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CONGRÉGATION POUR LE CULTE DIVIN
ET LA DISCIPLINE DES SACREMENTS

"NOTITIAE"

2015/2

Pour redécouvrir le « Rite de la Pénitence »

L’intérêt suscité par le Jubilé de la Miséricorde a été manifesté de bien des manières. La revue Notitiæ a voulu, elle aussi, donner sa contribution par une série d’articles destinés à mettre en valeur la portée de la miséricorde de Dieu annoncée, célébrée et vécue dans les actions liturgiques.

Si toute l’économie sacramentelle est pénétrée par la miséricorde divine, en commençant par le baptême « pour la rémission des péchés », l’œuvre réconciliatrice de Dieu est particulièrement accordée et continuellement manifestée dans le sacrement de la Pénitence[1]. C’est pourquoi, dans la Bulle d’indiction du Jubilé Misericordiae vultus, le Pape a demandé de remettre au centre, avec conviction, « le sacrement de la Réconciliation, parce qu’il permet de toucher de la main la grandeur de la miséricorde » (MV 17).

Célébrer la miséricorde de Dieu aide l’homme à se mettre honnêtement devant sa propre conscience et à reconnaître le besoin qu’il a d’être réconcilié avec le Père, qui sait attendre avec patience le pécheur pour l’embrasser et le réintégrer dans sa dignité. Reconnaître ses propres péchés et se repentir n’est pas une humiliation. Au contraire, c’est redécouvrir le vrai visage de Dieu en s’abandonnant avec confiance à son dessein d’amour et, en même temps, c’est redécouvrir le visage de l’homme, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Redécouvrir Celui qui est l’origine et la fin de sa propre vie est le fruit le plus beau de la miséricorde dont on fait l’expérience dans le sacrement de Pénitence.

Dans cet esprit, on désire offrir ici des réflections sur l’Ordo Pænitentiæ, en nous arrêtant avant tout sur certains aspects théologico-liturgiques et, ensuite plus largement, sur la dynamique célébrative du Rite lui-même. Il est assez pédagogique, pour les prêtres, pour les consacrés et les consacrées, comme pour les fidèles laïcs, de reprendre en main ce livre liturgique, d’en relire les Prænotanda, de revoir les textes et les gestes, d’assimiler les attitudes suggérées, de comprendre en bref comment l’Église dispense, à travers rites et prières, la Miséricorde de Dieu.

1. CONTRITION ET CONVERSION DU CŒUR

Le 2 décembre 1973 était promulgué l’Ordo Pænitentiæ, qui, fidèle au mandat reçu du Concile, a revu le rite et les formules « de manière à ce qu’elles expriment plus clairement la nature et l’effet du sacrement ». (SC 72). Après quelques dizaines d’années on doit toutefois constater que souvent certaines suggestions pour la célébration sont ignorées, peut-être parce que retenues inopportunes ou trop lourdes alors que, bien qu’elles ne soient pas essentielles à la validité du sacrement, elles constituent une richesse pour une célébration dans laquelle est actualisée cette participation pleine, consciente et active du ministre et des fidèles, à laquelle « on doit viser de toutes ses forces dans la restauration et la mise en valeur de la liturgie » (SC 14).

Perte du sens du péché

En chaque partie du monde, comme il est confirmé à l’occasion des Visites ad limina, beaucoup d’évêques dénoncent avec préoccupation une désaffection constante des fidèles et des prêtres au sacrement de Réconciliation. À la racine de cela, au-delà du fait de se reconnaître pécheur en général, il y a sans l’ombre d’un doute une confusion qui empêche de reconnaître la nature du péché et donc le confesser en invoquant le pardon de Dieu. Déjà, il y a plus de cinquante ans, le bienheureux Paul VI observait dans une de ses homélies : « Vous ne trouverez plus, aujourd’hui, dans le langage des gens bien, dans les livres, dans les choses qui parlent des hommes, la parole terrible qui, au contraire, est tellement fréquente dans le monde religieux, dans le nôtre, notamment dans celui qui est près de Dieu : le mot péché. Les hommes, selon les jugements modernes, ne sont plus retenus pécheurs. On les classe comme sains, malades, braves, bons, forts, faibles, riches, pauvres, savants, ignorants ; mais le mot péché ne se rencontre jamais. Et cela ne va pas, parce qu’une fois qu’on a détaché l’intelligence humaine de la sagesse divine, on a perdu le concept du péché. Une des phrases les plus pénétrantes et graves du Souverain Pontife Pie XII, de vénérable mémoire, est celle-ci : « le monde moderne a perdu le sens du péché » ; c’est-à-dire de ce qu’est la rupture des rapports avec Dieu, causée justement par le péché »[2]. L’Année jubilaire de la Miséricorde peut être un temps propice pour récupérer le vrai sens du péché à la lumière du sacrement du pardon, en tenant compte que celle-ci s’inscrit dans le cadre de la dialectique entre le mystère du péché de l’homme et le mystère de l’infinie miséricorde de Dieu qui traverse toute l’histoire biblique.

Conversion du cœur

Pour redécouvrir la pleine valeur du Rituel de la Pénitence [3] il faudrait réévaluer, en autres, certains éléments du contexte théologique du sacrement, comme on peut le lire dans les Prænotanda du rite lui-même. « Le péché est une offense à Dieu, qui brise l’amitié avec lui ; la pénitence vise finalement à ce que nous aimions Dieu et mettions absolument notre confiance en lui » (Rituel 7). D’autre part, le péché d’un seul nuit également à tous, « ainsi la pénitence comporte aussi la réconciliation avec les frères » (Rituel 7). On ne peut oublier que l’expérience sacramentelle exige avant tout l’accueil de l’invitation avec laquelle Jésus a inauguré son ministère : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » (Mc 1,15).

