Index   Back Top Print

[ EN  - ES  - FR  - IT ]

DISCOURS DU PAPE FRANÇOIS
AUX ÉVÊQUES PARTICIPANT AU COURS DE FORMATION ORGANISÉ PAR LES
CONGRÉGATIONS POUR LES ÉVÊQUES ET POUR LES ÉGLISES ORIENTAL
ES  

Salle Clémentine
Jeudi 12 septembre 2019

[Multimédia]


 

Chers frères, bonjour.

Je vous souhaite la bienvenue à cette rencontre qui conclut votre pèlerinage à Rome, organisé par les Congrégations pour les évêques et pour les Eglises orientales. Je remercie les cardinaux Ouellet et Sandri pour leur engagement dans l’organisation de ces journées.

Ensemble, en tant que nouveaux membres du collège épiscopal, vous êtes descendus il y a peu sur la tombe de Pierre, «trophée» de l’Eglise de Rome. Là, vous avez confessé la même foi que celle de l’apôtre. Celle-ci n’est pas une théorie ni un compendium de doctrines, mais une personne, Jésus. Son visage nous rapproche du regard de Dieu. Notre monde cherche, même inconsciemment, cette proximité divine. Il est le médiateur. Sans cette proximité d’amour, le fondement de la réalité vacille; l’Eglise elle-même s’égare quand elle perd la tendresse vivifiante du Bon Pasteur. Là, vous avez confié vos Eglises, pour elles vous avez répété avec Jésus: «Corps offert et sang versé pour vous». Nous ne connaissons pas d’autre force que celle-ci, la force du Bon Pasteur, la force de donner sa vie, d’approcher de l’Amour au moyen de l’amour. Voilà notre mission: être pour l’Eglise et pour le monde des «sacrements» de la proximité de Dieu. Je voudrais donc vous dire quelque chose sur la proximité, essentielle pour tout ministre de Dieu et surtout pour les évêques. Proximité à l’égard de Dieu et proximité à l’égard de son peuple.

La proximité à l’égard de Dieu est la source du ministère de l’évêque. Dieu nous aime, il s’est fait plus proche que ce que nous pouvions imaginer, il a pris notre chair pour nous sauver. Cette annonce est le cœur de la foi, elle doit précéder et animer chacune de nos initiatives. Nous existons pour rendre palpable cette proximité. Mais on ne peut communiquer la proximité de Dieu sans en faire l’expérience, sans l’expérimenter tous les jours, sans se laisser contaminer par sa tendresse. Tous les jours, sans économiser son temps, il faut rester devant Jésus, lui apporter les personnes, les situations, comme des canaux toujours ouverts entre lui et notre peuple. A travers la prière, nous donnons au Seigneur la citoyenneté là où nous habitons. Sentons-nous, comme saint Paul, des fabricants de tentes (cf Ac 18, 3): des apôtres qui permettent au Seigneur d’habiter parmi son peuple (cf. Jn 1, 14).

Sans cette confiance personnelle, sans cette intimité cultivée chaque jour dans la prière, y compris et surtout dans les heures de désolation et d’aridité, le cœur de notre mission épiscopale se délite. Sans la proximité avec le Semeur, la fatigue de jeter la semence sans connaître le temps de la récolte nous semblera peu gratifiante. Sans le Semeur, il sera difficile d’accompagner avec une confiance patiente la lenteur de la maturation. Sans Jésus, arrive le doute qu’il n’accomplira pas son œuvre; sans lui, tôt ou tard, on glisse dans la mélancolie pessimiste de celui qui dit: «tout va mal». C’est triste d’entendre un évêque dire cela! Ce n’est qu’en restant avec Jésus que nous sommes préservés de la présomption pélagienne de croire que le bien découle de notre bravoure. Ce n’est qu’en restant avec Jésus que monte dans le cœur cette paix profonde que nos frères et sœurs cherchent chez nous.

Et de la proximité à l’égard de Dieu à la proximité à l’égard de son peuple. En restant proche du Dieu de la proximité, nous grandissons dans la conscience que notre identité consiste à nous rendre proches. Ce n’est pas une obligation externe, mais une exigence interne à la logique du don. «Ceci est mon Corps livré pour vous», disons-nous au moment le plus important de l’offrande eucharistique pour notre peuple. Notre vie jaillit de là et nous pousse à devenir des pains rompus pour la vie du monde. Ainsi, la proximité à l’égard du peuple qui nous est confié n’est pas une stratégie opportuniste, mais notre condition essentielle. Jésus aime s’approcher de ses frères à travers nous, au moyen de nos mains ouvertes qui caressent et consolent; de nos paroles, prononcées pour oindre le monde de l’Evangile et non de nous-mêmes; de notre cœur, lorsqu’il se charge des angoisses et des joies de nos frères. Malgré notre pauvreté, c’est à nous de faire en sorte que personne ne perçoive Dieu comme lointain, que personne ne prenne Dieu comme un prétexte pour élever des murs, abattre des ponts et semer la haine. C’est triste aussi quand un évêque démolit des ponts, sème la haine ou la méfiance, fait le contre-évêque. Nous devons annoncer par notre vie une mesure de vie différente de celle du monde: la mesure d’un amour sans mesure, qui ne cherche pas ce qui lui est utile ou son propre profit, mais l’horizon sans limite de la miséricorde de Dieu.

