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Entretien de Mgr Charles Scicluna
accordé au
quotidien catholique italien « Avvenire »
sur la rigueur de l'Eglise face à la pédophilie

 

« Promoteur de justice », Mgr Charles J. Scicluna est le Ministère public du tribunal de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Il est chargé d'enquêter sur les « Delicta Graviora », les crimes que l'Eglise considère comme les plus graves, ceux commis contre l'eucharistie ou le secret de la confession, ou bien des viols sur mineurs de la part du clergé. Le Motu Proprio de 2001 « Sacramentorum sanctitatis tutela » en a réservé la compétence à cette congrégation. Ainsi son promoteur de justice doit-il traiter la terrible question des prêtres accusés d'actes pédophiles, qui fait périodiquement la première page des journaux. C'est une personne très scrupuleuse et qui a la réputation de ne pas se laisser influencer.

Q. – Monseigneur Scicluna, vous avez une réputation de dur, et pourtant l'Eglise est systématiquement accusée d'être accommodante envers les prêtres pédophiles.

R. – Dans le passé, par une mauvaise interprétation de la défense de la réputation de l'institution, des évêques peuvent avoir fait preuve d’indulgence face à ces tristes affaires. Ils l'ont été dans la pratique car au niveau des principes la condamnation des ces crimes a toujours été ferme et sans équivoque. Pour ce qui est du siècle dernier, il suffit de citer l'instruction « Crimen Sollicitationis » de 1992...

Q. – Mais ne s'agissait-il pas de 1962?

R. – Si la première édition de ces mesures remonte à Pie XI, le Saint-Office en fit une nouvelle version sous Jean XXIII, destinée aux Pères conciliaires. Mais les 2 000 copies ne suffisaient pas et la distribution fut renvoyée sine die. Quoiqu'il en soit, il s'agissait de normes à suivre en cas de révélations faites en confession de crimes plus grave et de type sexuel, comme les viols sur mineurs...

Q. – Ces normes recommandaient le secret.

R. – Une mauvaise traduction anglaise du texte a fait penser que le Saint-Siège imposait le secret pour occulter les faits, mais il n'en était pas ainsi. Le secret de l'instruction servait à protéger la réputation des personnes impliquées, les victimes comme aussi les prêtres accusés, qui ont eux aussi droit à la présomption d'innocence. L'Eglise n'aime pas la justice spectacle. Les normes relatives aux abus sexuels n'ont jamais été entendues comme une interdiction de leur dénonciation à la justice civile.

Q. – Cela dit, ce document est souvent cité pour accuser le Pape actuel d'avoir été, comme Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le responsable d'une politique de dissimulation des faits de la part du Saint-Siège...

R. – Cette accusation est sans fondement, et même calomnieuse. Quelques faits. Entre 1975 et 1985 aucun cas de pédophilie cléricale n’a été signalé à la congrégation. Après la promulgation du Code canonique de 1983, il y a eu une période d'incertitude sur les « Delicta Graviora » qui devaient être de notre compétence. C'est seulement avec le Motu Proprio de 2001 que le crime pédophile est redevenu de notre exclusive compétence, et à partir de là le Cardinal Ratzinger a géré avec fermeté ces affaires. Il a en outre fait preuve de courage dans le traitement de cas extrêmement délicats. Accuser le Pape actuel d'avoir occulté la question est pure calomnie.

Q. – Que se passe-t-il lorsqu'un prêtre est accusé d'un « Delictum gravius »?

R. – Si l'accusation est vraisemblable, son évêque est contraint d'enquêter tant sur l'objet de la démarche que sur sa validité. Si l'enquête préliminaire confirme l'accusation, il n'a plus le pouvoir d'agir et doit transmettre le dossier au Bureau disciplinaire de notre congrégation.

Q. – Qui compose ce bureau?

R. – Etant un des supérieurs de la congrégation, j'en fais partie, avec un chef de bureau (le P. Pedro Miguel Funes Diaz), sept autres ecclésiastiques et un pénaliste laïque en charge de ces questions. D'autres officiels de la congrégation collaborent selon les besoins, notamment en matière linguistique.

Q. – Ce bureau a été accusé de peu fonctionner, et lentement...

R. – L'affirmer est injuste. En 2003 et 2004, il y a eu une avalanche de cas soumis à notre examen, largement en provenance des Etats-Unis. Depuis, le phénomène s'est heureusement réduit et nous tentons de traiter les dossiers en temps réel.

Q. – Combien en avez-vous traité jusqu'ici?

R. – De 2001 à 2010, il s'est agi d'environ 3 000 accusations regardant des prêtres diocésains ou des religieux, pour des crimes commis ces 50 dernières années.

Q. – Il s'agit donc de 3 000 cas de prêtres pédophiles?

R. – On ne peut pas dire cela car, grosso modo, dans 60 % des cas on a affaire à des actes d'« éphébophilie », c'est-à-dire d'attraction physique pour des adolescents de même sexe. Dans d’autres cas, 30 %, il s'agit d'attirance hétérosexuelle, et pour les 10 % restants de véritable attraction physique envers des garçons impubères. En neuf ans, il y a donc eu environ 300 cas de prêtres accusés de pédophilie. C’est trop, certes, mais il faut constater que le phénomène n'est pas étendu comme on veut le faire croire.

