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MESSAGE
DE SA SAINTETÉ
JEAN-PAUL II
POUR LA CÉLÉBRATION DE LA
JOURNÉE MONDIALE
DE LA PAIX


1er janvier 1995

LA FEMME ÉDUCATRICE DE LA PAIX

 

1. Hommes et femmes de bonne volonté, au début de l'année 1995, le regard tourné vers le nouveau millénaire désormais proche, je vous adresse une fois encore mon ardent appel en faveur de la paix dans le monde.

La violence que tant de personnes et de peuples continuent à subir, les guerres qui ensanglantent encore de nombreuses parties du monde, l'injustice qui pèse sur la vie de continents entiers, ne sont plus tolérables.

Il est temps de passer des paroles aux actes: les citoyens et les familles, les croyants et les Eglises, les Etats et les Organisations internationales, que tous se sentent appelés à travailler effectivement à la promotion de la paix avec un zèle nouveau !

Nous savons combien cette action est difficile. Pour être efficace et durable, elle ne peut pas en effet se limiter aux aspects extérieurs de la vie commune, mais elle doit influer sur les esprits et s'appuyer sur une conscience renouvelée de la dignité humaine. Il faut le réaffirmer avec force: une vraie paix n'est possible que si, à tous les niveaux, on défend la reconnaissance de la dignité de la personne humaine, donnant à tout individu la possibilité de vivre conformément à sa dignité. "Le fondement de toute société bien ordonnée et féconde, c'est le principe que tout être humain est une personne, c'est-à-dire une nature douée d'intelligence et de volonté libre. Par là même il est sujet de droits et de devoirs, découlant les uns et les autres, ensemble et immédiatement, de sa nature: aussi sont-ils universels, inviolables, inaliénables" (Jean XXIII, Encycl. Pacem in terris, 11 avril 1963, I: AAS 55 [1963], p. 259).

Cette vérité sur l'homme est la clé de voûte pour résoudre tous les problèmes relatifs à la promotion de la paix. Faire assimiler cette vérité par l'éducation, c'est une des voies les plus fécondes et les plus durables pour affermir la valeur de la paix.

Les femmes et l'éducation à la paix

2. Eduquer à la paix, cela veut dire ouvrir les esprits et les cœurs à l'accueil des valeurs que le Pape Jean XXIII, dans l'encyclique Pacem in terris, déclare fondamentales pour une société pacifique: la vérité, la justice, l'amour et la liberté (Cf. ibid., AAS 55 [1963] p. 259-264). Il s'agit d'un projet éducatif qui concerne toute la vie et dure toute la vie. Il fait de la personne un être responsable de soi et des autres, capable de promouvoir avec courage et intelligence le bien de tout l'homme et de tous les hommes, comme Paul VI aussi eut l'occasion de le souligner dans l'encyclique Populorum progressio (Cf. Paul VI. Encycl. Populorum progressio, 26 mars 1967, n. 14: AAS 59 [1967], p. 264). Cette formation à la paix sera d'autant plus efficace que sera plus coordonnée l'action de ceux qui, à divers titres, partagent des responsabilités éducatives et sociales. Le temps consacré à l'éducation est très bien employé, car il détermine l'avenir de la personne et, par conséquent, de la famille et de toute la société.

Dans cette perspective, je désire adresser mon Message pour cette Journée de la Paix surtout aux femmes, en leur demandant de se faire, de tout leur être et de toutes leurs forces, les éducatrices de la paix: qu'elles soient témoins, messagères et maîtresses de paix dans les relations entre personnes et entre générations, dans la famille, dans la vie culturelle, sociale et politique des nations, en particulier dans les situations de conflit et de guerre. Puissent-elles poursuivre le chemin de la paix déjà parcouru avant elles par de nombreuses femmes courageuses et prévoyantes !