Le Concile de Trente énumère quatre actes de la pénitence : trois actes du pénitent (contrition, confession, satisfaction) et l’absolution donnée par le ministre, et il considère cette dernière la partie la plus importante du sacrement[4]. Le Rituel de la pénitence reprend la doctrine du Concile de Trente en mettant particulièrement en évidence les actes du pénitent, parmi lesquels le premier et le plus important est la contrition ou « la conversion intime du cœur » (Rituel 15). Le fils prodigue qui décide, avec un cœur repenti, de retourner à la maison de son père, en est le modèle. Dans le texte du Concile, le sacrement est expliqué en continuité directe avec l’œuvre du Christ, puisqu’il annonçait la metanoia comme condition pour accéder au Royaume. En absence de la conversion/metanoia, les fruits du sacrement feront défaut pour le pénitent, puisque : « c’est de cette contrition intérieure que dépend la vérité de la pénitence » (Rituel 15). On doit noter que les Prænotanda, tout en citant le texte tridentin qui entend la contrition comme étant la douleur de l’âme et la réprobation du péché commis, interprètent la contrition dans le sens biblique le plus riche de cette conversion du cœur : « La conversion de l’homme doit l’affecter intérieurement pour l’éclairer plus profondément chaque jour et le transformer de plus en plus à l’image du Christ » (Rituel 15).

Dans l’anthropologie globale et concrète de la Bible, le cœur de l’homme est la source même de sa personnalité consciente, intelligente et libre, le centre de ses options décisives et de l’action mystérieuse de Dieu. Le juste marche avec un « cœur parfait » (Ps 100,2), mais c’est « du cœur de l’homme, que sortent les pensées perverses » (Mc 7,21). C’est pour cela que Dieu ne repousse pas « un cœur brisé et broyé » (Ps 50,19). Le cœur est le lieu où l’homme rencontre Dieu. Le cœur dans le langage biblique indique la totalité de la personne humaine, en le distinguant des facultés et des actes singuliers de la personne elle-même ; il est son être intime et unique ; le centre de l’existence humaine, la jonction de raison, volonté, tempérament et sensibilité, où la personne trouve son unité et son orientation intérieure, celle de l’esprit et du cœur, de la volonté et de l’affectivité. Comme affirme le Catéchisme de l’Église Catholique, « la tradition spirituelle de l’Église insiste aussi sur le cœur, au sens biblique de " fond de l’être " où la personne se décide ou non pour Dieu » (n. 368). Le cœur est donc le principe indivisible avec lequel nous aimons Dieu et nos frères.

La conversion du cœur n’est pas seulement l’élément principal, c’est aussi celui qui unifie entre eux tous les actes du pénitent qui constituent le sacrement, puisque chaque élément est défini par rapport à la conversion du cœur : « Cette conversion intérieure, qui implique la contrition pour le péché et la résolution de mener une vie nouvelle, s’exprime par la confession faite à l’Église, par la satisfaction requise et par l’amendement de la vie » (Rituel 14). La conversion du cœur ne doit donc pas se comprendre comme un seul acte valant pour lui-même, accompli une fois pour toutes, mais comme un détachement résolu du péché en vue d’un chemin progressif et continu pour adhérer au Christ et vivre en amitié avec lui. Les éléments du Rituel de la pénitence sont pour ainsi dire l’expression des divers moments ou étapes d’un chemin qui ne se termine pas au moment de la célébration du sacrement, mais qui informe toute la vie du pénitent.

Dans ce contexte, les célébrations pénitentielles non sacramentelles sont à valoriser. En effet, si la conversion du cœur est à la base du sacrement de Pénitence, il est nécessaire de donner le maximum de relief à de telles célébrations qui sont des réunions du Peuple de Dieu, dans le but d’écouter la proclamation de la Parole de Dieu qui invite à la conversion et au renouveau de la vie, et qui annonce notre libération du péché, par la mort et la résurrection du Christ. Ces célébrations non sacramentelles se posent en amont et en aval de la célébration du sacrement de Pénitence, puisque la conversion du cœur présuppose la connaissance de ce qui est péché et donc des péchés commis. Rappelons-nous le rôle qu’a eu la Parole de Dieu dans la conversion de saint Augustin : « … Domine, amo te. Percussisti cor meum verbo tuo, et amavi te » [5]. À l’amour miséricordieux de Dieu, on répond avec l’amour.

