STUDIA
LE PATRIMOINE CULTUREL CHRÉTIEN EUROPÉEN Rencontre avec les artistes, Saint-Paul-de-Vence, le 20 février 1999. Paul Card. POUPARD I  Tout dÂabord, je voudrais vous dire ma joie de participer à cette rencontre culturelle à Saint-Paul-de-Vence, au seuil du nouveau millénaire, et dÂévoquer avec vous le patrimoine culturel chrétien européen, comme source dÂinspiration pour lÂimaginaire, car lÂEurope et le christianisme ont partie liée depuis deux millénaires. Pour le dire avec Goethe : lÂEurope sÂest faite en pèlerinant, et le christianisme est sa langue maternelle. LÂÉvangile a modelé lÂhomme européen de son empreinte indélébile, source dÂunité et de diversité dans le génie de ses cultures. Vingt siècles de civilisation chrétienne nous ont légué un patrimoine dÂune richesse exceptionnelle en toutes ses dimensions personnelle et familiale, économique et juridique, politique et culturelle, philosophique et théologique, littéraire et artistique. Et nous avons tout dÂabord à nous réapproprier ce patrimoine en notre temps de mutation et de rupture culturelle. La carence dans la transmission de la culture, dans lÂéducation de lÂintelligence et de la sensibilité, compromet lÂaccès à la connaissance et à la significations du patrimoine. Pour combien de Parisiens la Trinité nÂest-elle quÂune station de métro, et Saint-Lazare une gare et un quartier : Santo Spirito à Rome, une banque et un hôpital ! Vous me pardonnerez ces exemples : jeune prêtre, jÂai pendant un an exercé le ministère pastoral à la paroisse de la Trinité, et je vis depuis bien des années à Rome. Le mystère de la Sainte Trinité a inspiré à Olivier Messiaen, titulaire de lÂorgue de la paroisse, ses belles méditations mystiques, et le Santo Spirito continue, Dieu soit loué, dÂinspirer le Santo Padre et la Santa Chiesa. Le premier devoir est donc de mémoire et dÂéducation. Il nÂest pas de culture sans éducation, et un peuple sans mémoire est un peuple sans espoir. La mémoire est lÂespérance du futur. LÂÉvangile nÂa pas exercé une influence occasionnelle ou superficielle sur lÂEurope. Il en a modelé le visage et façonné les cultures. Il lui a donné ce dynamisme profond, cette tension vers un plus, cette volonté de dépasser lÂhorizon immédiat, cette ouverture vers lÂInfini qui confère à la culture européenne puisée à la source évangélique la capacité dÂassimiler tant de courants hétérogènes pour enrichir son propre patrimoine. LÂEurope chrétienne existe. Nous en sommes tous, avec le Christ, les citoyens. Nous sommes des héritiers. Après ces éruptions barbares que furent le nazisme et le marxisme-léniniste athées, la tentation aujourdÂhui de la culture dominante est dÂisoler la foi de la société, de la renvoyer dans la sphère du privé au nom des impératifs de la modernité. Mais la politique et lÂéconomie livrées à elles-mêmes le montrent à lÂévidence : leurs meilleures réalisations ne sauraient combler les attentes de lÂhomme européen qui, malgré lÂobscurcissement de ces décennies dÂamnésie spirituelle et dÂaphasie culturelle, garde son imaginaire nostalgique de ses origines et tendu vers son accomplissement, de la Genèse à lÂApocalypse. Lorsque je célèbre la sainte eucharistie dans la basilique millénaire de Sainte Praxède dont je suis le Cardinal titulaire à Rome, à deux pas de Sainte-Marie Majeure, un sentiment dÂallégresse mÂenvahit devant ces mosaïques rutilantes du IXème siècle dont il est difficile de décrire la surprenante beauté. La réponse sÂinscrit dÂune ruisselante splendeur, aux trois questions du peintre Gauguin reprises du philosophe Emmanuel Kant : qui sommes-nous, dÂoù venons-nous, où allons-nous ? Notre culture sÂanémie dans son hypertrophie des moyens qui masque mal une atrophie des fins, et elle sÂaffaisse comme une omelette dont on a coupé les deux bouts. LÂhomme ne peut longtemps respirer quand son atmosphère se réduit à lÂintramondain, coupé de sa divine origine et privé de sa destinée éternelle. Dans cette basilique de lÂEsquilin, lÂhomme revit en plénitude, de la Genèse dont il surgit dans la grâce de la jeunesse de Dieu, créé à son image et ressemblance, à lÂApocalypse où il revit avec les vingt quatre vieillards devant le trône de lÂAgneau, partageant la plénitude de la joie éternelle à la suite du Christ, de la Vierge Marie, des anges et des saints, les cerfs qui se désaltèrent à la source de lÂeau vive, et les palmiers dÂun vert verdoyant, comme dans les mosaïques de la voûte absidiale de Jacopo Torriti à Sainte-Marie Majeure et de Pietro Cavallini à Sainte-Marie au Trastévère, où est adossé le Palazzo San Calisto où jÂhabite. La mémoire est une source pour lÂimaginaire. Le poète Victor Hugo déjà évoquait la Bible comme réservoir inépuisable dÂimages. Le patrimoine culturel chrétien européen sÂoffre à nous comme un prodigieux antidote contre le scepticisme et le relativisme réducteurs de la culture médiatique dominante. Quoi de plus fripé que le journal de ce matin. Quoi de plus neuf que lÂéternelle nouveauté du Christ. Saint Irénée de Lyon, le premier évêque français théologien, lÂaffirmait en son latin lapidaire : « Omnem novitatem attulit, semetipsum afferens. Le Christ, en se donnant lui-même, nous a apporté toute nouveauté ". Peut-être le philosophe espagnol contemporain Ortega y Gasset, sÂen souvenait-il en proférant son jeu de mots célèbre à qui sÂenquérait des raisons de son retour de lÂAmérique : « Europa es el único continente que tiene un contenido. LÂEurope est le seul continent/contenant  la langue castillane ne distingue pas les deux mots  qui ait un contenu. " En dÂautres termes : le contenu de lÂEurope est dÂêtre un contenant, cÂest-à-dire dÂêtre ouverte sur lÂuniversel, à lÂimage de lÂhomme, qui se souvient dÂêtre créé à lÂimage et à la ressemblance de Dieu. Disciple dÂOrtega y Gasset, mon ami le philosophe madrilène Julián Marías, a bien mis en relief le ressort puissant quÂapporte la foi chrétienne à lÂimaginaire humain. Alors que pour Heidegger, lÂinspirateur de Jean-Paul Sartre, lÂhomme est un-être-pour-la-mort, le chrétien dès ce monde anticipe lÂautre monde et dès cette vie se projette vers la vie éternelle. Bien plus, cet horizon de la vie humaine quÂest la mort constitue pour le chrétien un dénouement dramatique. Loin des salons funéraires américains aseptisés, aromatisés et musicalisés, le chrétien se trouve placé devant une alternative dramatique. Libre et responsable, il est maître de son destin, puisquÂil choisit en ce monde ce quÂil espère être pour toujours dans la gloire de la résurrection. Nous sommes aux antipodes de la passion dÂégalitarisme grégaire qui a déferlé sur toute lÂEurope. Si elle peut apparaître comme un noble sentiment de fraternité, elle cache souvent un inavouable parti-pris de confondre les personnes avec les choses, les hommes avec les organismes et les organismes avec la matière inorganisée. Ce que Julian Marias stigmatise comme une étrange rancune contre lÂexcellence.