En communion d'amour

3. Cette invitation adressée particulièrement aux femmes à se faire éducatrices de paix repose sur la conscience du fait que Dieu leur "confie l'homme, l'être humain, d'une manière spécifique" (Jean-Paul II, Lettre apost. Mulieris dignitatem, 15 août 1988, n. 30 : AAS 80 [1988], p. 1725). Toutefois, cela ne doit pas être compris dans un sens exclusif, mais selon la logique des rôles complémentaires dans la vocation commune à l'amour qui appelle les hommes et les femmes à s'accorder dans leur aspiration à la paix et à la construire ensemble. Dès les premières pages de la Bible, en effet, le projet de Dieu est admirablement exprimé : il a voulu que l'homme et la femme soient unis par une relation de communion profonde, dans une parfaite réciprocité de connaissance et de don (Cf. Catéchisme de l'Eglise catholique, n. 371). Chez la femme, l'homme trouve une interlocutrice avec laquelle il peut dialoguer en totale parité. Cette aspiration qu'aucun autre être vivant ne peut satisfaire explique le cri d'admiration qui jaillit spontanément de la bouche de l'homme lorsque la femme, suivant un symbolisme biblique suggestif, fut formée à partir d'une de ses côtes : "Pour le coup, c'est l'os de mes os et la chair de ma chair !" (Gn 2, 23). C'est le premier cri d'amour qui ait résonné sur la terre !
Si l'homme et la femme sont faits l'un pour l'autre, cela ne signifie pas que Dieu les ait créés incomplets. Dieu "les a créés pour une communion de personnes, en laquelle chacun peut être 'aide' pour l'autre parce qu'ils sont à la fois égaux en tant que personnes ('os de mes os...') et complémentaires en tant que masculin et féminin" (Ibid., C.E.C., n. 372). Réciprocité et complémentarité sont les deux caractéristiques fondamentales du couple humain.

4. Malheureusement, une longue histoire de péché a altéré et continue d'altérer le projet originel de Dieu sur le couple, sur l'"être homme" et sur l'"être femme", en entravant sa pleine réalisation. Il faut y revenir, en le proclamant avec vigueur, surtout pour que les femmes, qui ont le plus souffert de cette réalisation manquée, puissent finalement exprimer en plénitude leur féminité et leur dignité.
En vérité, les femmes ont accompli à notre époque des pas significatifs dans ce sens ; elles sont arrivées à s'exprimer à des niveaux importants dans la vie culturelle, sociale, économique et politique, sans parler évidemment de la vie familiale. La progression sur cette voie a été difficile et complexe, non sans erreurs parfois, mais positive pour l'essentiel, même si elle reste encore inachevée à cause des nombreux obstacles qui empêchent, en bien des régions du monde, que la femme soit reconnue, respectée et valorisée dans sa dignité propre (Cf. Jean-Paul II, Lettre apost. Mulieris dignitatem, 15 août 1988, n. 29 : AAS 80 [1988], p. 1723). L'édification de la paix, en effet, ne peut faire abstraction de la reconnaissance et de la promotion de la dignité personnelle des femmes, appelées à accomplir une tâche irremplaçable précisément pour éduquer à la paix. C'est pourquoi j'adresse à tous un appel pressant à réfléchir sur l'importance décisive du rôle des femmes dans la famille et dans la société et à écouter les aspirations à la paix qu'elles expriment par leurs paroles et par leurs actes et, aux moments les plus dramatiques, par l'éloquence muette de leur souffrance.

Femmes de paix

5. Pour pouvoir éduquer à la paix, la femme doit d'abord la cultiver en elle-même. La paix intérieure vient de la conscience que l'on a d'être aimé de Dieu et de la volonté de répondre à son amour. L'histoire est riche d'exemples admirables de femmes qui, soutenues par cette conviction, ont su faire face avec succès à des situations difficiles d'exploitation, de discrimination, de violence et de guerre.
Beaucoup de femmes, surtout à cause de leurs conditions sociales et culturelles, n'arrivent cependant pas à une pleine conscience de leur dignité. D'autres sont victimes d'une mentalité matérialiste et hédoniste : on les considère comme un pur instrument de plaisir et l'on n'hésite pas à organiser leur exploitation dans un commerce ignoble, même à un très jeune âge. Il faut que leur soient spécialement attentives surtout les femmes qui, en raison de leur éducation et de leur sensibilité, sont en mesure de les aider à découvrir leur propre richesse intérieure. Que les femmes aident les femmes, recourant au soutien précieux et efficace que les associations, les mouvements et les groupes, dont beaucoup sont d'inspiration religieuse, se sont montrés capables d'apporter dans ce but.

