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 Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People

People on the Move - N° 91-92, April - August 2003, p. 289-294

LÂÂ’Église et les migrants, 

un avenir commun?*

 

Mgr. Jean-Luc BRUNIN

Evêque Auxiliaire de Lille

Président du Comité épiscopal français 

des migrations et des gens du voyage

Il me revient de dégager des perspectives pas­torales au terme de cette journée au cours de laquelle nous avons tenté de relire trente ans d'histoire de la Pastorale des migrants.

S'il est une idée force qui a traversé notre col­loque, c'est bien que la question des migrants n'est pas réservée à des spécialistes de la Pastorale des migrants, mais qu'elle est celle de toute l'Église. La question des migrants n'est pas la question des autres, elle est bien notre question. Jean-Louis Souletie (théologien) rappelait que l'échange de nos visions du monde était inévitable dans la ren­contre des autres. C'est même, disait-il, une aven­ture spirituelle à vivre par tous les chrétiens. Il en va de l'authenticité de notre foi chrétienne dans le contexte d'une société devenue plurielle.

À l'écoute des interventions du Secours catho­lique, de l'Enseignement catholique, du catéchu­ménat et de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), nous avons pu percevoir que l'accueil des migrants n'était pas seulement une adaptation des lieux pastoraux pour qu'ils se fassent accueillants, mais nous avons entendu parler d'une véritable altération. Autrement dit, il s'agit souvent de revi­siter nos pratiques pastorales et plus profondé­ment, nos façons de croire, de célébrer, d'accueillir, de rencontrer les autres. C'est ainsi que nous pouvons mesurer combien une Pasto­rale de la santé peut être renouvelée lorsqu'elle concerne des Africains qui ont un autre rapport au corps et une autre conception de la santé. Le Secours catholique modifie sa façon d'accueillir pour faire droit aux questions spécifiques des migrants. Nous pouvons parler aussi d'altération d'un service de catéchuménat obligé à«raconterplus que lire», à «rendre sa place à l'image», à «trouver des gestes plus adaptés», à «prier plus simplement», à «ne pas trop intellectualiser», etc. Dans le domaine de la liturgie aussi, des rites chrétiens des funérailles doivent tenir compte du culte des ancêtres lié à certaines cul­tures africaines et asiatiques. En JOC, il faut arti­culer de façon nouvelle la relecture de la vie et de l'action avec des pratiques croyantes plus mar­quées chez des jeunes Antillais.

LÂÂ’Église et les migrants: un avenir commun? Nous pouvons enlever le point d'interrogation, car l'Église offre une surface d'expression et de ren­contre à des personnes et des groupes d'origines diverses pour tisser une histoire promise à un ave­nir. Ce qui garantit l'avenir, c'est la promesse de Dieu accomplie en ]ésus, à savoir le rassemble­ment de l'humanité entière dans une expérience commune de salut. Et cela possède une pertinence sociale. 

Ce qui est réclamé à la Pastorale des migrants, c'est de faire vivre dans toute une Église le souci de l'ouverture et de l'accueil, de garantir les condi­tions de l'expérience spirituelle de l'altérité. Pour vivre une telle démarche, nous pouvons encore nous référer à l'Instruction promulguée par Paul VI en 1969, PastoraIis migratorum cura (DC 1970, n. 1555, p. 58-71. NDLR). Il nous faut revisiter et réactiver les raisons qui ont présidé à la mise en place d'une Commission de migrants dans notre Église. Je n'en évoquerai que quelques-unes. 

