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VOYAGE APOSTOLIQUE À MADAGASCAR, LA RÉUNION, ZAMBIE ET MALAWI

MESSE POUR LES FIDÈLES DE L’ARCHIDIOCÈSE MALGACHE

HOMÉLIE DE JEAN-PAUL II

Fianarantsoa (Madagascar)
Fête de Saint-Joseph Artisan - Lundi
, 1er mai 1989

 

Derào i Jesòa Kristy Tòmpo! (Loué soit Jésus-Christ!).

1. N’est-il pas le fils du charpentier?»[1].

A Nazareth, lorsque Jésus a commencé à enseigner, ses concitoyens s’interrogeaient: «D’où lui viennent cette sagesse et ces miracles? N’est-il pas le fils du charpentier?»[2].

En ce premier jour de mai, l’Eglise fait mémoire, dans la liturgie, de saint Joseph, le charpentier, ce «charpentier» de Nazareth auprès duquel Jésus-Christ s’est mis lui aussi à travailler de ses mains.

Saint Joseph fut le chef d’une famille humaine, de la famille dans laquelle est venu au monde Jésus-Christ, le Fils de Dieu, de la même nature que le Père éternel, Dieu né de Dieu, Lumière née de la lumière. Il est devenu homme, par l’Esprit Saint, et il est né de la Vierge Marie.

«Sa mère ne s’appelle-t-elle pas Marie»[3], demandaient les compatriotes de Jésus de Nazareth.

Joseph, comme chef de la famille de Nazareth, fut le protecteur du Fils de Dieu sur la terre; devant les hommes, il lui a servi de père, et il était considéré comme son père.

Par son travail de charpentier, Joseph lui-même, aidé ensuite par Jésus, gagnait sa vie, la vie de la Sainte Famille.

2. C’est pourquoi saint Joseph est le patron des familles et du travail humain et de tous ceux qui accomplissent ce travail de diverses manières dans les différentes professions. Travail agricole, artisanal, travail industriel – et aussi d’autres types de travail – même si le patronage de saint Joseph s’applique essentiellement à tous les hommes qui travaillent de leurs mains.

Je suis heureux de célébrer cette fête de saint Joseph au milieu de vous, fidèles de Fianarantsoa et des diocèses voisins. Je salue et je remercie de leur accueil tous ceux qui participent à ce rassemblement, et d’abord Monseigneur Gilbert Ramanantoanina, votre Pasteur, avec les évêques qui l’entourent, avec les prêtres, les religieux et religieuses, les délégués de nombreuses communautés locales et de mouvements. J’adresse un salut cordial aux personnes appartenant à d’autres communautés chrétiennes ou à d’autres traditions spirituelles. Et je voudrais saluer aussi, avec déférence, les représentants des pouvoirs publics de cette région qui ont bien voulu nous rejoindre ce matin et prendre part à cette fête de famille.

3. Saint Joseph, les charpentier, et Jésus qui a partagé sa tâche pendant de longues années, nous invitent aujourd’hui à réfléchir sur la dignité du travail humain, de votre travail de chaque jour, chers Frères et Sœurs de Madagascar.

Vous êtes nombreux à cultiver la terre: vous savez, mieux peut-être que d’autres, quels dons l’homme reçoit et aussi quelle responsabilité il porte. La terre de vos ancêtres, vous l’aimez, elle tient une grande place dans votre vie: avec vos mains guidées par l’expérience des générations successives, par l’intelligence toujours en progrès, vous permettez à ce sol de produire les aliments, vous veillez sur les troupeaux féconds.

Tout naturellement, vous remplissez la mission que le Créateur a de «soumettre la terre et tout ce qu’elle contient, de gouverner le cosmos en sainteté et justice», comme l’a dit le Concile Vatican II en s’inspirant de la Bible[4].

Pour mener à bien ce travail, vous faites tous les jours l’expérience de l’effort et de la peine qui sont nécessaires. Vous éprouvez même souvent l’incertitude ou la crainte, car tant de choses ne dépendent pas de vous! Vous devez lutter contre les éléments hostiles de la nature, vous devez protéger vos cultures et veiller sur vos troupeaux parfois menacés. Mais la beauté de l’homme qui travaille, c’est sa patience, sa persévérance et son efficacité pour surmonter les obstacles.