Q. – Combien de procès et de condamnation sur trois mille accusés?

R. – Tout d'abord, dans 20 % des cas, le procès, pénal ou administratif, s'est déroulé sous notre supervision dans le diocèse de compétence. Très rarement il y a un procès au Vatican, ce qui permet aussi d'accélérer la procédure. Dans 60 % des cas, principalement à cause de l'âge avancé des accusés, on n'engage pas de procès mais des mesures disciplinaires sont prises à leur encontre, comme l'interdiction de célébrer la messe en public et de confesser, ou l'obligation de mener une vie retirée et de pénitence. S'il y a eu dans cette catégorie des cas particulièrement médiatisés, il ne s'est absolument pas agi d'absolution. S'il n'y a pas eu de condamnation formelle, la réduction au silence et à l'obligation de prière a tout son sens.

Q. – Les 20 % restants?

R. – On dira que pour la moitié, celle des cas particulièrement graves, appuyés sur des preuves indubitables, le Pape a pris la douloureuse responsabilité de la réduction à l'état laïque. Il s'agit d'une mesure extrême mais inévitable. Pour l'autre moitié, ce sont les prêtres qui ont demandé à être relevé de leurs devoirs sacerdotaux. On compte parmi eux les prêtres trouvés en possession de matériel pédo-pornographique, condamnés pour ce délit par la justice civile.

Q. – D'où proviennent les 3 000 cas évoqués?

R. – Principalement des Etats-Unis qui, en 2003-2004, ont fourni environ 80 % des cas. En 2009 leur proportion est tombée à 25 % des 223 nouveaux dossiers en provenance du monde entier. En 2007-2009, la moyenne annuelle des cas signalés à notre congrégation a été de 250. Nombre de pays ne signalent qu'un ou deux cas, bien que le nombre des pays intéressés par un phénomène somme toute assez réduit s'accroisse. Rappelons qu'il y a 400 000 prêtres diocésains et religieux dans le monde, un nombre sans rapport avec la perception que provoquent les cas exposés dans la presse.

Q. – Et en Italie?

R. – Jusqu'ici le problème ne semble pas revêtir de dimension dramatique, même si je suis préoccupé par une certaine culture du silence, encore trop diffuse. Par ailleurs, la Conférence épiscopale italienne assure un excellent service technico-juridique aux diocèses devant traiter ces affaires. On doit saluer l'engagement croissant des évêques à faire la lumière sur les cas qu'on leur signale.

Q. – Vous dites que les procès en règle ne représentent que 20 % des 3 000 cas examinés ces neuf dernières années. Se sont-ils tous terminés par la condamnation des accusés?

R. – Si nombre des procès se sont conclus par une condamnation, dans certains cas le prêtre a été innocenté ou bien les accusations n'ont pu être suffisamment démontrées. Cela dit, dans chaque cas, on évalue la culpabilité de l'accusé mais aussi sa capacité à remplir son ministère.

Q. – On accuse régulièrement la hiérarchie ecclésiastique de ne pas transmettre à la justice civile des cas de pédophilie du clergé qui lui sont signalés.

R. – Dans les pays de culture juridique anglo-saxonne, mais aussi en France, les évêques prennent généralement connaissance des crimes commis par leurs prêtres hors confession, ce qui les oblige à recourir à l'autorité judiciaire. C'est une situation grave car ces évêques sont comme un parent contraint à dénoncer son fils. Dans ces cas, nous recommandons de respecter la loi civile.

Q. – Et si l'évêque n'a pas cette obligation?

R. – Dans ces situations la congrégation n’oblige pas les évêques à dénoncer leurs prêtres, mais elle les encourage à inviter les victimes à dénoncer leur bourreaux. Nous encourageons les évêques à fournir à ces victimes toute l'assistance nécessaire, et pas strictement spirituelle. Dans le cas récent d'un prêtre condamné par un tribunal civil italien, c'est la congrégation qui a suggéré aux dénonciateurs réclamant une procédure canonique d'alerter la justice civile. Cela dans l'intérêt des victimes et pour éviter de nouveaux actes délictueux.

Q. – La prescription est-elle prévue pour les « Delicta graviora »?

R. – Vous touchez un point délicat. Avant 1898, le principe de la prescription pénale était étranger au droit de l'Eglise. C'est seulement avec le Motu Proprio de 2001 qu'on a introduit pour les crimes graves une prescription de dix ans. Pour les délits sexuels, la décennie commence au dix-huitième anniversaire de la victime.

Q. – Est-ce suffisant?

R. – La pratique a montré que cette prescription décennale n'est pas adapté à ce type d'affaires. Il serait bon d’en revenir au système précédent fixant l'imprescriptibilité de ces « Delicta Graviora ». Cela dit, le 7 novembre 2002, Jean-Paul II a concédé à la Congrégation pour la doctrine de la foi une faculté de dérogation au cas par cas, à la demande motivée de l'évêque intéressé. Elle est généralement accordée.

         

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