II Â Le patrimoine culturel chrétien européen restitue à notre imaginaire lÂimage personnelle de lÂhomme. Contre la vague réductionniste qui envahit la pensée, réduit lÂhomme à nÂêtre quÂun pur produit du hasard et de la nécessité, sans liberté et par conséquent sans responsabilité, qui loin de choisir sa vie de manière responsable, serait soumis aux mécanismes de la biologie, de la psychologie, de lÂéconomie, Jean-Paul II ne cesse de le répéter : chaque personne est irrépétible et irréductible à toute espèce de chose. Chaque homme, chaque femme, est un être unique et irremplaçable, qui a valeur par lui-même, est libre de choisir, de répondre à sa vocation, et existe pour Dieu qui lÂa créé, sauvé, sanctifié. Loin des platitudes qui envahissent les kiosques sous leurs couvertures rebondies plastifiées, bien loin des énoncés sentencieux des structuralistes qui réduisent lÂêtre humain à ses réflexes psycho-physiologiques et la société à ses structures économiques et sociales sans horizon ni possibilité dÂinnovation, voué à la destruction organique, « misérable petit tas de secrets " dÂAndré Malraux, « passion inutile " de Jean-Paul Sartre, « être floué " de Simone de Beauvoir, « Sisyphe désabusé " dÂAlbert Camus, « homme neuronal " de Changeux, le patrimoine culturel chrétien européen enraciné dans la Bible a nourri lÂoeuvre de Bergson et de Husserl, de Blondel et dÂUnamuno, de Max Scheler et dÂOrtega y Gasset, de Jaspers et de Gabriel Marcel. JÂétais jeune Recteur de lÂInstitut Catholique de Paris, il mÂen souvient, et le philosophe dÂEtre et Avoir et des Prolégomènes pour une philosophie de lÂespérance mÂavait convié à une soirée chez lui, boulevard Saint-Michel. A plus dÂun quart de siècle de distance, je lÂentends me dire dÂune voix qui émergeait avec peine de sa respiration difficile : « Sans le mystère, la vie serait irrespirable ". Et le poète Pierre Emmanuel me confiait : « LÂathéisme est lÂhiver du monde, la foi en est le printemps ". Je ne lÂai jamais oublié dans le dialogue que Jean-Paul II mÂa confié avec les non-croyants. AujourdÂhui, nous avons certes toujours besoin dÂapprendre à mourir, comme François-Xavier et Isaac Jogues, mais aussi comme Casimir et Stanislas, Jeanne dÂArc et Edith Stein, Thomas More et Maximilien Kolbe, et plus encore, peut-être, besoin dÂapprendre à vivre, comme François dÂAssise et Thérèse dÂAvila, Thérèse de Lisieux et Albert le Grand, Nicolas de Cuse et Thomas dÂAquin, Vincent de Paul et Anselme de Cantorbéry, Bonaventure et Catherine de Sienne, Alphonse de Liguori et Patrick dÂIrlande. Les uns et les autres furent Européens, bien plus, universels, parce quÂils étaient à la fois enracinés dans leur culture nationale et dans leur foi catholique, source dÂune culture inspirée de lÂÉvangile et enracinée dans le terroir : le chant grégorien et les compositions musicales de Pierluigi de Palestrina, les pèlerinages et les cathédrales romanes, gothiques et baroques, les sculptures de Michel-Ange et les peintures de Giotto et de Fra Angelico, les vitraux et les reliquaires, les sommes théologiques et les prédications populaires, le théâtre de Corneille et de Racine, la poésie de Dante et la prose de Manzoni, les crèches de lÂImitation de Jésus-Christ. Venu des rivages ensoleillés du bassin méditerranéen, le message chrétien, dès le début du Moyen Age, perce les brumes du Nord et en Angleterre, en Ecosse et en Irlande, sÂenracine si profondément quÂune nouvelle sève emplit lÂarbre planté dans lÂhumus gréco-romain, et que ce monde celtique, dÂun véritable feu missionnaire de Pentecôte, embrasa la France et lÂAllemagne, lÂEurope continentale et jusquÂà lÂItalie du Nord. Ces pionniers de lÂÉvangile et de la culture européenne ouvrent des voies nouvelles, et leurs disciples assurent, par des institutions durables, leur affermissement, comme saint Grégoire le Grand, père du renouveau liturgique et musical et de la mission européenne. Au génie dÂentreprendre se joint la patience de persévérer, et à lÂéclat du créateur la ténacité du laboureur. LÂhumanisme de lÂancienne Europe est une symbiose étonnante, puisée aux sources les plus diverses, où Dante le poète appelle sans sourciller le Christ « Sommo Giove ", le plus haut Jupiter, où Thomas dÂAquin intègre dans sa Somme théologique, avec Aristote, les meilleurs acquis de la pensée païenne, où Rome édifie son beau sanctuaire à la Vierge sur les débris dÂun temple païen, Santa Maria sopra Minerva. Cette église, située au cÂur de Rome, derrière le Panthéon, sur une petite place où un jeune éléphant porte vaillamment son obélisque, est tout un symbole. DÂun gothique romain, ensoleillé et serein, elle abonde en Âuvres dÂart significatives, dont la plus importante est le chef-dÂÂuvre de Filippino Lippi, le Triomphe de saint Thomas. On y voit le Jésus portant sa Croix de Michel-Ange, qui est comme un Jupiter chrétien. Les restes de Catherine de Sienne, qui sut parler au pape au nom de lÂÉvangile, reposent sous lÂautel majeur. Et dans la chapelle de gauche, le bienheureux Giovanni da Fiesole qui, sous le nom de Fra Angelico, est le plus grand peintre religieux de la chrétienté, dont Jean-Paul II, par lettre apostolique du 3 octobre 1982, a autorisé le culte liturgique à tout lÂOrdre des frères prêcheurs. Dédié à Marie, sur un temple de Minerve, le sanctuaire de Santa Maria sopra Minerva nous fait révérer en la Vierge Mère un savoir infiniment plus haut que celui qui est personnifié si noblement par Minerve, ou plutôt dÂun autre ordre, comme dirait Pascal, la sagesse : « Sedes Sapientiae ". LÂenracinement spirituel et culturel. Le blé, la vigne et lÂolivier, chantés par Virgile, sont devenus des éléments intégrants de la liturgie romaine. Philippe de Neri, le saint joyeux, avait fasciné Goethe. De France, le mouvement de Cluny atteignit plus de mille couvents, de la Hongrie au Portugal et de lÂAngleterre à lÂEspagne. LÂintelligence sensible et fine de Moissac, lÂimpétuosité de Bernard de Clairvaux, ami des rois, conseiller des papes, chantre de la croisade, le surgissement des universités qui intègrent la pensée méditerranéenne, de Bagdad à Cordoue et de Palerme à Tolède et absorbent la science juive et musulmane, sont autant de témoignages de lÂesprit européen, nourri de romain et de gothique, avant de sÂépanouir dans le baroque et dÂexploser dans le cubisme. Thomas dÂAquin, Allemand et Italien par le sang, étudie à Paris Aristote et Platon, Avicenne et Averroès. Sa confiance en la raison nÂa dÂégale que la ferveur de sa foi. De lÂEspagne à la Dalmatie, de lÂIrlande aux Pays-Bas, on se presse pour lÂécouter. Le chevalier Ignace de Loyola, le penseur Raymond Lulle, le poète spirituel Jean de la Croix, lÂardente Thérèse dÂAvila, ont de lÂinfluence bien au-delà des Pyrénées, tant il est vrai que le rayonnement spirituel universel va de pair avec lÂenracinement charnel et culturel. LÂidéal européen ne réunit pas des partis, il rassemble des esprits, il réunit des hommes. LÂhéritage à assumer. Telle est la grandeur de lÂhéritage culturel chrétien que nous avons à assumer : traduire dans les immenses domaines du savoir et des arts une certaine idée de lÂhomme, cet homme dont le mystère profond ne sÂéclaire en ses profondeurs quÂen Jésus-Christ. Dans un monde démesurément agrandi par les prodigieuses découvertes de la science et les apports étonnants de la technique, en particulier des instruments de communication sociale, il nous faut revenir à lÂessentiel, cÂest-à-dire lÂhomme lui-même, tel quÂil se redécouvre dans la communion avec Dieu et avec ses frères, dans la communauté des hommes. Oui, le développement inouï des moyens de communication, les découvertes étonnantes des sciences biologiques, la véritable explosion de ce quÂon appelle les sciences humaines, autant de domaines qui ouvrent aujourdÂhui un champ immense à lÂincarnation renouvelée dÂune culture de lÂEurope authentiquement chrétienne. Au cours de son histoire millénaire, lÂEurope sÂest enrichie de la pluralité de ses traditions, de ses expériences glorieuses et douloureuses, et elle a ainsi accumulé un patrimoine unique, fait de sagesse, de savoir, de droit, dÂart et dÂinventions. Ce patrimoine plonge ses racines dans un terreau de spiritualité, surtout chrétienne, et dans un noble humanisme séculier. Ce patrimoine peut encore contribuer de façon décisive au progrès de la science, de la pensée, de la création culturelle et de la compréhension internationale, sÂil est ressaisi par la mémoire, assumé par la volonté et réincarné par la libre volonté.
