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RENCONTRE DES ÉPISCOPATS D'EUROPE CENTRALE À MARIAZELL

DISCOURS DU CARDINAL ANGELO SODANO

Vendredi 21 mai 2004 

 

Messieurs les Cardinaux et chers confrères dans l'épiscopat,

"Ecce qua bonum et quam iucundum habitare fratres in unum" (Ps 133, 1), chantait le Psalmiste en contemplant, en extase, le rassemblement du peuple élu à l'occasion du pèlerinage annuel effectué au cours de la fête des Tentes. "Voyez! Qu'il est bon, qu'il est doux d'habiter en frères tous ensemble!". C'est ce que je voudrais moi aussi m'exclamer ce soir, en vous rencontrant, vénérés Pasteurs des Eglises qui refleurissent en Europe centrale.

Je suis venu ici pour vous faire ressentir,  en  cette  heure de grâce, la proximité du Saint-Père Jean-Paul II et pour vous assurer de la solidarité de tous ses collaborateurs qui, au sein de la Curie romaine, l'accompagnent dans sa mission de Pasteur de l'Eglise universelle.

1. La présence du Pape

D'ailleurs, l'Evêque de Rome est toujours proche de vous et a même déjà visité les huit pays que vous représentez aujourd'hui ici.ici, en Autriche, En Bosnie et Herzégovine, le Pape a visité la ville-martyre de Sarajevo en 1997, et est retourné l'an dernier à Banja Luka, pour béatifier la grande figure d'un laïc des temps modernes, le jeune Ivan Merz.

Le Pape s'est rendu en République tchèque en 1990, alors que la liberté venait d'être retrouvée après l'effondrement du communisme, et il y est retourné deux autres fois, en 1995 et en 1997, reparcourant ainsi l'itinéraire terrestre de saint Adalbert et rappelant l'histoire spirituelle de l'Europe centrale.

La Croatie a également eu la chance de recevoir trois visites pastorales du Saint-Père en 1994, en 1998 et en 2003. La béatification du Cardinal Alojzije Stepinac, dans le sanctuaire marial de Marija Bistrica, le 3 octobre 1998, suscita une émotion particulière et en cette occasion fut honorée l'une des plus grandes figures de l'épiscopat des temps modernes.

De même, la prédilection du Pape pour  sa  terre natale était logique. Et ainsi, la Pologne a pu bénéficier d'au moins huit visites de Jean-Paul II, depuis la première, en juin 1979, jusqu'à celle de 2002 dans sa ville natale de Cracovie et à Kalwaria Zebrzydowska, apportant partout un message d'espérance chrétienne.

La Slovaquie a été particulièrement privilégiée avec trois visites pontificales, de 1990 à Bratislava (bien qu'encore à l'époque de l'unique Tchécoslovaquie), jusqu'à celles de 1995 et de 2003. Là aussi, l'Eglise avait beaucoup souffert de la persécution communiste qui avait tenté de déraciner la foi semée par les saints Cyrille et Méthode, depuis que, en 880, avait été fondée la "Sainte Eglise de Nitra". Jean-Paul II y trouva cependant une foi indomptée, qui avait résisté héroïquement à toutes les tempêtes.

La Slovénie a elle aussi eu la chance de recevoir le Pape par deux fois, en 1996 et en 1999. A Maribor, le grand Evêque Anton Martin Slomsek fut béatifié, rappelant ainsi que ses saintes paroles, "que la sainte foi soit pour vous la lumière" sont toujours valables pour les chrétiens de tous les temps.

La Hongrie, la Pannonie sacrée, a elle aussi accueilli par deux fois Jean-Paul II en pèlerinage sur ses belles terres, de Budapest à Esztergom, pour prier sur la tombe du grand Cardinal Mindszenty; du sanctuaire de Mariapócs à l'abbaye de Pannonhalma, jusqu'à Gyor, où fut béatifié l'Evêque martyr Vilmos Apor, noble figure de Pasteur qui offrit sa vie pour son troupeau.