Le ministre du sacrement

Il est important aussi de considérer le rôle du ministre du sacrement qui, selon la Bulle Misericordiae vultus, devrait être un « véritable signe de la miséricorde du Père » (MV 17). Lui aussi, étant pécheur, n’oublie pas de se faire pénitent en expérimentant dans le sacrement la joie du pardon. La tradition catholique a trouvé quatre images pour exprimer le devoir propre au prêtre confesseur. Il est docteur et juge – pour indiquer l’objectivité de la loi –, mais il est aussi père et médecin – pour rappeler la charité pastorale envers le pénitent. Des époques historiques différentes et diverses tendences théologiques ont souligné tantôt l’une tantôt l’autre de ces figures. Le Concile de Trente affirme que les prêtres exercent la fonction de remettre les péchés « comme ministres du Christ », en accomplissant leur devoir « comme un acte judiciaire » (ad instar actus iudicialis)[6]. De même le Rituel de la pénitence parle du confesseur comme juge et médecin, lorsqu’il dit que pour accomplir bien et fidèlement son ministère, le confesseur doit savoir distinguer les maladies de l’âme pour leur apporter les remèdes adaptés, et exercer avec sagesse son devoir de juge (cf. Rituel 22). Plus loin on souligne ensuite que le confesseur accomplit un devoir paternel, parce qu’il révèle aux hommes le cœur du Père, et qu’il incarne l’image du Christ, bon Pasteur. Le confesseur est le témoin de la miséricorde de Dieu envers le pécheur repentant[7]. Dans l’Ancien Testament, la miséricorde est le sentiment plein de compassion et aussi maternel de Dieu pour ses créatures, malgré leur infidélité (cf. Es 34,6 ; Ps 51,3 ; Ps 131 ; Ger 12,15 ; 30,18). Dans le Nouveau Testament, Jésus est présenté comme le « un grand prêtre miséricordieux et digne de foi pour les relations avec Dieu, afin d’enlever les péchés du peuple » (He 2,17).

Le Catéchisme de l’Église Catholique résume très bien tous ces devoirs du confesseur lorsqu’il affirme : « En célébrant le sacrement de Pénitence, le prêtre accomplit le ministère du Bon Pasteur qui cherche la brebis perdue, celui du Bon Samaritain qui panse les blessures, du Père qui attend le Fils prodigue et l’accueille à son retour, du juste Juge qui ne fait pas acception de personne et dont le jugement est à la fois juste et miséricordieux. Bref, le prêtre est le signe et l’instrument de l’amour miséricordieux de Dieu envers le pécheur » (n. 1465). Les formules et les gestes rituels de la célébration du sacrement font transparaître la présence miséricordieuse du Père, le don oblatif du Fils, l’amour purifiant et guérissant de l’Esprit Saint. Le confesseur doit devenir l’expression et le moyen humain de cet amour qui, à travers lui, se répand sur le pénitent et le conduit nouvellement à la vie, à l’espérance, à la joie.

Les réflections proposées jusqu’ici trouvent leur application dans la célébration même du sacrement, qui per ritus et preces conduit par la main les pénitents et les ministres dans l’expérience de la miséricorde de Dieu. En effet, chaque célébration du sacrement est un « Jubilé de la Miséricorde ».

Il y a des domaines de caractère spirituel, disciplinaire et pastoral liés à la célébration du sacrement, qui ne sont pas considérés dans ces réflexions mais qui sont dignes d’attention. Qu’on pense par exemple au soin à porter à la formation permanente du clergé, comme à la formation initiale dans les séminaires et les instituts, comme aussi à l’observance de la discipline en ce qui regarde les absolutions collectives (cf. CIC can. 961-963), ainsi qu’à l’attention à porter aux risques en ce qui regarde la discrétion et la réserve, à la protection de l’anonymat et du secret, menacés aujourd’hui par l’interceptation facile et sacrilège, par l’enregistrement et la diffusion du contenu de la confession (cf. CIC can 983).

2. POUR UNE MYSTAGOGIE DE L'ORDO PÆNITENTIÆ

En fixant notre attention sur la lecture mystagogique du « Rituel pour la réconciliation d’un pénitent » (chap. I) on doit tenir compte de la dimension ecclésiale du sacrement, mise davantage en lumière au chapitre II : « Réconciliation de plusieurs pénitents avec confession et absolution individuelles ». La nature profondément personnelle du sacrement de Pénitence s’associe étroitement en effet à sa nature ecclésiale, puisque c’est un acte qui réconcilie avec Dieu et avec l’Église (cf. CEC 1468-1469). Dans cette perspective les Prænotanda affirment que la « célébration commune manifeste plus clairement la nature ecclésiale de la pénitence » (Rituel 34). Selon le texte conciliaire en effet, « les actions liturgiques ne sont pas des actions privées, mais des célébrations de l’Église, (…). C’est pourquoi elles appartiennent au Corps tout entier de l’Église, elles le manifestent et elles l’affectent » (SC 26).

L’Année jubilaire de la Miséricorde représente une opportunité significative, pour les communautés diocésaines et paroissiales, de redécouvrir le « Rite pour la réconciliation de plusieurs pénitents avec confession et absolution individuelles » [8]. Les étapes rituelles que nous trouvons dans le deuxième chapitre du Rituel de la pénitence aident à mettre en lumière deux aspects importants de sa célébration. Tout d’abord l’écoute de la Parole de Dieu, qui prend la structure d’une Liturgie de la Parole, et donc d’un véritable acte de culte (cf. SC 56). Ici l’annonce évangélique de la miséricorde et l’appel à la conversion résonnent pour une assemblée dont les membres « en écoutant la Parole qui proclame la miséricorde de Dieu, sont conduits à confronter leur vie à cette parole et à découvrir les appels de l'Évangile. Par la prière ils s'entraident à confesser l'amour de Dieu qui sauve du péché » (Rituel 20). L’apôtre Jacques, en effet, invite : « Confessez donc vos péchés les uns aux autres, et priez les uns pour les autres afin d’être guéris » (Jc 5,16).

