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XXIVe SESSION DE LA CONFÉRENCE DES PARTIES
À LA CONVENTION CADRE DES NATIONS UNIES
SUR LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES
[Katowice, Pologne (2-14 décembre 2018)]

INTERVENTION DU CARDINAL PIETRO PAROLIN, SECRÉTAIRE D'ÉTAT

 

Monsieur le président,

Au nom de Sa Sainteté le Pape François, je vous salue tous cordialement et je vous assure de sa proximité, de son soutien et de son encouragement au cours de ces journées d’efforts intenses en vue d’un résultat fructueux de cette réunion de la COP24.

Après l’adoption de l’Accord de Paris, la réunion de Katowice a pour tâche fondamentale de préparer le programme de travail de l’Accord de Paris. Ce document devrait être un ensemble solide de directives, de règles et de mécanismes institutionnels visant à faciliter une mise en œuvre équitable et efficace de l’Accord, en particulier au niveau national. Nous sommes tous conscients de la difficulté de cet effort.

La complexité de cette tâche est cependant amplifiée par le profond sentiment d’urgence à agir, comme l’a clairement souligné le dernier rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) (cf. GIEC, Résumé à l’intention des décideurs du Rapport spécial sur les effets du réchauffement de la planète de 1,5°c au-dessus des niveaux pré-industriels et les voies d’émission de gaz à effet de serre mondiales connexes, dans le contexte du renforcement de la réponse mondiale à la menace du changement climatique, du développement durable et des efforts visant à éliminer la pauvreté, 6 octobre 2018). Dans cette perspective, les informations contenues dans ce rapport sont d’autant plus préoccupantes que les engagements actuels des Etats pour atténuer les changements climatiques et s’y adapter ne sont pas suffisants pour atteindre les objectifs fixés par l’Accord de Paris. Dans cette optique, le document du GIEC propose une voie difficile à suivre, à savoir qu’il est encore possible de limiter le réchauffement climatique, mais cela exigera une volonté politique claire, tournée vers l’avenir et forte pour promouvoir le plus rapidement possible le processus de transition vers un modèle de développement libéré des technologies et comportements qui influencent la surproduction d’émissions de gaz à effet de serre.

La question est donc la suivante: existe-t-il une volonté politique suffisante pour mettre en œuvre les nombreuses solutions dont nous disposons pour promouvoir le modèle de développement susmentionné?

La façon dont le programme de travail de l’Accord de Paris est élaboré représentera une réponse à cette question.

Du côté du Saint-Siège, il est important que le programme de travail repose sur trois piliers: 1) un fondement éthique clair; 2) l’engagement à atteindre trois objectifs indissolublement liés: promouvoir la dignité de la personne humaine, réduire la pauvreté et promouvoir le développement humain intégral, diminuer l’impact du changement climatique à travers des mesures d’atténuation et d’adaptation responsables; et 3) l’attention sur les réponses à apporter aux besoins du présent et de l’avenir.

En appliquant ces trois piliers, le Saint-Siège voudrait proposer, comme il l’a déjà fait en d’autres occasions, un certain nombre de points qui devraient être inclus au cœur du programme de travail de l’Accord de Paris. Parmi eux, je voudrais en citer quelques-uns uniquement: encourager les pays développés à prendre l’initiative; faire progresser des modes de consommation et de production durables et promouvoir l’éducation en matière de durabilité et de sensibilisation responsable; renforcer les sources de financement et développer des alternatives financières en s’attachant en particulier à identifier les mesures incitatives éliminer les subventions et prévenir la spéculation et la corruption; assurer la participation pleine et effective des populations locales, y compris les populations autochtones, aux processus de prise de décision et de mise en œuvre; et assurer un processus de suivi et d’examen des engagements dans un esprit transparent, efficace et dynamique, capable de relever progressivement le niveau d’ambition et d’assurer les contrôles adéquats (cf. Pape François, Discours aux participants à la conférence internationale à l’occasion du troisième anniversaire de l’encyclique Laudato si’, 6 juillet 2018, dans lequel il a affirmé: «La réduction des gaz à effet de serre exige honnêteté, courage et responsabilité, surtout de la part des pays les plus puissants et les plus polluants. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre du temps dans ce processus»).

En outre, une mise en œuvre correcte de l’Accord de Paris sera d’autant plus efficace que des possibilités d’emploi plus appropriées seront offertes. Une transition équitable de la main-d’œuvre et la création d’emplois décents sont importantes et doivent aller de pair avec la juste considération d’aspects tels que le respect des droits fondamentaux de l’homme, la protection sociale et l’élimination de la pauvreté, avec une attention particulière aux personnes les plus vulnérables aux phénomènes climatiques extrêmes. Une telle transition exige formation, éducation et solidarité.