A ce prix, vous retirez de votre labeur ce qu’il vous faut pour vivre, ce qu’il faut pour que votre famille et vos frères puissent vivre. Par le meilleur usage des dons de Dieu, vos mains habiles peuvent offrir de nouveaux dons à toute la famille humaine. Et je ne pense pas seulement à l’agriculture, mais à toutes les professions: le vrai sens du travail des hommes est toujours d’être «un prolongement de l’œuvre du Créateur, au service de leurs frères»[5].

A ce sujet, je voudrais redire combien la responsabilité de l’homme est grande à l’égard de la nature même que le Créateur lui a confiée. Du nord au sud de votre Grande Ile, j’ai pour admirer la beauté, la richesse variée de la terre et de ses fruits. Et cependant nous savons que l’usage qui en est fait risque de dégrader et de stériliser le sol. Un peu partout dans le monde, on se rend compte des dommages provoqués par une exploitation qui détruit beaucoup sans prévoir la vie des générations à venir. Aujourd’hui, tous les hommes ont ensemble le grave devoir de se montrer dignes de la mission confiée par le Créateur en assurant la sauvegarde de la création.

4. Pour que la dignité des hommes au travail soit pleinement respectée, la première valeur humaine qui doit inspirer tous les partenaires est la simple justice, celle d’une rétribution de l’activité qui permette au travailleur et à sa famille de vivre. Et, dans la société actuelle, où il est impossible de vivre replié dans un petit groupe, il est juste que le services nécessaires soient équitablement assurés, sans prélever une part excessive du produit du travail; je pense aux possibilités d’acquérir les instruments de travail sans que la dette devienne écrasante, je pense aux moyens de transport et aux conditions de commercialisation des produits. Ce ne sont là que de simples exemples; je les évoque pour rappeler que tous les hommes sont solidaires, quel que soit leur genre d’activité. Dans tous ces domaines, la justice et la fraternité se rencontrent; les appels de l’Evangile à l’amour du prochain rejoignent les aspirations de tous.

Chez vous, comme en bien d’autres pays, il y a une grave préoccupation que nous ne pouvons pas passer sous silence: il devient très difficile, aux jeunes en particulier, de trouver un travail. Le chômage cause beaucoup de souffrances. Je sais qu’un tel problème ne se résout pas par des mots. Mais ne faut-il pas réfléchir et agir, à partir du moment où l’on a bien compris que, dans toute société, il est juste d’assurer à tout membre de la communauté la possibilité de vivre par son travail? Tous ceux qui ont une part de responsabilité peuvent contribuer à ce respect élémentaire de leurs frères, qu’il s’agisse d’offrir des moyens adaptés de formation professionnelle ou de mieux utiliser les ressources naturelles au profit de l’ensemble des habitants. Dans le monde entier, il reste beaucoup à faire dans ce sens.

Votre peuple a un grand sens de l’amitié, du partage; dans votre culture traditionnelle, chacun se sent lié à l’ensemble de la société, en donnant la primauté à l’esprit sur les biens matériels. Ce sont des valeurs que la vie moderne ne doit pas compromettre. Au contraire, elles sont indispensables pour qu’un progrès vraiment humain se réalise. Nous avons la conviction de foi que l’effort de l’homme, avec l’aide de Dieu Créateur et Sauveur, peut le conduire à se «parfaire lui-même» et à faire «régner un ordre plus humain» dans le monde[6].

5. En créant l’homme et la femme, Dieu les a appelés à «soumettre la terre et à en être les maîtres»[7]. C’est-à-dire que l’homme a une vraie responsabilité, mais aussi qu’il doit se souvenir de Dieu quand il accomplit sa tâche. Pour produire, il utilise ce qui a été créé par Dieu.

Le Psaume de cette Messe nous dit que «si le Seigneur ne bâtit la maison, en vain peinent les bâtisseurs»[8]. L’homme ne peut pas oublier que toute son activité et tout son travail sont une coopération à l’œuvre divine de la création. Sans cela, c’est «vanité de vous lever matin, de retarder votre coucher», comme le rappelle le Psalmiste[9].

Il faut donc avoir Dieu devant les yeux, en commençant son travail et en l’achevant. II faut se rappeler que nos responsabilités et notre solidarité, dans le travail comme ailleurs, ont leur origine dans la volonté de Dieu.

Cela nous est enseigné avant tout par Jésus-travailleur, lui qui travailla aux côtés de saint Joseph. Et cela nous est enseigné par Joseph lui-même, le charpentier de Nazareth.