III  LÂimaginaire européen, demain comme hier, trouvera sa source dÂinspiration la plus profonde dans le message chrétien, qui est bonne nouvelle aussi pour les cultures, ressort puissant pour les littératures, la poésie et le théâtre, levain sans égal pour la pensée, inspiration inépuisable pour lÂart et les artistes en toutes leurs expressions, de la peinture à la sculpture, de lÂarchitecture à la musique. « La pesanteur et la grâce ", disait Simone Weil. Comment ne pas évoquer lÂextraordinaire tension dramatique du théâtre de Shakespeare, des tragédies de Corneille et de Racine, des romans de Dostoïevski, de Mauriac et de Graham Greene, de la lutte de la grâce et du péché, des saints et des pécheurs de Georges Bernanos. La source nÂest pas tarie pour notre imaginaire, pour peu quÂun accès lui soit proposé à ce qui sÂinscrit au plus profond de nous-mêmes comme un mystérieux appel à une transcendance : la Trinité de Roublev au musée Tretiakov de Moscou, les fresques de Fra Angelico au Couvent Saint-Marc de Florence, les cantates de Jean-Sébastien Bach et dÂOlivier Messiaen, les mosaïques de Ravenne, les peintures naïves si émouvantes des églises rupestres de Göreme en Cappadoce. Au débouché de la Via della Conciliazione,  du nom du Concordat de Pie XI avec lÂItalie  sur la majestueuse Place Saint-Pierre, lÂampleur de la colonnade du Bernin est telle que ses deux bras ouverts donnent au pèlerin lÂimpression fondée quÂil débouche sur bien autre chose que le plus petit État du monde. CÂest le cÂur de la chrétienté qui lÂaccueille, où une longue série de papes et dÂévêques, une foule innombrable de saints et de pécheurs, lÂont précédé, en ce terrestre cheminement où le pèlerinage joyeux est un temps fort de la marche peineuse des hommes vers la Cité de Dieu, déjà sur cette terre un peu de Paradis. En traversant des milliers de fois cette immense place plus grande que le Colisée, pour me rendre à mon bureau de la Secrétairerie dÂÉtat, jÂai souvent rêvé dÂun génial cinéaste qui ferait dialoguer ces personnages baroques qui surplombent la colonnade du Bernin dans une conversation animée sur un scénario à lÂéchelle des continents et des millénaires. LÂapproche du prochain Grand Jubilé pourrait lÂinspirer et projeter cette prodigieuse diversité de la sainteté dans lÂunité de la catholicité. Le christianisme est créateur de culture dans son fondement même. A dix neuf ans de distance, jÂentends encore la forte conviction du jeune Pape Jean-Paul II, le 2 juin 1980, exprimée devant ce moderne aréopage des temps modernes quÂest lÂUnesco à Paris, où jÂavais eu le privilège de lÂaccompagner, après lÂavoir reçu, comme il lÂavait souhaité, à lÂInstitut Catholique dont jÂétais le Recteur. « Le christianisme est créateur de culture dans son fondement même ". Une culture réellement prestigieuse sÂest épanouie tout au long des siècles en notre Europe, tant dans le domaine de la philosophie que dans celui des sciences et des arts. Le sens même du beau dans lÂEurope est largement tributaire de la culture chrétienne de ses peuples et son paysage a été modelé à son image. Le centre autour duquel sÂest construite cette culture  Jean-Paul II le rappelait en recevant le Conseil Pontifical de la Culture  est le cÂur de notre foi, le mystère eucharistique. Les grandes cathédrales comme les humbles églises de campagne, la musique religieuse comme lÂarchitecture, la sculpture et la peinture rayonnent du mystère du verum Corpus, natum de Maria Vergine, vers lequel tout converge dans un mouvement dÂémerveillement. QuÂil suffise dÂévoquer, au quatrième Centenaire de sa mort, Giovanni Pierluigi da Palestrina. En son art, après une longue période de troubles, lÂÉglise retrouve une voix pacifiée par la contemplation du mystère eucharistique, comme une calme respiration de lÂâme qui se sait aimée de Dieu. Si la très sainte Trinité, comme chacun sait, chante avec gravité les chorales de Jean-Sébastien Bach, les anges ne cessent avec allégresse de jouer du Mozart. Dans son Âuvre porteuse de joie pointe un sentiment de bonheur, comme une expérience simultanée de mort et de résurrection. En ses compositions religieuses éclate un véritable chant de joie de la création rachetée et réconciliée avec Dieu, un écho de la grâce, source inépuisable de beauté. Le partage de la foi est aussi un partage de joie. Le dialogue lui-même qui se dessèche parfois dans lÂéchange des idées retrouve une inspiration privilégiée dans lÂémerveillement devant la beauté artistique, reflet de lÂéternelle et indicible beauté de Dieu. Le patrimoine culturel chrétien européen demeure source inégalée pour notre imaginaire. Et la vie des saintes et des saints est là, qui sÂoffre à nous dans le rayonnement de la lumière quÂils irradient. Par leur liberté intérieure, la puissance de leur personnalité, ils marquent la pensée et appellent lÂexpression artistique : quÂil suffise dÂévoquer saint François dÂAssise. Le poverello avait un tempérament de poète, quÂattestent amplement ses paroles, ses attitudes, son sens inné du geste symbolique. Alors quÂil était aux antipodes de toute préoccupation littéraire, il est devenu le créateur dÂune culture nouvelle, de la pensée à lÂexpression artistique, de la crèche à la basilique. Un saint Bonaventure et un Giotto ne se seraient pas épanouis sans lui et Olivier Messiaen en notre temps ne nous aurait pas donné son Grand Oratorio de saint François à lÂOpéra de Paris. Car lÂhomme est bien destiné à être divinement heureux, comme disaient les mystiques allemands du Moyen Age. La mémoire de lÂhomme européen est une mémoire du bonheur, remplie du sang du Christ (sainte Christine de Sienne) et ruisselante dÂun désir dÂéternité. LÂeuropéen ne se contente pas du sum, mais il tend vers le sursum (Gabriel Marcel) de lÂéternelle durée. « LÂEurope entière était comme la cathédrale. La foi liait entre elles les colonnes, lÂédifice touchait le ciel " (Julius Slowacki). Au centre de lÂEurope se trouve une réalité cachée (Stanislaw Grygiel). CÂest dire que lÂEurope exige de nous une grande mémoire, car au fond cÂest une réalité oubliée et nous devons retourner à elle (Vladimir Zielinski). Un témoignage personnel. Voici deux ans, du petit avion qui me conduisait de Rome à Ljubljana pour lÂordination de mon principal collaborateur au Conseil Pontifical de la Culture comme Archevêque métropolitain, je redécouvrais avec bonheur la Slovénie, avec ses innombrables églises disséminées dans ses vallées et ses collines préalpines, ses chapelles et ses crucifix de campagne, demeurée, après tant dÂannées dÂoppression communiste athée, une terre plus foncièrement chrétienne que les régions européennes limitrophes. Et je me remémorais ces mots du poète Edvard Kocbek transmis par Alojz Rebula, le Samedi Saint 12 avril 1952, dans son journal : « Pendant la nuit, jÂentends à la radio le chant joyeux et solennel de lÂAlléluia. A lÂinstant je suis inondé dÂune joie immense, de la joie de vivre du catholicisme, de lÂÉglise grande, salvifique, vitale, malgré son poids terrestre et sa décadence. Comme tout est pâle et vain en comparaison avec elle, même en comparaison de son caractère apparemment humain et de sa fragilité. Dieu, de tout mon être, je te rends grâces à genoux de la grâce que tu mÂaccordes en me nourrissant de ton salut ". La foi est une ancre jetée vers lÂinvisible. Et la réalité invisible est plus réelle que celle que nous pouvons voir de nos yeux. John Henry Newman en avait vive conscience. Le message du Christ est le plus grand embarcadère ouvert depuis deux mille ans vers lÂinvisible, lÂinvisible présent et futur, le monde de la rédemption et de la grâce, du dernier jour, et de cet univers nouveau où Dieu sera tout en tous. LÂApocalypse dresse un tableau saisissant de la résurrection des morts avec le Christ, et du Jugement dernier de Michel-Ange à la Chapelle Sixtine à la façade dÂOrvieto et aux tympans de tant de cathédrales éclate le dramatique et saisissant contraste entre les ténèbres de la seconde mort et la vie des élus toute de joie, de paix et de lumière, dans le face à face resplendissant avec Dieu au sein dÂun univers transformé, le Paradis retrouvé de la Jérusalem céleste où le lionceau sÂébat avec lÂagneau et où la face humaine la plus déshéritée resplendit de la lumière de Dieu, selon la promesse de lÂhymne liturgique de lÂépître de saint Paul aux Éphésiens : « Eveilles-toi, ô toi qui dors, lèves-toi dÂentre les morts, et le Christ tÂilluminera " (5,14). CÂest cette réalité invisible, plus réelle que la réalité visible, qui a été la grande inspiratrice du patrimoine chrétien européen, et demeure une source dÂinspiration hors pair au seuil du nouveau millénaire. Notre imaginaire a besoin pour se nourrir de ces images de beauté empreintes de sérénité, où la grâce se fraie un chemin de lumière au cÂur des pesanteurs humaines.