Si l’écoute commune de la Parole qui « foudroie le cœur » et le soutien réciproque dans la prière sont importants, la louange et l’action de grâce commune, avec lesquels on conclut le rite, ne le sont pas moins (cf. Rituel 130). En effet après que chacun a confessé ses péchés et reçu l’absolution, tous ensemble louent Dieu pour les merveilles qu’il accomplit au profit du peuple que son Fils s’est acquis au prix de son sang.

Ces références concises au chapitre II du Rituel de la Pénitence mettent aussi en lumière la dynamique sociale, mais aussi personelle du péché, comme de la conversion. Les dimensions ecclésiale et personnelle se fondent, d’une manière toute particulière, en ce sacrement, mettant en évidence que « la pénitence ne peut être comprise comme strictement intérieure et privée. Par le fait qu’elle soit (et non pas : bien qu’elle soit) un acte personnel, elle a aussi une dimension sociale. Il s’agit d’un point de vue qui a son importance pour la justification de l’aspect tant ecclésial que sacramentel de la pénitence »[9].

Parcourons maintenant les étapes rituelles du chapitre I : « Réconciliation d’un pénitent» dans le but de faciliter non seulement une compréhension renouvelée du sacrement, mais surtout pour que sa célébration soit plus authentique, en ayant conscience que la grâce du pardon est communiquée dans les actes du pénitent et du prêtre, dans les gestes et dans les paroles. Précisément parce que mens concordet voci, il est nécessaire d’avoir une célébration digne, dans la conviction de l’importance de la forme rituelle, parce que dans la liturgie, la parole précède l’écoute, l’action façonne la vie[10].

Accueil du pénitent

La rubrique n. 54 du Rituel indique comment le pénitent doit être accueilli : « Le prêtre doit accueillir avec simplicité, respect et patience, la personne qui vient le trouver ». C’est le seuil qui introduit dans l’action rituelle. Le Rituel de la pénitence a le soucie que le ministre du sacrement, représentant du Christ, fasse en sorte que ce moment initial soit vécu par le pénitent le plus facilement possible et dans la confiance. Nous savons tous comme il peut être difficile de s’approcher de la confession. Toutefois lorsqu’on réussit à faire le premier pas, la grâce est déjà à l’œuvre. C’est pour ce motif que le prêtre est appelé à recevoir celui qui se présente à lui avec la même attitude que le père de l’enfant prodique, qui court à la rencontre de son fils repentant dès qu’il le voit au loin. Les prêtres doivent se préparer à remplir ce ministère avec la conscience de représenter le Christ qui, dans cette parabole, nous révèle le visage du Père céleste qui festoie et se réjouit pour celui qui revient à lui (cf. Lc 15,11-32). Le début du Rituel de la pénitence nous aide à comprendre que Dieu le Père célèbre un « Jubilé » chaque fois qu’un pécheur se présente pour ce sacrement : « C’est ainsi qu’il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion » (Lc 15, 7).

Après avoir été accueilli, le pénitent fait le signe de la croix, en disant : « Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit » (Rituel 56). C’est un acte de foi qui distingue le chrétien[11]. Cette ouverture est importante pour un motif aussi bien pratique que théologique. Un tel signe rituel et familier, uni aux paroles, souligne le moment où la liturgie débute vraiment. De même, dans son aboutissement per l’absolution sacramentelle, le signe de croix sera présent. La formule trinitaire, alors qu’elle fait mémoire du Baptême, par lequel nous sommes renés à la vie divine, nous oriente vers la célébration de l’Eucharistie, qui conserve, accroît et renouvelle en nous la vie de la grâce.

Ce moment rituel ouvre progressivement à ce qui suit. Le prêtre ne doit pas dire simplement au pénitent : « Maintenant dites-moi vos péchés ». Ses paroles accueillantes devraient plutôt établir tout de suite une atmosphère de profonde gravité, et susciter en même temps la confiance en Dieu. Le prêtre dit : « Que Dieu vous donne sa lumière pour confesser vos péchés en même temps que son amour pour vous » (Rituel 58). Avec quelle force et quelle douceur résonneront ces paroles dans le cœur du pénitent, si le prêtre les prononce avec conviction et du profond de son cœur, conscient du ministère que l’ordination lui a confié !

Les paragraphes 59-65 du Rituel présentent des formules alternatives pour le début du rite, toutes riches de résonances bibliques et théologiquement fortes. À ces formules qui, de différentes manières ravivent la confiance en la miséricorde de Dieu offerte dans le sacrement, on pourrait s’inspirer pour inviter, dans la prédication et dans la catéchèse, à le célébrer avec joie, gravité et sérénité.

Pensons, par exemple, à l’impact qu’a sur le pénitent d’entendre le prêtre lui adresser les paroles du prophète Ezéchiel : « Approchez du Seigneur avec confiance : il ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive » (cf. 33,11) (Citation inexacte dans la Traduction pour la liturgie). Ici le prêtre parle avec l’autorité de la Parole de Dieu et non simplement avec ses propres paroles, dites pour la circonstance.

Lecture de la Parole de Dieu

Même si l’Écriture sainte résonne déjà dans les différentes formules d’invitation à la confession des péchés, le rite continue avec l’écoute de la Parole de Dieu. Bien que dans le Rituel elle soit « ad libitum », omettre cette écoute ne devrait se faire qu’en cas d’empêchement véritable. Dans l’économie du Rituel de la pénitence, la proclamation de la Parole de Dieu apparaît comme un moment essentiel de la célébration (cf. Rituel 29). Les passages de l’Écriture qui sont proposés sont en effet caractérisés par des expressions qui annoncent la miséricorde de Dieu et invitent à la conversion (cf. Rituel 29). Le Rituel suggère neuf passages bibliques (Rituel 165-173), mais on peut recourir aussi à d’autres textes de la Écriture sainte que le prêtre ou le pénitent retiennent adaptés.