Monsieur le président, les données scientifiques dont nous disposons montrent clairement le besoin urgent d’agir rapidement, dans un contexte d’éthique, d’équité et de justice sociale. La transition vers une réduction des émissions de gaz à effet de serre est un problème qui ne se limite pas au domaine de la technologie, mais c’est également une question de modèles de consommation, d’éducation et de modes de vie. (cf. Pape François, Discours au bureau des Nations unies à Nairobi [ONUN], 26 novembre 2015). Nous prenons progressivement conscience que le changement climatique est un problème toujours plus moral que technique. De ce point de vue, la contribution importante que les autorités locales, le secteur des entreprises, la communauté scientifique et la société civile peuvent apporter à ce processus, doit être soulignée. Les acteurs non étatiques, souvent en première ligne de la lutte contre le changement climatique, qui font entendre la «voix du peuple», font preuve d’un dynamisme important pour trouver des moyens innovateurs de promouvoir un système de production et de consommation durable, ainsi que pour encourager un changement de mode de vie. Tout cela devrait être encouragé: les acteurs non étatiques sont et peuvent faire beaucoup pour aider les décideurs politiques à prendre des décisions équitables et clairvoyantes.

Comme l’indique le Pape François dans son encyclique de 2015 Laudato si’, sur la sauvegarde de notre maison commune, «les possibilités de solution requièrent une approche intégrale pour combattre la pauvreté, pour rendre la dignité aux exclus et simultanément pour préserver la nature» (n. 139). Un changement de mentalité est nécessaire, centré sur des valeurs fondamentales capables de souligner la dimension éthique et humaine du changement climatique (cf. Pape François, Message à la COP22, 10 novembre 2016).

Dans cette perspective, nous avons une grande responsabilité envers les générations futures. Les jeunes d’aujourd’hui sont très sensibles aux problèmes complexes et multiformes que pose le phénomène du changement climatique. C’est un défi éducatif, où les processus éducatifs peuvent éveiller et éveillent cette sensibilité chez les jeunes, qui représentent notre avenir. Nous ne pouvons toutefois pas nous attendre à ce que les générations futures absorbent les problèmes provoqués par les générations précédentes, en plaçant sur elles tout le poids de cette responsabilité. Ce serait d’autant moins acceptable si l’on considère le sentiment d’urgence si clairement invoqué par la communauté scientifique. Comme l’a souligné le Pape François: «Alors que l’humanité de l’époque post-industrielle sera peut-être considérée comme l’une des plus irresponsables de l’histoire, il faut espérer que l’humanité du début du XXIe siècle pourra rester dans les mémoires pour avoir assumé avec générosité ses graves responsabilités» (Laudato si’, n. 165).

Nous savons ce que nous pouvons faire et ce que nous devons faire devient un impératif éthique. Cela nous oblige à réfléchir sérieusement à la signification des investissements financiers et économiques, en les orientant vers des secteurs qui affectent réellement l’avenir de l’humanité, en préservant les conditions d’une vie digne sur une planète «saine».

La COP24 pourra marquer un tournant, si elle peut montrer que l’esprit de collaboration et de proactivité de Paris est toujours vivant. Des attitudes telles que l’indifférence, la résignation et le déni, ou l’espérance limitée dans quelque solution technologique qui peut n’être que partiale ou même contreproductive, ne doivent pas prévaloir (cf. Pape François, Message à la COP23). De plus, il serait tragique que des intérêts individuels ou privés prévalent sur le bien commun, surtout lorsqu’ils tendent à manipuler l’information pour protéger leurs propres initiatives (cf. Laudato si’, n. 54). Nous devons éviter de tomber dans ces attitudes dangereuses qui ne favorisent certainement pas un processus dans lequel le dialogue sincère et productif, la solidarité et la créativité sont si nécessaires pour la construction du présent et de l’avenir de notre planète.

Nous nous trouvons face à un défi de civilisation au bénéfice du bien commun. Cela est clair, tout comme il est clair aussi que les solutions dont nous disposons sont nombreuses et souvent à notre portée. Face à une question aussi complexe que le changement climatique, où la réponse individuelle ou nationale en elle-même ne suffit pas, nous n’avons pas d’autre alternative que d’accomplir tous les efforts nécessaire pour mettre en œuvre une réponse collective responsable et sans précédent, visant à «collaborer pour construire notre maison commune» (Laudato si’, n. 13).

Au nom de Sa Sainteté le Pape François, j’exprime mes meilleurs vœux pour le travail de la COP24, en espérant qu’il sera fructueux et qu’il réussira à construire notre maison commune. Sur tous les participants à cette importante conférence, j’invoque la bénédiction du Dieu tout-puissant, que je vous demande de transmettre aux citoyens des pays que vous représentez. Merci de votre attention.