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Il fiuto delle pecore

Un nouveau document de la Commission théologique internationale :

« Le sensus fidei dans la vie de l’Eglise »

 

A Assise, en octobre 2013, le pape François invitait les pasteurs à « marcher avec le peuple », « a volte davanti, a volte in mezzo e a volte dietro. Davanti, per guidare la comunità ; in mezzo, per incoraggiarla e sostenerla ; dietro [...] perché il popolo ha ‘fiuto’! Ha fiuto nel trovare nuove vie per il cammino, ha il ‘sensus fidei’, che dicono i teologi. » Le pape François aime à se référer à cet instinct surnaturel de la foi ou sensus fidei que possède le peuple de Dieu dans son ensemble. Il y voit une ressource essentielle pour la nouvelle évangélisation. Il est donc heureux que la Commission théologique internationale publie ces jours-ci, au terme de son VIIIe quinquennium, un document intitulé « Le sensus fidei dans la vie de l’Eglise ». (Rédigé en anglais, il est dès maintenant disponible en plusieurs langues sur le site internet de la CTI).

Ce document répond à un double objectif. Premièrement, il fait le point théologique sur une notion traditionnelle qui a été remise à l’honneur par Vatican II, au carrefour de l’ecclésiologie renouvelée de Lumen gentium et de la théologie fondamentale de Verbum Dei. Tout en confirmant le rôle irremplaçable du Magistère dans la transmission de la foi, Vatican II a voulu dépasser la dichotomie simpliste entre une Eglise enseignante (la hiérarchie) et une Eglise passivement enseignée (les fidèles). Il a rappelé que, sous la motion de l’Esprit de vérité, le peuple de Dieu dans son ensemble avait part à la fonction prophétique de Jésus-Christ et jouissait d’une infaillibilité in credendo si bien que le consensus de l’ensemble des croyants constitue un témoignage rendu à la vérité de la foi apostolique. La récente consultation des Eglises particulières en vue du Synode extraordinaire sur la famille repose sur cette conviction que l’ensemble du peuple de Dieu, en vertu du sens de la foi, est apte à discerner quelles sont les voies de l’Evangile pour aujourd’hui. Toutefois, toute opinion qui circule parmi les baptisés ne relève pas du sensus fidelium et le second objectif du document est de proposer quelques critères théologiques pour discerner le sensus fidelium authentique et écarter ses contrefaçons.

Pour rejoindre ce double objectif, le document se développe en quatre chapitres. Le premier présente les sources bibliques de la notion, rattachant le sensus fidei à l’onction de l’Esprit qui introduit les croyants dans la vérité tout entière (Jn 16, 13). Il retrace ensuite l’histoire théologique de la notion et signale quelques exemples significatifs du rôle moteur qu’a joué le sensus fidelium dans le développement de la vie de l’Eglise.

Les deux chapitres suivants traitent de façon plus systématique de la nature et des manifestations du sensus fidei. Puisque le « je crois » personnel n’existe que grâce à la médiation objective de l’Eglise, qui propose la vérité de l’Evangile, et qu’il ne peut s’épanouir que dans le contexte communautaire d’un « nous croyons », le sensus fidei a un double sujet. Il est l’instinct de foi tout d’abord de la communauté ecclésiale comme telle (sensus fidei fidelium), puis de chaque croyant en particulier dans la mesure où il participe à la vie de l’Eglise (sensus fidei fidelis). Ces deux aspects – personnel et ecclésial – sont inséparables. Le chapitre 2 s’intéresse à l’instinct de la foi que possède chaque croyant et à ses manifestations. A la lumière de l’enseignement de saint Thomas d’Aquin sur la connaissance par connaturalité, il apparaît que la vertu théologale de foi engendre chez le croyant, en proportion de l’intensité de sa foi, un instinct surnaturel qui lui permet de juger spontanément, avant même tout raisonnement, ce qui est conforme ou non à la vérité de l’Evangile. C’est flair des brebis du Seigneur. « Les brebis suivent le Bon Pasteur, parce qu’elles connaissent sa voix. Elles ne suivront pas un étranger ; elles le fuiront au contraire, parce qu’elles ne connaissent pas la voix des étrangers » (Jn 10, 4-5).

