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VII ASSEMBLÉE DES CHRÉTIENS EUROPÉENS

INTERVENTION DU CARDINAL TARCISIO BERTONE

Gniezno, Pologne
Vendredi 15 juin 2007

 

 

Excellences,
Illustres Autorités,
Mesdames et Messieurs!

1. L'homme, voie de l'Europe

Je remercie cordialement l'Archevêque de ce diocèse:  S.Exc. Mgr Henryk Muszynski, de l'invitation qu'il m'a adressée à prendre part à la VII rencontre de Gniezno, qui a pour thème:  "Man - The road for Europe" (L'homme - voie de l'Europe). J'adresse mon salut cordial aux éminentes Autorités, aux organisateurs et aux illustres rapporteurs, ainsi qu'à tous les participants. J'interviens au cours de cette solennelle session d'inauguration, intimement convaincu de l'importance de réaffirmer, en ce moment historique si délicat pour notre continent, les principes et les valeurs humaines et religieuses, éthiques et morales, sans lesquelles il est difficile de construire un avenir de réel progrès et de paix en Europe et dans le monde. L'Eglise, de diverses manières et en diverses circonstances, continue comme par le passé à rappeler que l'homme doit se trouver au centre de chaque projet social et politique.

2. Qui est l'homme?

Il existe un "fil" conducteur qui relie les diverses interventions de cette VII Conférence de Gniezno. Que ce soit au cours de l'actuelle séance d'inauguration, dans laquelle retentit la question éternelle "qui est l'homme?", ou dans les  phases successives du Congrès, lorsque seront abordées des problématiques concernant la personne humaine en référence à l'histoire, à la bioéthique, à la sociologie, à la psychologie et aux religions, pour élargir ensuite le panorama aux défis politiques et religieux de l'Europe d'aujourd'hui, le "fil" conducteur - disais-je - reste toujours l'homme:  l'homme qui doit être considéré dans sa totalité, l'homme qui doit être valorisé dans son génie et qui doit être respecté dans sa dignité innée selon l'exaltant projet divin. Et c'est donc sur l'homme - l'homme créé par Dieu pour être son ami - que je chercherai à fixer l'attention, pour mettre en évidence sa vocation et sa mission au sein de l'Eglise et au service de l'Europe du troisième millénaire. En 1997, lors de son voyage apostolique en Pologne, le grand Pape fils de votre terre, Jean-Paul II, eut l'occasion de dire que:  "Il n'y aura pas d'unité de l'Europe tant que celle-ci ne sera pas fondée dans l'union de l'Esprit" (1). Il voulait ainsi souligner qu'il aurait été réducteur de penser à une Europe politiquement unie seulement en raison d'intérêts économiques et de marché. Cela aurait été une grave erreur de croire pouvoir édifier son avenir sans tenir compte de son passé, sans se référer à sa riche tradition humaniste et chrétienne; cela aurait véritablement constitué une perte de ne pas continuer à se servir de la contribution que l'Eglise a apportée et qu'elle est disposée à apporter à sa constitution. Et l'une des contributions les plus significatives du christianisme au processus constitutif de l'Europe a précisément été jusqu'à aujourd'hui l'engagement inlassable pour défendre et promouvoir la dignité de la personne humaine et de ses droits inaliénables.

