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RENCONTRE AVEC LES PRÊTRES DU DIOCÈSE DE ROME

DISCOURS DU PAPE BENOÎT XVI

Salle des Bénédictions
Jeudi 7 février 2008

 

(Giuseppe Corona, diacre)

Très Saint-Père, je voudrais exprimer avant tout ma gratitude et celle de mes confrères diacres pour le ministère que l'Eglise a providentiellement rétabli avec le Concile, ministère qui nous permet de donner une expression entière à notre vocation. Nous sommes engagés dans une grande variété de tâches touchant des domaines très différents:  la famille, le travail, la paroisse, la société, ainsi que dans les missions en Afrique et en Amérique latine, des domaines sur lesquels vous êtes revenus lors de l'audience que vous nous avez accordée à l'occasion du vingt-cinquième anniversaire du diaconat romain. Nous sommes à ce jour plus nombreux puisque nous sommes 108. Et nous aimerions que Votre Sainteté nous indique une initiative pastorale qui puisse devenir le signe d'une présence plus incisive du diaconat permanent dans la ville de Rome, comme cela eut lieu au cours des premiers siècles de l'Eglise romaine. En effet, le partage d'un objectif significatif, commun, d'une part ferait croître la cohésion de la fraternité diaconale, de l'autre donnerait une plus grande visibilité à notre service dans cette ville. Nous soumettons à Votre Sainteté ce désir de bien vouloir nous indiquer une initiative à partager dans les modalités et dans des formes que vous voudrez nous signifier. Au nom de tous les diacres, je salue Votre Sainteté avec une affection filiale.

Merci pour ce témoignage d'un des plus de cent diacres de Rome. Je voudrais exprimer moi aussi ma joie et ma gratitude à l'égard du Concile pour avoir rétabli ce ministère important dans l'Eglise universelle. Je dois dire que, quand j'étais archevêque de Munich, je n'ai pas trouvé plus de trois ou quatre diacres et j'ai beaucoup encouragé ce ministère, parce qu'il me semble qu'il appartient à la richesse du ministère sacramentel dans l'Eglise. Dans le même temps, cela peut être aussi un lien entre le monde laïc, le monde professionnel, et le monde du ministère sacerdotal. Et cela parce que beaucoup de diacres poursuivent leur activité professionnelle et conservent leurs postes, importants ou modestes, tandis qu'il travaillent dans l'Eglise le samedi et le dimanche. Ils témoignent ainsi dans le monde d'aujourd'hui, comme dans le monde du travail, de la présence de la foi, du ministère sacramentel et de la dimension diaconale du sacrement de l'Ordre. C'est cela qui me semble très important:  la visibilité de la dimension diaconale.

Tous les prêtres demeurent naturellement diacres et doivent toujours penser à cette dimension, parce que le Seigneur lui-même s'est fait notre ministre, notre diacre. Nous pensons au geste du lavement des pieds, par lequel on montre explicitement que le Maître, le Seigneur, fait le diacre et veut que tous ceux qui le suivent soient diacres, suivent ce ministère pour l'humanité, jusqu'à aider aussi à laver les pieds sales des  hommes qui nous sont confiés. Cette dimension me semble d'une grande importance.

A ce propos, il me vient à l'esprit - même si cela ne touche pas directement le sujet - une petite expérience dont a pris note Paul VI. Chaque jour du Concile, l'Evangile était intronisé. Et le Pape avait demandé une fois aux cérémoniaires de faire lui-même cette intronisation de l'Evangile. Ceux-ci lui avaient répondu:  non, c'est la tâche des diacres et non du Pape, du Souverain Pontife, ou des Evêques. Il a noté dans son journal:  mais moi aussi je suis diacre, je reste diacre et je voudrais exercer ce ministère du diaconat en mettant la Parole de Dieu sur le trône. Cela nous concerne donc tous. Les prêtres demeurent diacres et les diacres témoignent dans l'Eglise et dans le monde de cette dimension diaconale de notre ministère. Cette intronisation liturgique de la Parole de Dieu chaque jour pendant le Concile était toujours pour nous un geste d'une grande importance:  il nous disait qui était le véritable Seigneur de cette assemblée, il nous disait que c'est la Parole de Dieu qui est sur le trône et que nous exerçons le ministère pour écouter et pour interpréter, pour offrir aux autres cette Parole. Cela est très significatif pour tout ce que nous faisons:  introniser dans le monde la Parole de Dieu, la Parole vivante, le Christ. Que ce soit réellement Lui qui dirige notre vie personnelle et notre vie au sein des paroisses.

Vous m'avez ensuite posé une question qui, je dois le dire, va un peu au-delà de mes possibilités:  quelles seraient les tâches propres aux diacres de Rome. Je sais que le Cardinal-Vicaire connaît bien mieux que moi les réalités de la ville, de la communauté diocésaine de Rome. Je pense qu'une des caractéristiques du ministère des diacres est justement la multiplicité des applications du diaconat. Il y a quelques années, au sein de la Commission théologique internationale, nous avons étudié longuement le diaconat dans l'histoire et dans le présent de l'Eglise. Et nous avons découvert justement cela:  il n'y a pas de profil unique. Ce qui doit être fait dépend de la préparation des personnes, des situations dans lesquelles on se trouve. On peut rencontrer des applications et des réalités très diverses mais, naturellement, toujours en communion avec l'Evêque et avec la paroisse. Dans les différentes réalités, les possibilités varient également en fonction de la préparation professionnelle qu'ont reçue les diacres:  ils pourraient être engagés dans le secteur culturel, qui est aujourd'hui très important, ou ils pourraient avoir une position ou une tâche significative dans le domaine de l'éducation. Cette année, nous considérons la question de l'éducation comme centrale pour notre avenir, pour l'avenir de l'humanité.

Le domaine de la charité était certainement à Rome le domaine originel parce que les titres de prêtres et les diaconies étaient des centres de la charité chrétienne. C'était, dès les débuts, un domaine fondamental dans la ville de Rome. Dans mon Encyclique Deus caritas est, j'ai montré que ce ne sont pas seulement la prédication et la liturgie qui sont essentielles pour l'Eglise et pour le ministère de l'Eglise, mais que le sont tout autant l'être pour les pauvres, pour les indigents, le service de la caritas dans ses multiples dimensions. J'espère donc qu'à toutes les époques, dans tous les diocèses, même si les situations sont différentes, cela reste une dimension fondamentale voire prioritaire  pour  l'engagement  des  diacres, même si elle n'est pas la seule, comme nous le montre l'Eglise primitive, où les sept diacres avaient été élus pour permettre justement aux apôtres de se consacrer à la prière, à la liturgie, à la prédication. Même si, par la suite, Etienne se trouva dans la situation de devoir prêcher aux grecs, aux juifs de langue grecque, élargissant ainsi le champ de la prédication. Il fut, disons, conditionné en cela par les situations culturelles où il était écouté pour rendre présente dans ce domaine la Parole de Dieu et par là, rendre encore plus possible l'universalité du témoignage chrétien, ouvrant les portes à saint Paul, qui fut témoin de sa lapidation et qui fut, dans un certain sens, son successeur dans l'universalisation de la Parole de Dieu. Je ne sais pas si le Cardinal-Vicaire veut ajouter un mot; je ne suis pas aussi proche que lui des situations concrètes.

(Cardinal Ruini)

Saint-Père, je peux seulement confirmer, comme vous le disiez, qu'à Rome aussi les diacres travaillent dans plusieurs domaines, le plus souvent dans leurs paroisses, où ils s'occupent de la pastorale de la charité, mais aussi pour nombre d'entre eux dans la pastorale de la famille par exemple. Comme ils sont presque tous mariés, les diacres préparent au mariage, suivent les jeunes couples, etc. Ils apportent également une forte contribution à la pastorale de la santé, mais aussi au Vicariat - certains y travaillent - et, comme vous l'avez entendu, dans les missions. On note une certaine présence missionnaire de diacres. Je crois que du point de vue des chiffres, l'engagement de loin le plus significatif est naturellement celui dans les paroisses, mais il y aussi d'autres domaines qui s'ouvrent et c'est pour cela que nous avons plus d'une centaine de diacres permanents.

