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ONU - CONFÉRENCE SUR L'EXPLORATION ET L'UTILISATION
DE L'ESPACE EXTRA-ATMOSPHÉRIQUE

  INTERVENTION DE M. VITTORIO CANUTO,
MEMBRE DE LA DÉLÉGATION DU SAINT-SIÈGE*

21 juillet 1999

 

Il y a environ 2.400 ans, un dialogue instructif eut lieu entre Socrate et l'un de ses élèves, Glaucus. Ce dernier soutenait que l'étude de l'espace, ou de l'espace extra-atmosphérique, comme nous l'appelons aujourd'hui, représentait un effort important car elle permettrait à l'humanité de prédire les saisons et de maîtriser l'art de la navigation, de l'agriculture, etc. Socrate répondit que, bien que tout cela soit vrai, beaucoup plus devrait dériver de ces études et en particulier, l'amélioration de l'esprit humain.

Plus de 2.000 ans plus tard, avons- nous suivi le conseil de Socrate ou n'avons-nous été que trop préoccupés d'«exploiter» l'exploration de l'espace comme une nouvelle mine d'or? Pour certaines nations, celle-ci a représenté une occasion inespérée, pour d'autres, la majorité, il s'est sans doute davantage agi d'un désastre. Certaines nations ont poursuivi courageusement et inlassablement l'exploration du nouveau domaine de l'espace, avec l'ardeur propre à ceux poussés par le désir de conquérir la nature, et non pas de se conquérir mutuellement. Et cette nouvelle canalisation de l'énergie humaine est, en soi, une bonne chose si l'on se rappelle que dans l'histoire de l'humanité, les progrès technologiques ont traditionnellement été le produit des guerres. Tant d'énergie humaine dirigée verticalement plutôt qu'horizontalement, les uns contre les autres, est à saluer.

Tandis que les activités spatiales ont apporté une contribution positive au processus de globalisation, pour certaines nations, cela a été synonyme d'uniformisation ou, pire encore, d'un flot incontrôlable, à travers des ondes électro-magnétiques, d'informations souvent étrangères à la culture et à la tradition locales. Le danger de dépouiller une culture des piliers de son héritage culturel, thème qui fait souvent l'objet de discussions dans les Comités sur l'Espace, doit être évité à tout prix car il ne s'agit pas seulement d'un problème technologique ou d'un problème de liberté d'information: il s'agit d'un problème éthique, qui exige l'établissement, après un accord commun, de normes éthiques dans ce domaine délicat.

A l'aube du nouveau millénaire, et après 50 ans d'exploration spatiale, qu'avons-nous appris? En portant notre regard vers l'extérieur, nous avons continué à apprendre de nouveaux secrets sur notre univers. Mais notre plus grande surprise a été, de loin, provoquée en observant notre planète de l'espace. Notre exploration de l'espace nous a conduit à une nouvelle conclusion inévitable. Nous détériorons nos systèmes écologiques par notre utilisation incontrôlée des ressources naturelles et minérales. Il s'agit d'un renversement fondamental du modèle des années 70, lorsque nous pensions que les limites de la croissance économique étaient dues au caractère restreint des ressources naturelles. Ces limites concernent en réalité l'utilisation responsable de ces ressources, le patrimone commun non seulement des générations présentes, mais également futures. Tandis que nous nous lançons de façon à la fois conceptuelle et pratique à la conquête de l'espace, nous devons redéfinir notre façon de vivre sur cette planète elle-même. Le nombre croissant d'applications positives liées à l'exploration de l'espace laissent présager d'immenses espoirs pour la promotion du bien de toute l'humanité. Afin de réaliser ces espoirs, chacun doit assumer sa responsabilité pour la promotion du bien de tous, et non seulement de quelques-uns.

Le réchauffement de la planète, l'augmentation du niveau de la mer, le phénomène du Niño, le déboisement, la diminution de la couche d'ozone, etc. sont des phénomènes qui, dans une triste spirale d'événements, affecteront beaucoup plus profondément ceux qui sont le moins équipés pour les éviter. Les activités spatiales ont été nos instruments de diagnostic, mais nous devons nous prodiguer afin qu'elles deviennent des instruments de pronostic également. La croyance populaire selon laquelle la libre économie est gérée par un mécanisme d'auto-régulation, une main invisible, une sorte de réveil immanent qui nous avertira lorsque les ressources naturelles commenceront à diminuer, un instinct presque darwinien de préservation, s'est manifestement trompée. La recherche effrénée des intérêts individuels face à un «capital» de ressources naturelles en diminution, a conduit à un développement insoutenable. Les activités spatiales quantifient ces processus mais l'on ne peut pas s'attendre à ce qu'elles fournissent une formule magique pour réparer les dommages. Les faits démontrent amplement qu'une grande partie de la technologie disponible est trop chère, à trop grande échelle et trop sophistiquée en termes de qualifications requises.