IV  Je crois en Dieu le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, de lÂunivers visible et invisible. CÂest dans cet article du Credo quÂest le point de départ et la possibilité première de toute expression artistique pour le chrétien. Ce monde avec son infinie richesse de formes, avec sa palette bariolée de couleurs, avec la vibration plurielle des sons, ce monde avec son mystère et sa splendeur magistrale est création de Dieu. Le chrétien confesse que ce monde a un commencement, quÂil nÂest pas lÂeffet dÂun morne hasard ou dÂune nécessité aveugle. Il sait quÂil provient de la Parole libre de Dieu. Et cÂest la raison pour laquelle, à son tour, il est parole. Parole adressée à lÂhomme. Il nÂétait absolument pas nécessaire que le monde fût, mais il est, de par un acte libre de Dieu. CÂest pourquoi, il est grâce, gratuité, légèreté et transparence. Loin de la lourdeur et de lÂopacité dÂune matière qui aurait sa raison dÂêtre en elle-même, que personne nÂaurait voulue et qui nÂaurait pas de sens. Le chrétien sait que ce monde provient de lÂamour. CÂest la raison de sa beauté. « La beauté est la forme que lÂamour donne aux choses ", disait magnifiquement Ernest Hello, un auteur aujourdÂhui injustement oublié. Ce monde sorti de la liberté et de lÂamour de Dieu, avec sa vérité et sa beauté, peut être aimé et admiré. La création  Parole adressée à lÂhomme  est source inépuisable dÂinspiration pour lÂémergence dÂune création audio-visuelle chrétienne de valeur. Devant un arbre, un animal, une figure humaine, touché par les formes, les lignes, les mouvements, le créateur audio-visuel perçoit la grâce et la vérité des êtres et lÂexprime dans son langage propre. Toute Âuvre dÂart authentique est lÂeffet dÂune rencontre. « Don du poète, tu es le don dÂune perpétuelle rencontre ". Les créatures font écho à lÂacte créateur de Dieu. Leur simple existence est un appel. LÂhomme écoute et répond à leur message, exprime leur message en formes, en couleurs et en sons. Plus forte est sa capacité de rencontre, plus riche, plus profonde et plus évocatrice sera sa réponse par le moyen de lÂoeuvre dÂart. Ainsi, les choses dévoilent leur essence intime, sÂouvrent et acquièrent comme une dimension plus vivante et plus vraie. Dans le Credo, le chrétien confesse aussi que le Fils de Dieu, « né de la Vierge Marie, sÂest fait homme ". En Jésus-Christ, Dieu accueille de nouveau le monde qui sÂétait éloigné de lui par la faute mystérieuse des origines. Il lui donne une nouvelle splendeur, supérieure à la première. Par lÂIncarnation du Fils de Dieu, le monde acquiert « une dignité pour ainsi dire infinie ", disait S. Thomas dÂAquin. Il marque la fin du douloureux antagonisme entre ciel et terre. La plénitude des temps que signifie sa venue, abolit la tension entre présent et avenir. Ce temps nÂest pas dÂabsence et de vide. CÂest le temps de la grâce où la force créatrice de lÂhomme peut sÂépanouir en liberté. Ce nÂest pas par hasard que le christianisme a parsemé lÂEurope dÂinnombrables Âuvres dÂart dÂune beauté et dÂune force magnifiques. Invité à sÂunir au drame de la Rédemption qui se continue dans lÂhistoire, le chrétien est convié à la lutte contre tout ce qui dégrade et enlaidit lÂhomme et le monde. SÂil exprime ce monde qui se refuse à la lumière, sÂil peint la souffrance et la mort qui persistent comme séquelles du péché, sa création audio-visuelle sera toujours illuminée par lÂespérance dÂun accomplissement dernier. Ainsi, son art, même fondamentalement lumineux, aura ce caractère dramatique dÂune quête de la « terre nouvelle et des cieux nouveaux ", où tout ce qui existe trouvera sa pleine vérité. La Révélation nous dit quÂun monde nouveau surgira, après que la figure de celui-ci aura passé. Nous savons  notre cÂur le sait  que les choses, telles quÂelles sont, ne sont pas ce quÂelles devraient être. Nous savons que nous ne sommes pas ce que nous devrions être. Aucun homme ne se résigne jamais à être ce quÂil est, car « lÂhomme passe infiniment lÂhomme ", selon le mot si vrai de Pascal. Mais il ne peut pas se dépasser par ses propres ressources. LÂavenir absolu, lÂexistence transparente, la proximité dÂavec les choses, tout cela ne peut être quÂun don de Dieu. CÂest de cette promesse que lÂart témoigne. Ainsi toute Âuvre dÂart authentique est prophétie dÂun accomplissement dernier. Elle est dÂessence eschatologique, et par là religieuse. A trente-quatre ans du Concile Oecuménique Vatican II, je voudrais nous remettre en mémoire le message quÂil adressait aux artistes, par la voix de Paul VI, il mÂen souvient, sur la place ensoleillée de Saint-Pierre de Rome, le 8 décembre 1965 : « A vous artistes, qui êtes épris de beauté et travaillez pour elle. A vous tous, lÂÉglise dit par notre voix : si vous êtes les amis de lÂart, vous êtes mes amis ! LÂÉglise a dès longtemps fait alliance avec vous. Vous avez édifié et décoré ses temples, célébré ses dogmes, enrichi sa liturgie. Vous lÂavez aidée à traduire son divin message dans le langage des formes et des figures, à rendre saisissable le monde invisible. AujourdÂhui comme hier, lÂÉglise a besoin de vous et se tourne vers vous. Ce monde dans lequel nous vivons a besoin de beauté pour ne pas sombrer dans la désespérance. La beauté comme la vérité, cÂest ce qui met la joie au cÂur des hommes, cÂest le fruit précieux qui résiste à lÂusure du temps, qui unit les générations et les fait communier dans lÂadmiration. Et cela par vos mains ". Aux artistes épris de beauté, il est donné de rendre à Dieu sa louange de gloire par Celui qui est le créateur de tout don, la source même de toute inspiration, et la fontaine de toute beauté, le Christ, Rédempteur du monde, trésor caché dans le champ du monde, perle précieuse dans cet écrin quÂest lÂÉglise. LÂÉglise, au seuil de ce troisième millénaire, est sur la vaste scène du monde, comme un ferment qui soulève la pâte, une lumière qui éclaire la nuit, un aimant qui attire le regard de lÂhomme, et oriente sa conscience et son expérience vers le mystère du Christ, ce Jésus qui « est la route principale de lÂÉglise, la route pour tout homme " nous dit Jean-Paul II dans son encyclique Redemptor Hominis. Chaque homme dans sa nuit sÂen va vers la lumière. Les vers du poète chantent en nos mémoires éprises de beauté, de vérité, de bonté. Tant de voies sont ouvertes et tant de modes de révéler Dieu, ce Dieu qui est notre frère, ce frère qui est notre Dieu, qui a pris visage dÂhomme en Jésus-Christ. En Lui, nous avons la vie, le mouvement et lÂêtre. Il est la source inépuisable de toute beauté. Puissent tous les créateurs de fiction audio-visuelle comme Pierre à la porte du temple, dire aux affamés de justice, de beauté, de vérité : « De lÂargent et de lÂor, je nÂen ai pas, mais ce que jÂai, je te le donne ". Ce témoignage de lÂimage inspirée par la foi, exprimé selon la vocation personnelle de lÂartiste, révèle Dieu en lÂun de ses caractères les plus attachants : sa beauté ! Beauté ancienne et toujours nouvelle Plus lÂintimité avec Dieu grandit, plus il prend de place en la vie intérieure, plus aussi lÂart se renouvellera, tout empreint dÂune beauté incomparable dont lÂesthétique chante cette beauté qui est vérité et vie. Le Christ est Dieu, et donc sans cesse générateur de vie nouvelle : vie qui a pour nom lÂAmour. LÂamour ne cesse de se communiquer, de se donner, plus il donne, plus il veut donner encore A quoi bon posséder les dons les meilleurs si je nÂai pas lÂamour ! Tout est ordonné à lÂamour. Voilà ce que seuls peuvent comprendre les tout-petits, eux qui rendent grâce de tout, sachant que la source de tout bien nÂest pas en eux, mais en Dieu seul. Message de Thérèse de Lisieux pour notre temps. Un million de jeunes afflués aux Journées Mondiales de la Jeunesse à Paris a acclamé le Pape Jean-Paul II qui nous la propose en exemple et inspiratrice comme Docteur de lÂÉglise. Puissance de lÂimage, capable dÂirradier lÂAmour, lÂAmour qui sÂest laissé clouer sur la croix, pour nous régénérer en Lui, nous rendre cette beauté irradiée de lÂunique beauté. Comme lÂapôtre Jean : partager le message de ce que nos yeux ont vu, de ce que nos mains ont touché du Verbe de Vie, pour qui notre cÂur brûle, de ce trésor, caché et sans cesse révélé aux tout-petits, à ceux dont lÂesprit et le cÂur sont ouverts à la vérité, Celui que nous aimons sans lÂavoir vu, comme le dit la Lettre de saint Pierre, en qui nous croyons sans le voir encore, sur lequel nous fixons notre regard, comme sur une lampe brillant dans un lieu obscur, jusquÂà ce que luise le jour et que lÂétoile du matin se lève en nos cÂurs. En nos temps difficiles où lÂimage même de lÂhomme est mutilée, la création audio-visuelle sera porteuse dÂespérance si elle se fait messagère dÂamour à lÂimage du Christ, tant il est vrai que le mystère de la condition humaine ne sÂéclaire pleinement que dans le mystère du Verbe incarné, lÂinvisible rendu visible à nos yeux émerveillés sur le théâtre fugace du monde. En ce temps de préparation au Grand Jubilé, confions à Marie, Mère du Christ, Mère de lÂÉglise, notre Mère, ce désir de nous laisser saisir tout entiers par le Christ, lÂacteur sublime de notre salut. QuÂelle nous aide à être comme elle, non point écran opaque, mais aimant qui attire vers la vraie lumière, éveil aux réalités profondes qui nous habitent  souvent à notre insu Â, témoins émerveillés de la foi, de lÂespérance, de lÂamour qui nous animent, vers cette plénitude de la joie partagée en le mystère surabondant dÂamour quÂest le Dieu source inépuisable de Vie, Père, Fils et Esprit.