3. L'homme, voie de l'Eglise

A cet égard, l'enseignement des Souverains Pontifes est très riche, en particulier au siècle dernier - le siècle de l'humanisme - et encore davantage au cours des récentes décennies. En le reprenant abondamment dans Centesimus annus, Jean-Paul II, grand défenseur des droits de l'homme, a souligné que l'homme, auquel l'Eglise prête son attention, n'est pas l'homme "abstrait", mais réel, "concret" et "historique":  c'est chaque homme, car chaque homme est concerné par le mystère de la rédemption et le Christ s'est uni à lui pour toujours, à travers ce mystère. Dans le même document, se référant à la première Encyclique-programme de son Pontificat, Redemptor hominis, il affirmait que:  "Jésus Christ est la route principale de l'Eglise... il est aussi la route pour tout homme. Sur cette route qui conduit du Christ à l'homme, sur cette route où le Christ s'unit à chaque homme, l'Eglise ne peut être arrêtée par personne" (2). Et il ajoutait:  "Le bien temporel et le bien éternel de l'homme l'exigent. L'Eglise, par respect du Christ et en raison de ce mystère qui  constitue  la  vie de l'Eglise elle-même, ne peut demeurer insensible à tout ce qui sert au vrai bien de l'homme, comme elle ne peut demeurer indifférente à ce qui le menace" (3). L'homme est alors la première voie que l'Eglise doit parcourir dans l'accomplissement de sa mission, la voie tracée par le Christ lui-même, une voie qui passe immuablement à travers le mystère de l'incarnation et de la rédemption. Conscient de ce grand mystère, Jean-Paul II a réaffirmé à plusieurs reprises la place centrale de l'homme au sein de la société.

4. La pleine vérité de l'homme

L'homme doit être considéré dans la pleine vérité de son existence, de son être personnel et, en même temps, de son être communautaire et social - dans le cadre de sa famille, de la société et de ses contextes si différents, dans le cadre de son propre pays, ou peuple (voire peut-être encore seulement de son clan ou de sa tribu), et de toute l'humanité. Tel est l'homme dans toute la vérité de sa vie, dans sa conscience, dans son inclination permanente au péché et, en même temps, dans son aspiration permanente à la vérité, au bien, à la beauté, à la justice, à l'amour. En son sein, de nombreux éléments sont en opposition réciproque. En effet, en tant que créature, d'une part, il fait l'expérience de conditionnements et de limites en tous genres. De l'autre, il ressent que les aspirations de son cœur sont infinies et qu'il est presque insatiable dans ses attentes. Attiré par de nombreuses sollicitations, l'homme se voit cependant obligé de n'en choisir que quelques unes et de renoncer aux autres. Fragile et pécheur, il se retrouve souvent en train de faire ce qu'il ne voudrait pas et à ne pas faire ce qu'il désirerait. Cet homme est la voie de l'Eglise:  l'homme, chaque homme sans aucune exception, racheté par le Christ. L'Eglise porte toute son attention à cet homme, à l'homme d'aujourd'hui, qui apparaît menacé par ce qu'il produit, qui est souvent victime du progrès qu'il a lui-même construit de ses mains et qui est le fruit de son génie.

5. Les menaces contre la dignité de l'homme

Aujourd'hui, en Europe, comme du reste dans le monde entier, l'homme est menacé de manière insidieuse dans son être moral, car il est sujet à des courants hédonistes qui accentuent ses instincts et le fascinent avec les illusions d'une consommation sans discrimination. L'opinion publique est manipulée par les suggestions trompeuses d'une forte publicité dont les valeurs unidimensionnelles devraient nous rendre critiques et vigilants. En outre, l'homme est humilié par des systèmes économiques qui exploitent des communautés entières. L'homme est également victime de régimes politiques et idéologiques déterminés qui emprisonnent l'âme des peuples. En tant que chrétiens, nous ne pouvons pas nous taire et nous devons dénoncer cette oppression culturelle qui empêche les personnes et les groupes ethniques d'être eux-mêmes, selon leur vocation spécifique. C'est à travers ces valeurs culturelles que l'homme, de manière individuelle ou collective, vit une vie véritablement humaine et nous ne pouvons pas tolérer que ses raisons de vie soient détruites. L'histoire sera sévère avec notre époque, car celle-ci étouffe, corrompt et asservit brutalement les cultures de tant de pays du monde.