Garantir l'approche positive des phénomènes migratoires

Ce qui frappe lorsque nous relisons PastoraIis migratorum cura à plus de trente années de dis­tance, c'est l'approche positive du phénomène migratoire. Nous lisons en effet: « Les migrations, en favorisant et promouvant la connaissance réci­proque et la collaboration universelle, attestent et perfectionnent l'unité de la famille humaine; elles confirment clairement ce rapport de fraternité entre les peuples "dans lequel les deux parties donnent et reçoivent à la fois" »[1] 

Plus de trente ans après la promulgation de cette Instruction, dans une situation nouvelle de notre société et des relations internationales, nous risquons souvent de nous focaliser sur la dimen­sion tragique de la mobilité humaine. Loin de moi de nier les situations réelles de détresse matérielle et morale de beaucoup de migrants, mais pour­quoi n'aborder le phénomène migratoire que sur le seul aspect problématique et négatif. La mobi­lité humaine est un donné de la mondialisation qui demande à être géré de façon humaine et généreuse pour la transformer en chance. Il n'est pas fatal que les mouvements migratoires devien­nent des tragédies humaines. Pour cela, l'Église veut prendre sa part de responsabilité, et notam­ment le service de la Pastorale des migrants. Il faut oser dire que nous voulons transformer l'épreuve de la migration en une chance à saisir pour servir l'unité de l'humanité, développer la solidarité en vue d'une fraternité élargie. Cette res­ponsabilité s'enracine dans le témoignage que nous devons au salut offert en Christ dans l'expé­rience pascale. LÂÂ’épreuve de la migration peut êtreun lieu où « l'Esprit offre la possibilité dÂÂ’être asso­cié au mystère pascal ». Il appartient à l'Église d'en témoigner et de travailler efficacement pour qu'il en soit ainsi.

Il ne s'agit pas dÂÂ’être des naïfs, ni de sombrer dans des vues angéliques et béates. Les chrétiens en situation de solidarité et de proximité avec les migrants nous aident à prendre la mesure des dif­ficultés inhérentes aux mouvements migratoires. Cela ouvre encore le champ de responsabilité de la Pastorale des migrants que PastoraIis migrato­rum cura définissait comme offre à tous les migrants des réconforts de la religion et l'engage­ment pour que soient bien définis et respectés les droits de la personne humaine.

Rappeler et servir des droits fondamentaux pour les migrants

Il est utile de remettre la question des migra­tions dans la perspective des droits fondamentaux que l'Instruction romaine rappelait: le droit d'émi­grer lié au droit naturel de tout homme d'user des biens matériels pour atteindre sa perfection d'une façon plus totale et aisée.[2]

Lorsqu'un État ne peut mettre à la disposition de ses citoyens les moyens de vivre dans la dignité, « l'homme a le droit d'émigrer, de se choisir à l'étranger une nouvelle résidence et d'y rechercher des conditions de vie plus dignes ».[3]

Ce droit n'appartient pas seulement aux indi­vidus, mais aux familles. Il appartient à l'Église de faire reconnaître ce droit, voire de le redire: « Lesautorités publiques nieraient injustement un droit de la personne humaine si elles s'opposaient à l'émigration ou à l'immigration, ou si elles y fai­saient obstacle ».

Ce droit d'émigrer doit pouvoir s'articuler avec des devoirs:

  • Le devoir de contribuer au progrès véritable de la communauté à laquelle on appartient. C'est le cas de ceux qui, jouissant d'aptitudes intellec­tuelles ou de biens matériels, se laisseraient prendre par le désir et la tentation d'émigrer. Sur ce dernier point, pour notre approche des mouvements migratoires, il est essentiel d'accueillir ce que disent les Églises locales dans les pays d'origine.
  • Le devoir pour les autorités publiques de créer des possibilités de travail pour garantir le développement.
  • Le devoir pour les nations riches de soutenir activement le développement solidaire avec les pays d'origine d'émigration.        .
  • Le devoir pour les pays d'accueil de faire cor­respondre, aussi harmonieusement que possible, le droit d'émigrer au droit d'immigrer.

En tous ces domaines qui ouvrent sur des vastes chantiers, la Pastorale des migrants doit pouvoir apporter sa contribution en termes de réflexion et d'analyse, mais aussi d'action, de sen­sibilisation de l'opinion publique et de l'ensemble de l'Église. Voilà pourquoi on parle d'un Comité épiscopal des migrations et pas seulement des migrants. Pour cela, le partenariat est essentiel avec les organismes et les associations de la société autant que de l'Église. Pour qu'il soit fécond, le partenariat doit toujours pouvoir honorer et faire reconnaître la spécificité de l'approche de la Pastorale des migrants.