6. La mère a un rôle de tout premier plan dans l'éducation des enfants. A cause du lien particulier qui l'attache à l'enfant surtout dans les premières années de sa vie, elle lui donne le sentiment de sécurité et de confiance sans lequel il lui serait difficile de développer correctement son identité personnelle et d'établir ensuite des relations positives et fécondes avec les autres. Cette relation originelle entre la mère et l'enfant a en outre une valeur éducative toute particulière sur le plan religieux, parce qu'elle permet d'orienter vers Dieu l'esprit et le cœur de l'enfant bien avant que commence une éducation religieuse organisée.

Pour cette tâche délicate et décisive, aucune mère ne doit être laissée seule. Les enfants ont besoin de la présence et de l'attention de leurs deux parents qui remplissent leur rôle d'éducateurs d'abord grâce à l'influence de leur propre comportement. La qualité des rapports qui s'instaurent entre les époux a une profonde incidence sur la psychologie de l'enfant et conditionne largement ses relations dans le milieu ambiant, puis celles qu'il nouera tout au long de sa vie.

Cette première éducation a une importance capitale. Si les relations avec les parents et avec les autres membres de la famille ont une qualité affectueuse et positive, les enfants apprennent de leur expérience de vie les valeurs qui favorisent la paix : l'amour de la vérité et de la justice, le sens de la liberté responsable, l'estime et le respect de l'autre. En même temps, grandissant dans un cadre accueillant et chaud, ils peuvent percevoir l'amour même de Dieu par son reflet dans leurs relations familiales, et cela les fait mûrir dans un climat spirituel propre à les orienter vers l'ouverture aux autres et au don de soi au prochain. L'éducation à la paix continue naturellement à toutes les étapes de la croissance, et il faut la cultiver particulièrement au cours de la phase difficile de l'adolescence, dans laquelle le passage de l'enfance à l'âge adulte n'est pas sans risques pour les jeunes, appelés à des choix de vie décisifs.

7. Devant le défi de l'éducation, la famille se présente comme "la première école, l'école fondamentale de la vie sociale" (Cf. Jean-Paul II, Exhort. apost. Familiaris consortio, 22 novembre 1981, n. 37 : AAS 74 [1982], p. 127), la première école, l'école fondamentale de la paix. Il n'est donc pas difficile de prévoir les conséquences dramatiques qui surgissent lorsque la famille est marquée par une crise grave qui menace et même bouleverse son équilibre interne. Dans ces circonstances, les femmes sont souvent isolées. Il faut qu'alors, au contraire, elles soient justement aidées de manière convenable, non seulement par la solidarité concrète d'autres familles, de communautés de type religieux ou d'associations privées, mais aussi par l'Etat et par les Organisations internationales, au moyen de structures appropriées de soutien sur les plans humain, social et économique qui leur permettent de faire face aux besoins de leurs enfants, sans être obligées de les priver outre mesure de leur indispensable présence.

8. On constate un autre problème sérieux là où continue la coutume inadmissible de la discrimination des garçons et des filles, dès leurs premières années. Si les petites filles, dès leur âge le plus tendre, sont marginalisées ou considérées comme de moindre valeur, le sens de leur dignité sera gravement terni et leur développement harmonieux inévitablement compromis. La discrimination initiale se répercutera sur toute leur existence et empêchera leur pleine insertion dans la vie sociale.
Comment alors ne pas reconnaître et encourager l'œuvre si digne de respect de nombreuses femmes, de même que de nombreuses congrégations religieuses féminines, qui, dans les différents continents et dans tous les milieux culturels, font de l'éducation des filles et des femmes l'objet principal de leur service? Comment ne pas évoquer également avec gratitude toutes les femmes qui ont travaillé et qui continuent de travailler dans le domaine sanitaire, maintes fois dans des conditions très précaires, et qui réussissent souvent à assurer la survie elle-même d'innombrables petites filles ?