6. Le dernier continent de la nature

Cet état de menace pour l'homme, dans le contexte actuel où vit l'Europe, possède ainsi diverses directions et degrés d'intensité. Mais il existe une menace encore plus délicate qui touche le mystère même de la vie humaine, le génome de l'homme. Sur les antiques cartes géographiques, exposées aux Musées du Vatican, se trouvait une inscription aux confins du monde alors connu:  terra incognita. Et, à peine de nouveaux continents étaient-ils découverts, l'incognita diminuait toujours davantage et la carte du monde comprenait de nouvelles terres et de nouvelles populations. Le génome de l'homme est le dernier continent de la nature exploré au seuil du troisième millénaire, en sillonnant la mer de la vie humaine avec les moyens puissants de la génétique et de la biologie moléculaire. La recherche avancée et les conquêtes de la science, loin de nier l'œuvre de Dieu, révèlent toujours plus les grandeurs du Créateur et la stature éminente de l'homme. Sa grandeur, comme écrivait Dostoïevski, consiste précisément à s'incliner face à l'infiniment plus grand que lui, mais que lui seul parmi les créatures est en mesure de reconnaître.

7. Dénoncer les risques de la recherche scientifique

La recherche scientifique est bien sûr émerveillement, beauté, une aventure humaine créative vers les insondables profondeurs des choses; elle est également, tout au moins depuis Bacon, un pouvoir reconnu de l'homme sur la nature et de l'homme sur l'homme. "Savoir et pouvoir se mêlent toujours davantage dans une logique qui peut emprisonner l'homme lui-même" (4), aimait rappeler Jean-Paul II. Certaines tendances des applications de la génétique à la médecine sont l'expression de ce pouvoir de l'homme sur l'homme, là où celles-ci ne sont pas finalisées à la thérapie et au meilleur accueil de la vie de l'enfant à naître, mais plutôt à la discrimination et à la suppression de ceux qui sont affectés par des malformations congénitales ou par des maladies d'origine génétique. Je fais ici allusion au diagnostic préimplantatoire, qui est l'étape la plus avancée de la sélection eugénique. La dérive eugénique possède un héritage ancien, elle se trouve de nouveau "aux portes" de l'Europe avec des techniques plus raffinées et puissantes. Les tendances actuelles conduisent à justifier les tests génétiques et l'élimination successive de l'enfant conçu ne correspondant pas aux caractéristiques désirées "en raison d'anomalies dentaires, de sexe, de taille, de l'absence d'une prédisposition à la musique". On est même arrivé à soutenir que la sélection de l'enfant est légitime non seulement dans un sens positif, mais également négatif:  "Certains ont même voulu imposer à tout prix la caractéristique de la surdité". Le diagnostic génétique préimplantatoire (dgp) "n'a pas pour but de soigner - a affirmé le célèbre pédiatre italien spécialiste en néonatologie, Carlo Valerio Bellieni - mais d'éliminer les enfants conçus qui ne sont pas désirés". Je voudrais en outre signaler la fausseté de la terminologie:  ce qui est appelé "pré-embryon humain" est une dénomination artificielle, subtilement stratégique pour pouvoir faire ce que l'on veut sur cet "objet mystérieux" et ne pas le reconnaître comme être humain.

8. Les conséquences à long terme du diagnostic génétique préimplantatoire

Il existe ensuite des inquiétudes sur les conséquences à long terme du diagnostic génétique préimplantatoire. Le Ministère de la Santé du Royaume-Uni a récemment recommandé de suivre attentivement les enfants nés après cette procédure. Des craintes sont également suscitées par les kit "à faire soi-même" du diagnostic pré-natal afin de déterminer le sexe de l'enfant conçu, praticables au cours de périodes où de nombreuses législations permettent l'avortement.

Selon le jugement du professeur Kevin T. Fitz-Gerald, le diagnostic génétique préimplantatoire est sorti du domaine de la médecine pour entrer dans celui de l'eugénisme, avec des retombées psychologiques négatives sur l'enfant "commandé", comme l'a montré Marie-Odile Rethoré, membre de l'Académie de médecine française. Cette experte a démontré que les diagnostics préimplantatoire et prénatal conduisent à l'élimination des porteurs de handicaps.