2. Une invitation à la collaboration

A travers moi, le Pape désire renouveler aujourd'hui son salut à chacun de vous, vénérés Pasteurs de ces huit pays d'Europe centrale, liés par tant de liens communs d'histoire, et tendus vers de nouvelles formes de collaboration, dans le cadre de la nouvelle réalité qui apparaît dans une Europe qui poursuit toujours plus son intégration.

Au cours de sa première visite en Autriche en 1983, le Pape fit déjà appel, dans son célèbre discours à l'"Europavesper am Heldenplatz", à la responsabilité commune de vos nations pour l'avenir chrétien de l'Europe. Et ce thème fut le leitmotiv des deux autres visites du Pape sur cette terre aussi chargée d'histoire.

Aujourd'hui, à l'occasion du Katholikentag de 2004, Jean-Paul II vous invite tous à poursuivre cet engagement commun, pour apporter votre contribution à la construction d'une Europe qui veut progresser dans le sillage de son héritage chrétien.

3. Un hymne de gratitude

Réunis autour de vos confrères autrichiens, je crois que notre premier devoir aujourd'hui est de remercier le Seigneur pour cette nouvelle heure de grâce qu'il accorde à son Eglise. Il s'agit d'une action de grâce pour avoir soutenu les Eglises d'Europe centrale à l'heure de la persécution et au cours de la longue nuit obscure de l'épreuve. Il s'agit d'une action de grâce pour le don de la liberté religieuse retrouvée, si nécessaire afin que l'Eglise puisse accomplir sa mission évangélisatrice dans le monde d'aujourd'hui, en particulier parmi les nouvelles générations.

Dans la nuit de Pâques, nous avons chanté, plus heureux que jamais, l'hymne de l'Exsultet et lors de la bénédiction du cierge pascal, nous avons prononcé les belles paroles de la liturgie:  "Christus hieri et hodie, Alpha et Omega, ipsi gloria in saecula saeculorum". Et c'est ce que nous pouvons répéter chaque jour, en rendant hommage à Celui qui est le Seigneur de l'histoire, Providence de toujours sur le chemin des peuples.

En visitant avec le Saint-Père la belle cathédrale de Split, sur la terre croate, le 4 octobre 1998, j'ai éprouvé une certaine émotion en me souvenant de l'histoire de cet édifice. Il n'était autre que le mausolée que s'était fait construire l'Empereur Dioclétien, le plus féroce persécuteur des chrétiens. Sur ses ruines s'élevait déjà au VII siècle l'actuelle Eglise-cathédrale. Ces chrétiens virent ainsi bientôt réalisée la promesse du Christ:  "portae inferi non praevalebunt" (Mt 16, 18).

Les événements de l'Europe chrétienne nous poussent véritablement à définir une théologie de l'histoire. C'est ce que je lisais récemment dans le dernier numéro de la Nouvelle Revue théologique, dans un article du Père Herr, s.j., intitulé "Essai sur l'héritage de l'Europe. Une lecture théologique" (ibid., 126/2 [2004], pp. 218-235).

4. Les nouveaux défis

En vous tournant vers l'avenir, vous voyez s'ouvrir devant vous un immense domaine de travail. Il s'agit d'un domaine qui embrasse vos huit nations d'Europe centrale et qui pose des problèmes nouveaux aux 107 Pasteurs des 107 diocèses présents sur vos terres. Les 60 millions de catholiques qui vous sont confiés s'inscrivent dans une réalité plus vaste, composée de 83 millions d'habitants, qui font partie d'une Europe désormais pluraliste, qui lance de nouveaux défis à votre engagement apostolique.

Hier, vos communautés ont dû combattre les défis du nazisme et du communisme. Aujourd'hui, il y a le défi du laïcisme, qui tente d'occulter la présence des valeurs religieuses, et en particulier des valeurs chrétiennes, dans la vie publique. On le voit également dans le débat en cours sur le Traité constitutionnel de l'Union européenne.

Les chrétiens, toutefois, ne doivent pas se décourager; ils doivent continuer de diffuser leur conception de la vie individuelle et sociale, à travers la méthode du dialogue fraternel envers tous.

