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 Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People

People on the Move 

N° 94,  April 2004, pp. 177-180

Intervention de l’Eglise qui est en France ...*

S.E. Mgr Jean-Luc BRUNIN

Evêque auxiliaire de Lille

Président du Comité épiscopal des Migrations

Dans les préoccupations que vous avez exprimées (la place des jeunes, le témoignage de sa foi, etc.), je retrouve beaucoup de questions qui se posent dans toutes les communautés ecclésiales que je rencontre dans les visites pastorales. En intervenant aujourd'hui, je n'ai aucunement le sentiment ( à part la langue ) d'être un évêque étranger m'adressant à des chrétiens étrangers. Comme président du Comité épiscopal des migrations, je m'adresse à vous comme au peuple que le Seigneur confie à mon ministère afin de devenir l’Eglise de Jésus-Christ qui est en France. J’ai été intéressé par les témoignages et la remontée des carrefours où j'ai entendu vos initiatives, vos questions et vos craintes, vos perspectives pour devenir avec les autres communautés, l’unique peuple de Dieu ‘de toutes langues et cultures’.

Vous voici invités à progresser dans une double prise de conscience: vous êtes avec les autres communautés particulières, l’Eglise de Jésus-Christ en France. Vous avez un apport spécifique à faire valoir pour enrichir l’ensemble de l’Eglise.

Vous êtes l’Eglise du Christ en France

Cette prise de conscience est essentielle. Elle repose sur cette certitude « qu'en Jésus-Christ, il n'y a plus ni juif, ni grec; ni esclave, ni homme libre; ni homme, ni femme ... » ( Gal 3, 28 ). Cela ne signifie pas que le Christ nie les différences, mais il atteste qu'elles ne peuvent compromettre l’unité et la fraternité essentielles pour faire Eglise. Dans une société sécularisée et plurielle, nous avons besoin plus que jamais de rendre visible la catholicité. Elle le sera dans des fraternités croyantes regroupant des personnes de conditions, de générations et de cultures diverses. Comment voulez-vous rendre témoignage à l'appel universel de l’Evangile si chaque groupe particulier reste replié sur lui-même et ne se risque pas dans la - rencontre des autres? La crédibilité de la proposition de l’Evangile dans la société actuelle, réclame cette ouverture et cette volonté tenace de faire Eglise ensemble. C’est dans la mesure où - et seulement où- nous sommes capables de faire Eglise ensemble que nous pouvons ensemble assurer la mission de l’Eglise qui vise à ‘servir l’unité du genre humain’.

C’est un chemin ardu, et je mesure la difficulté que vous rencontrez pour vivre cette insertion ecclésiale. Les résistances doivent être clairement identifiées.

Elles sont internes: on a peur de se risquer et de s’affirmer dans sa singularité. On a trop intégré le fait d’être étranger cherche à se faire oublier, hésite à s'impliquer car il n'est pas chez lui. Vous ne pouvez vous satisfaire d’être des chrétiens timides, de second rang. Je vous invite à dépasser vos craintes pour exister dans l’Eglise (comme dans la société d'ailleurs) comme des ‘citoyens’: dans le Christ, vous n’êtes plus des étranges ni des gens de passage, vous êtes citoyens du peuple saint ... vous avez été intégrés dans la construction qui a pour fondation les Apôtres et les prophètes.» (Ephésiens 2, 19) Nous sommes les membres de l’unique Eglise du Christ vous n'êtes pas en transit dans l’Eglise de France, mais vous êtes une composante importante de l’Eglise du Christ en France.

Les difficultés sont aussi externes à votre communauté: Je sais que vous souffrez d’un manque certain de reconnaissance. On vous contraint souvent à passer sous les fourches caudines d’une pastorale ‘gauloise’. C'est la tentation de tout group majoritaire, fût-il d’Eglise, que de se montrer hégémonique et de chercher à assimiler tout corps étranger. Je vous encourage à la vigilance sur ce point. Osez protester lorsqu'on ignore ce que vous êtes, lorsqu'on tente de dégrader l’expression de votre foi au Christ en folklore religieux. Il ne suffit pas qu'on vous accueille pour un chant ou une danse portugaise pour que soit vraiment prise en compte l’expression de votre foi. Il ne s’agit pas d’un folklore, mais de l'expression de votre témoignage rendu au Christ au cœur d’une tradition culturelle et croyante, dans une histoire marquée profondément par la migration. Ne, vous laissez pas enfermer dans l’étrangeté, l’Eglise en rance a besoin du témoignage vivant de votre foi qui chante, prie, célèbre, processionne et surtout qui vous fait vivre. Pour cela, soucieux de vous insérer dans l’Eglise locale, il vous faut aussi faire vivre des communautés portugaises.

Responsables de communautés spécifiques portugaises

L’Eglise en France perdrait sa catholicité si elle devenait une Eglise française. Pour cela, votre travail d'animation de communautés portugaises est essentiel. Faites vivre des communautés de partage, de prière, rayonnantes de la foi pour les portugais de France.