V  Vingt siècles de civilisation chrétienne constituent une prodigieuse réserve de thèmes, de scénarios et de héros, à commencer par la vie des saints qui a inspiré tant de merveilles de lÂart où les vitraux de nos cathédrales dÂEurope brillent dÂun éclat particulier. Ce phénomène de grandeur éthique et spirituelle, souvent aussi intellectuelle et culturelle, quÂest la sainteté, ne sÂest jamais interrompu en Europe depuis les temps apostoliques comme en témoignent tant de génies chrétiens, de saint Patrick à John Henry Newman, qui, en écoutant les litanies des saints, a senti comme une symphonie sublime, aux accents beethovéniens, dans cette suite majestueuse que martellent les siècles, avec les apôtres et les martyrs, les Pères de lÂÉglise et les grands théologiens, les fondateurs dÂordres religieux et les humbles fidèles comme les prêtres et les religieuses, jusquÂà Thérèse de Lisieux en notre temps, Edith Stein, Pier Giorgio Frassati, Maximilien Kolbe et les martyrs contemporains des camps de concentration du nazisme au goulag du marxisme léniniste. Quelle plénitude de beauté déjà humaine tout simplement resplendit dans la sainteté authentique à lÂépoque moderne, de Bernadette Soubirous à Jean Bosco. LÂintellectuel européen, orphelin du marxisme et des idéologies obsolètes, passe assoiffé devant une cascade, sans en entendre le grondement. JÂinvite les créateurs audio-visuells à le lui faire entendre. CÂest le grondement du Discours sur la montagne, de lÂAlso sprach Christus, les paradoxes divins incarnés dans le patrimoine chrétien européen, qui déclarent bienheureux les pauvres, les purs, les pacifiques, ceux qui souffrent pour la justice. Le Discours sur la montagne propose le réalisme chrétien dans toute lÂamertume de la condition humaine, mais aussi dans une perspective de gloire, perspective métahistorique, cÂest-à-dire eschatologique. Mais que serait le christianisme sans sa dimension eschatologique ? La sainte Bible inspiratrice de notre patrimoine chrétien européen commence par le premier mot de la Genèse : Bereshit bara Elohim, Au commencement Dieu créa , et sÂachève par le dernier mot de lÂApocalypse : Marana tha, Amen, Viens, Seigneur Jésus. Avec une telle vision centrée sur le Ressuscité, témoigne Alojz Rebula, le christianisme fait irruption dans lÂavenir, lÂinvisible, le fantastique, à la mesure dÂun Dieu qui fonde lÂhistoire du salut sur lÂincarnation du Verbe, sa crucifixion et sa résurrection. Dans son beau livre consacré aux Théophanies du Christ (Desclée, 1988), Jean-Marie Tézé montre, à travers les représentations du Christ en gloire, des origines chrétiennes à la fin du Moyen Age, « un révélateur puissant du contenu de la foi " (André Grabar). Le Bon Pasteur des Catacombes, cet art funéraire où la mort est absente, résume lÂhistoire du salut, préfigurée dans lÂAncien Testament par les scènes de délivrance de Noé, Isaac, Suzanne, les trois jeunes gens dans la fournaise, Daniel dans la fosse aux lions ; réalisée dans le Nouveau Testament, avec les miracles de la multiplication des pains, Cana, les guérisons de lÂaveugle, du paralytique, de lÂhémorroïsse, la résurrection de Lazare, les figurations symboliques du baptême et de lÂeucharistie ; incarnée dans lÂÉglise en prière sous les traits de lÂOrante, accomplie enfin dans le Paradis, où les brebis sauvées par le Pasteur sont entourées dÂarbres où nichent des oiseaux, des prairies semées de fleurs de lis et de roses qui symbolisent le lieu paradisiaque. Puis vient le Christ en majesté, entouré du corps des apôtres dans la basilique Saint-Laurent de Milan, et des martyrs, au Cimetière des saints Pierre et Marcellin à Rome à la fin du IVème siècle. Le Christ vainqueur donne la loi évangélique au sarcophage du Saint-Sauveur dÂAix-en-Provence au Vème siècle. La Croix victorieuse partout sÂaffirme, surmontée du chrisme, le monogramme du Christ, circonscrit par une couronne, au sarcophage du Vatican, vers la fin du IVème siècle. Mais cÂest sans conteste au Mausolée de Galla Placidia de Ravenne au Vème siècle quÂelle atteint sa plus haute expression, dÂincomparable douceur d« obscur paradis bleu " (Victor Hugo). Cette croix dÂor qui étincelle au milieu du ciel étoilé par ses quatre bras étincelants centre la ronde des étoiles et stabilise le devenir cosmique : Stat crux dum volvitur orbis. Et en même temps, cÂest dans la déchirure des cieux quÂapparaît la croix libératrice : « Je vois les cieux ouverts " (Etienne). « Nous ne sommes plus menés par le destin aveugle et nous donnons congé aux astres qui font la loi " (Tatien). Le Christ « jeune ensemble quÂéternel " (Péguy), du sarcophage de Junius Bassus du IVème siècle, à lui seul symbolise les cieux nouveaux et la nouvelle terre où il nÂy a plus ni larme ni pleur, ni deuil ni mort. « Rien nÂimporte, écrit Mauriac dans son Journal, que de dresser contre les doctrines vieilles comme lÂerreur, ce que Claudel appelle lÂéternelle enfance de Dieu ". Baudelaire déjà lÂavait perçu : le monde moderne ivre de plaisir est triste. Vieilli par le péché, il aspire sourdement à sa délivrance, comme lÂantiquité tardive. Alors les artistes chrétiens surent présenter au-dessus dÂun vieil Ouranos, vieillard dépassé qui nÂa plus rien dÂautres désormais à faire, que de porter sur son dos lÂéblouissante jeunesse du fils de Dieu incarné dans la chair de Marie, lÂépiphanie de la jeunesse du Christ, dans lÂarchétype de lÂenfance qui ouvre au monde neuf. La foi au Christ récuse les mythes de Prométhée lassé, Sisyphe désabusé, Narcisse englouti avec son image. LÂimaginaire chrétien honore les symboles naturels et parmi tous ce symbole des symboles quÂest lÂenfance, antérieure au passé le plus lointain et plus profonde que les souvenirs les mieux enfouis, toujours prompte à lÂémerveillement et prête à accueillir lÂimpensable et lÂimpossible jusquÂà ce don qui excède tous les désirs et cette joie qui dépasse tous les espoirs les plus fous. La jeunesse du Christ des sarcophages romains, plus quÂune promesse, est déjà un modèle accompli, le déjà-là présent dans le pas-encore des chrétiens qui espèrent par delà la mort, parvenir à lÂéternité bienheureuse. Au rebours de la réincarnation qui nous englue dans lÂimmanence, la résurrection accomplit définitivement la metanoia par laquelle sÂouvre lÂÉvangile, véritable retournement qui place « notre mort derrière nous et notre enfance devant nous " (Paul Ricoeur). Le Père Henri de Lubac a bien perçu ce moteur secret du succès du christianisme : « Les grands écrivains des premiers siècles nous ont laissé maint témoignage du sentiment intense de nouveauté qui soulevait les fidèles du Christ et faisait sourdre en eux les sources dÂune allégresse inépuisable ". Notre patrimoine chrétien européen déborde de cette allégresse inépuisable où la grâce de la jeunesse du Christ adolescent née du sein dÂune Église pauvre et persécutée se perpétue dans les images de lÂÉglise sortie des catacombes et souverainement épanouie dans les Pantocrator byzantins des cathédrales de Cefalù et Monreale, de la Chapelle Palatine de Palerme en Sicile, comme du Monastère de Daphné, aux environs de lÂan 1100, sur la voie sacrée qui conduit dÂAthènes à Eleusis, et dans les tympans du portail des Églises abbatiales de Moissac et de Vézelay au XIIème siècle. Ces images du Christ juvénile nous semblent venir du futur et non du passé. Ouvertes sur lÂultime, trouées de transcendance en notre monde clos sur lÂopaque, ces images du Fils de lÂhomme vainqueur du destin  moïra  et de lÂinflexible nécessité  anankè  antique, cÂest pour notre temps encore le cri de la liberté chrétienne qui fait éclater les cercles fatidiques de lÂéternel retour, la présence qui dépasse lÂévénement et le pérennise, comme si les ténèbres de la nuit antique sÂeffaçaient devant la lumière du jour perçue par les témoins, Pierre et Paul, les apôtres et les martyrs, dont les yeux souvent graves et nostalgiques, de Ravenne à Saint Trophime dÂArles, ces grands yeux aux clartés éternelles sont fascinés par des réalités invisibles par eux rendues visibles à nos yeux de chair. Éclairés de cette lumière, les yeux de la foi perçoivent un autre ciel, qui ne se confond plus avec lÂinfini cosmique, car elle trouve en son milieu la croix historique et sur elle en son centre le visage du Christ incarné pour nous conduire de la terre au ciel. Notre patrimoine chrétien européen depuis deux millénaires sÂoffre à nous comme une source dÂinspiration incomparable. Des catacombes souterraines aux mosaïques rutilantes, du roman au gothique, du baroque au flamboyant. Du Bon Pasteur au Pantocrator, du Christ Juvénile au Serviteur Souffrant Crucifié, de lÂEnfant de la Crèche au Fils de lÂHomme triomphant sur les nuées du ciel, « lÂessentiel de lÂimaginaire, remarque Mireille Mentré, fut de faire se répondre, en une cohérence sublime, la Création et la Révélation ". Au seuil du nouveau millénaire, le patrimoine culturel européen demeure la source dÂune allégresse inépuisable. - - - [English] [Español]
