Quarantième anniversaire I. INTRODUCTION À l'occasion du 40e anniversaire de la promulgation de la Constitution Sacrosanctum Concilium (SC) du Concile cuménique Vatican II, le Centre national de Pastorale liturgique publie une nouvelle édition de ce document conciliaire. Au document, sont joints deux autres textes: la Lettre apostolique Vicesimus quintus annus (VQA, cf. La Documentation catholique 85 [1989], pp. 518-524), que le Pape Jean-Paul II a adressée, en 1988, à tous ses frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce, ainsi que le discours qu'il a prononcé, le samedi 8 mars 1997, devant les Évêques de la région "Provence-Méditerranée", à l'occasion de leur visite "ad limina" (cf. La Documentation catholique, 94 [1997], pp. 306-309). LE SENS D'UNE TELLE PUBLICATION La réédition de la Constitution Sacrosanctum Concilium, quarante ans après sa promulgation, revêt une signification qui va au-delà de la simple commémoration. À mon avis, il s'agit plutôt d'une invitation à se remettre en mémoire les principes directeurs de la Constitution, et à en vérifier la réception et la mise en uvre dans les différentes Églises particulières. Les indications du chemin à suivre ont été clairement données par le Magistère et nous les trouvons bien précisées dans la Lettre apostolique précédemment citée, dans d'autres documents et d'autres interventions, parmi lesquels le discours aux Évêques de la région apostolique "Provence-Méditerranée". La présente publication doit donc être considérée avant tout comme une invitation faite au peuple saint de Dieu de ne pas perdre la mémoire du passé, d'être conscient du présent et d'avoir l'esprit ouvert à l'avenir. L'Esprit Saint, qui a suscité le mouvement liturgique, qui a inspiré les Pères conciliaires et qui a accompagné la mise en uvre de la réforme liturgique, continue d'agir dans l'Église à travers la parole et les signes sacramentels, pour soutenir son chemin vers le Royaume.
UNE JOIE A REVIVRE La Constitution Sacrosanctum Concilium a été approuvée le 4 décembre 1963, à la fin de la deuxième Session du Concile, présidée par le Pape Paul VI, avec un vote quasi unanime des Pères conciliaires (2147 votes favorables et 4 contraires). Il arriva alors ce qui n'était jamais arrivé dans l'histoire de l'Église: aucun Concile n'avait jamais consacré à la liturgie un document spécifique. C'était en effet la première fois qu'une assemblée cuménique traitait de la liturgie dans son ensemble, de ses principes bibliques et théologiques, ainsi que des aspects concrets de la célébration et de la pastorale. Par ailleurs, il faut reconnaître qu'il était hautement significatif de donner à la liturgie la première place, faisant de la Constitution Sacrosanctum Concilium le premier document promulgué par le Concile. Le Pape Paul VI, pleinement conscient de la valeur et de la signification d'un tel événement, se fit l'interprète de la joie de toute l'Église: "Nous Nous réjouissons de ce résultat. Nous y découvrons un hommage à l'échelle des valeurs et des devoirs: Dieu à la première place; la prière est notre premier devoir; la liturgie est la source première de ce divin échange par lequel la vie divine nous est communiquée, la première école de notre vie spirituelle, le premier don que nous puissions faire au peuple chrétien qui nous est uni par la foi et la prière. La liturgie enfin est la première invitation adressée aux hommes pour que leur langue ne soit plus muette, mais qu'elle exprime une prière sainte et vraie; pour qu'elle sente l'immense puissance de vie contenue dans le fait de chanter avec nous les louanges de Dieu et les espérances des hommes, par le Christ Notre Seigneur et dans l'Esprit Saint" (Discours de clôture de la deuxième Session du Concile, 4 décembre 1963, La Documentation catholique 61 [1964], col. 4).
L'HERITAGE DU PASSE La Constitution Sacrosanctum Concilium est le point d'arrivée du renouveau de la liturgie qui avait été engagé par le mouvement liturgique, que la Constitution elle-même reconnaît comme "un signe des dispositions providentielles de Dieu au sujet du temps présent, comme un passage du Saint-Esprit dans son Église" (SC, n. 43). Revenir à la Constitution Sacrosanctum Concilium signifie donc non seulement retourner à un document conciliaire, mais aussi au fruit mûr du long et laborieux chemin qui a conduit l'Église catholique à remonter aux sources de sa liturgie pour "veiller avec soin à la restauration générale de la liturgie" (SC, n. 21). Revenir à la Constitution Sacrosanctum Concilium signifie donc avant tout ne pas oublier aujourd'hui l'héritage du passé et par-dessus tout l'intérêt, l'étude et l'amour pour la liturgie qui ont caractérisé le chemin du mouvement liturgique et qui ont rendu possible le document sur lequel ont convergé l'intérêt et le consensus de pratiquement tous les Pères conciliaires.