(Père Graziano Bonfitto, vicaire paroissial de la paroisse d'Ognissanti)

Saint-Père, je suis originaire d'une région de la Province de Foggia, San Marco in Lamis. Je suis un religieux de Don Orione et prêtre depuis un an et demi environ, actuellement vicaire de la paroisse d'Ognissanti, dans le quartier Appio. Je ne vous cache ni mon émotion ni la joie incroyable que j'éprouve en ce moment privilégié. Vous êtes l'Evêque et le Pasteur de notre Eglise diocésaine, mais vous êtes avant tout le Pape, et donc le Pasteur de l'Eglise universelle. Et cela redouble irrémédiablement mon émotion. Je voudrais avant toute chose vous exprimer ma gratitude pour tout ce que, jour après jour, vous faites non seulement pour le diocèse de Rome mais aussi pour toute l'Eglise. Vos paroles et vos gestes, vos attentions envers nous, peuple de Dieu, sont signe de l'amour et de la proximité que vous nourrissez pour tous et pour chacun d'entre nous. J'exerce mon apostolat sacerdotal surtout parmi les jeunes. Et c'est en leur nom que je veux aujourd'hui vous dire merci. Mon saint fondateur, saint Luigi Orione, disait que les jeunes sont le soleil ou la tempête de demain. Je crois qu'en ce moment historique où nous vivons, les jeunes sont autant le soleil que la tempête, non du lendemain mais du présent, de maintenant. Nous ressentons aujourd'hui, nous les jeunes, plus que jamais le besoin d'avoir des certitudes. Nous souhaitons la sincérité, la liberté, la justice, la paix. Nous voulons à nos côtés des personnes qui nous accompagnent, qui nous écoutent. Exactement comme Jésus avec les disciples d'Emmaüs. La jeunesse souhaite des personnes capables de leur indiquer la voie de la liberté, de la responsabilité, de l'amour, de la vérité. Autrement dit, les jeunes ont aujourd'hui une soif insatiable  du  Christ. Une soif de témoins joyeux qui ont rencontré Jésus et qui ont parié sur Lui toute leur existence. Les jeunes veulent une Eglise toujours en action et toujours plus proche de leurs exigences. Ils la veulent présente dans leurs choix de vie, même s'ils cultivent un certain sens du détachement de l'Eglise elle-même. Le jeune cherche une espérance fiable - comme vous l'avez écrit dans la dernière lettre que vous nous avez adressée, à nous, fidèles de Rome - pour éviter de vivre sans Dieu. Saint-Père - permettez-moi de vous appeler "papa" -, qu'il est difficile de vivre en Dieu, avec Dieu et par Dieu. La jeunesse se sent piégée de toutes parts. Les faux prophètes et les vendeurs d'illusions sont nombreux. Les insinuateurs de fausses vérités et d'idéaux ignobles sont trop nombreux. La jeunesse qui croit cependant aujourd'hui, même si elle se sent assaillie, est convaincue que Dieu est l'espérance qui résiste à toutes les déceptions, que seul son amour ne peut être détruit par la mort, même s'il n'est pas facile la plupart du temps de trouver l'espace et le courage pour en témoigner. Que faire alors? Comment se comporter? Cela vaut-il effectivement la peine de continuer à parier sa vie sur le Christ? La vie, la famille, l'amour, la joie, la justice, le respect des opinions de l'autre, la liberté, la prière, et la charité sont-elles encore des valeurs à défendre? La vie des bienheureux, c'est-à-dire celle qui se mesure aux béatitudes, est-elle une vie adaptée à l'homme, aux jeunes du troisième millénaire? Merci infiniment de votre attention, de votre affection et de votre attention pour les jeunes. La jeunesse est avec vous:  elle vous estime, vous aime et vous attend. Soyez toujours proche de nous, indiquez-nous avec toujours plus de force le chemin qui mène au Christ, la voie, la vérité et la vie. Encouragez-nous à voler haut. Toujours plus haut. Et priez toujours pour nous. Merci.

Merci pour ce beau témoignage d'un jeune prêtre qui chemine avec les jeunes, les accompagne, comme vous l'avez dit, et les aide à aller avec le Christ, avec Jésus. Que dire? Nous savons tous combien il est difficile pour un jeune de vivre aujourd'hui en chrétien. Le contexte culturel, le contexte médiatique, offre tout autre chose que la route vers le Christ. C'est comme s'il empêchait de voir le Christ comme centre de la vie et de vivre sa vie comme Jésus nous le montre. Cependant, il me semble également que beaucoup ressentent toujours plus fortement l'insuffisance de toutes ces offres, de ce style de vie qui, à la fin, nous laisse vides.

En ce sens, il me semble justement que la lecture de la liturgie d'aujourd'hui, celle du Deutéronome (30, 15-20) et l'extrait de l'Evangile de Luc (9, 22-25), répondent à ce que, en substance, nous devrions dire aux jeunes et nous répéter toujours à nous-mêmes. Comme vous l'avez dit, la sincérité est fondamentale. Les jeunes doivent sentir que nous ne disons pas des paroles que nous n'avons pas nous-mêmes vécues, mais que nous parlons parce que nous avons trouvé et que nous essayons de trouver chaque jour à nouveau la vérité en tant que vérité pour notre vie. Ce n'est que si nous sommes sur cette voie, si nous essayons de ressembler nous-mêmes à cette vie et de faire ressembler notre vie à celle du Seigneur, que nos paroles pourront être crédibles et avoir une logique visible et convaincante. Je le répète:  c'est aujourd'hui la grande règle fondamentale, non seulement pour le Carême mais pour toute la vie chrétienne:  choisis la vie. Tu as devant toi la mort et la vie:  choisis la vie. La réponse me semble être toute naturelle. Très peu de personnes nourrissent au fond d'elles-mêmes une volonté de destruction, de mort, au point de ne plus vouloir être, vivre, parce que tout est contradiction pour elles. Malheureusement, on parle d'un phénomène qui prend de l'ampleur. Avec toutes ses contradictions, ses fausses promesses, la vie apparaît finalement contradictoire, elle n'est plus un don mais une condamnation et c'est pour cela que certains veulent plus la mort que la vie. Mais normalement l'homme répond:  oui, je veux la vie.

Mais reste à savoir cependant comment trouver la vie, que choisir et comment choisir la vie. Et les offres qui sont normalement faites, nous les connaissons:  aller en discothèque, prendre tout ce qu'il est possible de prendre, considérer la liberté comme la possibilité de faire tout ce que l'on veut, tout ce qui nous vient à l'esprit sur le moment. Mais nous savons en revanche - et nous pouvons le montrer - que cette route est une route de mensonge car on y trouve à la fin non la vie mais réellement l'abîme du rien. Choisis la vie. Cette lecture dit:  Dieu est ta vie, tu as choisi la vie et tu as fait ton choix:  Dieu. Cela me semble fondamental. Ce n'est qu'ainsi que notre horizon est suffisamment large et que nous sommes à la source de la vie, qui est plus forte que la mort, que toutes les menaces de mort. Le choix fondamental est donc celui qui est indiqué ici:  choisis Dieu. Il faut comprendre que celui qui va sur la route sans Dieu se retrouve à la fin dans l'obscurité, même s'il peut y avoir des moments dans lesquels il nous semble avoir trouvé la vie.

Il y a ensuite un autre pas à faire:  comment trouver Dieu, comment choisir Dieu. Nous arrivons ici à l'Evangile:  Dieu n'est pas un inconnu, une hypothèse probable de la naissance de l'univers. Dieu est fait de chair et d'os. Il est un des nôtres. Nous le connaissons avec son visage, par son nom. C'est Jésus Christ qui nous parle dans l'Evangile. Il est homme et Il est Dieu. Et parce qu'Il est Dieu, il a choisi l'homme pour nous permettre de choisir Dieu. Il faut donc entrer dans la connaissance et puis dans l'amitié de Jésus pour faire route avec lui.

Il me semble que cela est le point fondamental dans notre soin pastoral pour les jeunes, pour tous mais surtout pour les jeunes:  attirer leur attention sur le choix de Dieu, qui est la vie. Sur le fait que Dieu existe. Et qu'il existe de façon très concrète. Et enseigner l'amitié avec Jésus Christ.

Il y a également un troisième pas à effectuer. Cette amitié avec Jésus n'est pas une amitié avec une personne irréelle, avec quelqu'un qui appartient au passé ou qui est éloigné des hommes, à la droite de Dieu. Il est présent dans son corps, qui est encore un corps en chair et en os:  c'est l'Eglise, la communion de l'Eglise. Nous devons construire et rendre plus accessibles des communautés qui reflètent, qui sont le miroir de la grande communauté de l'Eglise vivante. C'est tout un ensemble:  l'expérience vivante de la communauté, avec toutes ses faiblesses humaines, mais néanmoins réelles, avec une route claire, et une solide vie sacramentelle, dans laquelle nous pouvons toucher aussi ce qui peut nous sembler si éloigné, la présence du Seigneur. De cette façon, nous pouvons aussi apprendre les commandements - pour retourner au Deutéronome, duquel je suis parti. Parce que sa lecture nous dit:  choisir Dieu signifie choisir selon Sa Parole, vivre selon Sa Parole. Pendant un instant, cela peut nous apparaître un peu positiviste, voire plus:  ce sont des impératifs. Mais la première chose, c'est le don:  son amitié. Ensuite nous pouvons comprendre que les bornes du chemin sont des explications de la réalité de cette amitié qui est la nôtre.

