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Prof. Jean-Didier LECAILLON

Intervention à la Conférence des ministres européens chargés des affaires familiales*

Helsinki, 27 juin 1995



L’Église Catholique voit la paternité à la lumière de la complémentarité évidente entre masculin et féminin, mari et femme, père et mère.

A une époque où la répartition des tâches dans la famille se faisait en fonction d’une nette spécialisation des sexes, la place du père dans la famille était vue essentiellement comme celle de support économique, la mère s’occu­pant quant à elle de la gestion interne du foyer et de l’éducation des enfants. Le père intervenait dans cette éducation sous un aspect plutôt disciplinaire, prenant cependant le relais de la mère quand la question de 1a formation professionnelle de ses garçons commençait à se poser.

Aujourd’hui, la complémentarité entre les sexes n’est plus vue sous ce mode dichotomique, voir dialectique (tendresse donnée par la mère, normes et sens du devoir donnés par le père), mais sous le mode de la donation réci­proque, donc du service commun, de la responsabilité commune pour la gestion du foyer et l’éducation des enfants. Dans cette perspective, il ne s’agit pas de gommer artificiellement les différences entre père et mère, dans une vision erronée d’un monde unisexué. Il s’agit au contraire de savoir tirer au mieux partie de ce qui est différent et complémentaire chez l’un et l’autre des conjoints.

A ce titre, la place du père dans la famille est bien unique et irremplaçable. Les pères sont appelés à promouvoir la fidélité, l’unité et la stabilité dans la famille. Ils sont appelés à jouer pleinement leur rôle éducatif spécifique. Les études sur l’élaboration de l’identité et le développement psy­chi­que de l’enfant n’ont fait que confirmer l’importance de ce rôle. Mais nous devons nous demander s’ils sont bien aidés pour le remplir aujourd’hui.

1.- Le statut du père et le manque d’estime de soi

Dans la situation actuelle, en relation avec la société post-industrielle telle qu’elle se dessine en Europe, la figure du père est marquée par une certaine crise d’identité et un manque de confiance en lui.

Cela semble devoir être attribué à de multiples facteurs: d’un côté la culture, centrée sur le principe d’autonomie, conteste l’autorité paternelle dans la famille, de l’autre les revendications de l’égalité homme-femme demandent une plus grande présence du père dans les tâches familiales. Par ailleurs, l’entrée de la femme dans le monde du travail extérieur à la famille, qui était jusqu’alors le domaine exclusif de l’homme, a mis en crise la capacité d’esti­me de soi de ce dernier. Enfin, des situations professionnelles parfois diffici­les, le chômage en particulier, peuvent contribuer à dévaloriser aux yeux de ses proches l’image du père.

Pour toutes ces raisons, le père est mal préparé à assumer ses devoirs dans le cadre familial. Bien des jeunes évitent la responsabilité paternelle familiale en renvoyant à plus tard le mariage ; d’autres se trouvent être pères biologiques avant d’avoir pris une décision de véritable engagement de vie commune dans le mariage et la famille.

Si l’on examine sérieusement la situation sociale aujourd’hui, telle qu’elle émerge de ces évolutions, on voit qu’elle ne peut être amendée qu’en renforçant le dialogue entre les conjoints et en faisant jouer la complé­men­tarité des rôles, partant du niveau familial pour déboucher sur le plan social.

Bien des problèmes concernant le rôle et l’identité du père seront résolus lorsque les pères retrouveront l’estime d’eux-mêmes en sachant que leur rôle à la maison est essentiel. Cela ne signifie pas un retour au machisme ou à un rôle masculin dominant, mais une compréhension de la paternité et de la maternité dans leur perspective naturelle de complémentarité entre hommes et femmes.

2 - La relation père-enfants : “père absent” et procréation responsable

Le Saint-Siège est profondément préoccupé par le problème largement diffus des familles à père absent. L’absence du père place un fardeau supplémentaire sur les épaules des mères, particulièrement des femmes pauvres. De plus, il faut prendre sérieusement en considération les effets psychologiques et sociaux négatifs de cette absence sur les enfants car ceux-ci ont besoin d’un père au cours des années de leur développement.

Or, dans certaines sociétés, des politiques aggravant le problème grandissant des familles à père absent sont aujourd’hui admises et même promues. Ainsi en est-il des politiques sociales d’aide aux mères célibataires lorsqu’elles ne sont pas assorties de mesures poussant les pères à prendre leurs responsabilités ; elles peuvent revenir encourager de fait les naissances hors-mariage en détournant les partenaires d’un engagement à la vie commune. Les politiques économiques fondées sur le profit plutôt que sur le bien des gens obligent souvent les pères à chercher du travail loin de leurs familles. Des lois discutables sur le divorce et la séparation encouragent les hommes à abandonner leur famille et à laisser de côté leurs obligations paternelles. L’infidélité sexuelle détourne aussi les hommes de leur foyer en les rendant indifférents à leurs responsabilités paternelles.