II. LES GRANDES LIGNES DE LA THÉOLOGIE ET DE LA VIE La Constitution Sacrosanctum Concilium est composée de chapitres; elle est précédée d'un préambule à caractère général et elle s'achève par un appendice. Le document conciliaire contient non seulement certains principes doctrinaux de grande importance et les lignes fondamentales du renouveau liturgique, mais aussi des indications concrètes concernant le déroulement des rites.
LES SOURCES DE LA CONSTITUTION SACROSANCTUM CONCILIUM Pour comprendre la Constitution, il est nécessaire de connaître les sources auxquelles elle a puisé son esprit authentique, à savoir la compréhension du mystère chrétien, de l'image de communion de l'Église, de la liturgie comme célébration rituelle du mystère du salut. La Constitution est en effet entièrement modelée par des sources bibliques et patristiques auxquelles elle a puisé. Dans la Constitution Sacrosanctum Concilium, l'Écriture sainte a été prise comme norme et comme critère de jugement pour comprendre la liturgie et pour en réformer la pratique. "Pour procurer la restauration, le progrès et l'adaptation de la liturgie, il faut promouvoir ce goût savoureux et vivant de la Sainte Écriture" (SC, n. 24). Il existe donc un lien intime entre approfondissement de l'Écriture et réforme liturgique. Déjà les anciens textes mystagogiques attestent que la connaissance de la liturgie n'est pas autre chose que la connaissance de l'Écriture. Le rapport entre l'Écriture et la liturgie est clairement exprimé par la Constitution: "C'est d'elle [l'Écriture] que les actions et les signes reçoivent leur signification" (SC, n. 24).
LA NATURE DE LA LITURGIE Le retour aux sources bibliques et patristiques n'a pas d'incidence uniquement sur les formes rituelles, mais il introduit à la compréhension de la nature même de la liturgie. La Constitution Sacrosanctum Concilium ne formule pas en premier lieu un concept de liturgie, mais elle indique ce qui, à travers elle, se réalise: au moyen de la liturgie "s'exerce l'uvre de notre rédemption" (SC, n. 2; Ancien Missel romain, Secrète du IXe dimanche après la Pentecôte). Par la liturgie, les croyants font donc l'expérience du mystère pascal du Christ dans son intégralité. La Constitution indique donc les effets de la liturgie, qui "édifie chaque jour ceux qui sont au-dedans en un temple saint dans le Seigneur, en habitation de Dieu dans l'Esprit, jusqu'à la taille de la plénitude du Christ" (SC, n. 2).
SOMMET ET SOURCE À partir de la réflexion sur la nature et sur les effets de la liturgie prend forme l'aspect peut-être le plus remarquable de la Constitution, qui est devenue un véritable adage théologique: "La liturgie est le sommet vers lequel tend l'action de l'Église et en même temps la source d'où découle toute sa vertu" (SC, n. 10). Autrement dit, pour la Constitution Sacrosanctum Concilium, le but essentiel de l'Église est de faire participer les croyants au mystère pascal, mystère qui se manifeste et qui est mis en uvre de manière plénière lorsque l'Église est convoquée en assemblée liturgique, spécialement le jour du Seigneur pour la célébration eucharistique. Les premiers éléments de l'ecclésiologie du Concile Vatican II, repris plus tard dans la Constitution sur l'Église Lumen gentium, se retrouvent dans certains passages fondamentaux de la Constitution sur la liturgie concernant le rapport entre la célébration liturgique et l'Église. Dans ces célébrations se réalise "la principale manifestation de l'Église", car "elles représentent l'Église visible établie dans le monde entier" (SC, nn. 41-42; cf. nn. 2, 5-7).
LA PROMOTION DE L'EDUCATION A LA LITURGIE Si telle est la nature de la liturgie et son importance dans la vie de l'Église, "dont nulle autre action de l'Église n'égale l'efficacité" (SC, n. 7), on comprend l'invitation pressante de la Constitution à promouvoir pour les chrétiens l'éducation à la liturgie. Former à la compréhension de la liturgie signifie permettre aux fidèles d'entrer en contact avec l'essence même du mystère chrétien. C'est pourquoi on affirme: la liturgie "est la source première et en même temps indispensable à laquelle les fidèles doivent puiser un esprit vraiment chrétien" (SC, n. 14). Définir la liturgie comme la source première et la source indispensable à laquelle les chrétiens peuvent puiser l'esprit de leur foi signifie réaffirmer le lien essentiel qui unit la vie du chrétien et la liturgie. La liturgie n'est pas d'abord une doctrine à comprendre, mais une source intarissable de vie et de lumière pour l'intelligence et l'expérience du mystère chrétien. Pour la Constitution, l'Église doit garantir à tout chrétien une vie liturgique authentique, car, pour la qualité de sa vie de foi, il faut une profonde syntonie entre ce que la liturgie transmet et ce que lui-même vit, selon la formule liturgique reprise par la Constitution: que les chrétiens "gardent dans leur vie ce qu'ils ont reçu dans la foi" (SC, n. 10).