EL DIALOGO FE  CULTURA Conferencia ante el Servitium pro Dialogo de la Orden Franciscana, Melchor Sánchez de Toca y Alameda (continúa del número precedente) 3. Inculturación del evangelio y evangelización de la cultura 3.1 La inculturación del evangelio 3.1.1 La urgencia de la inculturación "El Sínodo considera la inculturación como una prioridad y una urgencia en la vida de las Iglesias particulares para un verdadero enraizamiento del Evangelio en Africa, «una exigencia de la evangelización», «un camino hacia la plena evangelización», una de los mayores desafíos para la Iglesia en el continente al aproximarse el tercer milenio"(1). Si del continente africano pasamos a América, la Asamblea de Santo Domingo se pronunció así: "Esta evangelización de la cultura, que la invade hasta su núcleo dinámico, se manifiesta en el proceso de inculturación, al que Juan Pablo II ha llamado «centro, medio y objetivo de la nueva evangelización» (Discurso al Consejo Internacional de Catequesis, 26-9-92). Los auténticos valores culturales, discernidos y asumidos por la fe, son necesarios para encarnar en esa misma cultura el mensaje evangélico y la reflexión y praxis de la Iglesia"(2). En definitiva, no se concibe la evangelización sin inculturación. Es decir, una evangelización inculturada. ¿En qué consiste la "inculturación"? ¿De qué hablamos cuando hablamos de inculturación? 3.1.2 Acerca de la Inculturación "El proceso de inculturación puede definirse como el esfuerzo de la Iglesia por hacer penetrar el mensaje de Cristo en un determinado medio socio-cultural, llamándolo a crecer según todos sus valores propios, en cuanto son conciliables con el Evangelio. El término inculturación incluye la idea de crecimiento, de enriquecimiento mutuo de las personas y los grupos, del hecho del encuentro del Evangelio con un medio social. Según Juan Pablo II, en los grandes apóstoles de los eslavos, «se encuentra un ejemplo de lo que hoy se llama inculturación, a saber,  la inserción del Evangelio en una cultura autóctona  y la introducción de esa misma cultura en la vida de la Iglesia» (Slavorum Apostoli, 21)".(3) La Encíclica Redemptoris Missio, por su parte, en su número 52 define así la inculturación: "La inculturación «significa la íntima transformación de los auténticos valores culturales mediante la integración en el cristianismo y el enraizamiento del cristianismo en las diversas culturas»"(4). Notemos ya algo importante: esta definición sinodal, recogida después por el Santo Padre, contiene dos afirmaciones: la inculturación consiste en la radicación del cristianismo en las diversas culturas y en una íntima transformación de los valores culturales. Se trata de dos momentos o dimensiones bien definidos, no necesariamente en sucesión cronológica, sino lógicamente distinguibles. Llamaremos a la primera la dimensión sociológica de la inculturación, y a la segunda la dimensión salvífica. a) Dimensión sociológica de la inculturación. Empleo esta terminología para describir la primera parte del proceso de inculturación del Evangelio, que es un momento fundamentalmente sociológico. La inculturación "tiene como objetivo poner al hombre entero en condiciones de acoger a Jesucristo en la integridad del propio ser personal, cultural, económico y político"(5). Es claro que no podrá darse esta acogida plena de Jesucristo si no se entiende el mensaje que se predica. Es por ello necesaria una adaptación del mensaje a las categorías cognoscitivas del hombre a quien se dirige, al universo simbólico y noético en que vive. Para esto hace falta primero esa "simpatía crítica" de la que hablábamos antes, y un esfuerzo generoso de comprensión de la cultura a la que se pretende anunciar el Evangelio, de su lengua, sus símbolos, instituciones, preconcepciones, valores, ritos. Una vez comprendido y asimilado, tiene lugar el proceso de adaptación o traducción. Como puede entenderse, esta tarea no está exenta de dificultades. Se necesita una exquisita sensibilidad hacia los valores de la cultura de destino, y un conocimiento profundo de fe, un fuerte sensus fidei. Según el Papa, se trata de una tarea difícil y muy delicada, porque está en juego la fidelidad al Evangelio y a la Tradición apostólica. Por eso, los criterios han de ser siempre, "la compatibilidad con el mensaje cristiano y la comunión con la Iglesia universal"(6). Por otra parte, es importante notar que los agentes de este proceso de inculturación no son los gabinetes de expertos que diseñan estrategias de penetración en sus laboratorios. Debe ser, sobre todo, expresión de vida comunitaria, e implicar a todo el pueblo de Dios, no en modo plebiscitario, sino en la Iglesia que vive y camina.(7) Finalmente, no se puede olvidar que esta tarea de la inculturación, no puede hacerse sin la guía y la asistencia del Espíritu santo, y que por tanto, no bastan únicamente estrategias pastorales. Es necesario que haya lugar para la gracia, que sorprende, desborda, inventa soluciones nuevas, no previstas ni calculadas. "Para esta tarea  recuerda el Papa  es necesaria la asistencia del Espíritu del Señor que conduce a la Iglesia a la verdad entera (cfr. Gv 16,13)".(8) Pero resta la cuestión más importante sin resolver: ¿Cuánto se puede traducir? ¿Hasta qué punto se puede prescindir de elementos culturales adquiridos del cristianismo en este proceso de radicación del Evangelio? Sabemos, por una parte, que la fe transciende todas las culturas y no se identifica con ninguna, puesto que es una iniciativa de Dios. Pero la fe no existe en estado químicamente puro. Es siempre una fe coloreada de cultura, tanto si hablamos del acto de fe fides qua, el acto del individuo, irremediablemente condicionado por la cultura en que vive, como del contenido de la fe, fides quae, la revelación, que se siempre en una mediación cultural. Por eso dice el Papa que: "El mensaje evangélico no es pura y simplemente aislable de la cultura, en la cual se ha insertado desde el principio, (el universo bíblico y más concretamente, el ambiente cultural en el cual ha vivido Jesús de Nazaret), y tampoco es aislable, sin un grave empobrecimiento, de las culturas en las que ya se ha expresado a lo largo de los siglos. Éste, no surge por generación espontánea de un «humus» cultural; desde siempre se ha transmitido mediante un diálogo apostólico, que está inevitablemente insertado en un cierto diálogo de culturas"(9). Por eso es absolutamente necesaria en este proceso la asistencia del Espíritu Santo, que ayuda a operar el discernimiento necesario que salvaguarde los dos extremos aparentemente inconciliables: la fidelidad al mensaje evangélico y la fidelidad al hombre y a la cultura a la que se dirige. b) Dimensión salvífica de la inculturación. Este es el momento decisivo. No porque venga cronológicamente después, sino porque es en realidad el hecho decisivo que acontece en la inculturación. Cuando hablamos de "enraizamiento del Evangelio" en una cultura, o de "encarnación", "hacer penetrar el Evangelio en un medio socio-cultural", estamos hablando de un acontecimiento salvador. Cuando el Evangelio entra en contacto con el hombre o con sus obras, tiene lugar un encuentro salvador. Así como el hombre que se abre al encuentro con Cristo y lo acoge en su intimidad, es tocado por el Evangelio en su núcleo más íntimo, es atravesado por la espada de la Palabra en la separación entre el alma y el espíritu, el hueso y la médula (Hb 4,12), y al mismo tiempo, sin ser destruido, es sanado y elevado; del mismo modo, análogamente también en el encuentro entre el Evangelio y las culturas se produce esta purificación, sanación y redención. Toda cultura, como realidad humana, está marcada por el signo del pecado. No es radicalmente mala; pero no podemos caer en un ingenuo optimismo roussoniano y considerar felices y libres de toda mancha a las culturas. "Hay un riesgo, de pasar acríticamente de una especie de alienación de la cultura a una sobrevaloración de la misma, que es un producto del hombre, y por tanto, está marcada por el pecado. También la cultura tiene que ser «purificada, elevada y perfeccionada» (LG 17)".