'un certain point de vue, des conflits internationaux dits asymétriques. Mais bien peu a été accompli, toutefois, pour mieux comprendre les contours du devoir de "protéger" ceux qui ne savent pas se protéger. Il suffit de parcourir les discours au Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège de Jean-Paul II et de Benoît XVI ces dernières années pour se rendre compte des attentes de l'Eglise dans ce domaine. L'autorité des Organisations internationales La situation de gouvernance faible que nous avons décrite est à la fois la cause et la conséquence d'une certaine incertitude sur la capacité des Organisations internationales de se placer à la tête de la gouvernance elle-même. Ce sujet est très complexe et l'Eglise n'entend pas entrer dans les questions spécifiques de l'équilibre entre les pouvoirs et la réforme de la structure institutionnelle de telles Organisations. Je souhaite d'un côté exprimer une assurance et de l'autre signaler quelques recommandations. L'assurance concerne le grand intérêt de l'Eglise catholique envers les Organisations internationales et la grande considération qu'elle cultive à l'égard de leur rôle dans le monde. Elles représentent le chemin privilégié de la rencontre entre les nations et entre les peuples, du dialogue et de l'entente. Depuis l'époque de Populorum progressio (4) - dont nous célébrons cette année le 40 anniversaire - les Souverains Pontifes ont plusieurs fois manifesté ces sentiments et l'activité diplomatique du Saint-Siège auprès de ces Organisations l'a toujours démontré en même temps, naturellement, que l'autre devoir propre à l'Eglise qui consiste à "élever la voix en défense de l'homme" (5). Récemment, pour le 60 anniversaire de la fondation de l'ONU, Benoît XVI a souhaité à nouveau souligner cette "confiance" (6). Quant aux recommandations, ou plutôt aux vœux, le premier est que ces Organisations ne perdent pas de vue, même dans le cadre des nécessaires restructurations institutionnelles, leur raison d'être originelle et leurs finalités ultimes. Elles sont au service de l'homme, de tous les hommes. Elles sont au service de la famille des peuples pour contribuer au "bien commun universel". Pour pouvoir remplir pleinement leur mission, les Organisations internationales ne doivent pas perdre la certitude que les droits et les devoirs de l'homme et les grandes valeurs de la dignité de la personne, de la justice et de la paix, sont enracinées dans un ordre des choses et ne dépendent pas du vote d'une assemblée. Si au sein des Organisations internationales, cette conviction se perd ou s'affaiblit au cours du temps, celles-ci perdront également irrémédiablement de leur autorité. Une gouvernance qui ne soit pas faible, mais intensive, a besoin qu'au sein des Organisations internationales, qu'elles soient à caractère continental comme par exemple l'Union européenne, ou à caractère mondial, comme l'Organisation des Nations unies et ses multiples agences, soit cultivée avec force la conviction que l'on ne peut pas disposer des droits et des devoirs de la personne, c'est-à-dire la conviction de sa dignité transcendante. La transcendance est précisément la garantie du fait que l'on ne peut pas en disposer. Benoît XVI l'a solennellement affirmé dans le Message pour la Journée mondiale de la Paix du 1 janvier 2007: "Il est donc important que les Organisations internationales ne perdent pas de vue le fondement naturel des droits de l'homme. Cela les soustraira au risque, malheureusement toujours latent, de glisser vers une interprétation qui serait uniquement positiviste. Si cela devait arriver, les Organismes internationaux seraient privés de l'autorité nécessaire [...]" (7). Il faut constater que parfois, les Organisations internationales se font l'écho d'une idéologie radicale de type matérialiste dans des secteurs très importants tels que la procréation, la famille, la défense de la vie. L'Eglise a plusieurs fois exprimé ses perplexités à l'égard de l'idéologie sous-jacente, par exemple, aux notions de "santé de reproduction" et de "droits de reproduction" qu'ont adoptées les agences internationales et qui entraînent souvent des politiques contraires au respect de la vie. Une deuxième recommandation, ou vœu, est que l'on parvienne à faire travailler toujours davantage les Organisations internationales dans un réseau de subsidiarité avec d'autres acteurs: depuis les Etats et les gouvernements jusqu'aux multiples réalités locales, des organisations non gouvernementales aux multiples sujets de la société civile mondiale pour créer, comme l'affirmait Populorum progressio "une collaboration internationale à vocation mondiale" (8). A cet égard, toutefois, il faut dire également que s'il existe des retards dans la capacité à collaborer - et