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CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI

Lettre Placuit Deo
aux Évêques de l’Église catholique
sur certains aspects du salut chrétien

 

I. Introduction

1. « Il a plu à Dieu dans sa bonté et sa sagesse de se révéler en personne et de faire connaître le mystère de sa volonté (cf. Ep 1, 9) grâce auquel les hommes, par le Christ, le Verbe fait chair, accèdent dans l’Esprit Saint auprès du Père et sont rendus participants de la nature divine (cf. Ep 2, 18 ; 2 P 1, 4). La profonde vérité [...] sur Dieu et sur le salut de l’homme, resplendit pour nous dans le Christ, qui est à la fois le Médiateur et la plénitude de toute la Révélation ».[1] L’enseignement sur le salut dans le Christ demande à être toujours à nouveau approfondi. En tenant le regard fixé sur le Seigneur Jésus, l’Église se tourne avec amour maternel vers tous les hommes, pour leur annoncer l’ensemble du dessein d’alliance du Père qui, par l’Esprit Saint, veut « ramener toutes choses au Christ, chef unique » (Ep 1, 10). Dans le sillon de la grande tradition de la foi et en se référant particulièrement à l’enseignement du Pape François, la présente Lettre entend mettre en évidence quelques aspects du salut chrétien, qui peuvent être aujourd’hui difficiles à comprendre à cause des récentes transformations culturelles.

II. L’incidence des transformations culturelles contemporaines sur le sens du salut chrétien

2. Le monde contemporain n’entend pas sans mal la confession de foi chrétienne, qui proclame Jésus comme l’unique Sauveur de tout l’homme et de l’humanité entière (cf. Ac 4, 12 ; Rm 3, 23-24 ; 1 Tm 2, 4-5 ; Tt 2, 11-15).[2] D’une part, l’individualisme centré sur le sujet autonome tend à voir l’homme comme un être dont la réalisation dépend de ses seules forces.[3] Dans cette vision, la figure du Christ correspond plus à celle d’un modèle qui inspire des actions généreuses, avec ses paroles et ses gestes, qu’à celle de Celui qui transforme la condition humaine, en nous incorporant à une nouvelle existence réconciliée par l’Esprit avec le Père et entre nous (cf. 2 Co 5, 19 ; Ep 2,18). D’autre part, on voit se diffuser la vision d’un salut purement intérieur, qui suscite peut-être une forte conviction personnelle ou le sentiment intense d’être uni à Dieu, mais sans que soient assumées, guéries et renouvelées nos relations avec les autres et avec le monde créé. Dans cette perspective, il devient difficile de saisir le sens de l’Incarnation du Verbe, qui L’a fait membre de la famille humaine, en assumant notre chair et notre histoire, pour nous les hommes et pour notre salut.

3. Dans son magistère ordinaire, le Pape François s’est souvent référé à deux tendances qui représentent les deux déviances mentionnées ci-dessus, lesquelles ressemblent par certains aspects à deux hérésies de l’Antiquité, le pélagianisme et le gnosticisme.[4] Notre époque est envahie par un néo-pélagianisme, qui donne à l’individu, radicalement autonome, la prétention de se sauver lui-même, sans reconnaître qu’au plus profond de son être, il dépend de Dieu et des autres. Le salut repose alors sur les forces personnelles de chacun ou sur des structures purement humaines, incapables d’accueillir la nouveauté de l’Esprit de Dieu.[5] De son côté, un certain néo-gnosticisme présente un salut purement intérieur, enfermé dans le subjectivisme.[6] Ce salut consiste à s’élever « par l’intelligence au-delà de la chair de Jésus jusqu’aux mystères de la divinité inconnue ».[7] On prétend libérer la personne du corps et du monde matériel, où ne se voient plus les traces de la main secourable du Créateur, mais seulement une réalité privée de sens, étrangère à l’identité ultime de la personne et manipulable au gré des intérêts de l’homme.[8] Il est clair, d’autre part, que la comparaison avec les hérésies pélagienne et gnostique ne peut évoquer que des traits communs généraux, sans entrer dans des jugements sur la nature exacte des erreurs antiques. En effet, il existe une grande différence entre le contexte sécularisé d’aujourd’hui et celui des premiers siècles chrétiens au cours desquels sont nées ces hérésies.[9] Toutefois, dans la mesure où le gnosticisme et le pélagianisme représentent des dangers permanents de déformation de la foi biblique, il est possible de leur trouver une certaine ressemblance avec les mouvements contemporains que l’on vient de décrire.

