La Santa Sede Menu Ricerca
La Curia Romana  
 

 

 
 
 

Mgr Giampietro Dal Toso
Secrétaire du Conseil Pontifical Cor Unum

COLLOQUE suR LATHÉOLOGIE DE LA CHARITÉ
eT/oU LA doCtrinE sociale de L'
ÉGLISE
  essai de synth
Èse

(Cité du Vatican, 4 mars 2013)


Le rapport qui existe entre la théologie de la charité et la doctrine sociale de l’Eglise est loin d’être insignifiant puisqu’il met en jeu l’inspiration ultime de l’activité caritative de l’Eglise et, plus profondément encore, il représente un interrogatif qu’il faut insérer dans l’optique plus large des rapports entre l’Eglise et le monde. Dans ce sens, la rencontre voulue par ce Dicastère est une étape en vue d’une réflexion ultérieure et pour laquelle nous nous sommes donnés rendez-vous l’an prochain.

Tout parcours théologique trouve son point fondamental dans le Christ, qui le premier, a décrit sa mission sous la forme de la diakonia : « Le Fils de l’homme en effet, n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mc 10, 45). Le service dans le don plénier de soi, par amour, caractérise l’existence du Christ. En lui se révèle, dans toute sa lumière, la vie trinitaire, la plénitude de la charité. A son tour, l’encyclique Deus caritas est a largement démontré la source trinitaire de la charité chrétienne, qui par ailleurs avait été soulignée par les Pères de l’Eglise : « Tu vois la Trinité quand tu vois la charité», écrivait saint Augustin (cf DCE 19).

Dans le domaine de la charité nous faisons référence d’abord à la personne plutôt qu’à des structures. Et plus précisément à une personne chrétienne, qui, par le baptême, a été appelée à se conformer au Christ serviteur. La mission du service s’adresse à tout chrétien. Le commandement central du christianisme consiste bien en l’amour pour Dieu et pour le prochain (cf Mc 12,30-31). Ceci est aussi, substantiellement, la voie de la sainteté ; le baptisé, conformé au Christ serviteur, se met concrètement au service de l’autre, quel qu’il soit, en donnant sa propre vie. Naturellement ceci s’étend analogiquement à tout homme auquel Dieu s’adresse.

Par ailleurs, envisagé sous l’angle non plus de la personne mais sous celui du sens des structures, il est nécessaire que tout système humain ait sa mesure dans l’homme et se laisse mesurer par l’homme. Nous trouvons déjà dans Gaudium et Spes les mots qui clament la centralité de l’homme, homme dans lequel la création aussi trouve son sommet : «En effet, la personne humaine qui, de par sa nature même, a absolument besoin d’une vie sociale est et doit être le principe, le sujet et la fin de toutes les institutions » (GS 25,et aussi cf GS 12).

Grâce à cette prémisse concernant le centralité de la personne, en tant que sujet et objet d’un « vivre » ecclésial et social, nous pouvons essayer de trouver une réponse à notre demande de départ concernant la relation entre les deux disciplines, en nous concentrant sur la nature de l’Eglise et le rapport qu’elle entretient avec le monde.

L’Eglise, en effet est constituée, du moins dans son noyau, par tous ceux qui ont commencé à parcourir, grâce au baptême, la voie de la conformité au Christ. D’autre part, la mission de l’Eglise, à la suite de son Seigneur, consiste à proposer le salut de Dieu à tous les hommes. C’est sous cette lumière, qu’il faut comprendre l’activité de l’Eglise. Ceci, évidemment, vaut aussi pour les trois dimensions fondamentales qui sont : l’annonce de la Parole, la célébration des sacrements et le service de la charité. La vie de l’Eglise à travers l’ensemble de ses expressions, répond à une seule mission ; le salut de l’homme qui est en même temps la glorification de Dieu ; on manifeste à l’homme que Dieu l’aime et, en accueillant ce message, l’homme se sauve. Cette unique mission ecclésiale se spécifie par la suite selon ses diverses actuations.

Une de celles-ci est justement la diaconie ecclésiale. Ce modèle apparaît déjà dans la vie de la première communauté chrétienne, comme nous le rapporte l’Ecriture, autant dans sa constitution fondamentale (Ac 2), que dans l’institution des sept diacres (Ac 6), où le service de la charité est lié sacramentalement au don de l’Esprit Saint. Il est intéressant de constater aussi comment les premières formes de charité institutionnalisée ont gardé ce lien vivant: les premiers hôpitaux ont été constitués sous le patronyme de l’Esprit Saint. Celui de Rome, situé à Borgo Santo Spirito fait partie des ces nombreux exemples. Ce lien intime de la charité avec les autres dimensions ecclésiales nous amène à constater que l’Eglise n’est pas pleinement présente s’il manque le service de la charité. L’Eglise se donne pleinement dans la contemporanéité de la parole, du sacrement, et de la charité et elle ne peut en aucun être tronquée d’une de ces dimensions. Cet aspect profondément ecclésial de la charité a été souligné fortement par Benoît XVI (cf DCE 25).