(10) No se puede entender la cultura si no se tiene presente esta dimensión capital de la inculturación. La inculturación no es un simple proceso de adaptación cultural, sino de sanación, de elevación del alma religiosa de cada cultura. Si el alma de cada cultura lo constituye la pregunta por Dios y por el sentido de la existencia, el Evangelio se dirige precisamente a este centro medular de la cultura, para ofrecerle la verdadera respuesta. Y lo puede hacer con pleno derecho, porque no se trata de una cultura más, no se sitúa al mismo nivel que las demás culturas. Es cierto que la revelación, el Evangelio, viene revestido de elementos culturales concretos, pero nunca se sitúa al mismo nivel que sus interlocutores. Toda cultura, en el proceso de inculturación, debe sufrir su propia kénosis. En la lógica del Evangelio, no hay vida sin muerte. Para llegar a la exaltación hay que pasar por la humillación y el despojamiento de sí. No puede acontecer de otro modo. Así sucede también en el encuentro entre la libertad creada del hombre y la gracia. Tiene que haber una muerte del yo para que la gracia pueda sanar esa libertad y elevarla, sin destruir su pasado y su historia. Pero este encuentro entre la gracia del hombre, nunca destruye al hombre, ni su pasado, ni su historia; únicamente lo sana y lo purifica. Del mismo modo, el encuentro del Evangelio con una cultura, no es una fagocitación de aquella cultura, ni un bárbaro trasplante de corazón, sino una sanación y elevación del mismo. 3.2 La evangelización de la cultura 3.2.1 Elevación del alma religiosa de la cultura Tropezamos aquí con la primera dificultad, a la que hicimos referencia más arriba. ¿Cómo es posible evangelizar una cultura? Hablando en propiedad, únicamente las personas son objeto de la evangelización. Cristo se dirige a personas concretas, no a una humanidad abstracta. La respuesta al anuncio del Evangelio es una respuesta personal, individual; únicamente las personas son capaces de conversión, de aceptar la fe, y de recibir el bautismo. La noche de pascua, en la profesión de fe y la renuncia a Satanás, en la Asamblea que celebra el paso del Señor, cada uno responde personalmente, en singular, porque la fe es un acto eminentemente personal. Sin embargo, siendo esto cierto, la novedad que ha puesto de relieve el Concilio Vaticano II, y después han subrayado justamente Pablo VI y Juan Pablo II, es que también las culturas en cuanto tales son objeto de evangelización. Así lo afirmó claramente Pablo VI: "Se podría expresar todo esto diciéndolo así: es necesario evangelizar,  no de manera decorativa, a semejanza de un barniz superficial, sino de modo vital, en profundidad y hasta las raíces  la cultura y las culturas del hombre, en el sentido rico y amplio que estos términos tienen en la Constitución Gaudium et spes, partiendo siempre de la persona y regresando siempre a las relaciones de las personas entre sí y con Dios"(12). La Iglesia habla de la evangelización de la cultura, porque bajo el impulso del Vaticano II, quiere entrar en un diálogo nuevo con el mundo moderno y sus culturas, percibidas como campo vital para el futuro religioso del hombre.(13) El Evangelio se dirige a la vez a la conciencia individual y colectiva, buscando regenerar la cultura de las personas y de los grupos humanos. La Iglesia ha tomado conciencia de que una labor que se limitara al anuncio individual de las personas carecería de eficacia si no fuese acompañada de un cambio en el sistema de valores, creencias, comportamientos en el que esos hombres viven. Por eso Pablo VI calificó de dramática esta ruptura entre la fe y la cultura de nuestro tiempo.(14) Todos conocemos por experiencia la fragilidad de las conversiones que tienen lugar en un ambiente cultural completamente extraño al Evangelio. Naturalmente, una acción así, en el nivel de la cultura no significa una estrategia de indoctrinamiento o de planificación ideológica. Cuando la Iglesia habla de evangelizar la cultura, de regenerarla, no lo hace pensando en los gabinetes de estrategia ideológica al servicio de los grandes imperios ideológicos o comerciales. Digámoslo claramente: evangelizar la cultura no es ni una operación ideológica ni mercadotécnica. Pasa siempre a través de la persona. Por otra parte, esta evangelización de la cultura se ha dado siempre, aun cuando no se empleara la expresión. En el campo del pensamiento y en el de la expresión artística, a lo largo de la Historia, se puede comprobar cómo el Evangelio ha actuado al nivel de las personas, de las costumbres, de las instituciones. El Evangelio ha transformado y creado una cultura nueva. La novedad consiste en que lo que en otros tiempos se realizaba en una paciente labor de siglos  baste pensar en la secular labor de los monjes y los monasterios  exige hoy día un esfuerzo consciente y metódico por parte de la Iglesia. Dicho con otras palabras, hay que ser conscientes de que la cultura es un campo específico que hay que cristianizar. ¿Cómo tiene lugar esta evangelización de la cultura? En este proceso de evangelización de la cultura, hay una influencia recíproca entre la conversión de los individuos y la de grupos sociales. Pero el punto de partida se ha de situar siempre en la persona que acoge en su vida el Evangelio, que deja que el Evangelio llegue hasta el fondo de su persona y que cambie su modo de enjuiciar, de percibir la realidad y de actuar. Sólo un hombre profundamente tocado por el Evangelio puede convertirse en evangelizador de la cultura. Por eso, Juan Pablo II ha repetido en infinidad de ocasiones que "Una fe que no se hace cultura es una fe no plenamente acogida, no totalmente pensada, no fielmente vivida".(15) Un hombre transformado por el Evangelio comienza a transformar su ambiente cultural, se convierte en creador de cultura cristiana. Y a su vez, una cultura cristiana es el humus que favorecer nuevas conversiones individuales al Evangelio. Esta interacción entre conversión individual y cambio cultural la ha recogido Juan Pablo II en la importante homilía en Gniezno: "En el umbral del tercer milenio debemos retomar con fuerza la obra de la evangelización. Ayudemos a redescubrir a Cristo a quien lo ha olvidado junto con su enseñanza. Esto tendrá lugar cuando legiones de testigos fieles del Evangelio comiencen a recorrer de nuevo las rutas de nuestro continente; cuando las obras de arquitectura, de literatura y de arte muestren de modo convincente al hombre de hoy a Aquel que es el mismo ayer, hoy y siempre; cuando en la liturgia celebrada por la Iglesia los hombres vean qué hermoso es dar gloria a Dios; cuando descubran en nuestra vida un testimonio de misericordia cristiana, de amor heroico y de santidad".(16) En el pensamiento del Papa, no se trata de producir una cultura cristiana en el sentido de una cultura de "ghetto", es decir, una cultura propia, que vuelve las espaldas a la realidad en que vive. No se trata de crear una cultura ex novo, sino de evangelizar la cultura contemporánea. La novedad vendrá de la síntesis entre una cultura decadente, privada de fermento evangélico y la savia nueva aportada por la creatividad del cristiano. Del mismo modo que la cultura cristiana de la Edad media surge de una síntesis entre el contexto cultural decadente grecoromano y los valores que aporta el Evangelio. Percibir la cultura como campo de evangelización significa distinguir, en un medio cultural, lo que contradice al evangelio y lo que puede ser purificado, regenerado, elevado. Es el momento del discernimiento. Este discernimiento no puede hacerse sin una actitud de apertura hacia esa cultura, que no caiga ni en la alienación ni en la sobrevaloración. El discernimiento lleva al análisis del ethos de una sociedad, es decir, el conjunto de códigos de conducta recibidos por un grupo humano. Dado que el ethos no siempre va de acuerdo con la ética, la evangelización de la cultura, obliga a los cristianos a ser a veces contra-culturales. También la cultura tiene que convertirse: por analogía con la conversión individual, las culturas tienen también necesidad de una metanoia. Hay en las sociedades "estructuras de pecado" o "pecados sociales" resultante de multiplicidad de pecados individuales que deben desaparecer. Es decir, toda cultura, en su encuentro con el Evangelio, sufre una transformación, lo mismo que todo hombre. Una persona que no modifica sus criterios de actuación, su manera de percibir la realidad, la relación con los demás, su manera de juzgar, no ha acogido plenamente el Evangelio. No es la misma antes y después del encuentro salvador con Jesucristo. Del mismo modo, hay valores culturales que deben cambiar. No podemos caer en una ultravaloración ingenua de la cultura en pro de un malentendido respeto a la identidad cultural. 