4. L’individualisme néo-pélagien et le mépris néo-gnostique du corps défigurent la confession de foi au Christ, Sauveur unique et universel. Comment le Christ pourrait-il être le médiateur de l’Alliance avec toute la famille humaine, si l’homme est un individu isolé qui s’auto-réalise par ses seules forces, tel que le présente le néo-pélagianisme ? Comment le salut pourrait-il nous parvenir par l’Incarnation de Jésus, sa vie, sa mort et sa résurrection dans son véritable corps, s’il ne s’agissait que de libérer l’intériorité de l’homme des limites du corps et de la matière, selon la vision néo-gnostique ? Face à ces tendances, la présente Lettre veut redire que le salut consiste dans notre union avec le Christ qui, par son Incarnation, sa vie, sa mort et sa résurrection, a fait naître un nouvel ordre de relations avec le Père et entre les hommes, et nous a introduits dans cet ordre grâce au don de son Esprit, afin que nous puissions nous unir au Père comme fils dans le Fils, et devenir un seul corps dans « le premier-né de nombreux frères » (Rm 8, 29).

III. L’aspiration humaine au salut

5. L’homme perçoit, directement ou indirectement, qu’il est une énigme : qui suis-je, moi qui existe sans avoir en moi le principe de mon être ? Toute personne recherche le bonheur à sa manière et tente de l’atteindre en ayant recours aux ressources dont elle dispose. Toutefois, cette aspiration universelle n’est pas nécessairement exprimée ou déclarée ; au contraire, elle est plus secrète et cachée qu’il n’y paraît, prête à se révéler face à des urgences particulières. Très souvent, elle coïncide avec l’espoir de la santé physique ; parfois, elle prend la forme du désir anxieux d’un plus grand bien-être économique ; de manière diffuse, elle s’exprime par le besoin d’une paix intérieure et d’une vie pacifique avec le prochain. D’autre part, tout en se présentant comme le désir d’un bien plus grand, la recherche du salut garde aussi un caractère de résistance et de dépassement de la douleur. À la lutte pour la conquête du bien se joint la lutte contre le mal, mal de l’ignorance et de l’erreur, mal de la fragilité et de la faiblesse, mal de la maladie et de la mort.

6. Par son refus de toute prétention à l’auto-réalisation, la foi au Christ nous l’apprend, ces aspirations ne peuvent trouver leur accomplissement plénier que si Dieu lui-même les rend possibles, en nous attirant à Lui. Le salut total de la personne ne consiste pas en ce que l’homme pourrait obtenir par lui-même, comme la richesse ou le bien-être matériel, la science ou la technique, le pouvoir ou l’influence sur les autres, la bonne réputation ou l’auto-satisfaction.[10] Rien de créé ne peut satisfaire entièrement l’homme, parce que Dieu nous a destinés à être en communion avec Lui, et notre cœur sera sans repos tant qu’il ne reposera pas en Lui.[11] « La vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine ».[12] Ainsi la révélation ne se limite-t-elle pas à annoncer le salut comme une réponse à l’attente contemporaine. «S’il fallait, à l’inverse, juger ou évaluer la rédemption d’après les besoins existentiels des hommes, comment pourrions-nous échapper au soupçon d’avoir simplement créé un Dieu-Rédempteur à l’image de nos propres besoins ? »[13]

7. En outre, il est nécessaire d’affirmer que, pour la foi biblique, l’origine du mal ne se trouve pas dans le monde matériel et corporel, vu comme une limite ou comme une prison auxquelles nous devrions échapper. Au contraire, la foi proclame que tout le cosmos, créé par Dieu (cf. Gn 1, 31 ; Sg 1, 13-14 ; 1 Tm 4, 4), est bon, et que le mal le plus nuisible à l’homme est celui qui procède de son cœur (cf. Mt 15, 18-19 ; Gn 3, 1-19). En péchant, l’homme a abandonné la source de l’amour, et il se perd dans des formes corrompues de l’amour, qui l’enferment toujours plus en lui. Cette séparation de Dieu –– de Celui qui est la source de communion et de vie –– porte à la perte de l’harmonie des hommes avec le monde et entre eux, en introduisant la domination de la désagrégation et de la mort (cf. Rm 5, 12). Par conséquent, le salut que la foi nous annonce ne concerne pas seulement notre intériorité, mais l’intégralité de notre être. C’est toute la personne, en effet, corps et âme, qui a été créée par l’amour de Dieu à son image et à sa ressemblance, et qui est appelée à vivre en communion avec Lui.