Le cahier des charges de la pastorale des migrants

Le cahier des charges de la Pastorale des migrants comporte trois volets dont l'unité pro­fonde réside dans la gestion de l'accueil et la mise en ÂÂœuvre de la sollicitude pastorale autour de la question des migrations.

Le service de l'insertion ecclésiale des commu­nautés chrétiennes étrangères.

Pour garantir une vie ecclésiale des migrants, la vie en ce que nous appelons « communautés nationales » est nécessaire, mais insuffisante.

Nécessaire parce qu'il est important que l'ex­périence de la migration soit prise en compte, vécue et exprimée comme un lieu d'expérience croyante. Les migrants expérimentent la fidélité de Dieu sur une terre d'exil. LÂÂ’expérience migra­toire et la culture d'origine méritent dÂÂ’être appro­fondies pour informer de la manière de croire au Seigneur, de le prier, de le célébrer. À travers la vie des communautés étrangères se joue la tradition d'une mémoire croyante qui concerne les jeunes générations et toute l'Église. Nos Églises diocé­saines ont besoin de lieux où on croit, on prie, on célèbre à l'italienne, à la mode vietnamienne, à la mode africaine, etc. Cultiver la particularité n'est pas conforter nécessairement des particula­rismes. Les diverses façons de croire, de célébrer, d'aller au Christ, mais aussi l'expérience croyante vécue par des frères et sÂÂœurs dans la foi en cette terre d'immigration, enrichissent la foi des Églises d'accueil. Et elles rappellent aussi aux chrétiens autochtones que l'expérience de l'immigration et de l'exil est au cÂÂœur même de la foi pascale.

Insuffisante cependant, dans la mesure où les communautés étrangères ne peuvent se satisfaire d'exister pour elles-mêmes. Elles ne seront l'Église que dans l'ouverture à d'autres communautés et dans l'inscription des dynamismes de la foi vécue et célébrée dans le tissu ecclésial diocésain. Il ne peut suffire à un service de la Pastorale des migrants de nÂÂ’être qu'un Conseil des communau­tés étrangères. Il lui faut aussi éveiller l'ensemble de l'Église à la problématique d'insertion ecclésiale des migrants qui sont nos frères dans la foi. Pour cela, des initiatives sont encore à prendre pour permettre aux migrants de nÂÂ’être pas seulement l'objet de la sollicitude des chrétiens autochtones, mais aussi acteurs d'une vie d'Église et même pré­parés à y exercer des responsabilités diverses (res­ponsables de mouvements ou services, membres de conseils pastoraux, agents pastoraux laïcs, diacres, prêtres...).

Le service de la solidarité et ledevoir de frater­nité qui s'étend à tous les migrants, chrétiens ou non.

C'est la dimension diaconale de la mission de l'Église qui est en jeu. Sur ce second volet, nous pouvons mentionner l'aide caritative aux migrants en difficulté matérielle ou en détresse morale, ou bien le soutien juridique, ou encore la défense des droits des migrants à voir respectée leur dignité humaine. Bien des chrétiens sont engagés sur ce terrain de la solidarité avec les migrants. Ils le sont en partenariat avec d'autres associations. Ils ont droit au soutien de l'ensemble de l'Église, mais l'É­glise a besoin d'eux pour vivre une réelle solida­rité. Il ne peut suffire à un service de la Pastorale des migrants de nÂÂ’être quÂÂ’un Conseil de solidarité. La Pastorale des migrants perdrait sa vocation si elle ne servait pas le partage entre ceux qui vivent la solidarité et l'ensemble des chrétiens appelés à une fraternité active. La Pastorale des migrants n'est pas un service social des migrants regrou­pant quelques spécialistes, mais un service de l'É­glise soucieux d'animer chez tous ses membres, le souci de vivre authentiquement la solidarité avec lés migrants.

Le service de la rencontre interculturelleet interreligieuse.