Dans la forme rituelle, la priorité donnée à l’écoute de la Parole de Dieu rappelle le fait que ce qui est proclamé s’accomplit, ici et maintenant, dans la célébration. Le pénitent expérimente ce qui est annoncé avec une nouveauté et une fraîcheur absolues, parce que la Parole résonne, enrichie d’une signification nouvelle grâce au moment sacramentel vécu dans la foi. Le Jubilé de la Miséricorde est une occasion propice pour que les prêtres et les fidèles valorisent vraiment le recours à la Parole de Dieu. Dans chacun des passages bibliques proposés dans le Rituel, les prêtres pourront redécouvrir la grandeur du ministère qui leur a été confié et les pénitents pourront découvrir avec admiration la lumière qui les guide à la rencontre du Christ dans le sacrement.

Par exemple, le choix du passage d’Ezéchiel 11, 19-20 (Rituel 166), permet au pénitent d’entendre que c’est justement à lui que s’adresse l’oracle divin : « Je leur donnerai un cœur loyal, je mettrai en eux un esprit nouveau : j’enlèverai de leur chair le cœur de pierre, et je leur donnerai un cœur de chair… ». Lorsque le pénitent se rend compte que cette promesse est faite justement pour lui, en ce moment, son cœur peut s’ouvrir à la consolation et à la confiance et confesser ses péchés. Si on lit plutôt le passage de Marc 1, 14-15 (Rituel 168), aussi bien le prêtre que le pénitent font l’expérience que le Christ lui-même est présent, ici et maintenant, pour annoncer avec force à celui qui se confesse : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile ». La réponse à la présence du Christ et à ses paroles sera la confession des péchés. Ou encore, on pourrait utiliser le passage de Luc 15, 1-7, où le pénitent devrait comprendre que pour lui aussi Jésus se défend des accusations de manger et de boire avec les pécheurs. En effet, dans la célébration, Jésus se met près du pénitent – un pécheur – et déclare de vouloir rétablir la communion avec lui, de le rechercher comme fait le pasteur pour la brebis perdue. La Parole de Dieu n’annonce-t-elle pas ici un Jubilé de la Miséricorde, en nous donnant le courage de confesser nos péchés avec espérance et confiance ?

Confession des péchés et proposition d’un signe de conversion et de pénitence (satisfaction)

Le moment rituel qui suit est une partie essentielle de la célébration sacramentelle : la confession des péchés de la part du pénitent et l’acceptation d’un acte de satisfaction proposé par le prêtre (Rituel 71). Quelques aspects, à propos de la valeur rituelle de la confession et la forme qu’elle assume, méritent d’être soulignés. Contrairement à d’autres moments, ici on n’indique pas de textes ou de paroles à dire, mais le pénitent est appelé à confesser ses propres péchés. Ce qui a précédé ce moment dans le rite, surtout la proclamation de la Parole de Dieu, montre que la confession des péchés ne tire pas son origine de la seule initiative du pénitent. En verité, elle trouve sa racine dans la grâce d’avoir écouté la Parole de Dieu, avec le résultat de se sentir poussé au repentir et à la contrition.

Même si pour ce moment du Rituel il n’y a pas de textes spécifiques qui sont prescrits, on trouve toutefois les rubriques, rédigées avec soin, qui en expriment le sens théologique profond. Il ne s’agit pas simplement, de la part du pénitent, de dire à voix haute une liste de péchés qui tombe dans le vide, comme si personne n’était présent. On se confesse devant le prêtre. Le prêtre, de son côté, est exhorté à entrer profondément en relation avec la personne qui se confesse : « Le prêtre aide le pénitent, si nécessaire, à faire une confessione intégrale, et lui offre des conseils adaptés » (Rituel 30). Ce va-et-vient continu du pénitent au prêtre, n’est autre chose que la forme rituelle par laquelle se fait la rencontre du pénitent avec le Christ à travers le prêtre. C’est pourquoi le confesseur est invité à aider le pénitent à saisir le sens profond de cette rencontre : « Il [le prêtre] l’exhorte [le pénitent] à la contrition de ses péchés, en lui rappelant que, par le moyen du sacrement de Pénitence, le chrétien meurt et ressuscite avec le Christ, et il est ainsi renouvelé dans le mystère pascal » (RP 44). Ceci est un élément théologique essentiel pour comprendre correctement le sacrement. Tout ce qui se passe pendant la célébration s’enracine dans le mystère pascal. Le pénitent est renouvelé selon le modèle originel du baptême, où il meurt au péché avec le Christ et ressuscite avec lui pour une vie nouvelle.