6. Le Psaume de la liturgie d’aujourd’hui, après le travail, évoque la famille: «Des fils, voilà ce que donne le Seigneur, des enfants, la récompense qu’il accorde»[10].

L’homme, créé homme et femme, est appelé par le Créateur à la vie de famille. Les parents qui transmettent la vie à leurs enfants, à des hommes nouveaux, sont les coopérateurs du Créateur. La vie humaine est elle-même le don de Dieu.

Plus profondément encore que dans leur travail, les hommes et les femmes sont proches de Dieu dans leur communauté familiale. La beauté de la famille, c’est de refléter, de partager l’amour de Dieu dans une unité confiante, fidèle et féconde.

7. Le mariage est la vocation du plus grand nombre. S’engager pour toute la vie, c’est bien répondre à l’appel de Dieu. C’est réaliser un merveilleux épanouissement de chaque être grâce au bonheur que lui donne l’autre. C’est vivre de manière authentique la capacité d’aimer qui est inscrite dans la nature profonde de l’homme et de la femme. Devant la grandeur du mariage, je veux redire quel respect et quelle estime l’Eglise a pour les familles, quel désir elle a de les voir réussir la construction de leur foyer.

Et tout le monde comprend que, devant les difficultés rencontrées par trop de couples, l’Eglise souhaite les aider à approfondir le sens de leur engagement mutuel. Familles et pasteurs doivent coopérer pour ouvrir aux jeunes la perspective la plus favorable: celle de la fondation du couple sur un amour mûri librement, afin qu’il soit un don sans retour. Les changements actuels dans les conditions de vie entraînent une instabilité trop fréquente des couples, notamment parce que la recherche du plaisir immédiat l’emporte chez certains sur la valeur plus réellement humaine du don de soi sans réserve à son conjoint pour toute la vie. Je voudrais encourager les foyers chrétiens dans leur fidélité qui constitue une admirable image vivant de l’amour qui vient de Dieu. Et je leur demande aussi de soutenir avec une bienveillance fraternelle ceux qui sont blessés par la rupture de leur union.

8. Dans leur amour mutuel, l’homme et la femme ont reçu la capacité merveilleuse de donner la vie à leur tour. Ils participent ainsi d’une manière particulière à la vitalité permanente de l’action créatrice de Dieu. Ce pouvoir de transmettre la vie, il faut le respecter, il ne faut pas se laisser gagner par la tendance qui se répand en ce moment de le considérer comme secondaire, ou même de vouloir empêcher la fertilité humaine de s’exercer. Il est vrai que c’est une très haute responsabilité des familles: l’enseignement de l’Eglise insiste pour que la paternité soit décidée en toute lucidité par les époux eux-mêmes. Mais elle demande que leur vie conjugale reste ouverte à la venue des enfants. Lorsqu’une planification des naissances apparaît nécessaire en conscience, les couples sont invités à agir avec maîtrise d’eux-mêmes selon des méthodes qui respectent la nature. L’enseignement de l’Eglise paraît difficile; mais beaucoup de couples témoignent qu’il est possible de le suivre et que c’est même une libération par rapport à ce qu’on appelle «l’impérialisme contraceptif», qui s’exerce si souvent au détriment de la femme.

A plus forte raison, les chrétiens tiennent par-dessus tout à promouvoir le respect de la vie de l’enfant dès sa conception. N’acceptez pas que l’avortement soit banalisé! Porter atteinte à la vie fragile mais humaine de l’enfant à naître, cela ne peut pas être un droit, car nous ne pouvons pas disposer d’une vie qui est déjà personnelle. La dignité de l’homme est en cause.

La stabilité des familles, leur ouverture à la vie, cela ne rejoint-il pas ce qu’il y a de meilleur dans les traditions de vos ancêtres? Vous aurez à cœur de les transmettre à vos enfants. Parents, vous êtes les premiers éducateurs, vous pouvez être les plus influents chez les jeunes, si vous témoignez de l’épanouissement que vous a permis votre vie conjugale, si vous restez ouverts dans le dialogue aux interrogations des enfants, si vous leur apportez un soutien affectueux au moment de l’incertitude et même au moment des échecs et des blessures. Pour donner cette éducation, l’Eglise et les institutions peuvent vous aider, mais vous ne devez pas vous en décharger.