Le compagnonnage des chrétiens avec les migrants venant de tous les horizons culturels et religieux est une richesse pour la foi de notre Église. Pour quÂÂ’il soit vraiment, il importe de rejoindre et d'accompagner les chrétiens qui vivent cette expérience de rencontre, souvent sur des lignes de fracture de notre société. Ce sont d'ailleurs des chrétiens issus de l'immigration qui vivent le plus souvent cette proximité intercultu­relle et interreligieuse. Mais il ne peut suffire à un service de la Pastorale des migrants de nÂÂ’être qu'un Conseil de l'interreligieux. Les initiatives en ce domaine visent d'abord l'expérience vécue à relire, à vérifier, à approfondir, à partir des ques­tions nées de la rencontre et du dialogue de la vie. LÂÂ’expérience des Relais monde musulman, pôle de la Pastorale des migrants, ne double pas la mis­sion du Secrétariat des relations avec l'islam (SRI). Elle est la mise en ÂÂœuvre de la sollicitude pasto­rale manifestée auprès des chrétiens qui sont immergés dans l'expérience de la rencontre. Nous pouvons souhaiter que de nouveaux lieux s'ou­vrent pour les chrétiens vivant en proximité d'autres traditions culturelles et religieuses impor­tées par les migrations.

J'ai plusieurs fois mentionné des risques de réduction du Service de la pastorale des migrants. Ils sont réels si lÂÂ’on oublie d'articuler les trois aspects. Il ne s'agir pas de défendre un pré carré, mais bien de permettre que la Pastorale des migrants devienne l'affaire de beaucoup de lieux d'Église et développe un authentique partenariat.

Je me suis réjoui d'entendre sur ce sujet les témoi­gnages de cette journée. Ils montrent ce que peut devenir une Église travaillée par le souci d'ac­cueillir et d'accompagner des frères venus d'autres horizons. Cela avait un bon parfum de catholi­cité!

Pour conclure...

Je me permets d'insister sur une urgence: celle de penser la nouvelle donnée des migrations. Nous ne pouvons plus prétendre appréhender et encore moins répondre aux questions liées par la mobi­lité humaine, dans les catégories d'il y a dix ans. Nous pressentons bien qu'une nouvelle donnée migratoire apparaît, que de nouveaux paramètres-autres qu'économiques - surgissent. Je ne citerai que ce que certains appellent« l'envie d'Europe », liée à l'hégémonie mondiale de la culture occi­dentale.

Nos sociétés occidentales peinent à saisir les réalités nouvelles des phénomènes migratoires, elles peinent encore plus à les contrôler et les maîtriser. Le Service de la pastorale des migrants doit pouvoir devenir, à ce niveau aussi, un lieu diaco­nal dans notre Église. Avec d'autres partenaires, ouvrir ce chantier sur la nouvelle migratoire en contexte de mondialisation me paraît nécessaire et urgent. La question de l'accueil des migrants n'est pas d'abord une question de l'Église, mais d'abord une question posée à nos sociétés. Cepen­dant, l'Église entend y prendre sa part, selon sa spécificité liée à l'Évangile, et participer loyale­ment au débat et à la recherche de réponses qui engagent. Pour ce faire, le Service de la Pastorale des migrants a besoin de tous les chrétiens qui sont présents sur ce front.     
 

*Le 28 septembre 2002, un colloque a été organisé par le Service national de la Pastorale des migrants et le Centre d'information et d'études sur les migrations internationales. 

Mgr Jean-Luc Brunin, évêque auxiliaire de Lille et président du Comité épiscopal des migrations et des gens du voyage, a conclu cette rencontre par une approche positive des phénomènes migratoires, en se référant à lÂÂ’Instruction De Pastoralis Migratorum Cura. Nous publions le texte de son intervention (voire SNOP du 14 octobre 2002) 

 

[1] DC 1970, n. 1555, p. 60

[2] Voir Gaudium et spes, 3,

[3] Voir Gaudium et spes, 65: Le droit personnel de migration étant sauf,

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