La proximité de l’évêque n’est pas rhétorique. Elle n’est pas faite de proclamations autoréférentielles, mais de disponibilité réelle. Dieu nous surprend et, souvent, il aime bouleverser notre emploi du temps: préparez-vous à cela sans peur. La proximité connaît des verbes concrets, ceux du bon Samaritain: voir, c’est-à-dire ne pas détourner le regard, ne pas faire semblant de rien, ne pas faire attendre les personnes et ne pas cacher les problèmes sous le tapis. Puis, se faire proches, être au contact des personnes, leur consacrer plus de temps qu’à son bureau, ne pas craindre le contact avec la réalité, qu’il faut connaître et embrasser. Ensuite, panser les blessures, se charger, prendre soin, se dépenser (cf. Lc 10, 29-37). Chacun de ces verbes de la proximité est un jalon sur le chemin d’un évêque avec son peuple. Chacun demande de se mettre en jeu et de se salir les mains. Etre proches, signifie s’identifier avec le peuple de Dieu, partager ses peines, ne pas dédaigner ses espérances. Etre proches du peuple, signifie avoir confiance que la grâce de Dieu, qui se répand fidèlement sur lui et dont nous sommes les canaux, notamment à travers les croix que nous portons, est plus grande que la boue dont nous avons peur. S’il vous plaît, ne laissez pas prévaloir les craintes des risques du ministère, en vous retirant et en gardant vos distances. Que vos Eglises soient le signe de votre identité, parce que Dieu en a uni les destins, en prononçant votre nom avec le leur.

Le baromètre de la proximité est l’attention aux derniers, aux pauvres, qui est déjà une annonce du Royaume. Votre sobriété le sera aussi, à une époque où, dans de nombreuses parties du monde, tout est réduit à un moyen pour satisfaire des besoins secondaires qui étouffent et sclérosent le cœur. Mener une vie simple est un témoignage que Jésus nous suffit et que le trésor dont nous voulons nous entourer est constitué plutôt de ceux qui, dans leur pauvreté, nous rappellent et représentent sa personne: non pas des pauvres abstraits, des données et des catégories sociales, mais des personnes concrètes, dont la dignité nous est confiée parce que nous sommes leurs pères. Pères de personnes concrètes; c’est-à-dire paternité, capacité de voir, être concret, capacité de caresser, capacité de pleurer.

Aujourd’hui, il semble qu’il y ait des stéthoscopes qui réussissent à entendre un cœur à un mètre de distance. Il nous faut des évêques capables d’entendre le battement du cœur de leur communauté et de leurs prêtres, même à distance: entendre le battement du cœur. Des pasteurs qui ne se contentent pas d’une présence formelle, de rencontres planifiées ou de dialogues de circonstance. Il me vient à l’esprit des pasteurs qui accordent tellement de soin à leur personne qu’ils ressemblent à de l’eau distillée, sans saveur. Des apôtres de l’écoute, qui sachent aussi prêter l’oreille à ce qui n’est pas agréable à entendre. S’il vous plaît, ne vous entourez pas d’assistants serviles et de yes men... les prêtres «arrivistes» qui cherchent toujours... non, s’il vous plaît. N’aspirez pas à être confirmés par ceux que vous devez vous-mêmes confirmer. Il y a tant de formes de proximité à l’égard de vos Eglises. Je voudrais encourager en particulier les visites pastorales régulières: visiter fréquemment, pour rencontrer les gens et les pasteurs; visiter à l’exemple de la Vierge, qui ne perdit pas de temps et se leva pour se rendre en hâte chez sa cousine. Que la Mère de Dieu nous montre que visiter, c’est rendre proche Celui qui fait exulter de joie, c’est apporter le réconfort du Seigneur qui accomplit de grandes choses parmi les humbles de son peuple (cf. Lc 1, 39 ss).

Enfin, je vous demande encore de réserver la plus grande proximité à vos prêtres: le prêtre est le prochain le plus proche de l’évêque. Aimer son prochain le plus proche. Je vous prie de les embrasser, de les remercier et de les encourager de ma part. Ils sont eux aussi exposés aux intempéries d’un monde qui, bien que lassé des ténèbres, n’épargne pas son hostilité à la lumière. Ils ont besoin d’être aimés, suivis, encouragés: Dieu ne désire pas de demi-mesures de leur part, mais un oui total. Dans les eaux peu profondes, on stagne; mais leur vie est faite pour prendre le large. Comme la vôtre. Courage, donc, très chers frères! Je vous remercie et je vous bénis. S’il vous plaît, souvenez-vous de prier aussi pour moi tous les jours. Merci.

 


Copyright © Dicastero per la Comunicazione - Libreria Editrice Vaticana