Pour défendre la subjectivité juridique de l'embryon, les hommes politiques chrétiens, selon Jean-Marie Le Mené, Président de la Fondation Jérôme Lejeune "ne devraient pas se contenter de ne rien faire" mais, au contraire, "ils ont l'obligation de faire des propositions positives et innovantes". A cet égard, Jean-Marie Le Mené suggère de créer dans chaque diocèse une structure pour le "respect de la vie", de manière à propager "une résistance active au génocide programmé de l'embryon dans la phase de la préimplantation, antichambre du clonage humain".

A la lumière de certaines définitions philosophiques, il est peut-être possible d'hésiter à conférer la caractéristique de personne à l'embryon, mais une chose est certaine, comme l'a souligné le philosophe Robert Spaeman, il a des relations familiales, pas seulement biologiques, mais toujours personnelles. "Un embryon est toujours un enfant dès le premier moment de son existence" (5).

9. Un nouvel eugénisme sélectif

Sur notre continent également se profile à l'horizon - où est déjà à l'œuvre en raison des agissements de certains - un nouvel eugénisme sélectif que l'on définit de procréation qualitativement contrôlée, de droit à un enfant sain, de limitation des dépenses sociales pour les porteurs de handicaps, et de tant d'autres choses encore. Le diagnostic prénatal et préimplantatoire, fortement développé par les techniques de la génétique moléculaire, ne peut se transformer en une condamnation à mort pour aucun embryon ni pour aucun fœtus, qui représentent le début de la vie humaine individuelle que chacun de nous a vécu. La raison ne peut pas nier ce que la  science  de  l'embryon elle-même souligne avec clarté.

Les résultats d'une profonde connaissance du génome humain sont dignes d'une meilleure cause:  celle d'interventions thérapeutiques visant à soulager les souffrances de la maladie, à améliorer les thérapies (comme dans le cas de la thérapie génétique somatique), à développer le diagnostic en fonction d'une intervention préventive ou curative plus précoce.

10. Une législation sur une base éthique

La science est pour l'homme, pour tout l'homme et pour chaque homme, et elle ne peut jamais être contre l'homme et contre l'humanité. C'est pourquoi l'Eglise a demandé et demande que les conventions internationales et les lois des Etats qui aspirent à être l'instrument du bien commun, aient comme titulaire du droit à l'intégrité génétique et organique "chaque être humain dès le moment de la fécondation, sans discriminations, que ces discriminations soient liées aux imperfections génétiques ou à des défauts physiques, ou bien qu'elles concernent les diverses périodes de développement de l'être humain" (6), comme l'a rappelé le Pape Jean-Paul II. Demander de solides "remparts juridiques" est un droit de chaque citoyen qui veut contribuer au progrès de la civilisation de son pays, selon la raison et selon l'expérience. La raison et l'expérience auxquelles nous a éduqués notre foi et que nous offrons comme patrimoine commun, partagé et partageable par quiconque recherche avec intelligence et passion le bien de chaque être humain appelé à la vie. Le savoir de la science et le savoir de la foi se rencontrent sur la Voie de l'homme, et ils ne s'opposent pas, car ils ont tous les deux une seule origine et une seule fin, que la raison et l'expérience nous rendent évidentes, et que le Pape Benoît XVI ne se lasse pas de rappeler.

La perspective de l'homme amélioré par l'homme et celle qui se trouve sur le revers de la médaille - de l'homme manipulé par l'homme -, nous assurent que l'ingénierie génétique a, au fond, des implications nécessairement métaphysiques, c'est-à-dire qui touchent des aspects qui concernent le sens radical de l'homme, de sa vie, de son destin. Et l'ingénierie génétique étant l'une des sciences les plus importantes de l'avenir, c'est-à-dire de l'univers qui s'ouvre à nous comme société déjà appelée "biogénétique", l'avenir sera métaphysique ou bien il ne sera pas humain.