Cela, nous pouvons le dire, est une vision générale, qui jaillit du contact avec les Saintes Ecritures et avec la vie de l'Eglise de tous les jours. Puis elle se traduit pas à pas dans les rencontres concrètes avec les jeunes:  les mener au dialogue avec Jésus dans la prière, dans la lecture des Saintes Ecritures - surtout la lecture en commun mais aussi la lecture personnelle - et dans la vie sacramentelle. Ce sont tous des pas à effectuer pour rendre ces expériences présentes dans la vie professionnelle, même si le contexte est souvent marqué par l'absence totale de Dieu et même s'il semble impossible qu'il soit présent. Mais c'est alors justement à travers notre vie et notre expérience de Dieu que nous devons essayer de faire entrer aussi dans ce monde éloigné de Dieu la présence du Christ.

La soif de Dieu existe. J'ai reçu récemment la visite ad limina d'Evêques d'un pays où plus de cinquante pour cent des personnes se déclarent athées ou agnostiques. Mais ils m'ont dit:  en réalité, ils ont tous soif de Dieu. Cette soif existe de façon cachée. Aussi commençons-nous d'abord avec les jeunes que nous pouvons rencontrer. Formons des communautés dans lesquelles se reflète l'Eglise, apprenons l'amitié avec Jésus. Ainsi remplis de cette joie et de cette expérience, nous pourrons aussi rendre Dieu présent dans notre monde. Le paradis est la justice réalisée

(Don Pietro Riggi, salésien du "Borgo Ragazzi Don Bosco")

Très Saint-Père, je travaille dans un patronage et dans un centre d'accueil pour les mineurs à risque. Je voulais vous demander la chose suivante:  le 25 mars 2007, vous avez prononcé un discours improvisé, dans lequel vous avez fait part de votre regret que l'on parle très peu aujourd'hui des Novissimi. En effet, dans les catéchismes de la Conférence épiscopale italienne utilisés pour l'enseignement de notre foi aux jeunes qui se préparent à la confession, à la communion et à la confirmation, il me semble que l'on a omis certaines vérités de foi. On ne parle jamais de l'enfer, jamais du purgatoire, une seule fois du paradis, une seule fois du péché, uniquement le péché originel. En l'absence de ces parties essentielles du credo, ne vous semble-t-il pas que s'effondre le système logique qui conduit à voir la rédemption du Christ? Le péché étant absent, sans parler de l'enfer, la rédemption du Christ est, elle aussi, diminuée. Ne vous semble-t-il pas que soit favorisée la perte du sens du péché et donc du sacrement de la réconciliation et de la figure salvifique, sacramentelle, du prêtre qui a le pouvoir de donner l'absolution et de célébrer au nom du Christ? Mais  aujourd'hui  malheureusement, lorsque l'Evangile parle de l'enfer, nous aussi prêtres nous évitons l'Evangile lui-même. On n'en parle pas. Et nous ne savons pas non plus parler du paradis. Nous ne savons pas parler de vie éternelle. Nous risquons de donner à la foi une dimension uniquement horizontale, ou bien trop détachée entre la dimension horizontale et verticale. Et cela vient malheureusement à manquer dans la structure portante de la catéchèse des enfants, si ce ne sont pas les prêtres qui en ont l'initiative. Si je ne me trompe pas, c'est cette année le 25 anniversaire de la consécration de la Russie au Cœur immaculé de Marie. Pour cette occasion ne peut-on pas penser renouveler solennellement cette consécration pour le monde entier? Le mur de Berlin s'est effondré, mais il y a tant de murs de péché qui doivent tomber:  la haine, l'exploitation, le capitalisme sauvage. Des murs doivent tomber et nous attendons encore que triomphe le Cœur immaculé de Marie pour pouvoir aussi réaliser cette dimension. Je voulais également rappeler que la Vierge n'a pas eu peur de parler de l'enfer et du paradis aux enfants de Fatima qui, ce n'est pas un hasard, avaient l'âge du catéchisme:  sept, neuf et douze ans. Mais tant de fois, en revanche, nous l'omettons. Pouvez-vous nous dire quelque chose à ce propos?  

Vous avez parlé à juste titre de thèmes fondamentaux de la foi, qui apparaissent malheureusement rarement dans notre prédication. Dans l'Encyclique Spe salvi, j'ai précisément voulu parler du jugement dernier, du jugement en général, et dans ce contexte du purgatoire, de l'enfer et du paradis. Je pense que nous sommes encore tous victimes de l'objection des marxistes, selon laquelle les chrétiens ont seulement parlé de l'au-delà et ont négligé la terre. Ainsi, nous voulons montrer que nous nous engageons réellement pour la terre et que nous ne sommes pas des personnes qui parlons de réalités lointaines, qui n'aidons pas la terre. A présent, bien qu'il soit juste de montrer que les chrétiens travaillent pour la terre - et nous sommes tous appelés à travailler pour que cette terre soit réellement une cité pour Dieu et de Dieu - nous ne devons pas oublier l'autre dimension. Si nous n'en tenons pas compte, nous ne travaillons pas bien pour la terre. Montrer cela a été l'un de mes buts fondamentaux en rédigeant l'Encyclique. Lorsqu'on ne connaît pas le jugement de Dieu, on ne connaît pas la possibilité de l'enfer, de l'échec radical et définitif de la vie, on ne connaît pas la possibilité et la nécessité de la purification. L'homme ne travaille alors pas bien pour la terre, car à la fin il perd les critères, il ne se connaît plus lui-même, ne connaissant pas Dieu, et il détruit la terre. Toutes les grandes idéologies ont promis:  nous prendrons les choses en main, nous ne négligerons plus la terre, nous créerons un monde nouveau, juste, correct, fraternel. En revanche, ils ont détruit le monde. Nous le voyons avec le nazisme, nous le voyons aussi avec le communisme, qui ont promis de construire le monde tel qu'il aurait dû être et, en revanche, qui l'ont détruit.

Lors des visites "ad limina" des Evêques des pays autrefois communistes, je m'aperçois toujours à nouveau que dans ces terres on a détruit non seulement la planète, l'écologie, mais surtout et plus gravement les âmes. Retrouver la conscience vraiment humaine, illuminée par la présence de Dieu, est le premier travail de réédification de la terre. Telle est l'expérience commune de ces pays. La réédification de la terre, en respectant le cri de souffrance de cette planète, ne peut être réalisée qu'en retrouvant Dieu dans l'âme, en ayant les yeux ouverts vers Dieu.

C'est pourquoi vous avez raison:  nous devons parler de tout cela, précisément car nous sommes responsables envers la terre, envers les hommes qui y vivent aujourd'hui. Nous devons aussi parler du péché comme de la possibilité de se détruire soi-même, ainsi que les autres parties de la terre. Dans l'Encyclique, j'ai cherché à démontrer que c'est précisément le jugement dernier de Dieu qui garantit la justice. Nous voulons tous un monde juste. Mais nous ne pouvons pas réparer toutes les destructions du passé, toutes les personnes injustement tourmentées et tuées. Seul Dieu lui-même peut créer la justice, qui doit être justice pour tous, également pour les morts. Et comme le dit Adorno, un grand marxiste, seule la résurrection de la chair, qu'il considère irréelle, pourrait créer la justice. Nous croyons dans cette résurrection de la chair, lors de laquelle tous ne seront pas égaux. Aujourd'hui, on a l'habitude de penser:  qu'est-ce que le péché? Dieu est grand, il nous connaît, le péché ne compte donc pas, à la fin Dieu sera bon avec tous. C'est une belle espérance. Mais il y a la justice et il y a la faute véritable. Ceux qui ont détruit l'homme et la terre ne peuvent pas s'asseoir tout de suite à la table de Dieu avec leurs victimes. Dieu crée la justice. Nous devons garder cela à l'esprit. C'est pourquoi il me semblait important d'écrire ce texte également sur le purgatoire, qui pour moi est une vérité tellement évidente et nécessaire, mais aussi réconfortante, qu'elle ne peut pas manquer. J'ai cherché à dire:  peut-être que ceux qui se sont détruits de cette façon, qui sont incurables pour toujours, qui n'ont plus aucun élément sur lequel puisse reposer l'amour de Dieu, qui n'ont plus en eux la moindre capacité d'aimer, ne sont-ils pas si nombreux. Cela serait l'enfer. D'autre part, ceux qui sont purs au point de pouvoir entrer immédiatement dans la communion de Dieu sont certainement peu nombreux - ou quoi qu'il en soit pas très nombreux. Un grand nombre d'entre nous espèrent qu'il y ait quelque chose de guérissable en nous, qu'il y ait une volonté finale de servir Dieu et de servir les hommes, de vivre selon Dieu. Mais il y a tellement de blessures, tellement de salissures. Nous avons besoin d'être préparés, d'être purifiés. Telle est notre espérance:  même avec tant de salissures dans notre âme, le Seigneur nous donne à la fin une possibilité, il nous lave finalement avec sa bonté qui vient de sa croix. Il nous rend ainsi capables d'être à Lui pour l'éternité. Et ainsi le paradis est l'espérance, c'est la justice qui finalement se réalise. Et il nous donne aussi les critères pour vivre, pour que ce temps soit d'une certaine manière un paradis, une première lumière du paradis. Là où les hommes vivent selon ces critères, le paradis est un peu présent dans le monde et cela se voit. Cela me semble aussi une démonstration de la vérité de la foi, de la nécessité de suivre la route des commandements, dont nous devons parler davantage. Tels sont réellement les indicateurs du chemin et ils nous montrent comment bien vivre, comment choisir notre vie. C'est pourquoi nous devons aussi parler du péché et du sacrement du pardon et de la réconciliation. Un homme sincère sait qu'il est coupable, qu'il devrait recommencer, qu'il devrait être purifié. Telle est la merveilleuse réalité que le Seigneur nous offre:  il y a une possibilité de renouveau, d'être nouveaux. Le Seigneur commence avec nous à nouveau et nous pouvons ainsi recommencer avec les autres dans notre vie.