Notre question de départ commence à trouver un début de réponse : la diakonia de l’Eglise constitue le lieu propre de la théologie de la charité. La théologie réfléchit fondamentalement sur le mystère du salut à la lumière du Dieu de Jésus Christ. Mais ce mystère se donne dans l’évènement Christ. Et un tel évènement se réalise aujourd’hui dans l’Eglise : il est annoncé par le kerygme, scellé dans le sacrament et rendu présent par la diakonia. La théologie de la charité reflète les implications théologiques de la représentation du Christ dans le service de la charité, c’est-à-dire dans cet espace caractérisé concomitamment par l’annonce et le sacrement. C’est ici que se greffe donc, la réflexion sur le lien entre la charité et le ministère épiscopal, entre charité et structures paroissiales, entre charité et pastorale, entre charité et évangélisation, entre charité et spiritualité. D’ici surgit également l’interrogation adressée à nos institutions de charité de savoir si et comment l’Eglise se réalise en elles. Et d’autre part, c’est ici que se pose la question pour toute communauté ecclésiale de savoir si elle considère et vit le service de la charité comme étant une partie constitutive d’elle-même.

Au niveau de la personne, la théologie de la charité se penche sur la qualité du service déployé en faveur de l’homme qui s’adresse à nous, mais aussi sur la motivation et la spiritualité, qui doivent être constamment renouvelées, de nos collaborateurs et du personnel de direction. Nous trouvons ici l’interrogation, toujours plus forte de la part de nos collaborateurs oeuvrant dans le monde de la charité, sur le fait d’être dans leur service, des témoins du Christ et de l’Eglise. Relativement à ce sujet, une réflexion et proposition d’une anthropologie chrétienne fondée, trouve toute sa place ; c’est-à-dire cette vision de la personne qui motive, dès ses fondements, notre agir, en considérant qu’il ne s’agit pas uniquement d’une question théorique d’anthropologie. Car l’homme se doit à l’autre, à son amour, et spécialement à l’amour de Dieu son Créateur, aussi au niveau existentiel.

Si donc, d’un côté l’Eglise est en relation avec la personne, puisqu’elle la sert, d’un autre côté elle se trouve dans un rapport de réciprocité avec le monde, dans le cas particulier avec la société dans laquelle nous vivons et qui ne s’identifie pas avec la politique ou des structures politiques. Comment cette réciprocité, qui est aussi une coopération en vue du bien commun, se développe-t-elle? La réponse se situe à des niveaux différents. Etant donné la thématique de ce séminaire, le premier niveau concerne la dimension proprement sociale.

L’Eglise, en effet, élabore, à partir du patrimoine de la foi et de son dialogue avec les sciences, des principes et des réflexions fondamentales concernant les aspects importants de la vie sociale (travail, économie, macro-relations, développement, écologie). C’est dans ce domaine de la réciprocité que se situe le rôle de la doctrine sociale de l’Eglise, contrairement à celui de la théologie de la charité, qui se réfère plus spécifiquement au domaine ecclésial. On doit faire référence à une clé d’interprétation, celle de l’analogie: l’Eglise ( qui est un espace défini sacramentellement ) et la société ne sont pas identiques: il y a entre eux une continuité mais aussi une discontinuité. Les concepts tels que justice ou charité, employés dans l’Eglise ne peuvent être appliqués que conditionnellement, c’est-à-dire analogiquement, à la société et vice-versa, par exemple le concept de solidarité.

A côté de cette dimension théorique, l’Eglise en outre, propose au monde des exemples concrets de vie réussie, des bonnes institutions, de service authentique. A ce niveau pratique, elle devra toujours se soucier que ses institutions de charité répondent à ces critères de professionnalisme et de bonne gestion qui la rendent exemplaire dans le milieu public. La concurrence, qui sévit aussi dans le secteur des services, rend ce défi toujours plus actuel.

Plus généralement, l’Eglise offre aussi une culture à la société. Toute culture dans sa constitution est également déterminée par le sacré. Ainsi le culte a une incidence sur la culture et contribue à lui donner une forme. Il semble important souligner cet apport culturel justement en ces temps de crise, crise qui au premier abord semble être financière, mais se révèle plus profondément être de nature culturelle. Grâce à cette contribution, le monde peut se régénérer.

Un autre domaine concernant cette relation est celui de l’évangélisation, d’une présentation de l’évangile en paroles et gestes (verbis et gestis) selon la structure incarnationelle du dialogue entre Dieu et l’homme (et ici également il s’agit de ne pas sous-estimer le rôle de la charité). Jésus a décrit ce rapport en utilisant le concept du levain. L’Eglise, dans le monde, est présente comme le levain (cf Mt 13,33) ou bien, selon les paroles de Diognète, les chrétiens sont dans le monde comme l’âme dans le corps.

Dans ce rapport de réciprocité, l’Eglise reçoit aussi du monde. Les chrétiens sont des hommes dans le monde, enfants de leur époque, et marqués par l’esprit ambiant. En outre ils accueillent les diverses requêtes du monde auxquelles ils ne peuvent rester sourds : la demande d’une plus grande justice, d’une plus grande fraternité, de la défense de la vie. En ce sens nous sommes dans le monde sans être du monde et nous avons ainsi une responsabilité propre vis-à-vis du monde. On peut également articuler la composante théologique de la doctrine sociale autour de cette tension :« dans le monde mais non du monde ».

Il résulte de tous ces éléments que la mission de l’Eglise dans le monde n’est pas seulement une mission sociale. C’est pourquoi d’autres disciplines théologiques, doivent également s’engager aux côtés de la doctrine sociale de l’Eglise. Ceci à son tour implique une référence intrinsèque mutuelle qui nous conduit à considérer l’interdisciplinarité comme une nécessité toujours plus forte pour la réflexion théologique.

Notre traduction de
L'OSSERVATORE ROMANO, dimanche 7 avril 2013, p. 7.


 

top