Afin que le père soit réellement présent avec toute sa responsabilité, il faut considérer cette dernière dès le moment de la procréation des enfants. Il nous faut retrouver une saine compréhension de la procréation comme décision commune prise par des égaux. L’Eglise Catholique promeut la paternité responsable dans le cadre d’un dialogue et d’une décision commune et respectueuse des époux. Celle-ci renforce le mariage qui devient vécu comme un partenariat entre égaux. Au travers du partage avec sa femme des décisions sur la procréation, le mari est introduit dans le cycle de sa fertilité qu’il est amené à comprendre, à accepter, à respecter. Le partage de la “parenté responsable” le conduit à un engagement plus important dans la procréation, la surveillance de la grossesse, le soin et l’éducation de ses enfants à la maison.

3 - Aspects transpolitiques de la question de la paternité

A la lumière des droits et du bien-être de la famille, le Saint-Siège insiste sur la nécessité de procurer au père un revenu familial adéquat. Sa femme et ses enfants ne devraient pas être contraints à un emploi hors de la maison parce que le père ne reçoit pas une juste rémunération. Certes, les mères peuvent choisir de travailler en dehors de la maison si leurs responsabilités familiales ne se ressentent pas de ce choix ; mais elles ne devraient jamais être obligées de le faire.

Dans le contexte de l’affaiblissement du sens de la responsabilité paternelle, des politiques économiques et sociales devraient être étudiées afin de parvenir à contrôler puis réduire la proportion des familles à père absent.

Quand on étudie les causes de certaines pathologies socialement diffuses comme la consommation de drogue, l’alcoolisme, la diffusion de la prostitution, l’épidémie du SIDA, les recherches sociales mettent en évidence de façon constante comme cause première le manque d’une famille stable, d’une intégration effective dans la famille, et de la présence effective et conjointe des parents, père et mère. Si l’on veut véritablement prévenir ces maux sociaux, il est nécessaire de favoriser le développement d’une culture nouvelle, favorable à la famille, au travers d’une politique législative adéquate et d’une orientation en rapport des mass média.

Dans cette perspective, le développement d’une véritable politique familiale, conçue non pas comme une politique à visées natalistes ou sociales mais comme la volonté de promouvoir l’union stable et durable d’un homme et d’une femme ayant le projet d’avoir et d’élever des enfants, devrait être inscrit parmi les priorités.

4 - Questions d’actualité

Le rôle du père (ou l’affaiblissement de ce rôle) est en jeu dans certaines questions  éthico-sociales d’actualité.

Si l’on considère d’abord la question de l’avortement, nous voyons que le rôle du père y est dénaturé, sa responsabilité ignorée, ses droits méconnus. Il y a certes des cas tragiques où le père force la mère à avorter de leur enfant. Mais cependant, bien des pères se voient dénié leur droit à empêcher l’avortement de leur enfant à cause d’une fausse perspective, individualiste, de la maternité, où l’on ne considère que les droits de la mère, ce qui contredit la réalité biologique.

Dans certaines sociétés existent des lois sur l’avortement qui concrétisent cette injustice. Elles éliminent la responsabilité et le rôle du père dans les débuts de la vie humaine. Il est urgent que de telles lois soient révisées. Cela renforcerait la responsabilité paternelle. Cela aussi réduirait le nombre des avortements, car nombreux sont les cas où la mère prend la décision d’avorter sans tenir compte du fait que le père ne veut pas cet avortement et qu’il est disposé à lui venir en aide durant le temps de sa grossesse. Le fait même de l’avortement représente un traumatisme pour la famille, pour la paternité, pour la maternité. Ce traumatisme entre aussi en ligne de compte dans le jugement négatif que porte l’Eglise Catholique sur le fait de l’avortement.

Une question particulièrement d’actualité est celle de la procréation artificielle hétérologue qui passe par le don de sperme. Le père éducatif et juridique ne coïncide pas en ce cas avec le père biologique. On assiste à un conflit psychologique d’identité chez le père qui peut aboutir à la non recon­nais­sance de paternité alors même que le consensus pour une fécondation artificielle hétérologue avait été établi. La paternité double avec un père biologique et un père juridique différents affaiblit et désoriente le rôle paternel.

La démission paternelle dans le domaine de l’éducation n’est pas sans rapport avec les multiples problèmes psychologiques que l’on voit fleurir chez les jeunes aujourd’hui, à base d’immaturité, de narcissisme, de troubles de la personnalité.

Le Saint-Siège voudrait aussi qu’il soit accordé plus d’attention au rôle du père dans le document préparatoire Programme d’action de la Quatrième Conférence Mondiale sur les Femmes qui se tiendra à Beijing en septembre prochain. Nous trouvons dans ce document une certaine répugnance à reconnaître les valeurs positives de la famille. du mariage, de la maternité, de la paternité et de la procréation. La complémentarité essentielle entre les parents, clef de la paternité et de la maternité harmonieuses, ne devrait être ni ignorée ni écartée.

Il est vrai que certains pères doivent être encouragés à jouer un rôle plus responsable et plus actif dans la famille. Mais il y a une logique associée à la promotion de cette proposition. On ne peut demander au père qu’il prenne sa part dans les soins des enfants et la tenue de la maison, et, en même temps, se plaindre de son “interférence” lorsqu’il agit ainsi.




*Document de la Mission permanente du Saint-Siège auprès du Conseil de l'Europe, Strasbourg.

 

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