Cet aspect du renouvellement, de la restitution de notre être après tant d'erreurs, après tant de péchés, est la grande promesse, le grand don qu'offre l'Eglise. Et que, par exemple, la psychothérapie ne peut pas offrir. La psychothérapie est aujourd'hui très répandue et aussi nécessaire face à tant d'âmes détruites ou gravement blessées. Mais les possibilités de la psychothérapie sont très limitées:  elle peut seulement chercher à rééquilibrer un peu une âme déséquilibrée. Mais elle ne peut pas apporter un véritable renouvellement, un dépassement de ces graves maladies de l'âme. C'est pourquoi elle reste toujours provisoire et jamais définitive. Le sacrement de la pénitence nous donne l'occasion de nous renouveler totalement avec la puissance de Dieu - ego te absolvo -, ce qui est possible car le Christ a pris sur lui ces péchés, ces fautes. Il me semble que cela soit aujourd'hui vraiment nécessaire. Nous pouvons être guéris. Les âmes qui sont blessées et malades, comme chacun en fait l'expérience, ont besoin non seulement de conseils mais d'un véritable renouveau, qui ne peut venir que du pouvoir de Dieu, du pouvoir de l'Amour crucifié. Il me semble que cela soit le grand point commun des mystères qui, à la fin, marquent véritablement  notre  vie.  Nous devons nous-mêmes les méditer encore et ainsi les faire arriver à nouveau à notre peuple.

(Don Massimo Tellan, curé de Sant'Enrico)

Mon nom est Don Massimo Tellan, prêtre depuis quinze ans, curé à Casal Monastero, secteur nord, depuis six ans. Je crois que nous nous rendons tous compte que nous vivons toujours plus plongés dans un monde culturellement submergé de paroles, souvent privées de signification, qui désorientent le cœur humain à un tel point qu'elles le rendent sourd à la parole de vérité. Cette Parole éternelle qui s'est faite chair et qui  a  pris un visage en Jésus de Nazareth devient ainsi pour beaucoup évanescente et, en particulier pour les nouvelles générations, inconsistante et lointaine. Dans tous les cas, elle est confuse dans la jungle d'images ambiguës et éphémères dont nous sommes quotidiennement bombardés. Quelle place laisser alors à l'éducation à la foi, à ce binôme de paroles à accueillir et d'images à contempler? Où se trouve l'art de raconter la foi et d'introduire au mystère, comme cela se produisait par le passé avec la biblia pauperum? Dans la société actuelle des images comment pouvons-nous retrouver la force débordante de la vue, qui accompagne le mystère de l'incarnation et de la rencontre avec Jésus, comme cela eut lieu pour Jean et André sur les rives du Jourdain, invités à aller et voir où habitait le maître? En d'autres termes:  comment éduquer à la recherche et à la contemplation de cette véritable beauté qui, comme l'écrivait Dostoïevski, sauvera le monde? Votre Sainteté, merci de votre attention et, si vous me le permettez, également avec l'accord de mes confrères, et pas seulement en tant de curé de cette paroisse mais aussi en artiste amateur, je voudrais accompagner ce que j'ai dit en vous offrant une icône du Christ à la colonne, image de l'humanité souffrante et humiliée que le Verbe a voulu assumer non seulement jusqu'à l'Ecce homo, mais jusqu'à la mort sur la Croix, et, dans le même temps, image actuelle de l'Eglise Corps mystique du Christ souvent blessée par l'arrogance du mal, mais appelée avec son Seigneur à embrasser le péché du monde pour le racheter par son sacrifice avec Jésus. Merci, Très Saint-Père, et merci également à mes confrères. Ces derniers sont tous engagés, chaque jour plus que moi et mieux que moi, à montrer au monde à travers le témoignage de leur vie le visage actuel du Maître. S'il est vrai, comme cela l'est, que celui qui a vu le Fils a vu le Père, puisse celui qui nous voit, qui voit son Eglise, voir le Christ.

Je vous remercie de ce très beau don. Je suis reconnaissant que nous n'ayons pas que des mots, mais également des images. Nous voyons que de la méditation chrétienne naissent aujourd'hui aussi de nouvelles images, que renaît la culture chrétienne, l'iconographie chrétienne. Oui, nous vivons dans l'inflation des paroles, des images. Il est donc difficile de créer un espace à la parole et à l'image. Il me semble que précisément dans la situation de notre monde, que nous connaissons tous, qui est également une souffrance pour nous, la souffrance de chacun, le temps du Carême acquiert une nouvelle signification. Le jeûne physique, qui pendant un certain temps n'était plus considéré à la mode, apparaît aujourd'hui à tous comme nécessaire. Il n'est pas difficile de comprendre que nous devons jeûner. Nous nous trouvons aussi parfois face à certaines exagérations dues à un idéal de beauté erroné. Mais le jeûne physique est cependant une chose importante, car nous sommes corps et âme et la discipline du corps, la discipline également matérielle, est importante pour la vie spirituelle qui est toujours une vie incarnée dans une personne qui est corps et âme.

Cela est une dimension. Aujourd'hui se développent et se manifestent d'autres dimensions. Il me semble que le temps du Carême pourrait précisément être aussi un temps de jeûne des paroles et des images. Nous avons besoin d'un peu de silence, nous avons besoin d'un espace sans le bombardement permanent des images. C'est pourquoi rendre accessible et compréhensible aujourd'hui la signification de quarante jours de discipline extérieure et intérieure est très important pour nous aider à comprendre qu'une dimension de notre Carême, de cette discipline physique et spirituelle, signifie nous créer des espaces de silence et aussi sans images, pour ouvrir à nouveau notre cœur à la véritable image et à la véritable parole. Il me semble prometteur de constater aujourd'hui qu'il y a une renaissance de l'art chrétien, aussi bien d'une musique pour la méditation - comme par exemple celle née à Taizé - que d'un art chrétien, pour revenir à l'art de l'icône, qui reste attaché - disons-le - aux grandes normes de l'iconologie du passé, mais en s'ouvrant aux expériences et aux visions d'aujourd'hui. Là où il y a une véritable méditation approfondie de la Parole, où nous entrons réellement dans la contemplation de cette visibilité de Dieu dans le monde, de cette tangibilité de Dieu dans le monde, naissent également de nouvelles images, de nouvelles possibilités de rendre visibles les événements du salut. Telle est précisément la conséquence de l'événement de l'incarnation. L'Ancien Testament interdisait toute image et il devait l'interdire dans un monde plein de divinités. Il vivait justement dans le grand vide qui était également représenté par l'intérieur du temple, où, en contraste avec les autres temples, il n'y avait aucune image, mais seulement le trône vide de la Parole, la présence mystérieuse du Dieu invisible, non défini par nos images.

Mais ensuite, le nouveau pas accompli est que ce Dieu mystérieux nous libère d'une inflation des images, également d'un temps rempli d'images de divinités, et nous donne la liberté de la vision de l'essentiel. Il apparaît avec un visage, avec un corps, avec une histoire humaine qui, en même temps, est une histoire divine. Une histoire qui se poursuit dans l'histoire des saints, des martyrs, des saints de la charité, de la parole, qui sont toujours explication, continuation dans le Corps du Christ de cette vie divine et humaine, et qui nous donne les images fondamentales dans lesquelles - au-delà des images superficielles qui cachent la réalité - nous pouvons ouvrir le regard vers la Vérité elle-même. C'est pourquoi la période iconoclaste de l'après Concile me semble excessive, elle avait cependant un sens, car peut-être était-il nécessaire de se libérer de la superficialité des images trop nombreuses.

Revenons à présent à la connaissance du Dieu qui s'est fait homme. Comme le dit la lettre aux Ephésiens, Il est la véritable image. Et dans cette véritable image nous voyons - outre les apparences qui cachent la vérité - la Vérité elle-même :  "Celui qui me voit, voit le Père". Je dirais avec beaucoup de respect et de révérence que c'est dans ce sens que nous pouvons retrouver un art chrétien et aussi retrouver les grandes représentations essentielles du mystère de Dieu dans la tradition iconographique de l'Eglise. Ainsi nous pourrons redécouvrir l'image véritable, cachée par les apparences. C'est réellement un travail d'éducation chrétienne important:  la libération de la Parole derrière la parole, qui exige toujours à nouveau des espaces de silence, de méditation, d'approfondissement, d'abstinence, de discipline. C'est aussi l'éducation à la véritable image, c'est-à-dire à la redécouverte des grandes icônes créées au cours de l'histoire de la chrétienté:  avec l'humilité, on se libère des images superficielles. Ce type d'iconoclasme est toujours nécessaire pour redécouvrir l'Image, c'est-à-dire les images fondamentales qui expriment la présence de Dieu dans la chair.

