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  ADRESSE D'HOMMAGE DU DOYEN
DU CORPS DIPLOMATIQUE
PRÈS LE SAINT-SIÈGE,
 
S.E. Mr. JOSEPH AMICHIA,
AMBASSADEUR DE CÔTE D'IVOIRE*

Samedi, 14 janvier 1984

 

Très Saint-Père,

La cérémonie de présentation des vœux à Votre Sainteté n’est pas pour le Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège l’accomplissement d’un simple devoir de courtoisie. L’enthousiasme et l’empressement avec lesquels chacun des Chefs de Mission y prend part, témoignent – s’il en était encore besoin – de l’intérêt que nous portons à cette rencontre et surtout notre joie d’écouter les propos toujours très élevés que Votre Sainteté tient à cette occasion.

C’est avec beaucoup d’émotion que je prends place ici même, où pendant de nombreuses années, l’Ambassadeur Valladares y Aycinena, en notre nom à tous, s’est adressé à Votre Sainteté. En cet instant, nos pensées vont vers celui qui a été pour chacun de nous un porte-parole fidèle et digne, mais aussi un collègue, un ami des plus courtois. Daigne le Seigneur qui l’a rappelé à Lui, le recevoir dans sa lumière et dans sa paix.

Très Saint-Père,

dans la très longue histoire de la diplomatie du Saint-Siège, c’est la première fois que l’honneur échoit à un représentant de l’Afrique de s’adresser à Votre Sainteté en tant que Doyen de ses pairs pour lui exprimer en leur nom les vœux fervents à l’aube de l’année nouvelle. Grande est certes la joie du Représentant de la Côte d’Ivoire d’accomplir ce devoir agréable, mais grande aussi est sa crainte, tellement la tâche est délicate.

L’année qui vient de s’achever a laissé au monde de graves sujets d’inquiétude. Votre Sainteté a eu souvent l’occasion de les évoquer avec autorité en mettant en lumière les dangers qu’ils représentent pour les hommes, tant sur le plan matériel que spirituel.

La course effrénée aux armements et les stocks déjà trop importants accumulés dans ce domaine plonge le monde dans la peur et font peser sur lui la menace de sa destruction. Parmi les nombreuses démarches que Votre Sainteté a déjà effectuées sur ce point, nous avons particulièrement apprécié celle très récente auprès des responsables des superpuissances, leur demandant de reprendre le dialogue afin d’arrêter cette course aux armements.

Comment ne pas partager également Vos inquiétudes devant la persistance de nombreux conflits dans le monde et dont les conséquences sont incalculables et dramatiques: les morts ne se comptent plus par dizaines au centaines mais par milliers; les maisons sont détruites et les survivants errent désormais dans la misère à la recherche d’un abri précaire ou même d’une nouvelle patrie. Le sort des réfugiés dont le nombre s’accroit de plus en plus, soit à la suite de ces conflits, soit par le fait de régimes intolérants, et ce, malgré les efforts louables déployés par certains pays et la communauté internationale, mériterait une attention plus grande.

Très Saint-Père,

le monde continue d’être ébranlé par la crise économique qui frappe toutes les nations, grandes et petites, et qui entraine entre autres la limitation des échanges internationaux et l’accroissement du chômage. Dans ces moments difficiles, certains pays sont tentés de se replier sur eux-mêmes ou cherchent à sortir de la crise sans tenir compte des autres. Cette tendance risque de prolonger cette crise, tant les économies nationales sont complémentaires que seules la coopération et la solidarité peuvent en hâter la solution. Le dialogue Nord-Sud qui avait suscité beaucoup d’espoirs n’avance pas à la cadence souhaitable.

La drogue, autre fléau de notre époque, n’épargne actuellement aucun de nos pays; elle continue chaque jour son œuvre dévastatrice sur ce que chaque nation a de plus précieux: sa jeunesse. Des efforts très louables sont déployés partout pour tenter d’en limiter les effets; malheureusement, les résultats sont souvent comme une goutte d’eau par rapport à ce fléau. On peut se demander alors si la communauté internationale ne devrait pas conjuguer davantage ses efforts afin d’attaquer le mal à sa racine.

Un autre sujet préoccupant de notre temps : la faim. La faim fait beaucoup de ravages parmi les populations des pays pauvres et en particulier parmi les enfants. Certes, la communauté internationale ne reste pas insensible à ce mal et aide, ici et là, par des actions ponctuelles. L’Eglise également, sous les auspices du Conseil Pontifical «Cor Unum et de ses nombreuses organisations caritatives, mène dans ce domaine une action remarquable. Malgré tous ces efforts, le problème demeure; les perturbations climatiques, notamment la sécheresse qui sévit depuis plusieurs années dans certaines régions d’Afrique, l’ont même aggravé. C’est pourquoi, nous souhaitons de tout cœur que soient entendus les appels réitérés que Votre Sainteté lance à toutes les nations du monde, les invitant à réduire les dépenses d’armement afin de lutter plus efficacement contre ce fléau.