IV. Le Christ, Sauveur et Salut

8. À aucun moment du chemin de l’homme Dieu n’a cessé d’offrir son salut aux fils d’Adam (cf. Gn 3, 15), en établissant une alliance avec tous les hommes en Noé (cf. Gn 9, 9) et, plus tard, avec Abraham et sa descendance (cf. Gn 15, 18). Le salut donné par Dieu assume ainsi l’ordre du créé que partagent tous les hommes, et il parcourt leur chemin concret dans l’histoire. En se choisissant un peuple auquel il a offert les moyens nécessaires pour lutter contre le péché et s’approcher de Lui, Dieu a préparé la venue d’« une force qui nous sauve, dans la maison de David, son serviteur » (Lc 1, 69). À la plénitude des temps, le Père a envoyé au monde son Fils, qui a annoncé le Royaume de Dieu, en guérissant toute sorte de maladie (cf. Mt 4, 23). Les guérisons opérées par Jésus, manifestations de la Providence de Dieu, étaient des signes qui renvoyaient à sa personne, à Celui qui s’est pleinement révélé comme Seigneur de la vie et de la mort dans son événement pascal. Selon l’Évangile, le salut pour tous les peuples commence avec l’accueil de Jésus : « Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison » (Lc 19, 9). La bonne nouvelle du salut a un nom et un visage : Jésus Christ, Fils de Dieu Sauveur. « À l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et, par-là, son orientation décisive ».[14]

9. Au long de sa tradition séculaire, par le biais de multiples figures, la foi chrétienne a mis en lumière cette œuvre salvifique du Fils incarné. Elle l’a fait sans jamais séparer l’aspect de guérison que procure le salut, par où le Christ nous rachète du péché, de l’aspect d’élévation, par où Il nous rend fils de Dieu, participants de sa nature divine (cf. 2 P 1, 4). Si l’on considère la perspective salvifique en un sens descendant (à partir de Dieu qui vient racheter les hommes), Jésus illumine et révèle, rachète et libère, divinise l’homme et le justifie. Si l’on prend la perspective ascendante (à partir des hommes qui s’adressent à Dieu), Il est Celui qui, en Souverain Prêtre de la Nouvelle Alliance, offre au Père le culte parfait au nom des hommes : Il se sacrifie, expie les péchés et reste toujours vivant pour intercéder en notre faveur. Ainsi apparaît, dans la vie de Jésus, une admirable synergie de l’agir divin avec l’agir humain, qui montre que la perspective individualiste est sans fondement. D’une part, en effet, le sens descendant témoigne de la primauté absolue de l’action gratuite de Dieu ; avant toute action de notre part, il est essentiel de recevoir les dons de Dieu avec humilité, pour pouvoir répondre à son amour salvifique. D’autre part, le sens ascendant nous rappelle que, par le biais de l’agir pleinement humain de son Fils, le Père a voulu régénérer notre agir, afin qu’assimilés au Christ, nous puissions accomplir « les bonnes œuvres, que Dieu a préparées d'avance, afin que nous cheminions en elles » (Ep 2, 10).

10. En outre, il est clair que le salut apporté par Jésus en sa personne même n’advient pas de manière purement intérieure. En effet, pour pouvoir communiquer à toute personne la communion salvifique avec Dieu, le Fils s’est fait chair (cf. Jn 1, 14). C’est précisément en assumant la chair (cf. Rm 8, 3 ; He 2, 14 ; 1 Jn 4, 2) et en naissant d’une femme (cf. Ga 4, 4) que « le Fils de Dieu s’est fait fils de l’homme »[15] et notre frère (cf. He 2, 14). Ainsi, en tant qu’Il est venu faire partie de la famille humaine, « Il s’est uni en quelque sorte à tout homme »[16] et Il a établi, avec Dieu, son Père, et avec tous les hommes, un nouvel ordre de rapports, dans lequel nous pouvons être incorporés pour participer à sa vie même. Par conséquent, l’assomption de la chair, loin de limiter l’action salvifique du Christ, lui permet d’être concrètement médiateur du salut de Dieu pour tous les fils d’Adam.