Il s'agit d'une dimension fondamentale de l'éducation à la foi, au véritable humanisme, que nous recherchons en cette période à Rome. Nous avons recommencé à découvrir l'icône avec ses règles très sévères, sans la beauté de la Renaissance. Et nous pouvons ainsi reprendre nous aussi un chemin de redécouverte humble des grandes images, vers une libération toujours nouvelle des paroles trop nombreuses, des images trop nombreuses, pour redécouvrir les images essentielles qui nous sont nécessaires. Dieu lui-même nous a montré son image et nous pouvons retrouver cette image à travers une profonde méditation de la Parole qui fait renaître les images.

Alors, prions le Seigneur qu'il nous aide sur ce chemin de véritable éducation, de rééducation à la foi, qui est toujours non seulement une façon d'écouter mais aussi de voir.

(Père Paul Chungat, vicaire paroissial de "San Giuseppe Cottolengo")

Je m'appelle dom Chungat, je suis indien, et actuellement vicaire de la paroisse "San Giuseppe a Valle Aurelia". Je voudrais vous remercier de l'opportunité que vous m'avez donnée de servir dans le diocèse de Rome pendant trois ans. Cela a été pour moi, pour mes études, d'une grande aide, comme je crois pour tous les prêtres étudiants qui demeurent à Rome. Désormais, le temps est venu de rentrer dans mon diocèse en Inde, où les catholiques ne représentent qu'un pour cent tandis que quatre-vingt-dix-neuf pour cent sont non chrétiens. J'ai beaucoup réfléchi ces derniers jours sur la situation de l'évangélisation missionnaire dans mon pays. Dans la récente note de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, on trouve des paroles difficiles à comprendre dans le domaine du dialogue interreligieux. Par exemple au numéro 10, il est écrit "plénitude du salut", et dans la partie introductive on lit "nécessité d'incorporation formelle de l'Eglise". Il s'agit de concepts difficiles à faire comprendre lorsque j'apporterai cela en Inde et que je devrai parler à mes amis hindous et aux fidèles des autres religions. Ma question est:  la plénitude du salut doit-elle être entendue au sens qualitatif ou au sens quantitatif? Au sens quantitatif, il y a un peu de difficulté. Le Concile Vatican II dit qu'il existe la possibilité d'un germe de lumière dans les autres fois également. Si cela est au sens qualitatif, au-delà de l'historicité et de la plénitude de la foi, quels autres éléments y a-t-il pour montrer l'unicité de notre foi par rapport au dialogue interreligieux?

Merci de cette intervention. Vous savez bien qu'au vu de l'ampleur de vos questions il y aurait besoin d'un semestre de théologie. J'essaierai d'être bref. Vous connaissez la théologie, il y a de grands maîtres et beaucoup de livres. Tout d'abord merci pour votre témoignage, parce que vous dites être heureux de travailler à Rome bien que vous soyez indien. Pour moi, il s'agit d'un phénomène merveilleux de la catholicité. A présent ce ne sont plus seulement les missionnaires qui partent de l'occident vers les autres continents, mais il y a un échange de dons:  des indiens, des africains, des sud-américains travaillent chez nous et les nôtres se rendent sur les autres continents. Chacun donne et reçoit de toutes parts; c'est précisément cela la catholicité, là où tous nous sommes débiteurs des dons du Seigneur, et nous pouvons ensuite donner l'un à l'autre. C'est dans cette réciprocité des dons, où l'on donne et où l'on reçoit, que vit l'Eglise catholique. Vous pouvez apprendre de ces contextes et de ces expériences occidentales et nous tout autant de vous. Je constate que c'est précisément cet esprit de religiosité qui existe en Asie, comme en Afrique, qui surprend les Européens qui sont souvent un peu froids dans la foi. Et ainsi cette vivacité, tout du moins de l'esprit religieux qui existe sur ces continents, est un grand don pour nous tous, en particulier pour nous les Evêques du monde occidental et en particulier des pays où le phénomène de l'immigration est plus marqué, des Philippines, de l'Inde, etc. Notre catholicisme est ravivé par cette ferveur qui vient de vous. La catholicité est donc un grand don.

Venons-en aux questions que vous m'avez posées. Je n'ai pas devant moi à présent les paroles exactes du document de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi que vous avez évoqué; mais quoi qu'il en soit je voudrais dire deux choses. D'une part le dialogue est absolument nécessaire, il faut nous connaître réciproquement, nous respecter et essayer de collaborer de toutes les manières possibles en vue de répondre aux grands objectifs de l'humanité, et pour ses grands besoins, pour dépasser les fanatismes et établir un esprit de paix et d'amour. Et cela est aussi dans l'esprit de l'Evangile, dont le sens est précisément que l'esprit d'amour, que nous avons appris de Jésus, la paix de Jésus qu'Il nous a donnée à travers la croix, deviennent présents de manière universelle dans le monde. En ce sens le dialogue doit être un vrai dialogue, dans le respect de l'autre et dans l'acceptation de sa différence; mais il doit être également évangélique, au sens que son but fondamental est d'aider les hommes à vivre dans l'amour et à faire en sorte que cet amour puisse s'étendre dans toutes les parties du monde.

Mais cette dimension du dialogue, si nécessaire, celle du respect de l'autre, de la tolérance, de la coopération, n'exclut pas l'autre, à savoir que l'Evangile est un grand don, le don du grand amour, de la grande vérité, que nous ne pouvons pas avoir uniquement pour nous-mêmes, mais que nous devons offrir, en considérant que Dieu leur donne la liberté et la lumière nécessaires pour trouver la vérité. C'est cela la vérité. Et donc cela est aussi ma route. La mission n'est pas imposition, mais c'est l'offrande du don de Dieu, en laissant sa bonté illuminer les personnes afin que se diffuse le don de l'amitié concrète avec le Dieu au visage humain. C'est pourquoi nous voulons et nous devons toujours témoigner de cette foi et de l'amour qui vit dans notre foi. Nous aurions négligé un véritable devoir, humain et divin, si nous avions laissé les autres seuls et si nous avions réservé uniquement à nous-mêmes la foi que nous avons. Nous serions infidèles également à nous-mêmes si nous n'offrions pas cette foi au monde, tout en respectant la liberté des autres. La présence de la foi dans le monde est un élément positif, même si l'on ne convertit personne; c'est un point de référence.

Des représentants de religions m'ont dit:  pour nous la présence du christianisme est un point de référence qui nous aide même si nous ne nous convertissons pas. Pensons à la grande figure du Mahatma Gandhi:  tout en étant fermement lié à sa religion, pour lui le Discours sur la montagne était un point de référence fondamental, qui a formé toute sa vie. Et ainsi le ferment de la foi, même s'il ne l'a pas converti au christianisme, est entré dans sa vie. Et il me semble que ce ferment de l'amour chrétien qui transparaît dans l'Evangile est - au-delà du travail missionnaire qui tente d'élargir les espaces de la foi - un service que nous rendons à l'humanité.

Pensons à saint Paul. J'ai réapprofondi récemment sa motivation missionnaire. J'en ai également parlé à la Curie à l'occasion de la rencontre de fin d'année. Il était ému par la Parole du Seigneur dans son sermon eschatologique. Avant tout avènement, avant le retour du Fils de l'homme, l'Evangile doit être prêché à toutes les nations. La condition pour que le monde atteigne sa perfection, pour qu'il s'ouvre au paradis, est que l'Evangile soit annoncé à tous. Il consacra tout son zèle missionnaire afin que l'Evangile puisse arriver à tous si possible, en commençant par les hommes de sa génération, pour répondre au commandement du Seigneur "pour qu'il soit annoncé à toutes les nations". Son souhait n'était pas tant de baptiser toutes les nations, mais que l'Evangile soit présent dans le monde et qu'ainsi s'accomplisse l'histoire comme telle. Il me semble qu'aujourd'hui, en observant le cheminement de l'histoire, on comprend mieux que cette présence de la Parole de Dieu, que cette annonce qui arrive à tous comme un ferment, est nécessaire pour que le monde puisse réellement parvenir à son objectif. En ce sens, il est vrai que nous souhaitons la conversion de tous, mais nous laissons agir le Seigneur à cette fin. L'important est que celui qui souhaite se convertir en ait la possibilité et que pour tous apparaisse sur le monde cette lumière du Seigneur comme point de référence et comme lumière qui aide, sans laquelle le monde ne peut pas se trouver lui-même. Je ne sais pas si j'ai été clair:  le dialogue et la mission non seulement ne s'excluent pas, mais l'un requiert l'autre.