Le chapitre 3, consacré au rôle du sensus fidei dans la vie de l’Eglise, se concentre sur deux thématiques. Premièrement, il insiste sur la valeur prospective du sensus fidei. Le flair évangélique du peuple de Dieu lui donne la capacité d’ouvrir de nouveaux chemins pour rendre témoignage à Jésus-Christ dans le concret de l’histoire . Les fidèles laïcs ont ici un rôle majeur à jouer pour inculturer l’Evangile dans les domaines où ils bénéficient d’une expérience privilégiée.

La seconde partie du chapitre 3 décrit la saine « périchorèse » ou interaction qui doit s’instaurer à l’intérieur du triangle : « sensus fidei – Magistère – théologie ». Non pas un simple équilibre sociologique mais une harmonie qui prend sa source dans le mystère même de l’Eglise comme communion. D’un côté, le Magistère se doit d’être à l’écoute de ce que l’Esprit suggère à l’Eglise à travers les manifestations du sensus fidelium. D’un autre côté, le sensus fidelium dépend du Magistère puisque, d’une part, il en reçoit la prédication authentique de la foi et que, d’autre part, il appartient au Magistère en vertu de son « charisme certain de vérité » (Dei Verbum, n° 8), de juger en dernière instance ce qui relève vraiment du sensus fidei et d’en authentifier les intuitions. Quant aux théologiens, ils ont tout à gagner à se mettre à l’école de la foi vécue des tout-petits à qui il a plu au Père de révéler ces mystères du Royaume qu’il a par ailleurs cachés aux sages et aux intelligents (cf. Mt 11, 25), mais il leur revient aussi d’aider le sensus fidelium à se purifier et à accéder à une expression universelle.

Le chapitre 4 constitue le point d’aboutissement du document puisque, prenant appui sur ce qui précède, il tente de répondre à la question : comment, dans le brouhaha des opinions, discerner la réalité du sensus fidei ? Il n’est pas rare en effet qu’on invoque le sensus fidelium pour justifier une résistance à certains enseignements du Magistère, mais on ne peut considérer comme une expression du sensus fidei n’importe quelle opinion, serait-elle arithmétiquement majoritaire, car « dans l’univers mental concret du croyant, les justes intuitions du sensus fidei peuvent se trouver mélangées à diverses opinions purement humaines » (n° 55).

Comment faire le tri ? Le critère est double. Il y a tout d’abord un critère objectif : la conformité à la Tradition apostolique. Une opinion ou une pratique qui ne pourrait d’aucune manière se présenter comme un développement homogène de la foi apostolique ne peut pas exprimer le sensus fidelium. Mais la CTI s’attache surtout aux critères subjectifs, c’est-à-dire aux dispositions requises de la part des croyants pour qu’ils soient vraiment « sujets » du sensus fidelium. Ces critères se résument en un mot : ecclésialité. Cette ecclésialité signifie une participation active à la vie de l’Eglise, étant entendu que celle-ci ne peut se réduire à l’aspect quantitatif sociologique mais est essentiellement d’ordre qualitatif théologal. C’est pourquoi le sensus fidei trouve sa plus haute expression dans la sagesse des saints, eux qui ont fait leur demeure dans le cœur même de l’Eglise.

Le document applique ces critères de discernement à deux réalités dont les enjeux pastoraux sont considérables. Tout d’abord, il fait valoir que la religiosité populaire, même si elle doit toujours être évangélisée et rendue plus « ecclésiale », constitue une expression privilégiée du sens de la foi. Il s’intéresse ensuite aux rapports complexes entre sens de la foi et opinion publique. Il écarte toute approche insuffisamment théologique du sensus fidei qui le concevrait en fonction de catégories séculières sans tenir compte de la spécificité de l’Eglise comme mystère de salut. L’opinion publique est sans doute essentielle au fonctionnement des sociétés démocratiques fondées sur la souveraineté populaire. Mais, quand bien même l’Eglise reconnaît les hautes valeurs de la démocratie, il est clair qu’aucun modèle politique séculier ne saurait déterminer sa structure ni sa vie interne. L’opinion publique, même si elle a sa place dans l’Eglise, ne peut donc y jouer le même rôle que dans les sociétés séculières. L’histoire atteste d’ailleurs que le sensus fidei authentique a souvent été porté par un « petit troupeau » fidèle aux exigences évangéliques. Quoi qu’il en soit, « consulter les fidèles », selon la formule classique du bienheureux Newman, est une démarche saine et traditionnelle qui contribue à la vitalité d’une Eglise en travail d’évangélisation.


Fr. Serge-Thomas Bonino, o.p.
Secrétaire général de la CTI

 

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