11. En conclusion, pour répondre tant au réductionnisme individualiste de tendance pélagienne qu’au néo-gnosticisme qui promet une libération purement intérieure, il faut reconnaître la manière dont Jésus est Sauveur. Il ne s’est pas borné à nous montrer le chemin de la rencontre de Dieu, un chemin que nous pourrions parcourir ensuite par nous-mêmes, en obéissant à ses paroles et en imitant son exemple. Pour nous ouvrir la porte de la libération, le Christ a préféré devenir Lui-même le chemin : « Je suis le chemin » (Jn 14, 6).[17] En outre, ce chemin n’est pas un parcours purement intérieur, en marge de nos rapports avec les autres et avec le monde créé. Au contraire, Jésus nous a donné un « chemin nouveau et vivant qu’Il a inauguré pour nous à travers [...] sa chair » (He 10, 20). En somme, le Christ est Sauveur dans la mesure où Il a assumé l’intégralité de notre humanité et a vécu une vie humaine en pleine communion avec le Père et avec ses frères. Le salut consiste à nous incorporer à cette vie qui est la sienne, en recevant Son Esprit (cf. 1 Jn 4, 13). Il est devenu ainsi, « d’une certaine manière, le principe de toute grâce selon l’humanité ».[18] Il est en même temps le Sauveur et le Salut.

V. Le salut dans l’Église, corps du Christ

12. Le lieu où nous recevons le salut apporté par Jésus est l’Église, communauté de ceux qui, incorporés au nouvel ordre de relations inauguré par le Christ, peuvent recevoir la plénitude de son Esprit (cf. Rm 8, 9). Comprendre cette médiation salvifique de l’Église aide puissamment à dépasser toute tendance réductionniste. En effet, le salut que Dieu nous offre ne s’obtient pas par les seules forces de l’individu, comme le voudrait le néo-pélagianisme, mais à travers les rapports qui naissent du Fils de Dieu incarné et qui forment la communion de l’Église. En outre, puisque la grâce que nous donne le Christ n’est pas, comme le prétend la vision néo-gnostique, un salut purement intérieur, mais qu’elle nous introduit dans les relations concrètes qu’Il a lui-même vécues, l’Église est une communauté visible : en elle, nous touchons la chair de Jésus, surtout dans les frères qui subissent le plus la pauvreté et la souffrance. En somme, la médiation salvifique de l’Église, « sacrement universel du salut »,[19] nous assure que le salut ne consiste ni dans l’auto-réalisation de l’individu isolé, ni non plus dans sa fusion intérieure avec le divin, mais dans l’incorporation à une communion de personnes, qui participe à la communion de la Trinité.

13. La vision individualiste et la vision purement intérieure du salut contredisent toutes deux l’économie sacramentelle par l’intermédiaire de laquelle Dieu a voulu sauver la personne humaine. Dans l’Église, la participation au nouvel ordre de rapports inaugurés par Jésus advient par les sacrements, dont le baptême est la porte,[20] et l’Eucharistie la source et le sommet.[21] On voit ainsi, d’une part, l’inconsistance des prétentions à l’auto-salut qui comptent sur les seules forces humaines. La foi confesse, au contraire, que nous sommes sauvés par le baptême, qui nous imprime le caractère indélébile de l’appartenance au Christ et à l’Église, d’où dérive la transformation de notre mode concret de vivre les rapports avec Dieu, avec les hommes et avec le créé (cf. Mt 28, 19). Ainsi, purifiés du péché originel et de tout péché, nous sommes appelés à une nouvelle existence conforme au Christ (cf. Rm 6, 4). Avec la grâce des sept sacrements, les croyants grandissent et se régénèrent continuellement, surtout quand le chemin se fait plus ardu et les chutes plus nombreuses. Quand, en péchant, ils cessent d’aimer le Christ, ils peuvent être réintroduits, par le sacrement de la Pénitence, dans l’ordre de rapports inaugurés par Jésus, pour cheminer comme Il l’a fait Lui-même (cf. 1 Jn 2, 6). Ainsi, nous tournons notre regard avec espérance vers le jugement dernier, où toute personne sera jugée sur la réalité de son amour (cf. Rm 13, 8-10), surtout à l’égard des plus faibles (cf. Mt 25, 31-46).