c'est le cas - tous les acteurs actuellement ou potentiellement engagés en partagent la responsabilité de manière équivalente. Tous, et pas seulement les Organisations internationales et les Etats, doivent promouvoir une plus grande disponibilité à la collaboration internationale. Je déplorais, un peu plus haut, qu'il ne semble pas que l'on ait suffisamment approfondi le concept de "devoir d'ingérence humanitaire". Voilà un cas où la responsabilité n'est pas seulement celle des Organisations internationales ou des Etats, mais également des réalités de la société civile, des gouvernements des pays qui ont davantage besoin d'aide et des Eglises locales elles-mêmes. Une nouvelle gouvernance qui ne soit pas faible, mais intensive, a besoin de la contribution de tous. Les Etats continuent à avoir un rôle central dans la gouvernance mondiale. Je voudrais éviter ici une possible équivoque. En commençant, j'ai affirmé que le niveau du "gouvernement" est surtout celui de l'Etat. Mais cela ne signifie pas - bien au contraire - que l'Etat n'ait pas un rôle très important dans la gouvernance. Certes, il est de moins en moins possible de transférer automatiquement la logique du gouvernement dans les secteurs internationaux qui exigent en revanche une gouvernance. Mais c'est précisément pour cela que les Etats, sans renoncer à gouverner, sont toujours davantage invités à se concerter non seulement avec les autres Etats, mais également, comme je l'ai dit plusieurs fois, avec d'autres sujets et acteurs non étatiques. C'est un devoir de coordination pour la gouvernance, au-dessous et au-dessus du niveau de l'Etat. Les domaines liés à la promotion de la justice internationale, aux urgences humanitaires et au développement sont, par exemple, des lieux privilégiés où les Etats pourraient mettre en œuvre cette capacité de coordination pour la gouvernance. Une "gouvernance" à caractère intensif Au cours de ces dernières années, comme je l'ai déjà rappelé, en particulier après les tragiques événements du 11 septembre 2001 et ce qui a suivi, les Souverains Pontifes ont donné d'importantes indications pour passer d'une gouvernance faible de la vie internationale à une gouvernance à caractère plus intensif. J'examinerai à cette occasion trois d'entre elles. Je faisais remarquer que la gouvernance faible se fonde sur une vision relativiste des cultures et en vertu de laquelle l'ouverture qui a suivi la mondialisation a engendré une perte de cohésion dans les relations internationales et une sorte d'incommensurabilité entre les critères de jugement a éclaté. Le code de communication international s'en est ressenti. A l'époque du colonialisme ou celle de la guerre froide, les codes de communication étaient - bien qu'erronés - clairs. Mais par la suite, et notamment après le 11 septembre 2001, ils sont devenus confus. D'un côté, une conception faible et relativiste de la démocratie, de l'autre, l'engagement à l'exporter; ici, une guerre entendue au sens conventionnel, là, une guerre sans déclarations formelles et sans préavis, une guerre diffuse et impalpable; des peuples qui ne savent pas bien s'ils sont exploités par des agents supra-nationaux ou par leurs propres oligarchies; des intégralismes de la raison technologique d'un côté et des intégralismes religieux de l'autre. Pour affronter cette problématique, il faut reconstruire un code commun et pour le faire il faut commencer à voir au-delà de la diversité, ce que nous avons en commun. La gouvernance faible se fonde davantage sur la perception des diversités. Si un gouvernement n'est plus viable, mais que l'on exige une gouvernance, c'est - du moins c'est que l'on croit et ce que l'on dit - parce que prévaut la fragmentation et la mosaïque plutôt que l'uniformité. Sauf que cette fragmentation empêche la Communauté internationale de se comprendre. Voilà pourquoi j'estime que dans cette phase historique, il est bien plus important d'insister sur la reconnaissance de ce que nous avons en commun. J'interprète de cette manière l'insistance, devenue désormais même pressante ces dernières années, avec laquelle les Souverains Pontifes soulignent la force de la loi naturelle afin qu'elle redevienne le point de référence pour une éthique de base partagée et pour un code de communication qui ne soit pas formel. Cela me semble également la raison pour laquelle - et nous en venons ain-si au deuxième point que je voudrais aborder - les enseignements de Jean-Paul II et de Benoît XVI insistent sur la vérité dans les relations internationales. Le Saint-Père Benoît XVI a consacré son premier Message pour la Journée mondiale de la Paix du 1 janvier 2006 (9) au thème de la vérité. J'ai moi-même pu souligner que la "concertation" entre les Etats a pour but de "contribuer à l'édification