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MESSAGE AU CONSEIL DE L'EUROPE
POUR SON 50e ANNIVERSAIRE
*

5 mai 1999

 

A M. Jénos Martonyi
Ministre des Affaires étrangères de Hongrie
Président du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe

1. Au moment où les peuples d’Europe commencèrent à reconstruire leurs vies après la Deuxième Guerre mondiale, ce grand conflit qui a ravagé le continent tout entier pendant six ans, le désir de créer un nouvel ordre européen trouva sa première expression politique et collégiale dans l’institution du Conseil de l’Europe, dont la Charte fut signée à Londres le 5 mai 1949. Le Conseil représente donc la plus ancienne des Institutions européennes et fut la première à se consacrer à l’établissement d’une nouvelle unité parmi les peuples du continent, fondée sur les valeurs morales et spirituelles qui représentent l’héritage commun des peuples européens. Les pères fondateurs du Conseil de l’Europe affirmèrent que ces valeurs sont «la véritable source de la liberté individuelle, de la liberté politique et de l’autorité de la loi» (Préambule au Statut du Conseil de l’Europe, 1949), jetant ainsi les bases d’un nouveau projet politique européen.

Cette noble vision fut renforcée et trouva une forme concrète dans le projet de Convention européenne sur les Droits humains et les Libertés fondamentales, dont la sauvegarde et l’application furent confiées à un Tribunal européen des Droits de l’Homme, dont la juridiction pan-européenne demeure encore un principe sans précédent, affirmant que dans les cas envisagés par la Convention, le respect pour les droits humains transcende la souveraineté nationale et ne peut être subordonné à des objectifs socio-politiques ou compromis par des intérêts nationaux. Le Tribunal a démontré que la Convention demeure un instrument efficace pour la protection des droits des individus contre la mauvaise utilisation du pouvoir par l’État.

2. L’esprit de la démocratie européenne a été ultérieurement renforcé par l’établissement de la première Assemblée parlementaire en 1949, unique à cette époque, qui a réuni les représentants élus des parlements des États-membres du Conseil de l’Europe. Je me souviens avec une joie particulière de ma visite au Conseil de l’Europe en 1988. Dans le discours que j’y ai prononcé, j’ai rendu hommage à l’intuition des pères fondateurs du mouvement européen, qui a réussi à dépasser les frontières nationales, les anciennes rivalités et les oppositions historiques afin de lancer un nouveau projet politique dans lequel les nations d’Europe réussiraient à édifier une «maison commune» renforcée par les valeurs indispensables du pardon, de la paix, de la justice, de la coopération, de l’espérance et de la fraternité. C’est donc à juste titre que je répète aujourd’hui ce que j’ai dit à cette occasion: l’Europe a besoin de redécouvrir et de prendre conscience de ses valeurs communes qui ont formé son identité et qui constituent une partie de sa mémoire historique. Le point central de notre héritage européen commun religieux, juridique et culturel est la dignité particulière et inaliénable de la personne humaine. En interprétant le riche héritage historique, le Conseil de l’Europe fait de la proclamation et de la protection des droits humains la base de son action politique. Dans la Déclaration de Budapest, vous vous engagez à édifier cette grande Europe sans frontière en affirmant «la primauté de la personne humaine dans l’élaboration de [vos] politiques» (n. 3).

Le Conseil de l’Europe a ouvert ses portes pour recevoir les nouvelles démocraties d’Europe centrale et orientale. D’une Assemblée de vingt-et-un États, lorsque je me suis adressé directement aux membres du Conseil de l’Europe, le nombre de vos membres a augmenté et s’élève aujourd’hui à quarante-et-un.

3. Le cinquantième anniversaire de la fondation du Conseil de l’Europe coïncide avec le dixième anniversaire des événements dramatiques de 1989, qui ont ouvert la voie à la réunification de ce continent sur la base des idéaux et des principes qui constituent l’héritage commun des États appartenant à la famille européenne. Ce furent les «armes de la vérité et de la justice» (Lettre Encyclique Centesimus annus [1991], n. 23) — la vérité sur l’homme et la justice à laquelle aspirent tous les hommes promue par la protestation pacifique, qui ont conduit à la chute de systèmes politiques qui, édifiés sur une idéologie étrangère, ont divisé les peuples d’Europe. L’erreur fondamentale du totalitarisme était de nature anthropologique (cf. Ibid., n. 13). Le bien de l’individu était soumis à l’ordre socio-politique, provoquant la disparition dé la personne humaine en tant que sujet moral. De ce concept erroné de la personne découla une profonde distorsion entre l’objectif et la fonction du droit, qui est devenu un instrument d’oppression plutôt que de service. A travers des programmes d’assistance bien préparés, visant à promouvoir le développement et la consolidation de la stabilité démocratique dans les nouveaux États indépendants, au cours des dix dernières années, le Conseil de l’Europe a contribué à remédier à cette situation et à établir les bases d’une véritable démocratie. Étant donné les limites des modèles actuels de société en ce qui concerne la liberté politique, l’égalité sociale et la solidarité, je souhaite ardemment que le Conseil de l’Europe puisse aider ses nations membres et tout le continent à répondre de façon créative aux nouveaux défis qui se présentent à eux.

De même que je reconnais les efforts accomplis pour éliminer les causes de division politique, je suis également certain que vous apprécierez mon désir ardent et mon espérance constante afin que les divisions religieuses dans la famille européenne puissent également être surmontées, en particulier à une époque où l’Église est engagée dans un dialogue fructueux avec d’autres communautés religieuses qui ont déjà apporté leur contribution au riche héritage spirituel et culturel d’Europe.

Je suis pleinement conscient et je partage profondément la préoccupation du Conseil de l’Europe face aux événements tragiques et violents dans lesquels ont sombré les Balkans, et le Kosovo en particulier. Je vous exhorte à ne pas perdre espoir et à poursuivre vos efforts louables en vue de contribuer à mettre un terme à la violation des droits humains fondamentaux et à l’étouffement de la dignité humaine. Il est nécessaire de trouver des moyens qui respectent le droit et l’histoire et qui répondent aux conditions nécessaires pour édifier un avenir positif pour les nations engagées dans le conflit actuel. Je vous encourage à persévérer dans votre noble vocation cherchant à établir un nouvel ordre européen fondé sur la priorité des droits humains, des principes démocratiques et de l’autorité de la loi. Lorsque les ravages de la guerre auront disparu, le Conseil de l’Europe sera l’institution européenne la plus adaptée pour créer une nouvelle culture politique dans le Sud-Est européen et être un centre de réconci­liation entre les peuples dont les énergies physiques, morales et spirituelles ont été décimées par la violence et la destruction.

Au Président du Comité des Ministres et au Secrétaire général du Conseil de l’Europe, aux Ministres des Affaires étrangères et aux représentants des États-membres et États-candidats à l’entrée dans le Conseil de l’Europe réunis à Budapest, ainsi qu’aux représentants des pays-observateurs et aux membres supérieurs du Conseil de l’Europe, je transmets mes salutations cordiales et je prie pour que Dieu accorde une abondance de Bénédictions et récompense vos efforts en vue de renforcer et d’encourager l’unité des peuples d’Europe.


*L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française n.22 p.5.

La Documentation Catholique n.2206 pp. 553-554.



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