14. L’économie salvifique sacramentelle s’oppose aussi aux tendances qui proposent un salut purement intérieur. Le gnosticisme, en effet, s’associe à un regard négatif sur l’ordre du créé, qu’il comprend comme une limitation de la liberté absolue de l’esprit humain. Par conséquent, le salut est vu comme une libération du corps et des relations concrètes dans lesquelles vit la personne. Au contraire, dans la mesure où nous sommes sauvés « par le moyen de l’offrande du corps de Jésus Christ » (He 10, 10 ; cf. Col 1, 22), le véritable salut, loin d’être une libération du corps, inclut aussi sa sanctification (cf. Rm 12, 1). Le corps humain a été modelé par Dieu, qui a inscrit en lui un langage qui invite la personne humaine à reconnaître les dons du Créateur et à vivre en communion avec ses frères.[22] Par son Incarnation et son mystère pascal, le Sauveur a rétabli et renouvelé ce langage originaire, et Il nous l’a communiqué dans l’économie corporelle des sacrements. Grâce aux sacrements, les chrétiens peuvent vivre en fidélité à la chair du Christ et, par conséquent, en fidélité à l’ordre concret de rapports qu’Il nous a donné. Cet ordre de rapports requiert, de manière particulière, le soin de l’humanité souffrante de tous les hommes, par l’intermédiaire des œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles.[23]

VI. Conclusion : communiquer la foi, en attente du Sauveur

15. La conscience de la vie en plénitude à laquelle nous introduit Jésus Sauveur pousse les chrétiens à la mission, pour annoncer à tous les hommes la joie et la lumière de l’Évangile.[24] Dans ce but, « tous les hommes de bonne volonté, dans le cœur desquels la grâce agit de manière invisible »[25], seront prêts à établir un dialogue sincère et constructif avec les croyants d’autres religions, confiants que Dieu peut conduire au salut dans le Christ. Tout en se donnant de toutes ses forces à l’évangélisation, l’Église continue à invoquer la venue définitive du Sauveur, puisque « nous avons été sauvés en espérance » (Rm 8, 24). Le salut de l’homme ne sera accompli qu’à partir du moment où, après avoir vaincu le dernier ennemi, la mort (cf. 1 Co 15, 26), nous participerons complètement à la gloire de Jésus ressuscité, qui portera à sa plénitude notre relation avec Dieu, avec nos frères et avec tout le créé. Le salut intégral, de l’âme et du corps, est le destin final auquel Dieu appelle tous les hommes. Fondés dans la foi, soutenus par l’espérance, opérant par la charité, à l’exemple de Marie, Mère du Sauveur et première des sauvés, nous sommes certains que « nous avons notre citoyenneté dans les cieux, d’où nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus Christ, lui qui transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux, avec la puissance active qui le rend même capable de tout mettre sous son pouvoir » (Ph 3, 20-21).

Le 16 février 2018, le Souverain Pontife François a approuvé cette Lettre, décidée au cours de la Session Plénière de cette Congrégation le 24 janvier 2018, et il en a ordonné la publication.

Donné à Rome, au siège de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le 22 février 2018, en la Fête de la Chaire de saint Pierre.

+ Luis F. Ladaria, S.I.
Archevêque titulaire de Thibica
Préfet

+Giacomo Morandi
Archevêque titulaire de Cerveteri
Secrétaire


[1] Conc. Œcum. Vat. II, Const. dogm. Dei Verbum, n. 2.

[2] Cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Décl. Dominus Iesus (6 août 2000), nn. 5-8: AAS 92 (2000), 745-749.

[3] Cf. François, Exhort. apost. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 67: AAS 105 (2013), 1048.

[4] Cf. Id., Lett. enc. Lumen fidei (29 juin 2013), n. 47: AAS 105 (2013), 586-587; Exhort. apost. Evangelii gaudium, nn. 93-94: AAS (2013), 1059; Discours aux participants au Ve Congrès national de l’Église en Italie, Florence (10 novembre 2015): AAS 107 (2015), 1287.

[5] Cf. Id., Discours aux participants au Ve Congrès national de l’Église en Italie, Florence (10 novembre 2015): AAS 107 (2015), 1288.