11. La possibilité technique ne coïncide pas avec la possibilité éthique

Il faut clairement dire que ce qui est faisable n'est pas toujours réalisable. Voilà pourquoi la bioéthique constitue le défi numéro un également pour l'Europe du troisième millénaire. Il ne fait aucun doute que le point crucial de chaque réflexion ou décision sur la sauvegarde ou la destruction de la vie est le concept de vie et l'attitude face à l'homme et à son existence. Depuis le jour où ont été présentées et approuvées les lois sur la légalisation de l'avortement, beaucoup de chemin a été parcouru dans le sens d'un non-retour à la protection et à la promotion de la vie, et de chaque vie. Il suffit de penser à la loi légalisant l'euthanasie active, alors que l'on demande à présent la légalisation de véritables manipulations génétiques (prédétermination du sexe, transplantations d'embryons et de fœtus, commerce d'embryons et de fœtus, procréation assistée non seulement par la fécondation artificielle homologue, mais également par la fécondation hétérologue, etc.).

12. Le savoir de la science et le savoir de la foi

Face à l'émancipation scientifique de l'homme, de sa nature, de son identité de créature naturelle, l'Académie pontificale pour la Vie a affirmé à juste titre:  "L'âme spirituelle, aspect constitutif essentiel de chaque sujet appartenant à l'espèce humaine, qui est créée directement par Dieu, ne peut ni être engendrée par les parents, ni être produite par la fécondation artificielle, ni être clonée". Contre ce Far West biologique, il y a besoin de restituer à la foi, intrinsèquement liée à la révélation, la dignité du savoir:  le savoir de la vérité ne peut pas être dissocié du savoir de la foi. En d'autres termes, il n'est permis - encore moins imposé - à personne de perdre la raison pour acquérir la foi, mais pas plus de perdre la foi pour acquérir la raison. Foi et science, foi et raison, sont un binôme trop important pour être dissocié avec légèreté. L'être humain, à commencer par le génome humain, possède une telle densité d'être et de morale, qu'il ne peut pas être détaché de Dieu, qui est la plénitude de l'Etre! "Esse subsistens"Dieu est l'Etre dans sa totalité et son absolu; l'homme ne l'est que de manière limitée.

Exercer la science avec une responsabilité de foi, signifie donc avoir confiance dans l'histoire de l'homme, dans sa mémoire également génétique; cela représente le courage pour l'avenir, une capacité de créativité permanente et renouvelée sans trahir la fidélité aux valeurs qui demeurent, qui ne peuvent pas changer; c'est la certitude de rencontrer Dieu et ses projets dans cet aujourd'hui, blessé et bouleversé, dont nous sommes responsables.

Même devant des existences marquées par la pauvreté, les injustices ou les dépravations, nous ne pouvons pas oublier la beauté originelle de l'enfant, que Jésus indique comme "icône inspiratrice" pour les Apôtres et pour tous ses disciples. Il nous est demandé de restituer à Dieu, toujours et partout, ce qui est à Dieu et l'homme à l'homme, pour qu'il reste à l'image et à la ressemblance de son Créateur, tabernacle du Dieu vivant.

13. La dignité de la personne

Les fidèles catholiques, mais aussi les scientifiques et les législateurs, devraient s'engager à faire en sorte que les décisions fondamentales sur l'homme et sur l'avenir ne soient pas prises en laboratoire, selon un processus mécanique qui isole le phénomène biologique élémentaire et le reproduit d'une manière artificielle aussi banale que mythique, dans l'illusion d'appeler "progrès" ce qui est une recherche difficile d'antiques lois divines inscrites dans la nature de l'homme.

La "nature", que la foi de l'Eglise demande rigoureusement de respecter dans la procréation d'un être humain, est la dignité même de la personne, reflet de l'amour de Dieu.