Déjà le Pape, dans sa Lettre Novo Millennio ineunte, soulignait que la nouvelle période historique se situe dans la perspective d'un "pluralisme culturel et religieux plus marqué" (n. 55). Le dialogue devient donc important et fait ainsi partie de la mission évangélisatrice de l'Eglise elle-même dans un lien intime avec l'annonce du Christ, qui est sa raison d'être dans le cours de l'histoire humaine.

Aujourd'hui, à travers ce dialogue, nous sentons que nous contribuons également à la paix sociale et au "ministère de réconciliation" (2 Co 5, 18), auquel nous sommes appelés, en vertu de notre mission.

Cela est important pour vous également, chers confrères dans l'épiscopat, qui oeuvrez dans diverses communautés nationales. L'éducation à un amour sain pour sa propre terre doit pourtant également comporter un amour égal pour ses voisins, en évitant tout nationalisme anachronique. Certes, les nations ne peuvent disparaître dans la nouvelle Europe. Les Autrichiens seront toujours autrichiens, les Croates seront toujours croates, les Polonais seront toujours polonais, et ainsi de suite. Nous devrons toutefois contribuer à une nouvelle éducation de notre jeunesse. Au XIX siècle, au moment de l'unité de l'Italie, le Premier ministre Cavour prononça cette phrase célèbre:  "L'Italie est faite, à présent, il faut former les Italiens". Aujourd'hui, avec une certaine analogie, nous pourrions dire:  "L'Union européenne est faite, à présent il faut former les Européens!".

5. Le levain de l'Evangile

C'est un travail lent et patient, tout comme est lent et patient le travail de l'Eglise en général, pour placer le levain de l'Evangile dans la nouvelle réalité du continent, comme elle l'a toujours fait au cours des deux mille ans de son histoire.

En réalité, aucun historien ne peut nier que le message du Christ a imprégné notre civilisation, transformant peu à peu, comme le ferment de la parabole évangélique, le monde gréco-romain, puis les peuples qui ont constitué ce continent. C'est ce  qu'a  bien  mis en lumière  le  Concile  oecuménique  Vatican II, dans la célèbre Constitution pastorale Gaudium et spes, en disant que l'Eglise est appelée à être "le ferment et, pour ainsi dire, l'âme de la société humaine" (ibid. n. 40).

"Certes - nous rappelle le même Concile - la mission que le Christ a confiée à son Eglise n'est pas d'ordre politique, économique, ou social:  le but qu'il lui a assigné est d'ordre religieux. Mais précisément de cette mission religieuse découlent une fonction, des lumières et des forces qui peuvent servir à constituer et à affermir la communauté des hommes selon la loi divine" (ibid., n. 42).

Tel est le dynamisme de l'Evangile qui démontre, aujourd'hui encore, sa vitalité sur notre continent.
6. Une vision d'espérance

Cela laisse présager un avenir optimiste, en dépit des nuages qui s'amoncèlent à l'horizon. La promesse du Seigneur nous réconforte:  "Qui vous écoute m'écoute" (Lc 10, 16). La parabole de Jésus nous confère également une profonde sérénité intérieure, en assurant:  "Il en est du Royaume de Dieu comme d'un homme qui aurait jeté du grain en terre; qu'il dorme et qu'il se lève, nuit et jour, la semence germe et pousse, il ne sait comment" (Mc 4, 26-27).

C'est une parabole qui nous invite à poursuivre notre travail quotidien, sans prétendre en voir immédiatement les fruits. Même dans le Royaume de Dieu, en effet, existe la loi de la progression.

En ce Katholikentag, nous proclamerons une fois de plus que "le Christ est notre espérance" que le Christ est également l'espérance de la nouvelle Europe qui se construit. Certes, l'Europe est encore un projet, mais il s'agit d'un projet ambitieux. Le Christ est à nos côtés dans notre engagement en vue d'une civilisation chrétienne de nos peuples. Avec le Psaume, nous pourrons conclure:  "Beatus populus, cuius Dominus Deus eius" (Ps 143, 15). Bienheureux le peuple dont Yahvé est le Dieu!

 

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