[6] Cf. Id., Exhort. apost. Evangelii gaudium, n. 94: AAS 105 (2013), 1059: « … l’attrait du gnosticisme, une foi renfermée dans le subjectivisme, où seule compte une expérience déterminée ou une série de raisonnements et de connaissances que l’on considère comme pouvant réconforter et éclairer, mais où le sujet reste en définitive fermé dans l’immanence de sa propre raison ou de ses sentiments »; Conseil Pontifical de la Culture –– Conseil Pontifical pour le dialogue interreligieux, Jésus-Christ le porteur d’eau vive. Une réflexion chrétienne sur le “Nouvel Âge” (janvier 2003), Cité du Vatican 2003.

[7] François, Lett. enc. Lumen fidei, n. 47: AAS 105 (2013), 586-587.

[8] Cf. Id., Discours aux participants au pèlerinage du diocèse de Brescia (22 juin 2013): AAS 95 (2013), 627: « dans ce monde où l’on nie l’homme, où l’on préfère marcher sur la route du gnosticisme, [...] ou du “pas de chair” - un Dieu qui ne s’est pas fait chair [...] ».

[9] Selon l’hérésie pélagienne, qui s’est développée au cours du Ve siècle dans le cercle de Pélage, l’homme, pour accomplir les commandements de Dieu et être sauvé, a besoin de la grâce comme d’une simple aide extérieure à sa liberté (une sorte de lumière, d’exemple, de force), mais non comme d’une guérison et régénération radicale de la liberté, sans mérite préalable, afin de pouvoir faire le bien et obtenir la vie éternelle.

Plus complexe est le mouvement gnostique, né aux Ier et IIe siècles, et qui connaît des formes très diverses. En règle générale, les gnostiques croyaient que le salut s’obtient par une connaissance ésotérique ou “gnose”. Cette gnose révèle au gnostique sa véritable essence, autrement dit l’étincelle de l’Esprit divin qui habite dans son intériorité, laquelle doit être libérée du corps, étranger à sa véritable humanité. C’est seulement ainsi que le gnostique revient à son être originaire en Dieu, dont une chute originelle l’avait éloigné.

[10] Cf. Thomas, Summa theologiae, I-II, q. 2.

[11] Cf. Augustin, Confessions, I, 1: Corpus Christianorum, 27,1.

[12] Conc. Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, n. 22.

[13] Commission Théologique Internationale, Le Dieu rédempteur : questions choisies, 1995, n. 2.

[14] Benoît XVI, Lett. enc. Deus caritas est (25 décembre 2005), n. 1: AAS 98 (2006), 217; cf. François, Exhort. apost. Evangelii gaudium, n. 3: AAS 105 (2013), 1020.

[15] Irénée, Adversus haereses, III, 19,1: Sources Chrétiennes, 211, 374.

[16] Conc. Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, n. 22.

[17] Cf. Augustin, Tractatus in Ioannem, 13, 4: Corpus Christianorum, 36, 132: « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie (Jn 14, 6). Si tu cherches la vérité, suis le chemin, car le chemin est la vérité même. Le but auquel tu tends et le chemin que tu dois parcourir sont identiques. Tu ne peux parvenir au but si tu suis un autre chemin ; par un autre chemin, tu ne peux parvenir au Christ : au Christ tu ne peux parvenir que par le moyen du Christ. En quel sens arrives-tu au Christ par le moyen du Christ ? Tu arrives au Christ Dieu par le moyen du Christ homme ; par le moyen du Verbe fait chair, tu arrives au Verbe qui était au commencement, Dieu auprès de Dieu ».

[18] Thomas, Quaestio de veritate, q. 29, a. 5, co.

[19] Conc. Œcum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. 48.

[20] Cf. Thomas, Summa theologiae, III, q. 63, a. 6.

[21] Cf. Conc. Œcum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. 11; Const. Sacrosanctum Concilium, n. 10.

[22] Cf. François, Lett. enc. Laudato si’ (24 mai 2015), n. 155: AAS 107 (2015), 909-910.

[23] Cf. Id., Lett. apost. Misericordia et misera (20 novembre 2016), n. 20; AAS 108 (2016), 1325-1326.

[24] Cf. Jean Paul II, Lett. enc. Redemptoris missio (7 décembre 1990), n. 40: AAS 83 (1991), 287-288; François, Exhort. apost. Evangelii gaudium, nn. 9-13: AAS 105 (2013), 1022-1025.

[25] Conc. Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, n. 22.