d'une société où chacun, chaque famille, a sa place et peut vivre dans la sérénité, apportant son concours au bien commun" (10). Par le mot "concertation" j'entendais un dialogue profond et respectueux, sincère dans sa volonté d'aller au cœur des personnes et des peuples, réaliste et capable de tenir les engagements qui ont été pris. La vérité dans la concertation internationale exige que les Etats, dans leurs dialogues ou dans leurs différends, ait toujours en face d'eux les peuples qu'ils représentent et toute la communauté mondiale, car leur dignité morale consiste précisément en cela (11). Les Organisations internationales et les institutions de la société civile internationale peuvent aider les Etats à faire mûrir toujours davantage cette conscience, mais elles ne peuvent pas se substituer à eux, car c'est à eux qu'il revient d'agir. Remarquons que ce thème de la vérité est étroitement lié au thème précédent de la redécouverte de ce qui nous est commun, ainsi qu'au thème de la référence à la loi naturelle. Benoît XVI a dit en effet: "Cette même recherche de la vérité vous porte également à affirmer avec force ce que tous ont en commun, qui appartient à la nature même des personnes, de tout peuple et de toute culture, et qui doit être pareillement respecté" (12). La troisième remarque est une extension de ce même thème de la vérité et je le fais en tenant compte du lieu où je me trouve. M'adressant à l'Académie pontificale des Sciences sociales, je ne peux manquer d'observer que l'on note aujourd'hui un grand besoin de coordination des savoirs qui concernent la vie internationale. De nombreuses sciences sociales s'en occupent et il est juste qu'il en soit ainsi. Il ne serait pas possible, inversement, de cerner théoriquement les problématiques immenses qui nous attendent. Les sciences sociales toutefois, exigent une coordination et une orientation épistémologique de manière à ce que toutes puissent collaborer au bien de l'homme. Le contexte des relations internationales ressent aujourd'hui de manière très aiguë cette nécessité, précisément pour éviter de gaspiller les savoirs dans une gouvernance faible. J'estime que la doctrine sociale de l'Eglise, telle qu'elle a été présentée dans le Compendium publié par le Conseil pontifical "Justice et Paix", peut apporter une contribution significative dans ce but car, par sa nature, celle-ci peut permettre d'orienter l'interdisciplinarité (13). D'une "gouvernance" technique à une "gouvernance" éthique Dans le Message pour la Journée mondiale de la Paix du 1 janvier 2004, Jean-Paul II a fait deux affirmations - étroitement liées l'une à l'autre - que je veux rappeler ici. "Affrontant une période nouvelle et plus difficile de son développement authentique - a-t-il écrit -, l'humanité a besoin aujourd'hui d'un degré supérieur d'organisation" et il a ajouté: "Il convient que l'Organisation des Nations unies s'élève toujours plus du stade d'une froide institution de type administratif à celui de centre moral" (14). Ces deux phrases mettent en relation l'exigence de se doter non pas simplement d'un nouveau type d'organisation internationale, mais de se doter d'un type d'organisation "d'un degré supérieur" et, dans le même temps, de miser sur une relance renouvelée de l'éthique dans les relations internationales. Le souhait formulé par Jean-Paul II pour l'ONU ne concerne pas bien entendu uniquement cette Organisation, mais tous les acteurs de la société internationale. Je crois que c'est précisément cela qui est important. Une gouvernance faible, telle qu'il me semble que ce soit le cas aujourd'hui, finit par être uniquement ou principalement technique. De cette manière, toutefois, le recours à la guerre est aussi facilité, parce que la guerre elle aussi, au fond, est l'idolâtrie de la technique. Qu'elle soit menée avec des armes modernes sophistiquées, ou que l'on utilise des instruments rudimentaires pour des actes terroristes, derrière la guerre, il y a sans aucun doute - à côté de toutes ses causes dramatiques - également l'idée qu'une intervention "chirurgicale" puisse résoudre les problèmes. La guerre aussi est l'expression de l'"esprit de technicité", qui est l'une des principales idéologies de notre époque. Il faut passer d'une gouvernance faible qui trop souvent s'en remet à la guerre, car elle n'est pas capable de prévenir à travers le développement et la justice, à une gouvernance d'un haut niveau éthique qui produise un ordre dans le bien. L'homme libre est celui qui se gouverne lui-même. Mais qui peut dire vraiment qu'il se gouverne lui-même? Celui qui se fait gouverner par la vérité et par le bien. "Se faire gouverner" semble en opposition avec "se gouverner", car on estime en général que pour se gouverner, l'on doit se libérer