Pour légitimer l’existence de vos communautés spécifiques, j'avancerai trois raisons:

a) La nécessaire convivialité entre portugais. Entretenir la joie de se retrouver et de vivre vos traditions culturelles, c'est indispensable pour garder un équilibre de vie. Il existe un art de vivre à la portugaise qui mérite d'être entretenu et même proposé aux jeunes générations. Trop de jeunes issus de l’immigration sont des gens sans racines et sans histoires. C’est la source de grosses difficultés personnelles et de panne d'insertion sociale. Valoriser vos racines et vos spécificités culturelles, c'est garantir un chemin d'humanisation. Bien entendu, des associations culturelles portugaises existent déjà. Mais une communauté ecclésiale ne dispense pas de vous retrouver pour cultiver la fierté de vos traditions culturelles. Il n'y a pas de mal à se faire du bien!

b) Le travail de la mémoire croyante. La foi des personnes de la première génération en France a été bousculée par l’expérience de la migration. Beaucoup ont dû passer de l’expérience de l’exil (partir loin de sa terre avec un sentiment du provisoire) à celle de l’exode (habiter une terre étrangère et garantir son avenir dans une nouveauté créatrice). Pour que ce passage soit vécu dans la foi, il est important de ménager des temps et des espaces de récit et de relecture. La foi que vous vivez, célébrez et proposez, a été burinée par l’expérience migratoire. Elle a été interrogée et renouvelée au contact d'une autre société et d’une autre culture. Vous avez fait l’expérience de la fidélité d’un Dieu qui vous accompagnait dans cet exode. Au delà de la sauvegarde des rites et des traditions, les communautés portugaises doivent permettre l’expression et la transmission de la mémoire croyante de la fidélité de Dieu expérimentée par vos aînés en terre étrangère. Les jeunes générations ont besoin de l’entendre au risque d'être des déracinés et des analphabètes de la foi. Dites leur les mots qui attestent de la fidélité de Dieu à l’égard de ce peuple portugais en migration. Proposez avec un sens renouvelé, les gestes et les rites qui ont permis d’exprimer votre foi au Christ sur cette terre où vous étiez des étrangers. Voilà une belle manière de vivre la fidélité dans les célébrations festives de Notre-Dame de Fatima.

c) L’expression de ce qui vous fait chrétiens. Dans les communautés dont vous avez la charge d'animation, travaillez pour que ce qui vous a faits chrétiens demeure vivant. Que votre tradition croyante spécifique soit cultivée, non pas dans une vision passéiste, mais comme ce qui vous fait vivre et donne sens à votre existence quotidienne. Plus que les chrétiens autochtones en France marqués par une tradition rationaliste, vous avez le sens de la ritualité. On croit au Christ avec des gestes, avec ses pieds dans une procession, avec son cœur qui dit l'amour, avec ses émotions ... Dans une Eglise de France qui, à cause de la fameuse laïcité à la française, s'est cru obligée de s'effacer dans l’espace public, faites retrouver le goût de la visibilité pour évangéliser les gens.

En conclusion ...

Je mesure qu'il doit être inconfortable pour vous de faire vivre deux attitudes apparemment contradictoires: faire effort pour vous insérer dans une Eglise locale (sans assimilation ni confusion) et travailler à faire vivre des communautés spécifiques portugaises (sans séparatisme ni repli communautaire). Entre assimilation et séparatisme, entre dilution et communautarisme, il vous faut tracer un chemin d'avenir pour que les portugais trouvent toute leur place dans l’Eglise qui est en France. Vous pouvez compter sur le Service national de la Pastorale des Migrants pour vous accompagner dans cette recherche et dans cette belle aventure de la catholicité.

Vous avez besoin de la Pastorale des migrants:

J’ai entendu des appels en direction des évêques et des Eglises diocésaines. Il y a de la souffrance de n'être pas reconnus. La Pastorale des migrants est un moyen d'exister et de vous faire reconnaître. Elle ne propose pas un 'formatage' pour normaliser les catholiques. Elle vous soutient dans l’accompagnement et l'animation des communautés portugaises, dans votre souci d’ouverture aux autres communautés et dans vos efforts d’insertion dans vos Eglises locales.

La Pastorale des migrants a besoin de vous:

Nous avons besoin de vous pour animer le réseau de la Pastorale des migrants. Vous êtes appelés à vivre, dans vos diocèses, davantage qu'un simple conseil des communautés étrangères qui seraient ainsi marginalisées. En existant en lien avec l’Eglise diocésaine (paroisses, mouvements et services), vous l'aidez à satisfaire à l’exigence de la catholicité. Le Service National de la Pastorale des migrants compte sur vous pour que vivent les communautés portugaises et que l’évangélisation des portugais devienne toujours plus, le souci de l’Eglise qui est France.

* À l’occasion de la rencontre nationale des délégués des communautés portugaises, Montmartre, 25 et 26 octobre 2003
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