Cette dignité se révèle précisément aussi dans l'aspect corporel:  à celle-ci doit correspondre la logique du "don de soi", qui est inscrite dans la création et dans le cœur de l'homme, selon la merveilleuse expression de saint Thomas d'Aquin:  "L'amour est par nature le don originel dont proviennent gratuitement tous les autres dons" (7). Ces réflexions soulignent le rapport de l'acte créatif de Dieu avec un phénomène apparemment seulement physiologique et gouverné par les lois de la nature:  le processus gouverné par les lois naturelles est fondé et rendu possible à travers l'événement personnel de l'amour, dans lequel les êtres humains vont jusqu'à se donner l'un à l'autre.
Comme l'écrivit celui qui était alors le Cardinal Joseph Ratzinger, "ce don est le lieu intérieur dans lequel le don de Dieu et son amour créateur peut devenir efficace comme nouveau début" (8). Nous pourrions dire, dans un axiome qui devrait devenir l'idée passionnée de la vie de chacun de nous, "tout est pour la personne, car c'est de la personne que tout recommence".

14. L'engagement des chrétiens

Chaque fois que l'on s'arrête pour contempler le mystère de l'homme, la pensée et le cœur des croyants se tournent vers Jésus Christ et le mystère de la Rédemption, où le mystère de l'homme est inscrit avec une force spéciale de vérité et d'amour. Si le Christ "s'est uni d'une certaine manière à chaque homme" (9), l'Eglise, en pénétrant au plus profond de ce mystère, dans son langage riche et universel, vit également plus profondément la propre nature et participation de chacun de nous à cette mission et service.

L'Eglise répète également aujourd'hui avec vigueur ce message qui n'a pas changé:  "L'homme est et devient toujours "la "voie" de la vie quotidienne de l'Eglise"" (10). Car sans ce respect pour l'homme et pour sa dignité, comment pourrait-on lui annoncer les paroles de vie et de vérité? C'est là que se trouve l'engagement des chrétiens, appelés à défendre vaillamment chaque vie au nom de Dieu, et dans l'ordre imprimé par Dieu, également contre les expérimentations dévastatrices de la science séparée de l'éthique.

"Restituer l'homme à Dieu, restituer l'homme à l'homme a été l'engagement moral et je dirais scientifique des savants et des chercheurs chrétiens, en dénonçant certaines prétentions de leurs collègues comme des "hypothèses inspirées par le désir de toute-puissance". Les nouveaux détenteurs du pouvoir, qui ont trouvé les clefs du langage de la création et qui peuvent à présent démonter les éléments de base qui le composent, devraient savoir que "leur agir" n'est possible que parce qu'existent déjà les chiffres et les lettres, dont ils sont à présent devenus capables de recueillir les informations" (11).

Dans un ouvrage célèbre, le Cardinal Daniélou a écrit:  "Lorsque nous disons NON à certaines choses, nous sommes essentiellement inspirés par la charité:  dans la mesure où l'on aime, dans le sens le plus profond du terme, on ne supporte pas de voir abimer et détruire des êtres humains... Il n'y a désormais plus de doute que le monde dans lequel nous vivons, et en particulier celui de la culture, prêche la recherche d'une liberté qui n'ose plus rien limiter. Il suffit qu'une autorité quelconque, qu'il s'agisse d'un ministre ou d'un évêque, mette un frein à la liberté de quiconque, et voilà que tous les intellectuels se dressent comme un seul homme pour protester au nom de la défense de la liberté, sans se rendre compte que la liberté doit toujours engendrer une responsabilité, et que l'on ne peut pas soutenir que la liberté de dire ou de faire n'importe quoi soit l'un des droits essentiels de l'homme" (12).