LA PARTICIPATION A LA LITURGIE C'est cette finalité que vise le désir de l'Église, dont la Constitution liturgique se fait l'écho: "La Mère Église désire fortement que tous les fidèles soient amenés à cette participation pleine, consciente et active aux célébrations liturgiques" (SC, n. 14). La volonté d'une plena et actuosa participatio des fidèles à la liturgie constitue l'un des thèmes majeurs du document. Ce sont avant tout les pasteurs qui sont invités à travailler en vue d'une "participation active des fidèles, intérieure et extérieure" (SC, n. 19). Cette invitation exprime la sollicitude de l'Église, afin que les fidèles "participent de façon consciente, pieuse et active à l'action sacrée" (SC, n. 48; cf. n. 11). Insistant sur la qualité de la participation à la célébration liturgique, la Constitution rappelle avec force que, dans la liturgie de la Nouvelle Alliance, tout chrétien est pleinement Leiturgos, en ce sens que l'offrande de sa vie, en communion avec le sacrifice du Christ accompli une fois pour toutes, est le culte spirituel agréable à Dieu. L'offrande existentielle exige donc la participation consciente, pleine, active, intérieure et extérieure à l'offrande sacramentelle. Cependant, le chrétien qui célèbre sa foi doit accorder le primat à l'intériorisation, c'est-à-dire à l'appropriation personnelle de ce qu'il écoute et de ce qui s'accomplit dans la liturgie. Seule une authentique intériorisation garantit une extériorisation capable d'exprimer ce qui est vécu en profondeur. Tel est le mode pleinement actif pour vivre la liturgie comme le veut la Constitution Sacrosanctum Concilium. "Pour beaucoup, le message du deuxième Concile du Vatican a été perçu avant tout à travers la réforme liturgique", affirme le Pape Jean-Paul II dans la Lettre apostolique Vicesimus quintus annus (n. 12).
LA REFORME DES RITES ET DES TEXTES Les Pères conciliaires ne se limitèrent pas à énoncer les altiora principia de la liturgie, mais en raison du rapport inséparable entre le principe théorique et le déroulement rituel, ils furent amenés à traiter aussi de l'action liturgique dans son aspect concret, car, dans le rite, l'Esprit et l'Église-Épouse agissent conjointement par les signes sensibles. III. LA PASTORALE LITURGIQUE, TÂCHE PERMANENTE Les dispositions de la Constitution Sacrosanctum Concilium ont été mises en uvre par la publication des livres liturgiques et des indications nécessaires, et l'on peut vraiment dire que "les pasteurs et le peuple chrétien, dans leur grande majorité, ont accueilli la réforme liturgique dans un esprit d'obéissance et même de ferveur joyeuse. C'est pourquoi il faut rendre grâce à Dieu pour le passage de son Esprit dans son Église qu'a été le renouveau liturgique" (VQA, n. 12).
L'IMAGE DE L'ÉGLISE La liturgie est l'expression la plus complète du mystère de l'Église, en sorte que l'on peut affirmer que, dans sa manière de vivre la liturgie, la communauté chrétienne exprime et manifeste l'expérience ecclésiale qu'elle vit. C'est pourquoi la tâche permanente de la pastorale liturgique doit se poursuivre et tendre vers ses plus hauts objectifs: la participation active, la formation spirituelle, la coresponsabilité ministérielle. Telles sont les perspectives de la liturgie qui demeurent, même pour l'avenir. Il s'agit d'exprimer ainsi et de donner une image de l'Église, peuple de Dieu, qui célèbre le Mystère: l'image d'une Église qui se manifeste dans la communauté réelle et quotidienne, celle qui célèbre le dimanche, celle qui vit les rythmes de l'année liturgique, celle qui s'anime pour les fêtes et les traditions particulières, celle qui est attentive aux pauvres présents au milieu d'elle. Le peuple de Dieu dans sa totalité est en effet un peuple sacerdotal et, demeurant sauve la distinction des ministères ordonnés ou non, tous les laïcs, hommes et femmes, sont sujets liturgiques, habilités au ministère liturgique dans ses diverses formes.