De fait, vous les familles, vous êtes appelées à prendre votre part de la mission de l’Eglise; en transmettant à vos enfants ce que vous avez de meilleur, vous les ouvrez à la foi, vous les préparez à occuper leur juste place dans une société vraiment humaine. Sur les points que je viens d’évoquer, écoutez vos Pasteurs. Ils viennent de vous adresser une lettre qui vous expose la conception chrétienne de la famille. Voyez dans cet enseignement exigeant une marque de respect et de confiance, le souci d’accompagner les familles sur leur chemin, à la lumière de l’Evangile.

9. Votre Evêque a bien voulu rappeler tout à l’heure que nous nous trouvons près de Marana, où repose mon compatriote le Père Jean Beyzym. Il me tient à cœur de saluer sa mémoire ici; car il est vénéré, à Madagascar et dans mon pays, comme un vrai serviteur de Dieu. Je suis heureux de célébrer devant la croix et l’icône de Notre-Dame de Czestochova qu’il avait placées à Marana, et d’offrir le Saint Sacrifice avec son calice. Merci d’avoir apporté ici ce précieux souvenir. Nous sommes reconnaissants au Père Beyzym d’avoir donné toute son énergie et tout son amour au service des lépreux, en édifiant l’hôpital qui existe encore actuellement: on y donnait des soins, on y priait, on y ouvrait à l’espérance, au cœur même de la souffrance. En évoquant la figure du Père Beyzym, je voudrais saluer tous ceux qui se dévouent aujourd’hui au service des malades. Et je voudrais dire aux malades de la lèpre et aux autres malades, ici et dans tout votre pays, combien l’Eglise désire leur apporter la consolation et le soulagement de leurs souffrances, combien elle souhaite que tout soit fait pour vaincre les maux qui les atteignent, combien elle compte sur leur prière et leur offrande, combien elle les aime!

10. Ainsi donc la liturgie de la fête de saint Joseph le charpentier a orienté notre méditation vers la famille et vers le travail humain.

Que la lecture de la Lettre aux Colossiens soit pour nous une instruction sur le thème: comment vivre pleinement en chrétiens dans la famille? Comment accomplir vraiment en chrétiens notre travail?

L’Apôtre écrit: «Dans votre vie, mettez l’amour au-dessus de tout: c’est lui qui fait l’unité dans la perfection»[11].

Sans amour, il n’y a pas de vraie vie dans la famille. Même si elle traverse diverses difficultés, des manquements et des souffrances, si l’amour demeure, la famille garde sa solidité et sa cohésion. Et le travail? On sait bien que le travail entraîne peine et fatigue; mais dans le travail aussi il faut aimer ses compagnons, ceux à qui bénéficie notre labeur, à l’exemple de Jésus et de Joseph de Nazareth. Menez dans l’espérance votre vie de famille et de travail. Vous pouvez en être sûrs, «l’espérance ne trompe pas, puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné»[12]!

11. «Vivez dans l’action de grâce – écrit l’Apôtre – ...Tout ce que vous faites, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus-Christ, en offrant par lui votre action de grâce à Dieu le Père»[13].

«Vous savez bien qu’en retour le Seigneur fera de vous ses héritiers. Soyez les serviteurs du Christ»[14].

En enfin: «Que, dans vos cœurs, règne la paix du Christ»[15]! Cette paix que seul le Christ «donne», lui qui, en partant vers le Père, nous l’a laissée en héritage. Cette paix, c’est la Paix divine.

Frères et Sœurs rassemblés ici,
Frères et Sœurs de tout Madagascar!
Le Pape Jean-Paul II vous remercie de votre hospitalité, de votre présence, de votre participation à la prière.
Le Pape souhaite que la paix du Christ règne dans vos cœurs!
Ho Tahìn’ Aridriamànitra isìka rehètra!
(Que le Seigneur nous bénisse!).


[1] Matth. 13, 55.

[2] Ibid. 13, 54-55.

[3] Matth.13, 55.

[4] Gaudium et Spes, 34.

[5] Ibid.

[6] Cfr. Gaudium et Spes, 35.

[7] Cfr. Gen. 1, 26. 28.

[8] Ps 127 (126), 1.

[9] Cfr. ibid. 2.

[10] Ibid. 3.

[11] Col. 3, 14.

[12] Rom. 5, 5.

[13] Col. 3, 15-17.

[14] Cfr. ibid. 3, 23-24.

[15] Ibid. 3, 15.

 

 

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