15. Quelques indications conclusives

Notre engagement pour la sauvegarde de l'homme, "voie" de l'Eglise, et considéré dans ce Congrès comme "voie" de l'Europe, comporte tout d'abord une conviction qu'il faut réaffirmer avec vigueur, à propos de la valeur de l'homme, quel que soit son développement et malgré sa fragilité. Il faut que cette  conviction  s'accompagne d'une cohérence extrême dans le soutien concret du droit à la vie dans toutes ses expressions et en assurant à chaque être humain la plus grande protection possible. Il faut en outre promouvoir une vaste et robuste action éducative, en portant une attention spéciale aux nouvelles générations. Il est ensuite nécessaire de se libérer de ce sentiment qui pousse souvent à vivre insatisfaits, toujours à la poursuite de sensations différentes, dans une recherche frénétique de tout ce qui est nouveau et différent. L'éducation du désir pourrait être la véritable frontière d'une œuvre renouvelée de formation morale, particulièrement adressée aux jeunes d'aujourd'hui, prisonniers des mailles d'une mentalité néo-narcissique récurrente.

Si l'on veut établir une relation valable avec l'humanité future, il est indispensable de choisir l'éthique de la responsabilité, en nous préoccupant de tous ceux qui viendront après nous et que nous ne connaîtrons peut-être jamais, mais qui recevront l'héritage de nos choix et en porteront le poids.

16. Une grande famille aimée de Dieu

La Pologne est une nation aux traditions chrétiennes nobles et solides, qui a connu des générations d'authentiques croyants, de courageux témoins de l'Evangile et également de nombreux martyrs de la foi. Les défis d'aujourd'hui, après l'effondrement du totalitarisme communiste, ont peut-être en partie changé par rapport au passé, mais ils n'ont certainement pas diminué. Parmi ceux-ci, avec la sauvegarde de la liberté religieuse, il faut considérer comme prioritaire la défense de la dignité de chaque être humain, un défi qui demande du courage et de la persévérance:  en effet, c'est l'avenir même de l'Europe et du monde qui est en jeu. De ce point de vue, notre engagement ne manquera jamais, l'engagement de l'Eglise et de toute autre institution qui a à cœur le destin des peuples. Nous demandons à Dieu, par l'intercession de Marie, vénérée et aimée par la Pologne et par les populations des autres nations européennes, que notre cœur et notre intelligence s'ouvrent toujours davantage à ces grands défis qui nous attendent:  le défi du caractère sacré de la vie humaine dans toutes les situations, en particulier face aux manipulations génétiques; la promotion de la famille, cellule fondamentale de la société; le respect des droits de l'homme en chaque circonstance; la sauvegarde de l'environnement.

Je reprends, pour finir, ce que Jean-Paul II disait aux diplomates accrédités près le Saint-Siège le 13 janvier 2001, en réaffirmant la détermination de l'Eglise catholique à défendre l'homme, sa dignité, ses droits et sa dimension transcendante. "Les croyants - affirma-t-il - auront toujours le devoir impérieux de rappeler à tous et en toutes circonstances le mystère personnel inaliénable de tout être humain créé à l'image de Dieu, capable d'aimer à la manière de Jésus" (13).

Que mon engagement quotidien, le vôtre et celui de tous les hommes, soit donc de nous aider les uns les autres à être dignes de la vocation à laquelle nous avons été appelés:  former ensemble une grande famille, heureuse de se savoir aimée d'un Dieu qui veut que nous soyons frères.


Notes

1) Insegnamenti de Jean-Paul II, 1997/I, p. 1370.

2) Jean-Paul II, Lettre encyclique Redemptor hominis, III, 13.

3) Ibid., 3, 13.

4) Insegnamenti de Jean-Paul II, 1998/I, p. 419.

5) Pier Luigi Fornari in Avvenire, 1 mars 2006.

6) Insegnamenti Jean-Paul II, 1998/I, p. 421.

7) Summa theologiae, I, q. 38, a 2 resp.

8) Uno sguardo teologico sulla procreazione umana, in La via della fede, Milan 1996, p. 138-139.

9) Jean-Paul II, Lettre encyclique Redemptor hominis, II, 8.

10) Ibid., IV, 21.

11). J. Ratzinger, op. cit. p. 148-149.

12) La cultura tradita dagli intellettuali, éd. Rusconi, Milan, 1974.

13) Insegnamenti Jean-Paul II, 2001/I, p. 165; cf. ORLF n. 3 du 16 janvier 2001.

 

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