Il est souhaitable qu’aidés par l’Année jubilaire, les prêtres comme les pénitents puissent célébrer ce sacrement avec une conscience plus grande de la profondeur de cette rencontre. Rappelons-nous les fortes paroles de saint Jean Paul II dans sa première encyclique Redemptor hominis : « l'Église, observant fidèlement la pratique pluriséculaire du sacrement de pénitence - la pratique de la confession individuelle unie à l'acte personnel de contrition, au propos de se corriger et de réparer -, défend le droit particulier de l'âme humaine. C'est le droit à une rencontre plus personnelle de l'homme avec le Christ crucifié qui pardonne, avec le Christ qui dit par l'intermédiaire du ministre du sacrement de la réconciliation : « Tes péchés te sont remis » ; « Va, et ne pèche plus désormais » (n. 20). C’est inhabituel et percutant que le Pape définisse comme un « droit » humain la rencontre entre le pénitent et le prêtre. Il se réfère par là à quelque chose qui habite les profondeurs du cœur blessé de l’humanité pécheresse. En parlant du Rédempteur de l’homme il affirme que chaque personne désire une rencontre intense, personnelle avec le Christ, « avec le Christ crucifié qui pardonne ». La structure liturgique du sacrement entend donner forme à ce désir et à le satisfaire.

Après que le pénitent a confessé ses péchés, le prêtre lui propose un exercice pénitentiel et le pénitent l’accepte en réparation de ses péchés et pour l’amendement de sa vie. De cette manière la rubrique souligne à nouveau le sens de la rencontre intense et de l’échange entre le prêtre et le pénitent. Dans tout ce qu’il fait, le prêtre est poussé à « s’adapter en tout, aussi bien dans ses paroles que dans ses conseils, à la condition du pénitent ». Ici et maintenant, le pénitent rencontre « le Christ crucifié qui pardonne », et qui indique le chemin pour la conversion et un nouveau style de vie.

Prière du pénitent

Le prêtre continue son dialoque avec le pénitent en l’invitant à manifester sa contrition par une prière (cf. Rituel 72). Ceci remet de nouveau au premier plan la dimension liturgique du sacrement. Le rite demande de manifester clairement la contrition en forme de prière, en offrant un grand choix de formules. En effet le Rituel offre huit prières possibles (Rituel 77-84). Même si, pour les passages bibliques, on n’en choisit qu’un seul par célébration, le fait de méditer sur tous les textes proposés pourra aider à entrevoir les facettes multiples de la pierre précieuse enchâssée dans ce moment de la célébration. La méditation de ces passages aidera les personnes à se préparer à la confession et à prononcer des paroles de tout leur cœur pendant la célébration sacramentelle.

La formule proposée par Rituel 80 est une prière traditionnelle que plusieurs connaissent come « l’acte de contrition ». Elle a traversé l’épreuve des siècles et n’a peut-être pas besoin de commentaire. Le Jubilé est quand même l’occasion de mettre en évidence les mots et la profondeur théologique avec lesquels cette prière se termine dans sa formulation latine. Celui qui prie dit en suppliant : « Per merita passionis Salvatoris nostri Iesu Christi, Domine, miserere ». La Miséricorde que nous célébrons s’enracine dans les mérites de la Passion de Jésus Christ.

Les autres options offertes (Rituel 74-75, 77 à 79, et 81 à 84) sont toutes clairement inspirées de l'Écriture sainte. En effet les deux premières (Rituel 74, 75) mettent directement sur les lèvres du pénitent quelques versets de Psaumes : « Rappelle-toi, Seigneur, l’amitié, la tendresse que tu m’as montrées depuis toujours (…) ». Ou encore : « Lave-moi tout entier de ma faute … ». En réponse à l’invitation du prêtre à manifester sa propre contrition, le pénitent prononce les mêmes paroles utilisées par Israël et par l’Église pendant des millénaires. En priant avec de telles formules, les pénitents font l’expérience que leur histoire de péché et le pardon de Dieu font partie du grand drame racconté dans les pages de la Bible. Le drame du péché et du pardon continuent maintenant dans nos existences, et les mêmes prières suscitées par l’Esprit illuminent parfaitement ce moment.

On peut dire la même chose de la prière qui met sur les lèvres du pénitent les paroles que l’enfant prodique adresse à son père dès qu’il retourne à la maison : « Père, j’ai péché contre toi. Je ne mérite plus d’être appelé ton fils. Prends pitié du pécheur que je suis ! » (Rituel 78). Encouragés par cette parabole à ne pas avoir peur et poussés par la contrition, les pénitents manifestent la conversion du cœur en prononçant les paroles du fils qui retourne avec confiance à la maison paternelle.

Une autre formule d’une valeur particulière est la prière adressée à chaque Personne de la Trinité avec des images tirées du Nouveau Testament, de manière à ce que les pénitents puissent se reconnaître en elles (Rituel 84). Cette prière est adressée tout d’abord au « Père très bon » et utilise à nouveau les paroles de l’enfant prodigue, introduites par une allusion explicite à la parabole « … comme le fils pénitent… ». Puis elle s’adresse à « Jésus Christ, Sauveur du monde », et le pénitent demande qu’ait lieu pour lui, maintenant, ce qui s’est passé pour le bon larron quand Jésus, qui était sur le point de mourir, lui a ouvert les portes du paradis. Le pénitent fait siennes les paroles mêmes du malfaiteur repenti : « Souviens-toi de moi, Seigneur, dans ton Royaume ». La dernière invocation est adressée au Saint Esprit, appelé « source d’amour ». Le pénitent demande à l’Esprit : « Purifie-moi, accorde-moi de vivre en fils de lumière ».