(Père Alberto Orlando, vicaire paroissial de "Santa Maria Madre della Provvidenza)

Je suis le Père Alberto Orlando, vicaire de la paroisse de "Santa Maria Madre della Provvidenza". Je voudrais vous soumettre une difficulté que j'ai vécue à Lorette avec les jeunes, l'an dernier. A Lorette, nous avons passé une journée magnifique, mais parmi toutes ces belles choses, nous avons noté une certaine distance entre Vous et les jeunes. Nous sommes arrivés l'après-midi. Nous ne sommes parvenus ni à nous installer, ni à voir, ni à entendre. Puis, quand le soir est arrivé, vous êtes parti et nous nous sommes retrouvés livrés à la télévision, qui dans un certain sens nous a été imposée. Mais les jeunes ont besoin de chaleur. Une jeune fille par exemple m'a dit:  "Normalement le Pape nous appelle "chers jeunes", en revanche aujourd'hui il nous a appelés "mes jeunes amis"". Et elle en était très contente. Pourquoi ne pas souligner ce détail, cette proximité? La liaison télévisée avec Lorette également était très froide, très lointaine; le moment de la prière aussi a créé des difficultés parce qu'il était troublé par des sources de lumière qui sont restées éteintes très tard, au moins jusqu'à la fin de la retransmission télévisée. En revanche, la deuxième chose qui nous a créé des difficultés a été la liturgie du jour suivant, un peu pesante notamment du point de vue des chants et de la musique. Au moment de l'Alléluia, pour vous donner un exemple, une jeune fille a noté que, malgré la chaleur, ces chansons et ces musiques se prolongeaient très longuement, comme si personne ne s'était préoccupé des désagréments de ceux qui se retrouvaient à l'étroit dans une foule très dense. Et il s'agissait de jeunes qui vont à la Messe tous les dimanches. J'aurais deux questions:  pourquoi cette distance entre eux et vous; et comment concilier le trésor de la liturgie dans toute sa solennité avec le sentiment, l'affection et l'émotivité qui nourrissent les jeunes et dont ils ont tant besoin? Je voudrais également un conseil:  comment pouvons-nous régler  l'équilibre  entre  solennité et émotivité.  Notamment  aussi parce nous-mêmes, nous nous demandons souvent en tant que prêtres dans quelle mesure nous sommes capables de vivre avec simplicité l'émotion et le sentiment. Puisque nous sommes les ministres du sacrement, nous voudrions être en mesure d'orienter le sentiment et l'émotivité vers le juste équilibre.

Le premier point que vous m'avez soumis est lié à l'organisation:  je l'ai trouvée ainsi, et je ne sais pas s'il était possible de l'organiser éventuellement d'une meilleure manière. Vu les milliers de personnes qui étaient présentes, il était impossible, me semble-t-il, de parvenir à ce que tous puissent être proches de la même façon. C'est d'ailleurs pour cette raison que nous avons suivi un itinéraire en voiture, pour essayer d'être proche de chacun. Mais nous prendrons cela en compte et nous verrons si à l'avenir, lors d'autres rencontres avec des milliers et des milliers de personnes, il sera possible de faire quelque chose de différent. Il me semble toutefois important que grandisse le sentiment d'une proximité intérieure, qui sache trouver le pont qui unit même lorsque l'on est éloigné dans l'espace.

En revanche, un grand problème se pose pour les liturgies auxquelles participent des milliers de personnes. Je me souviens qu'en 1960, au cours du grand congrès eucharistique international de Munich, on tentait de donner une nouvelle physionomie aux congrès eucharistiques, qui jusqu'alors étaient seulement des actes d'adoration. On souhaitait placer au cœur la célébration de l'Eucharistie comme acte de la présence du mystère célébré. Mais s'est immédiatement posée la question de savoir comment cela serait possible. Pour adorer, disait-on, on peut aussi être à distance; mais pour célébrer, une communauté limitée est nécessaire, qui puisse interagir avec le mystère, donc une communauté qui devait constituer une assemblée autour de la célébration du mystère. Beaucoup étaient contraires à la célébration en public avec cent mille personnes. Ils disaient que cela n'était pas possible en raison de la structure même de l'Eucharistie, qui exige la communauté pour la communion. Il y avait également de grandes personnalités, très respectables, qui étaient contraires à cette solution. Puis le Professeur Jungmann, un grand liturgiste, l'un des grands architectes de la réforme liturgique, a créé le concept de statio orbis, c'est-à-dire il est revenu à la statio Romae où, précisément à l'époque du Carême, les fidèles se réunissent à un endroit, la statio:  ils sont donc en statio comme les soldats pour le Christ, puis ils se rendent ensemble à l'Eucharistie. Si cela, a-t-il dit, était la statio de la ville de Rome, où la ville de Rome se réunit, alors il s'agit de la statio orbis. Et depuis lors, nous avons des célébrations eucharistiques avec la participation des foules. Selon moi, je dois dire, cela reste un problème, parce que la communion concrète dans la célébration est fondamentale et donc je ne pense pas que la réponse définitive ait vraiment été trouvée. J'ai également soulevé cette question lors du dernier Synode, qui n'a toutefois pas trouvé de réponse. J'ai fait poser une autre question, sur la concélébration en masse:  parce que si, par exemple, mille prêtres concélèbrent, on ne sait pas si subsiste encore la structure voulue par le Seigneur. Mais dans tous les cas, ce sont des questions. Et ainsi s'est présentée à vous la difficulté de participer à une célébration de masse au cours de laquelle il n'est pas possible que tous soient également impliqués. Il faut par conséquent choisir un certain style, pour conserver la dignité qui est toujours nécessaire à l'Eucharistie, et donc la communauté n'est pas uniforme et l'expérience de la participation à l'événement est différente; pour certains elle est assurément insuffisante. Mais cela ne dépendait pas de moi, mais plutôt de ceux qui se sont chargés de la préparation.

Il faut bien réfléchir sur ce qu'il faut faire dans ces situations, comment répondre aux défis de cette situation. Si je ne me trompe pas, c'était un orchestre de personnes handicapées qui interprétait la musique et les chants et sans doute l'idée était précisément de faire comprendre que les handicapés peuvent être les animateurs de la sainte célébration et qu'ils ne doivent absolument pas en être exclus mais en être les premiers agents. Et tous ainsi, puisqu'on les aimait, ne se sont pas sentis exclus mais impliqués. Cela me semble une réflexion tout à fait respectable et je la partage. Mais naturellement, le problème fondamental demeure. Ici aussi, toutefois, me semble-t-il, en sachant ce qu'est l'Eucharistie, même si l'on n'a pas la possibilité d'une activité extérieure comme on le désirerait pour ressentir une participation, on y entre avec le cœur, comme dit l'antique impératif de l'Eglise, créé peut-être précisément pour ceux qui étaient derrière la basilique:  "Hauts les cœurs! A présent nous sortons tous de nous-mêmes, ainsi sommes-nous tous avec le Seigneur et nous sommes ensemble". Comme je l'ai dit, je ne nie pas le problème, mais si nous suivons réellement cette parole "Hauts les cœurs" nous trouverons tous, même dans des situations difficiles et parfois discutables, la vraie participation active.

(Mgr Renzo Martinelli, Délégué de l'Académie pontificale de l'Immaculée)

Saint-Père, je voulais avant tout vous remercier pour les explications que vous avez données dimanche dernier à l'Angelus au sujet de vos intentions, parce que nous apprenons toujours à nos fidèles à prier pour le Pape, et quand vous appelez à prier pour les personnes consacrées, à prier pour la journée de la vie, à prier pour les fruits de conversion du Carême, et quand vous expliquez tout cela, vous rendez encore plus évidente une communion intérieure mais vous nous rendez aussi conscients d'être proches de vos intentions. Ces jours-ci, nous avons aussi la grâce de pouvoir prier devant l'Immaculée en l'anniversaire de Lourdes. Pour revenir sur le problème de l'urgence de l'éducation, je poserai cette question:  vous avez déclaré récemment aux Evêques slovènes:  "Si, par exemple, on conçoit l'homme selon une tendance aujourd'hui très répandue de manière individualiste", comment justifier l'effort pour la construction d'une communauté juste et solidaire. Que dire de cette mentalité individualiste? Je suis entré au séminaire à onze ans et j'ai été élevé dans une mentalité où il y avait mon "je" et à côté à mon "je" un autre "je" un peu moraliste pour se conformer au Christ et à la fin, comme vous le dites dans votre livre Jésus de Nazareth, ma liberté était comme gérée sur le mode de l'esclave, comme esclavage, quand vous commentez le frère aîné de la parabole du fils prodigue. Et tout cela crée une division:  comment proposer en revanche aux jeunes, une chose sur laquelle vous avez toujours insisté, que le "je" du chrétien, une fois qu'il est investi par le Christ n'est plus un "je". L'identité du chrétien, vous l'avez dit à Vérone de manière approfondie, est le "je" qui n'est plus un "je" parce qu'existe le sujet communional du Christ. Votre Sainteté, comment proposer cette conversion, cette nouvelle modalité, cette originalité chrétienne de la communion, qui propose de façon efficace la nouveauté de l'expérience chrétienne?