Très Saint-Père,

lors de la 2e Conférence Mondiale pour la lutte contre le racisme et la discrimination raciale en août 1983 à Genève, le Chef de la délégation du Saint-Siège, en des termes saisissants, avait défini la position de l’Eglise face à ce problème. Votre Sainteté elle-même, dans ses nombreux messages, et récemment à Noël, n’a pas manqué de souligner comment la naissance du Christ fait de tous les hommes des fils de Dieu, par conséquent, tous des frères. Mais comment ne pas s’indigner — pour le moins — de voir qu’aujourd’hui encore, des millions d’hommes continuent d’être brimés à cause de la couleur de leur peau, de leurs convictions religieuses, ou même de leur état de pauvreté.

Aucune partie du monde n’échappe à cet autre phénomène de notre temps qu’est le terrorisme. Le terrorisme aveugle et fanatique caractérisé par des attentats, des enlèvements, des prises d’otages, des bombardements qui frappent dans bien des cas des populations innocentes. Il y a aussi une autre forme de terrorisme dont on ne parle pas souvent et qu’on a coutume d’appeler les «entreprises de déstabilisation» qui se multiplient surtout dans les pays en voie de développement. Elles consistent à provoquer des troubles sociaux, à susciter la violence et l’instabilité politique pour introduire ensuite certaines idéologies dans des pays qui ont besoin avant tout de paix pour assurer leur développement.

Très Saint-Père,

les graves problèmes du Tiers-Monde ont toujours fait l’objet de l’attention particulière de Votre Sainteté. Dans Vos Encycliques, les discours prononcés au cours de Vos voyages apostoliques et, à la suite de Vos Illustres prédécesseurs, Votre Sainteté ne cesse de souligner que le «développement est le nouveau nom de la paix». Il y a quelques jours encore, à l’occasion de la 17e Journée Mondiale de la Paix, Votre Sainteté demandait aux pays riches de «sortir de leur égoïsme collectif pour penser en termes nouveaux les échanges et l’entraide, en s’ouvrant à un horizon planétaire». Parmi tous les problèmes qui préoccupent les responsables du Tiers-Monde, le plus grave est sans doute celui qui touche justement aux échanges commerciaux et particulièrement des produits agricoles. A ce propos, les pays en voie de développement ont trouvé dans Votre Encyclique «Laborem Exercens» une source de grand réconfort, s’agissant en particulier des prix des matières premières sur lesquels Votre Sainteté s’est étendue en profondeur. Il y a là une question de justice. Comment, en effet, les pays industrialisés peuvent-ils continuer à vendre aux pays en voie de développement leurs produits manufacturés à des prix leur permettant de faire des bénéfices, et continuer d’ignorer dans le même temps les coûts de production des matières premières qu’ils achètent à ces derniers, en fixant unilatéralement les prix? La chute brutale des cours des matières premières et l’instabilité de ces cours mettent les pays producteurs dans des situations économiques des plus difficiles. Le travail de la terre a été toujours dur depuis que l’humanité existe; mais à notre époque où tant de progrès ont été réalisés par la science, ce travail reste encore dur dans les pays en voie de développement, à cause du manque de moyens et d’infrastructures. C’est pourquoi, s’il n’est pas suffisamment rémunéré, les paysans quittent les terres pour aller dans les villes grossir le nombre de sans-travail, de sans-abri, des affamés, lesquels constituent, hélas trop souvent, le ferment des agitations, de la violence, des troubles sociaux qui mettent en péril la paix dans les nations et par conséquent dans le monde.

Très Saint-Père,

à l’occasion de la cérémonie de présentation de vœux a Votre Sainteté, je n’ai pas la prétention de faire le bilan de Vos nombreuses activités. Mais permettez-moi, Très Saint-Père, d’en évoquer quelques unes dont l’impact est si grand sur l’humanité.

L’Année Sainte Extraordinaire de la Rédemption que Votre vision prophétique vous a fait proclamer pour rappeler à l’humanité l’unique fondement de son salut, a suscité une grande espérance dans notre monde marqué par tant de difficultés. Nous qui avons le privilège de vivre cet évènement ici même à Rome, sommes agréablement frappés par le grand nombre de pèlerins qui accourent chaque jour dans la ville éternelle alors que les dispositions édictées par Votre Sainteté permettent à tous de gagner les grâces de ce Jubilé Extraordinaire dans leurs paroisses. Il est même très réconfortant de constater que les jeunes sont très nombreux parmi ces pèlerins.

Le dernier Synode des Evêques, dont Votre Sainteté a souligné la coïncidence providentielle avec l’Année Sainte Extraordinaire a permis d’approfondir l’aspect essentiel de la Rédemption: la réconciliation et la pénitence. Se réconcilier avec soi-même, se réconcilier avec son Sauveur, se réconcilier avec tous les hommes ses frères, sauvés par le Christ, voilà une voie qui ne manquera pas de contribuer à transformer les cœurs des chrétiens et, pourtant, des hommes.