de toute route à suivre. Mais lorsque l'homme arrive à ce point, il devient plus esclave qu'auparavant. Libre de tout et de tous - même de la vérité et du bien -, il est toutefois (et pour cette raison) esclave de lui-même et disponible à céder à tous les chantages pour satisfaire ses propres intérêts. La liberté intérieure est ainsi compromise (15), sacrifiée à une liberté extérieure prétendue totale. Il en est également ainsi pour la communauté politique, y compris au niveau international. Tout comme l'individu, le corps social a lui aussi plusieurs fois au cours de l'histoire tenté de se gouverner sans se faire gouverner par la vérité et le bien. C'est-à-dire de se gouverner de manière absolue, en éliminant toute référence supérieure à lui-même et en se proclamant, par rapport à tout et à tous, legibus solutus. Le passage du gouvernement à la gouvernance peut ainsi être un passage salutaire, si dans la gouvernance nous saisissons tous l'opportunité pour nous gouverner, certes pas sans ne devoir rien respecter en dehors de nos intérêts, mais plutôt dans le respect de l'être authentique de toute personne et de tout peuple que nous ne nous sommes pas donnés, mais que nous avons reçus, comme une vocation. NOTES 1) "Mais on demande un effort accru de toutes les diplomaties pour repérer avec vérité et pour dépasser, avec courage et générosité, les obstacles qui s'opposent encore à des solutions efficaces et dignes de l'homme. Et la vérité veut qu'aucun des Etats prospères ne se soustraie à ses responsabilités et à son devoir d'aide, puisant avec une plus grande générosité dans ses propres ressources. Sur la base des données statistiques disponibles, on peut affirmer que moins de la moitié des immenses sommes globalement destinées aux armements serait plus que suffisante pour que l'immense armée des pauvres soit tirée de l'indigence, et cela de manière stable" (Benoît XVI, Discours au corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, 9 janvier 2006, cf. ORLF n. 2 du 10 janvier 2006). 2) Conseil pontifical "Justice et Paix", Compendium de la Doctrine sociale de l'Eglise, Librairie éditrice vaticane, Cité du Vatican 2004, n. 501, pp. 273-274. 3) Card. A. Sodano, Discours à la réunion plénière de haut-niveau des Nations unies, 16 septembre 2005, cf. ORLF n. 38 du 20 septembre 2005. 4) Cf. Populorum progressio, n. 78. 5) Benoît XVI, Discours aux représentants du Saint-Siège auprès des Organisations internationales, 18 mars 2006; cf. ORLF n. 15 du 11 avril 2006. 6) Benoît XVI, Dans la vérité la paix, Message pour la Journée mondiale de la Paix, 1 janvier 2006; cf. ORLF n. 50 du 13 décembre 2005. 7) Benoît XVI, La personne humaine coeur de la paix, Message pour la Journée mondiale de la Paix 1 janvier 2007, n. 13; cf. ORLF n. 51 du 19 décembre 2006. 8) Cf. Populorum progressio, n. 78. 9) Benoît XVI, Dans la vérité la paix, Message pour la Journée mondiale de la Paix, 1 janvier 2006, cf. ORLF n. 50 du 13 décembre 2005. 10) Cardinal Tarcisio Bertone, Discours au Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, 29 septembre 2006; cf. ORLF n. 40 du 3 octobre 2006. 11) "Les Etats doivent être au service de la culture authentique qui appartient de façon particulière à la Nation, au service du bien commun, de tous les citoyens et les associations, en essayant d'établir pour tous des conditions de vie favorables" (Jean-Paul II, Discours au Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, 1994, n. 4; cf. ORLF n. 3 du 18 janvier 1994). Selon Jean-Paul II, les Etats jouissent d'une autorité finalisée au bien de la nation, du peuple, de la culture et, dans le même temps, à édifier la famille humaine commune (cf. G. Crepaldi, Introduction à Jean-Paul II et la famille des peuples. Le Saint-Père au Corps diplomatique, Conseil pontifical "Justice et Paix", (1978-2002), Librairie Editrice Vaticane, Cité du Vatican, 2002, pp. 11-15). 12) Benoît XVI, Discours au Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, 9 janvier 2006, cf. ORLF n. 2 du 10 janvier 2006. 13) Cf. G. Crepaldi et Stefano Fontana, La dimensione interdisciplinare della Dottrina sociale della Chiesa, Cantagalli, Sienne, 2006. 14) Jean-Paul II, Un engagement toujours actuel: éduquer à la paix, Message pour la Journée mondiale de la Paix, 1 janvier 2004, n. 7; cf. ORLF n. 50 du 16 décembre 2003. Il s'agit de deux citations tirées de Sollicitudo rei socialis, n. 43, et du Discours à l'Assemblée des Nations unies du 5 octobre 1995. 15) "La liberté intérieure - a dit Benoît XVI - est en effet la condition pour une croissance humaine authentique" (Message aux participants à la XII Assemblée plénière de l'Académie pontificale des Sciences sociales; cf. ORLF n. 19 du 9 mai 2006).
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