Les femmes, éducatrices de la paix sociale

9. Lorsque les femmes ont la possibilité de transmettre intégralement leurs dons à toute la communauté, la manière même dont la société se comprend et s'organise s'en trouve transformée positivement, et l'on arrive à une meilleure image de l'unité substantielle de la famille humaine. Cela représente la condition la plus valable pour la consolidation d'une paix authentique. Il est donc très positif que se développe la présence des femmes dans la vie sociale, économique et politique sur les plans local, national et international. Les femmes ont tout à fait le droit de jouer un rôle actif dans tous les secteurs de la vie publique, et leur droit doit être affirmé et défendu, y compris par des instruments juridiques lorsque cela se révèle nécessaire.

La reconnaissance du rôle public des femmes ne doit pas diminuer pour autant leur rôle irremplaçable à l'intérieur de la famille : leur contribution au bien et au progrès de la société a là une valeur réellement inestimable, même si elle est peu considérée. A ce propos, je ne me lasserai jamais de demander que l'on avance de manière décisive vers la reconnaissance et vers la promotion d'une réalité si importante.

10. Troublés et inquiets, nous assistons aujourd'hui au crescendo dramatique de tous les genres de violence : non seulement des individus, mais des groupes entiers semblent avoir perdu tout sens du respect devant la vie humaine. Les femmes et même les enfants sont malheureusement parmi les victimes les plus fréquentes de cette violence aveugle. Ce sont là des formes détestables de barbarie qui répugnent profondément à la conscience humaine.

Nous sommes tous appelés à faire notre possible pour soulager la société de la tragédie de la guerre et aussi de toutes les violations des droits humains, en commençant par celles du droit indiscutable à la vie dont la personne est dépositaire dès sa conception. Dans la violation du droit à la vie de l'individu humain se trouve déjà en germe la violence extrême de la guerre. C'est pourquoi je demande aux femmes de s'engager toutes et constamment dans le camp de la vie ; je demande en même temps à tous d'aider les femmes qui souffrent et spécialement les enfants, surtout ceux qui sont marqués par le traumatisme douloureux d'expériences de guerre bouleversantes: seule une attention pleine d'amour et de prévenance pourra les amener à regarder de nouveau l'avenir avec confiance et avec espérance.

11. Lorsque mon bien-aimé prédécesseur, le Pape Jean XXIII, vit dans la participation des femmes à la vie publique un des signes de notre temps, il ne manqua pas de prévoir que, conscientes de leur dignité, elles n'admettraient plus d'être considérées comme des instruments (Cf. Jean XXIII, Encycl. Pacem in terris, 11 avril 1963, I : AAS 55 [1963], p. 267?268).

Les femmes ont le droit d'exiger que leur dignité soit respectée. En même temps, elles ont le devoir d'œuvrer pour promouvoir la dignité de toutes les personnes, des hommes comme des femmes.
Dans cette perspective, je souhaite que les nombreuses initiatives internationales prévues pour l'année 1995 - dont certaines seront précisément consacrées à la femme, comme la Conférence mondiale organisée par les Nations unies à Pékin sur le thème de l'action pour l'égalité, le développement et la paix - fournissent une occasion importante d'humaniser les rapports interpersonnels et sociaux sous le signe de la paix.

Marie, modèle de paix

12. Marie, Reine de la paix, est proche des femmes de notre temps par sa maternité, par l'exemple de son ouverture aux besoins des autres, par le témoignage de sa souffrance. Elle vécut avec un grand sens de la responsabilité le projet que Dieu entendait réaliser en elle pour le salut de toute l'humanité. Consciente du prodige que Dieu avait accompli en elle en la faisant devenir Mère de son Fils fait homme, sa première pensée fut d'aller visiter sa cousine âgée Elisabeth pour lui apporter son aide. Cette rencontre lui donna l'occasion d'exprimer, par le chant admirable du Magnificat (Lc 1, 46-55), sa gratitude à Dieu qui avait, avec elle et par elle, inauguré une création nouvelle et une histoire nouvelle.

Je demande à la Vierge très sainte de soutenir les hommes et les femmes qui, en se mettant au service de la vie, s'engagent à bâtir la paix. Avec son aide, puissent-ils, devant tous - spécialement ceux qui, dans l'obscurité et dans la souffrance, connaissent la faim et la soif de justice -, témoigner de la présence aimante du Dieu de la paix !


Du Vatican, le 8 décembre 1994.



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