Poursuivant l’heureuse coutume désormais établie de Vos voyages apostoliques dans tous les continents, Votre Sainteté a effectué l’année dernière quatre autres déplacements en Amérique Centrale, en Pologne, à Lourdes et en Autriche. Ces voyages, quand bien même ils sont effectuées avec des moyens qui permettent d’aller plus vite et plus loin que ceux utilisés par les premiers apôtres, ne comportent pas moins de fatigues et de risques de toutes sortes pour Votre Sainteté, mais ils sont profitables aux pays qui en sont les heureux bénéficiaires et à toute l’humanité. Les nombreuses homélies que Votre Sainteté prononce à l’occasion de ces voyages, si elles s’adressent avant tout aux Eglises locales des pays visités, n’intéressent pas moins l’Eglise Universelle. Ici, c’est l’exhortation ou l’enseignement à une Eglise dont les membres ne jouissent pas pleinement de toutes les libertés fondamentales; là, ce sont des conseils de prudence à des chrétiens mêlés à des situations conflictuelles et pour la solution desquelles on est parfois tenté d’adopter des moyens plus ou moins conformes à la Doctrine Sociale de l’Eglise. Partout, c’est l’exemple de la piété que Votre Sainteté donne, la recommandation à la prière et à la conversion des cœurs. Nous souhaitons ardemment que cette année encore Votre Sainteté effectue d’autres voyages dans certaines régions du globe où sa présence est tant souhaitée et attendue avec ferveur.

Tout le monde s’accorde à reconnaître que la famille est la cellule de base de la société, et que c’est par elle que peut s’effectuer toute transformation. Aussi, la récente publication par l’Eglise d’une charte des droits de la famille constitue-t-elle – nous en sommes convaincus – un rapport très précieux dans les efforts entrepris par la communauté internationale pour tenter de freiner la dégradation profonde des valeurs de notre société.

Très Saint-Père,

la récente célébration du 5e anniversaire du début de Votre Pontificat et du 25e anniversaire de Votre Episcopat, célébration à laquelle le monde entier a pris spontanément part, a permis à chacun de manifester à Votre Sainteté par la prière ou la sympathie l’intérêt qu’il porte à Votre ministère pastoral depuis Votre cher Diocèse de Cracovie jusqu’à celui plus récent de Rome. La célébration commune de ces deux anniversaires souligne bien la continuité de votre labeur apostolique. Les visites pastorales que Votre Sainteté effectuent dans toutes les paroisses de son Diocèse de Rome ne sont-elles pas comme le prolongement de celles que vous avez effectuées naguère dans Votre cher Diocèse d’origine? Comment ne pas relever ici que ces visites si profitables à vos diocésains ont pris récemment un caractère œcuménique des plus importants quand Votre Sainteté a bien voulu s’unir et prier avec les frères de l’Eglise Luthérienne à Rome permettant ainsi de faire un grand pas vers ce jour où se réalisera enfin l’unité de tous ceux qui partagent la même foi en Jésus-Christ.

Très Saint-Père,

pour en finir avec ce rapide aperçu de quelques unes de vos activités durant l’année écoulée, permettez-moi d’évoquer à présent un évènement que le monde entier n’oubliera pas de sitôt. En effet, après la célébration des fêtes de Noël, et après Votre intense évocation au Seigneur et à sa Mère d’ouvrir le cœur des hommes à la paix, Votre Sainteté, comme pour joindre le geste à la parole, a rendu visite à une prison de Rome. L’évènement n’était pas sans précédent, mais cette visite du 27 décembre dernier à la prison de Rebibbia a revêtu un caractère spécial. Le monde qui avait été si justement indigné par l’attentat de mai 1981 perpétré contre Votre Auguste Personne a été édifié par Votre témoignage de pardon à Votre agresseur. Daigne le Tout Puissant qui Vous a préservé La vie pendant cet attentat, accepter Votre témoignage pour faire disparaitre parmi les hommes la haine, la vengeance, la violence.

Très Saint-Père,

dans cette conjoncture mondiale où les conflits ont tendance à s’aiguiser et de nouveaux signes de durcissement se font jour, qu’il me soit permis, une fois encore, de mettre l’accent sur le réconfort que le monde trouve dans votre action inlassable en faveur des droits de l’homme, des valeurs de la famille, de la protection des faibles, des personnes âgées, des handicapés, de la sauvegarde de la jeunesse, du respect de la vie et de la dignité de la personne.

Fasse le Tout Puissant que Vos Messages de Paix trouvent écho dans le cœur des hommes, surtout des responsables du monde qui peuvent tant faire pour que notre humanité, enfin délivrée de la menace de la guerre, se livre à une compétition pacifique pour le bonheur des hommes.


*Insegnamenti di Giovanni Paolo II, vol.VII, 1, p.80-86.

 

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