C'est la grande question que chaque prêtre qui est responsable pour d'autres se pose tous les jours. Il se la pose naturellement aussi pour lui-même. Il est vrai qu'au XX siècle, on avait tendance à une dévotion individualiste, pour sauver surtout son âme et créer également des mérites calculables, que l'on pouvait aussi présenter par des numéros dans des listes sûres. Tout le mouvement autour du Concile Vatican II a certainement voulu dépasser cette individualisme.

Je ne voudrais pas aujourd'hui juger de ces générations d'hier, qui à leur façon ont cependant essayé de servir les autres sur le même mode. Mais il y avait toujours le risque de vouloir sauver sa propre âme; suivait alors une extériorisation de la piété qui à la fin trouvait la foi comme un poids et non comme une libération. Et cela fut certainement une volonté fondamentale de la nouvelle pastorale présentée au Concile Vatican II que de sortir cette vision étriquée du christianisme et de faire découvrir qu'on ne sauve son âme qu'en la donnant, comme nous l'a dit le Seigneur aujourd'hui dans l'Evangile, qu'en se libérant de soi-même, qu'en sortant de soi-même; comme Dieu a fait que son fils sorte de lui-même. Et nous entrons dans ce mouvement du Fils, nous essayons de sortir de nous-mêmes parce que nous savons où arriver. Et nous ne tombons pas dans le vide, mais nous nous délaissons nous-mêmes, en nous abandonnant au Seigneur, en sortant, et en nous mettant à sa disposition, comme Il le veut et non comme nous le pensons.

Voilà la vraie obéissance chrétienne, qui est liberté:  non pas comme je le voudrais moi, dans mon projet de vie pour moi, mais en me mettant à sa disposition, pour qu'il dispose de moi. Et en me mettant entre ses mains, je suis libre. Mais c'est un grand saut qui n'est jamais complètement réalisé. Je pense ici à Saint Augustin qui nous a dit ceci tant de fois. Au début, après sa conversion, il pensait être arrivé au sommet et vivre dans le paradis de la nouveauté d'être chrétien. Puis il a découvert que le chemin difficile de la vie continuait, quoique désormais toujours dans la lumière de Dieu, et qu'il était nécessaire de faire chaque jour de nouveau ce saut hors de soi-même; donner ce "je" pour qu'il meure et renaisse dans le grand "je" du Christ qui est, ce qui dans un certain sens est très vrai, le "je" commun de nous tous, notre "nous".

Mais je dirais que nous-mêmes devons notamment dans la célébration de l'Eucharistie - qui est cette grande et profonde rencontre avec le Seigneur où on s'abandonne entre ses mains - nous exercer à ce grand pas. Plus nous en faisons nous-mêmes l'apprentissage, plus nous sommes capables de l'exprimer  aux  autres  et  de  le  rendre  compréhensible, accessible aux autres. Ce n'est seulement qu'en allant avec le Seigneur, en nous abandonnant dans la communion de l'Eglise à son ouverture, en ne vivant pas pour soi-même, soit pour une vie terrestre heureuse soit pour sa seule béatitude personnelle, mais en se faisant l'instrument de sa paix, que je vis bien et que j'apprends ce courage face aux défis quotidiens, toujours nouveaux et importants, et souvent presque irréalisables. Je me délaisse parce que tu le veux et je suis sûr qu'ainsi je progresse correctement. Nous pouvons seulement prier le Seigneur qu'il nous aide à faire ce chemin tous les jours, pour ainsi aider, éclairer et motiver les autres pour qu'ils puissent à leur tour être libres et sauvés.

(Père Paolo Tammi, curé de San Pio X, enseignant de religion)

Je souhaite vous présenter mes remerciements, entre autres, pour la peine et la passion avec lesquelles vous avez écrit votre livre sur Jésus de Nazareth, un texte qui, comme vous l'avez vous-même dit, n'est pas un acte du magistère mais le fruit de votre recherche personnelle. Vous avez contribué à ramener la personne de Jésus Christ au cœur du christianisme et vous contribuez et contribuerez encore à faire patiemment justice à la vision partielle de l'événement chrétien, comme la vision politique dans laquelle j'ai passé la majeure partie de mon adolescence, comme tous les gens de mon âge, ou à celle moralisante, un peu trop insistante à mon avis dans la prédication catholique, et enfin celle que vous vous plaisez à définir démystifiante de la figure de Jésus Christ, comme celle de certains maîtres à penser laïcs qui - ce n'est pas surprenant en vérité - s'intéressent tout à coup aujourd'hui au Fondateur du christianisme et à ses vicissitudes humaines pour en nier l'historicité ou pour attribuer sa divinité à une fantaisie de l'Eglise apostolique. Votre Sainteté, en revanche, n'a de cesse de nous enseigner que Jésus est vraiment tout; que de Lui, homme et Dieu, on ne peut que tomber amoureux, ce qui n'est pas la même chose que de prendre la carte du parti, si on admet qu'il existe, ou s'abreuver de paroles pour sauver une identité culturelle. Je me limiterais à ajouter que dans un contexte laïc comme celui de l'école, où les motivations historiques et philosophiques pour ou contre la religion ont évidemment leur place légitime, je vois tous les jours les jeunes tenir leurs émotions à distance, alors que je les ai vus remplis d'émotion à Assise, où je les ai conduits il y a quelques jours, en écoutant le témoignage passionné d'un jeune frère mineur. Je vous le demande:  comment la vie d'un prêtre peut-elle se passionner toujours plus pour l'essentiel qui est Jésus l'époux? Et aussi:  à quoi voit-on qu'un prêtre est amoureux de Jésus? Je sais que Votre Sainteté a déjà répondu plusieurs fois à cette question, mais votre réponse peut certainement nous aider et nous encourager à reprendre espérance. Je vous remercie d'y répondre de nouveau en compagnie de vos prêtres.

Comment puis-je corriger les prêtres qui travaillent aussi bien! Nous ne pouvons que nous aider réciproquement. Vous connaissez donc ce monde laïc avec une distance non seulement intellectuelle mais surtout émotive, du point de vue de la foi. Et nous devons, en fonction des circonstances, chercher le moyen d'y créer des ponts. Il me semble que les situations sont difficiles mais vous avez raison. Nous devons toujours penser:   où  est  l'essentiel? Même si ensuite le point où on peut nouer le kérygme, le contexte et la manière de faire peuvent varier. Mais la question doit toujours être:  où est l'essentiel? Que nous faut-il découvrir? Que voudrais-je donner? Et ici je répète sans cesse:  l'essentiel, c'est Dieu. Si nous ne parlons pas de Dieu, si Dieu ne se découvre pas, nous restons toujours à des choses secondaires. Il me semblerait donc fondamental qu'on se pose au moins cette question:  est-ce que Dieu existe? Et comment pourrais-je vivre sans Dieu? Dieu est-il vraiment une réalité importante pour moi?

Pour moi, le fait que le Concile Vatican I ait voulu justement nouer ce dialogue, comprendre Dieu avec la raison, m'impressionne toujours - même si dans la situation historique dans laquelle nous nous trouvons, nous avons besoin que Dieu nous aide et purifie notre raison. Je pense qu'on essaye déjà de répondre à ce défi du monde laïc avec Dieu comme la question fondamentale, et puis avec Jésus Christ, comme la réponse de Dieu. Je dirais naturellement qu'il y a les preambula fidei, qui sont peut-être le premier pas pour ouvrir le cœur et l'esprit vers Dieu:  les vertus naturelles. J'ai reçu ces jours-ci la visite d'un chef d'Etat qui m'a dit:  je ne suis pas religieux, le fondement de ma vie est l'éthique aristotélicienne. C'est une chose très bien, et nous sommes déjà ensemble avec saint Thomas, dans la voie vers la synthèse de Thomas. Et cela peut donc être un point d'accroche:  apprendre et rendre compréhensible l'importance pour la société humaine de cette éthique rationnelle, qui s'ouvre ensuite intérieurement - si elle est vécue en conséquence - à la question de Dieu, à la responsabilité face à Dieu.

Il me semble donc que, d'une part, nous devons avoir bien clair devant nous ce qui est l'essentiel que nous voulons et que nous devons transmettre aux autres, et quelles sont les preambula dans les situations dans lesquelles nous pouvons faire les premiers pas:  une première éducation éthique est certainement aujourd'hui un pas fondamental. L'antique chrétienté a procédé comme cela. Cyprien, par exemple, nous dit qu'avant, sa vie était une vie totalement dissolue; puis, en vivant dans la communauté catéchuménale, il a appris une éthique fondamentale et que la voie vers Dieu s'est ainsi ouverte. Même saint Ambroise lors de la veillée pascale dit:  nous avons jusqu'à maintenant parlé de la morale, venons-en désormais aux mystères. Ils avaient suivi le chemin des preambula fidei avec une éducation morale fondamentale, qui créait la disponibilité pour comprendre le mystère de Dieu. Je dirais donc que nous devons peut-être faire une interaction entre l'éducation morale - si importante aujourd'hui - d'une part, et dans le même temps ne pas omettre la question de Dieu. Et en nous engageant sur ces deux chemins croisés, il me semble que nous réussissons peut-être un peu à nous ouvrir à ce Dieu qui peut seul nous donner la lumière.