3.2.2 ¿Inculturación del evangelio en la modernidad? La situación de la cultura de la (post)modernidad es ciertamente diversa de la que se da en otros contextos culturales, porque se trata de una cultura de raíces cristianas que al mismo tiempo reniega de su pasado y de su herencia cristiana. Es decir, es un contexto cultural no pre- sino post-cristiano. Esta componente marcadamente anti-cristiana de la cultura dominante de nuestro tiempo explica el rechazo de la Iglesia al mundo moderno durante tanto tiempo. La cultura moderna se ha afirmado en una relación dialéctica frente al pensamiento cristiano. Por eso en los orígenes de la modernidad, esta negación no podía engendrar sino un rechazo por parte de la Iglesia. Pero hoy día no nos encontramos ya en el punto de partida. Es necesario por tanto invocar el principio tantas veces mencionado: el hombre privado de la gracia no está absolutamente corrompido, y es capaz de hacer cosas buenas sin ella gracia; también en la cultura de nuestro tiempo hay elementos buenos que un discernimiento cultural debe identificar. En la práctica, la evangelización de la cultura moderna comporta un discernimiento para captar qué valores culturales son susceptibles de enriquecimiento y purificación. El Evangelio puede transformar las dimensiones de la cultura que afectan al pensamiento y a la acción colectiva: la escala de valores, prejuicios, hábitos y costumbres, la vida de ocio, la familia. En todos estos ámbitos hay valores positivos que se pueden asumir y purificar. Al mismo tiempo el discernimiento lleva a criticar y denunciar actitudes incompatibles con el evangelio: la falta de respeto a la vida, a la dignidad del hombre, el racismo, el suicidio, la promiscuidad, pueden ser valores aceptados como normales en una cultura, pero deben ser modificados. Este proceso implica también saber dar respuesta a las esperanzas de las culturas, que presupone un análisis serio de las mismas. El Evangelio naturalmente siempre responde a estas esperanzas, porque brotan de lo más hondo del corazón; pero además, hay que saber proponerlo, hay que saber vender el producto. Por ejemplo, en una cultura moderna como la nuestra, hay que saber responder a las esperanzas de solidaridad, o a la sensibilidad hacia la defensa de los derechos humanos, para hacer ver cómo en Jesucristo quedan plenamente garantizados. Este anuncio supone, no la destrucción, sino la sanación de la cultura contemporánea. No podemos soñar con la vuelta a un pasado nostálgico. La Edad Media no regresará jamás. La cultura cristiana medieval surgió de la poderosa síntesis elaborada entre la cultura grecorromana y germánica fecundadas por el Evangelio. El Evangelio no destruyó la cultura pagana, sino que la transformó y la elevó, haciéndole alcanzar metas que jamás habría soñado, llevando las intuiciones esenciales de su cultura y su pensamiento a alturas que de otro modo nunca habría podido alcanzar. Esta colosal síntesis, llevada a cabo durante siglos, es la que urge ahora el Papa a llevar a cabo, dotados de instrumentos precisos, como son el análisis cultural, y siempre bajo la guía del Espíritu Santo. De la cultura de la modernidad, que nació en oposición al evangelio, con la aportación de otras culturas, y la savia vivificante del Evangelio deberá surgir una nueva síntesis cultural. 4. Evangelización de la cultura: perspectivas pastorales Intentemos resumir lo que llevamos dicho en algunos puntos. 1. Lo primero es percibir la cultura como un campo de evangelización. Darse cuenta de que no sólo hay vastos espacios geográficos que evangelizar, sino también espacios socioculturales, el terreno de las mentalidades y de las actitudes colectivas. No basta una acción evangelizadora sobre los individuos, aunque sean muy numerosos, si no va acompañada de una acción sobre los modos de pensar, de valorar. Los responsables de la pastoral tienen que ser conscientes de esta urgencia, sin dejarse deslumbrar por necesidades más inmediatas. Naturalmente hay muchos campos que reclaman la atención de los pastores: la opción por los pobres, la pastoral del mundo del trabajo, la familia, los jóvenes. Pero no se puede dejar de lado la pastoral de la cultura sólo porque sea un concepto abstracto con el que no se sabe qué hacer, reclamados por las urgencias inmediatas. 2. Esto significa disponer de personas cualificadas para llevar a cabo el análisis cultural que esta tarea requiere. Del mismo modo que no se encargaría de la pastoral de la sanidad ni la atención pastoral a los inmigrantes a personas sin conocimientos específicos en este campo, es necesario contar con personas capaces de hacer un discernimiento cultural a la luz del Evangelio y de las ciencias sociales, con sensibilidad hacia la cultura en su más amplio sentido, intuición para percibir valores y tendencias, y profunda visión de fe. La formación específica no debería limitarse a ciertos conocimientos de sociología, sino que por su naturaleza deberá ser interdisciplinar: habrá de tener en cuenta la antropología, la filosofía y el estudio del pensamiento, la ciencia, las bellas artes, y por supuesto la teología. Por su propia naturaleza, el campo de la cultura es terreno donde los laicos se deberían mover a sus anchas, jugando en su propio campo. 3. En la práctica, esta toma de conciencia podría revestir la forma de un Consejo Diocesano para la cultura, en la diócesis, o de una comisión similar en las familias y comunidades religiosas. Un Consejo que se encargue de coordinar, fomentar, promover más que de producir nuevos papeles. Ya sabemos que "non sunt multiplicanda entia sine necessitate", y que todo organismo burocrático tiende a producir para justificar su propia existencia, según el conocido principio de Peter. Debe tratarse de un organismo ágil, versátil, poco burocrático, pues su misión es más coordinar que producir. Una iniciativa similar que está produciendo abundantes frutos es la creación de centros culturales católicos. Estos centros, por su inserción en la vida de las comunidades, es capaz de crear actitudes movimientos ciudadanos, contribuir al progreso cultural de las comunidades, y difundir un nuevo estilo de vida. Su configuración y características pueden ser variadísimas, desde el gran centro cultural urbano, lugar de debate y pensamiento, al pequeño centro de cultura local, pasando por un centro de barrio, o centros de ocio y tiempo libre. Es uno de los medios más eficaces con que cuenta la Iglesia para entrar en contacto con un número creciente de alejados y hacerles llegar la Buena Noticia. Naturalmente, en muchos casos serán iniciativas de laicos o religiosos en contacto con la situación real. Será misión del Consejo de la Cultura el evitar la dispersión de fuerzas o una excesiva autonomía. 4. Finalmente, esta pastoral de la cultura no podrá llevarse a cabo nunca si no hay hombres y mujeres plenamente convertidos al Evangelio. La pastoral de la cultura no es tarea de un gabinete de expertos en mercadotecnia, ni de ideólogos creadores de opinión. Es obra de cristianos, "enamorados de Dios, profundos conocedores del hombre". Sólo un hombre transformado por el Evangelio puede convertirse a su vez en transformador de la cultura. Si no ha habido un encuentro personal con Jesucristo que cambia la vida, es inútil buscar evangelizadores de la cultura. Con toda la urgencia de la evangelización de la cultura, es mayor la urgencia de cristianos convertidos, testigos vivientes de lo eterno. La verdadera urgencia en la Iglesia es la conversión de sus miembros. - - - [Français]
________________________ (1) Ecclesia in Africa, n. 59. (2) Nueva Evangelización-Promoción humana-Cultura cristiana, 229. Conclusiones de la IV Conferencia General del Espiscopado Latinoamericano. (Paulinas, Madrid, 1993). (3) Comisión Teológica Internacional, La fe y la inculturación, 11. (4) Redemptoris missio, 52. La Encíclica recoge una anterior definición que había sido utilizada por la Asamblea extraordinaria del Sínodo. "Inculturatio tamen a mera adaptatione externa diversa est, quia intimam transformationem authenticorum valorum culturalium per integrationem in Christianismum et radicationem christianismi in variis culturis humanis significat" Relatio finalis II, D, 4. apud Caprile, G. (ed), Il sinodo dei Vescovi. Seconda Assemblea Generale Straordinaria, 24 nov.-8 dic. 1985, (La Civiltà Cattolica, Roma 1986) 567. (6) Ecclesia in Africa, 62. (7) Cf. Redemptoris missio, 54. (8) Ecclesia in Africa, 59. (9) Catechesi Tradendae, 53. (10) Redemptoris missio, 54. (11) " CÂest le présupposé fondamental qui doit inspirer tout effort dÂinculturation: le but poursuivi est lÂévangélisation de la culture. LÂinculturation de lÂÉvangile et lÂévangélisation de la culture sont deux aspects complémentaires de lÂunique mission évangélisatrice. À ce titre, lÂinculturation se guidera selon les normes qui régissent les rapports entre la foi et les cultures" Carrier, Lexique de la Culture, s.v. " inculturation ", 197. (12) Paolo VI, Evangelii Nuntiandi, 20. (13) Cf. Carrier, Lexique de la culture, s.v. " évangélisation de la culture ", 168. (14) Evangelii Nuntiandi, 19. (15) Carta autógrafa de S.S. Juan Pablo II al Card. Casaroli, 25 mayo 1982, AAS (1982). (16) Juan Pablo II, Homilía S. Messa per il millenario del martirio di S. Adalberto, Gniezno, 3.6.1997., LÂOsservatore Romano, 4.6.1997. (17) Carrier, Lexique de la culture, s.v. " évangélisation de la culture ", 169. Cf. etiam Comisión Teológica Internacional, La fe y la inculturación, nn. 20-26. (5) Ecclesia in Africa, 62. |