LA PARTICIPATION ACTIVE Dans la première phase de mise en uvre de la réforme, la participation a pris nécessairement un aspect essentiellement extérieur et didactique, qui a ensuite dégénéré en une sorte de "participationnisme" à tout prix et sous toutes ses formes. Cela peut, à l'évidence, avoir empêché et empêcher de découvrir et d'assimiler les valeurs et les aspects profonds du Mystère. En raison d'une excessive réaction à la condition de passivité extrême à laquelle étaient réduits les fidèles dans leur participation à la "Messe tridentine", on a peut-être trop insisté, au cours des dernières décennies, sur l'extériorisation dans la liturgie. On en est venu à la nécessité d'exprimer des sentiments, de manifester des émotions, dans la tentative de conférer à la liturgie un climat pour le moins festif et joyeux. Mais la liturgie chrétienne n'est pas la simple somme des émotions d'un groupe, et moins encore le lieu d'expression des sentiments personnels et collectifs. La liturgie est à l'inverse un temps et un espace pour intérioriser les paroles et les mélodies que l'on y entend, pour s'approprier les gestes qui s'y accomplissent, pour assimiler les textes qui sont lus et chantés, pour se laisser pénétrer par les images que l'on y voit et par les parfums que l'on y respire.
LA QUALITE DES SIGNES Pour que la communauté qui célèbre puisse être toujours mieux image de l'Église, outre la participation active et la coresponsabilité ministérielle, il est essentiel, aujourd'hui plus que jamais, de promouvoir la formation spirituelle et la qualité des signes: le signe de l'assemblée qui "donne en quelque sorte l'hospitalité au Christ et aux hommes, qu'il aime" (Discours aux Évêques de la région apostolique Provence-Méditerranée, 1997, n. 5), le signe de la Parole de Dieu, le chant, la musique, le silence.
LA PRESIDENCE LITURGIQUE La qualité des signes exige surtout la qualité de la présidence de la célébration. Celui qui préside face à l'assemblée n'est pas seulement regardé, mais aussi apprécié et jugé dans le déroulement de son rôle, qui s'accomplit "in Persona Christi". Toutefois, cette présidence ne peut pas être exercée sans tenir compte de la qualité de l'assemblée et sans être capable de répondre aux attentes du peuple de Dieu. Celui qui préside le réalise en quelque sorte, lui aussi, "in Persona Ecclesiæ".
LA BEAUTE ET LA DIGNITE DU CULTE Au début du troisième millénaire, il est nécessaire de donner l'image d'une Église qui célèbre, qui prie et qui vit le Mystère du Christ à travers la beauté et la dignité des célébrations. Beauté qui n'est pas seulement un formalisme esthétique, mais qui est fondé sur "une noble simplicité" capable de manifester la relation entre l'humain et le divin de la liturgie. Il s'agit de la dynamique de l'Incarnation: ce que le Fils unique, plein de grâce et de vérité, a réalisé visiblement est passé dans les Sacrements de l'Église. La beauté doit laisser transparaître la présence du Christ au centre de la liturgie, centre qui apparaîtra d'autant plus évident que l'on pourra davantage percevoir dans les célébrations la contemplation, l'adoration, la gratuité et l'action de grâce.
IV. UNE CONSIGNE "Notre recommandation - disait le Pape Paul VI le 1er mars1965 à la veille de la première mise en uvre de la réforme liturgique -, apportez le plus grand soin [...] à connaître, à expliquer et à appliquer les nouvelles règles selon lesquelles l'Église veut désormais célébrer le culte divin. Ce n'est pas facile; c'est délicat; cela requiert un intérêt direct et méthodique; une aide personnelle de votre part qui soit patiente, charitable, vraiment pastorale. Il s'agit de changer les habitudes; [...] il s'agit, dans toute assemblée de fidèles, de donner un enseignement plus poussé concernant la prière et le culte; [...] il s'agit en un mot d'associer le peuple de Dieu à l'action liturgique sacerdotale. Nous le répétons, c'est difficile et délicat; mais, ajouterons-Nous, c'est nécessaire, opportun, providentiel, rénovateur, et aussi - Nous l'espérons - consolateur. [...] Il faudra des années, mais il faut commencer, recommencer, persévérer, pour réussir à donner à l'assemblée sa voix grave, douce et unanime" (Allocution aux curés et aux prédicateurs de Carême de Rome, La Documentation catholique [1965], col. 525-526). Piero Marini
[1] Larticle est extrait de la Présentation écrite par Monseigneur Piero Marini pour le volume Renouveau liturgique Documents fondateurs, Centre national de Pastorale liturgique, Editions du Cerf, Collection Liturgie n. 14, Paris, 2004
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