(Père Daniele Salera, Vicaire paroissial à "Santa Maria Madre del Redentore" à Tor Bella Monaca, professeur de religion)

Votre Sainteté, je m'appelle Daniele Salera, je suis prêtre depuis 6 ans, Vicaire paroissial à Tor Bella Monaca, où j'enseigne également la religion. En lisant votre lettre sur la tâche urgente de l'éducation, j'ai noté plusieurs aspects significatifs pour moi sur lesquels j'aimerais m'entretenir avec vous. Tout d'abord, je trouve importante votre lettre au diocèse et à la ville. Cette distinction reconnaît les diverses identités qui la composent et interpelle, dans la liberté à laquelle vous faites allusion, également les non croyants. Je voudrais vous présenter la beauté de travailler dans une école avec des collègues qui, pour différents motifs, n'ont plus une foi vive ou ne se reconnaissent plus dans l'Eglise, mais qui sont pourtant un exemple pour moi par leur passion pour l'éducation et la réhabilitation d'adolescents dont la vie est marquée par la délinquance et des conditions de vie difficiles. Je perçois chez de nombreuses personnes avec qui je travaille à Tor Bella Monaca un véritable désir missionnaire. Par des voies différentes, mais convergentes, nous luttons contre cette crise d'espérance qui est toujours latente lors-qu'on s'occupe chaque jour de jeunes qui semblent intérieurement morts, sans désirs pour l'avenir ou si profondément prisonniers du mal qu'ils ne réussissent pas à sentir l'affection qu'on leur porte ou les occasions de liberté et de rédemption qui se trouvent pourtant sur leur chemin. Face à une telle urgence humaine il n'y a pas de place pour les divisions, et alors je me répète souvent une phrase du Pape Roncalli qui disait:  "Je chercherais toujours ce qui unit, au lieu de ce qui sépare". Votre Sainteté, cette expérience me fait vivre quotidiennement au contact de jeunes et d'adultes que je n'aurais jamais rencontrés en me concentrant seulement sur les activités de la paroisse et je me rends ainsi compte que cela est vrai:  de nombreux éducateurs renoncent à l'éthique au nom d'une affectivité qui ne donne pas de certitudes et qui crée une dépendance. D'autres ont peur de défendre les règles de la coexistence civile, car ils pensent qu'elles ne rendent pas compte des besoins, des difficultés et de l'identité des jeunes. Comme dans un slogan, je dirais qu'au niveau éducatif nous vivons dans une culture du "oui, toujours" et du "non, jamais". Mais c'est le "non" prononcé avec une passion pleine d'amour pour l'homme et son avenir qui trace souvent la frontière entre le bien et le mal; une frontière qui, à l'âge de l'évolution, est fondamentale pour la construction d'identités individuelles solides. D'une part, je suis donc convaincu que face aux urgences les différences s'atténuent, et que sur le plan éducatif nous pouvons donc vraiment trouver un terrain  commun avec ceux qui, en toute liberté, ne se disent pas  vraiment croyants; de l'autre, je me demande pourquoi nous, Eglise, qui avons tant écrit, pensé et vécu à propos de l'éducation comme formation à un juste usage de la liberté - comme vous le dites -, ne réussissons pas à faire passer cet objectif éducatif? Pourquoi apparaissons-nous généralement si peu libérés et libérateurs?

Je vous remercie de cette description de vos expériences dans l'école d'aujourd'hui, des jeunes d'aujourd'hui, et également de ces questions autocritiques à notre égard. En cet instant, je peux seulement confirmer qu'il me semble très important que l'Eglise soit également présente à l'école, car une éducation qui n'est pas dans le même temps une éducation avec Dieu et présence de Dieu, une éducation qui ne transmet pas les grandes valeurs éthiques qui sont apparues à la lumière du Christ, n'est pas une éducation. Une formation professionnelle sans formation du cœur ne suffit jamais. Et le cœur ne peut pas s'être formé sans au moins le défi de la présence de Dieu. Nous savons que de nombreux jeunes vivent dans des milieux, dans des situations de vie qui sont un véritable esclavage, pas seulement extérieur, dans la mesure où elles provoquent un esclavage intellectuel qui obscurcit vraiment le cœur et l'esprit. Nous cherchons avec tous les moyens à la disposition de l'Eglise à leur offrir à eux aussi une possibilité de s'en sortir. Mais, quoi qu'il en soit, faisons en sorte que dans ce milieu varié de l'école - qui va des croyants jusqu'aux situations les plus tristes - la Parole de Dieu soit présente. C'est précisément ce que nous avons dit de saint Paul, qui voulait faire arriver l'Evangile à tous. Cet impératif du Seigneur - l'Evangile doit être annoncé à tous - n'est pas un impératif diachronique, n'est pas un impératif continental, qui dans toutes les cultures est annoncé avant toute chose; mais un impératif intérieur, au sens où il entre dans les diverses nuances et dimensions d'une société, pour rendre plus accessible au moins un peu de la lumière de l'Evangile; pour que l'Evangile soit réellement annoncé à tous.

Et cela me semble aussi un aspect de la formation culturelle aujourd'hui. Connaître la foi chrétienne qui a formé ce continent et qui est une lumière pour tous les continents. Les façons dont on peut rendre au maximum présente et accessible cette lumière sont différentes et je n'ai pas de recette pour cela; mais la nécessité de se prêter à cette aventure belle et difficile est réellement un élément de l'impératif de l'Evangile lui-même. Prions pour que le Seigneur nous aide toujours davantage à répondre à cet impératif de faire arriver sa connaissance, la connaissance de son visage, dans toutes les sphères de notre société.

(Père Umberto Fanfarillo, curé de Santa Dorotea au Trastevere)

Très Saint-Père, je suis le curé de Santa Dorotea à Trastevere, je m'appelle Umberto Fanfarillo, franciscain conventuel. J'ai à cœur de signaler, avec la communauté chrétienne du territoire paroissial,  une  présence importante, même si elle n'est pas très profonde, d'autres contextes religieux avec lesquels nous nous confrontons tous les jours dans l'estime réciproque, la connaissance et également une coexistence respectueuse. Dans le cadre de ces intentions positives, je peux compter sur l'œuvre de l'"Accademia dei Lincei", de l'Université américaine John Cabot, avec plus de huit cents élèves provenant d'environ soixante pays et sur des organisations religieuses qui vont des catholiques aux luthériens, des juifs aux musulmans. Ce sont précisément ces jeunes qui, à la mort de Jean-Paul II, se sont recueillis en prière dans notre église. Ce sont certains d'entre eux qui, fréquentant la paroisse, expriment respect et sérénité face à nos symboles religieux comme le crucifix et les images de Marie, des saints et du Pape. Sur le territoire de la paroisse, la Maison Peter Pan, qui dépend de l'hôpital "Bambin Gesú", accueille les enfants malades du cancer. Là aussi l'interreligiosité voit de très hauts moments de charité et d'attention religieuse à l'égard des frères malades et indigents. On constate une même réalité et une même rencontre respectueuse entre les expressions religieuses citées dans la prison Regina Caeli, toujours sur le territoire de la paroisse. Récemment, dans un climat de respect et de témoignage, a été conféré le sacrement de la confirmation à deux jeunes anglicans devenus catholiques. Ces credos vivants se rencontrent également sans cesse dans les lieux d'accueil qui caractérisent le territoire de Trastevere. Saint-Père, nous sommes tous à la recherche de comportements nouveaux et plus équilibrés de connaissance et de respect. Nous avons toujours apprécié vos interventions fondées sur le respect et le dialogue dans la recherche  de  la  vérité.  Aidez-nous  encore par votre parole.

Je vous remercie de ce témoignage d'une paroisse vraiment multidimensionnelle et multiculturelle. Il me semble que vous avez un peu concrétisé ce dont nous avons parlé auparavant avec votre confrère indien:  cet ensemble de dialogue, de coexistence respectueuse, en se respectant les uns les autres, en acceptant les uns et les autres, tels qu'ils sont dans leur différence, dans leur communion.

Et dans le même temps la présence du christianisme, de la foi chrétienne comme point de référence vers lequel tous peuvent se tourner, comme un ferment qui dans le respect de la liberté est toutefois une lumière pour tous et nous rassemble précisément dans le respect des différences. Espérons que le Seigneur nous aide toujours dans ce sens à accepter l'autre dans sa différence, à le respecter et à rendre le Christ présent dans le geste d'amour, qui est la véritable expression de sa présence et de sa parole. Et qu'il nous aide ainsi à être réellement des ministres du Christ et de son salut pour le monde. Merci.

 



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