Nous avons besoin d'un nouveau modèle, d'une nouvelle ligne de conduite. Nous considérons souvent le flot d'événements humains comme étant ponctualisé par des révolutions, dans le sens positif du terme. Après la première révolution, l'invention de l'agriculture, il y a dix mille ans, et la révolution industrielle, il y a deux cents ans, nous sommes prêts pour une troisième révolution. C'est à nous, et uniquement à nous qu'il revient de l'inventer, de la définir pour le bénéfice de tous, de l'appliquer de façon équitable et de l'utiliser pour l'amélioration du genre humain, comme nous l'a enseigné Socrate. L'aspect central doit être la connais- sance fondée sur l'éducation. Cette dernière est un bien public intangible qui doit être disponible pour tous si l'on veut que la révolution de l'information ait des résultats positifs. Les deux révolutions précédentes auxquelles nous avons fait référence étaient fondées sur la connaissance. La nouvelle énergie n'est pas physique, il ne s'agit pas de la terre, comme il y a dix mille ans, ni du charbon, comme il y a deux cents ans. Il s'agit de l'information. C'est un bien public car on peut le partager avec d'autres sans le perdre. Ce sont les personnes qui créent la connaissance, qui est une ressource illimitée, la seule ressource véritablement illimitée dont nous disposions. Par exemple, même dans les environnements les plus difficiles, les anciens Anasaz survécurent et prospérèrent, car ils connaissaient la façon d'alterner les récoltes et savaient tirer profit de façon intelligente de leur peu de ressources. Ils succombèrent uniquement à des phénomènes à l'égard desquels ils n'avaient aucune connaissance précédente.

Monsieur le Président, cela prouve que la connaissance et la faim ne devraient pas coexister. Elles ne peuvent aller de pair, car en pleine conscience, les personnes ne peuvent pas sciemment priver les autres de nourriture. Nous ne pouvons pas éviter certains phénomènes naturels, mais l'étude de l'espace nous informe sur leur nature. Nous devons donc dresser la seule barrière possible contre eux: la connaissance de ceux-ci, comme l'ont fait les populations précédentes au cours de l'histoire. Nous devons combattre la faim non pas avec des solutions ad hoc et au cas par cas, quelle que soit leur bonne intention, mais avec une plus grande précision et la mise en place de l'«anti-virus» de la connaissance.

La connaissance signifiera que nous ne connaissons pas seulement le prix commercial de chaque chose, mais, plus important, sa valeur intrinsèque.

La connaissance signifiera que nous ne devrons plus vivre dans la confusion morale pernicieuse qui nous a conduits à croire que nous pouvons comprendre la nature sans référence aux principes moraux.

La connaissance signifiera que nous franchirons le fossé qui existe actuellement entre le progrès technologique, d'une part, et le caractère moral primitif et l'individualisme effréné, de l'autre.

La connaissance signifiera que nous ne considérerons plus la terre et l'espace comme un terrain immobilier à conquérir, à délimiter, à acquérir et à cataloguer, mais comme une véritable biosphère dans laquelle nous, humains, formons une partie intégrante du tout.

La connaissance dotera chaque personne du bouclier invincible de la dignité humaine, comme Socrate nous l'a enseigné.

Ces concepts soulignent le besoin de mettre en place une collaboration et une participation de tous dans la recherche de solutions globales à des problèmes globaux, qui ne peuvent pas être résolus par quelques-uns, mais à travers la coopération de tous les différents éléments de notre communauté humaine. De ce point de vue, il semble impératif que nous prenions tous en considération la relation qui existe entre la connaissance accrue que les activités spatiales transmettent à l'humanité et la responsabilité croissante qui en découle, d'assurer que cette connaissance soit au bénéfice de toute l'humanité.

Merci, Monsieur le Président.


*L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française n. 35 p.6, 8.

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