Le Rituel offre aussi au pénitent d’autres formules que nous ne commentons pas maintenant. Toutefois, à motif de l’Année Jubilaire, il est souhaitable que toutes ces formules soient connues et utilisées. Avec elles nous apprenons à prier avec les paroles et les images de l’Écriture, en exprimant notre contrition et en demandant pardon. Avec elles nous apprenons que nous aussi nous sommes engagés dans les événements merveilleux de miséricorde raccontés dans la Bible. Comme le publicain loué par Jésus dans la parabole, nous aussi nous nous frappons la poitrine et nous prions : « Jésus, Fils de Dieu Sauveur, prends pitié de moi, pécheur ». (Rituel 77 d’après Lc 18, 13-14).

Absolution

Dans le Rituel de la pénitence la prière du pénitent et l’absolution du prêtre figurent sous un seul titre. Nous les avons distinguées pour en faciliter le commentaire, sans oublier toutefois qu’il est important de saisir le lien profond entre les deux moments. Dans la prière à Dieu, le pénitent exprime la contrition et demande miséricorde. La réponse immédiate à une telle supplication arrive rapidement de la part de Dieu à travers le ministère du prêtre.

L’ambiance liturgique s’intensifie. Le prêtre étend les mains sur la tête du pénitent et commence à prononcer les paroles. Ce geste doit être fait avec la même attention et la même intensité que tout autre geste semblable présent dans une action liturgique. Le pénitent devra être en mesure de percevoir, à travers le changement dans la posture du corps et le geste du prêtre, qu’un acte sacramentel solennel est en train de se produire. Les mains étendues indiquent que toute la miséricorde de Dieu – invisible mais immensément puissant et présent – est sur le point de se répandre sur le pénitent repentant.

Même les paroles prononcées par le prêtre pour l’absolution méritent une juste attention. Bien qu’elles soient brèves, elles ont une riche valeur théologique et elles expriment la signification essentielle du sacrement. Le Rituel de la pénitence énumère clairement les éléments théologiques essentiels de la formule (Rituel 31). Tout d’abord, on doit noter la nette structure trinitaire. La réconciliation, prodiguée dans ce sacrement, vient de Dieu : « Que Dieu notre Père vous montre sa misericorde ». La formule exprime ce que Dieu a déjà accompli : « par la mort et la résurrection de son Fils, il a réconcilié le monde avec lui » et met cette réconciliation en relation immédiate avec l’effusion de l’Esprit : « et il a envoyé l’Esprit Saint pour la rémission des péchés ». Dans cette première partie de la formule, on trouve l’anamnèse liturgique, c’est-à-dire qu’elle rappelle, annonce, proclame la mort et la résurrection de Jésus. Cette anamnèse est exprimée par une terminologie trinitaire et avec un langage qui indique immédiatement l’importance de cet acte solennel de Dieu qui s’accomplira en faveur du pénitent. Dieu a réconcilié le monde avec lui et il a envoyé l’Esprit Saint pour la rémission des péchés.

Les paroles de la formule continuent ensuite au moment présent, et le prêtre s’adresse directement au pénitent. Ce passage du passé au présent indique che le grand événement opéré par Dieu dans le mystère pascal se répand, avec tous ses fruits, sur ce pénitent en particulier, ici et maintenant, par les paroles du prêtre. En même temps la formule explicite la forte dimension ecclésiale de ce que Dieu est sur le point d’accomplir « du fait que la réconciliation avec Dieu est demandée et accordée à travers le ministère de l’Église » (Rituel 31).

En s’adressant au pénitent le prêtre dit d’abord : « Par le ministère de l’Église qu’il (Dieu) vous donne le pardon et la paix ». Ceci est le langage de l’invocation ou de la bénédiction ; le verbe est un subjonctif avec une valeur optative (tribuat), caractéristique de plusieurs invocations et bénédictions de l’Église, toujours efficaces. Ensuite, le style du langage change et le prêtre continue, en prononçant ce que le Rituel appelle « les paroles essentielles » (Rituel 85). S’adressant directement au pénitent, en traçant le signe de la croix, il dit : « Et moi, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, je vous pardonne tous vos péchés ». Avec les paroles : « Je vous pardonne », le prêtre montre qu’il agit in persona Christi.

À travers les gestes et les paroles du prêtre, en vertu du pouvoir donné par le Christ à l’Église de pardonner les péchés (cf. Jn 20,23), le pécheur retrouve l’innocence originelle du baptême. Le pénitent voit se réaliser son désir de rencontre personelle et profonde avec le Christ crucifié, prêt à le pardonner. Le Seigneur est venu et a rencontré ce pécheur, dans ce moment-clé de sa vie, marqué par la conversion et le pardon. C’est une telle rencontre qui constitue l’essence véritable du Jubilé de la Miséricorde, un jubilé pour les pécheurs repentants et un jubilé pour le Christ lui-même !

Action de grâce et renvoi du pénitent

Les lois du langage rituel imposent qu’un moment aussi intense et riche que l’absolution ait besoin d’un épilogue. Il serait inopportun de sortir en vitesse d’un événement tellement spirituel pour retourner à la vie de tous les jours sans un moment de passage. Et pourtant quelquefois, en ne respectant pas le sens liturgique, la célébration sacramentelle se termine de manière trop expéditive : « Nous avons terminé, maintenant vous pouvez aller ». Le Rituel de la pénitence dit avec clarté ce qu’on doit faire : « Une fois ses péchés pardonnés, le pénitent reconnaît et proclame la miséricorde de Dieu et lui rend grâce par une brève invocation, tirée de l'Écriture sainte ; puis le prêtre le renvoit dans la paix » (Rituel 33).

Nous trouvons cette sobriété rituelle dans Rituel 90. Le prêtre et le pénitent ne disent pas leurs propres paroles, mais des expressions tirées de l’Écriture. En citant les paroles inspirées du Psaume 117, 1, le prêtre proclame : « Rendez grâce au Seigneur : il est bon ». Le pénitent conclut avec « Éternel est son amour» (cf. aussi le psaume 135,1). Ces paroles de louange utilisées par le peuple d’Israël et par l’Église pendant des millénaires se sont accomplies de nouveau et d’une manière concrète, ici et maintenant, avec une fraîcheur merveilleuse et une absolue nouveauté.

Chaque liturgie de l’Église termine avec l’envoi dans le monde de ceux qui ont pris part à la célébration, remplis de la force divine destinée à renouveler l’humanité. Le renvoi n’est pas autre chose que la forme rituelle de l’envoi du Christ lui-même : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. », dit le Seigneur réssuscité à ses disciples (cf. Jn 20,21). Dans le Rituel de la pénitence ceci se fait avec des formules succintes : « Le Seigneur vous a délivré du péché. Qu’il vous donne d’avoir part à sa vie », ou encore : « Allez en paix et annoncez à travers le monde les merveilles de Dieu qui vous a sauvé ». Le prêtre les prononce comme ministre du Christ, le pénitent sent qu’il est envoyé par l’Église.

« Miséricordieux comme le Père »

Le Pape François invite continuellement l’Église à redécouvrir la joie de l’Évangile et à être « en sortie », capable d’oser, de prendre l’initiative sans crainte. « Pour avoir expérimenté la miséricorde du Père et sa force de diffusion, elle vit un désir inépuisable d’offrir la miséricorde[12] ».

La vocation de l’Église est aussi celle de chaque disciple du Christ, revigoré par le sacrement du pardon. La miséricorde célébrée per ritus et preces engage en effet à mettre en pratique l’enseignement de Jésus : « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » (Lc 6,36).


[1] « Les sacrements, comme nous le savons, sont le lieu de la proximité et de la tendresse de Dieu pour les hommes; ils sont la manière concrète que Dieu a imaginée, a souhaitée pour venir à notre rencontre, pour nous embrasser, sans avoir honte de nous et de nos limites. Parmi les sacrements, assurément celui de la réconciliation rend présent avec une efficacité spéciale le visage miséricordieux de Dieu: il le concrétise et le manifeste incessamment, sans relâche. Ne l’oublions jamais, aussi bien comme pénitents que comme confesseurs : il n’existe aucun péché que Dieu ne puisse pardonner ! Aucun ! Il n’y a que ce qui est soustrait à la miséricorde divine qui ne puisse être pardonné, comme celui qui se soustrait au soleil ne peut pas être illuminé ni réchauffé » : François, Discours aux participants au cours organisé part le tribunal de la Pénitencerie Apostolique, 12 mars 2015.

[2] Paul VI, Homélie, 20 septembre 1964. Cr. aussi Jean Paul II, Exhortation apostolique post-sinodale Reconciliatio et Paenitentia, 2 décembre 1984, 18.

[3] Rituel Romain, Célébrer la pénitence et la réconciliation, Chalet-Tardy, 1978 et 1991 (à partir de maintenant abrégé par la sigle Rituel suivi du numéro du paragraphe).

[4] Cf. Concile de Trente, Session XIV, Le sacrement de Pénitence, chap. IV-VI : Symboles et définitions de la Foi catholique, Cerf, Paris, 1996, 448-452.

[5] « Ce que je sais, de toute la certitude de la conscience, Seigneur, c’est que je vous aime. Vous avez percé mon cœur de votre parole, et à l’instant je vous aimai » : S. Augustin, Les Confessions 10,8 : CCL 27,158s.

[6] Conciliorum œcumenicorum Decreta, 707.

[7] « N’oublions jamais qu’être confesseur, c’est participer à la mission de Jésus d’être signe concret de la continuité d’un amour divin qui pardonne et qui sauve » MV 17.

[8] « La deuxième forme de célébration, précisément par son caractère communautaire et la façon dont elle se déroule, met en relief quelques aspects de grande importance : la Parole de Dieu, écoutée en commun, a un autre effet que la lecture faite individuellement, et elle souligne mieux le caractère ecclésial de la conversion et de la réconciliation. Elle revêt une signification particulière dans les divers moments de l'année liturgique et à l'occasion des événements présentant un intérêt pastoral spécial » Reconciliatio et Paenitentia, 32.

[9] Commission Théologique Internationale, La réconciliation et la pénitence, 29 juin 1983, A,II,2.

[10] « Dieu nous a donné la parole et la sainte liturgie nous offre les paroles ; nous devons entrer à l’intérieur des paroles, dans leur signification, les accueillir en nous, nous mettre en harmonie avec ces paroles ; ainsi devenons-nous fils de Dieu, semblables à Dieu » Benoît XVI, Catéchèse à l’Audience générale, 26 septembre 2012.

[11] « La croix est signe de la Passion en même temps que signe de résurrection : elle est en quelque sorte la perche salvatrice que Dieu nous tend, le pont grâce auquel nous pouvons traverser l’abîme de la mort et surmonter toutes les menaces pour parvenir jusqu’à lui. […] Le signe de croix, accompagné de l’invocation trinitaire, concentre l’essence du christianisme » : J. Ratzinger, L’esprit de la liturgia, Ad Solem Editions SA 2001, 142.

[12] François, Exhortation apostolique Evangelii gaudium, 24 novembre 2013, 24