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DISCOURS DU SAINT-PÈRE JEAN PAUL II
AU TRIBUNAL DE LA ROTE ROMAINE
POUR L'INAUGURATION DE L'ANNÉE JUDICIAIRE

Samedi 17 janvier 1998

 

 1. J’ai écouté avec intérêt les paroles par lesquelles, vénéré Frère, en votre qualité de Doyen de la Rote romaine, vous vous êtes fait l’interprète des sentiments des Prélats auditeurs, des « Officiers » majeurs et mineurs du Tribunal, des Défenseurs du lien, des avocats près la Rote, des étudiants du « Studio rotale » et de vos proches qui assistent à cette audience spéciale, à l’occasion de l’inauguration de l’année judiciaire. En vous remerciant pour les sentiments que vous avez exprimés, je voudrais aussi, en cette circonstance, vous renouveler mes félicitations pour votre élévation à la dignité d’archevêque, qui constitue une manifestation d’estime à votre égard et de reconnaissance pour 1’activité séculaire du Tribunal de la Rote romaine.

Je connais bien la collaboration compétente que votre Tribunal apporte au Successeur de Pierre dans l’accomplissement de sa tâche dans le domaine judiciaire. C’est un travail précieux, qui ne se fait pas sans sacrifices de la part de personnes hautement qualifiées dans le domaine juridique, et qui ont la préoccupation constante que l’activité du tribunal corresponde aux besoins pastoraux de notre temps.

Comme il se devait, Mgr le Doyen a rappelé que, au cours de cette année 1998, il y aura 90 ans que la Constitution apostolique Sapienti consilio, par laquelle mon vénéré Prédécesseur saint Pie X réorganisa la Curie romaine, avait aussi redéfini la fonction juridictionnelle et la compétence de votre Tribunal. C’est à juste titre qu’il a rappelé cet anniversaire, faisant une brève allusion au passé afin surtout d’envisager les engagements futurs dans la perspective des exigences qui se dessinent.

Le juge, « prêtre du droit » dans la société ecclésiale

2. L’occasion m’est donnée aujourd’hui de vous proposer quelques réflexions, tout d’abord sur la configuration et la place de l’administration de la justice et, par conséquent, du juge dans l’Eglise, puis, en second. lieu, sur quelques problèmes qui concernent plus concrètement et directement votre travail judiciaire.

Pour comprendre le sens du droit et du pouvoir judiciaire dans l’Eglise — dans son mystère de communion, la société visible et le Corps mystique du Christ constituent une seule réalité (cf. Lumen gentium, 8) —, il semble nécessaire, dans notre rencontre de ce jour, de réaffirmer tout d’abord la nature surnaturelle de l’Eglise et sa finalité essentielle et inaliénable. Le Seigneur l’a constituée pour être le prolongement et la réalisation au cours des siècles de son œuvre universelle de salut, qui fait aussi retrouver la dignité originelle de l’homme en tant qu’être rationnel, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Tout a un sens, tout a une raison, tout a une valeur dans l’œuvre du Corps mystique du Christ, uniquement selon la ligne directrice et la finalité de la rédemption de tous les hommes.

Dans la vie de communion de la « societas » ecclésiale, signe dans le temps de la vie éternelle qui bat dans la Trinité, les membres sont élevés, par un don de l’amour divin, à l’état surnaturel, obtenu et toujours recouvré par l’efficacité des mérites infinis du Christ, Verbe fait chair.

Fidèle à l’enseignement du Concile Vatican II, le Catéchisme de l’Eglise catholique, affirmant que l’Eglise est une de par sa source, nous rappelle : « De ce mystère, le modèle suprême et le principe est dans la trinité des personnes l’unité d’un seul Dieu, Père, et Fils, en l’Esprit Saint » (n. 813). Mais dans le même temps, ce Catéchisme affirme : « Lorsque la charité mutuelle et la louange unanime de la Très Sainte Trinité nous font communier les uns aux autres, nous tous, fils de Dieu qui ne faisons dans le Christ qu’une seule famille, nous répondons à la vocation profonde de l’Eglise » (n. 959).

Aussi, le juge ecclésiastique, authentique « sacerdos juris » dans la société ecclésiale, ne peut-il pas ne pas être appelé à mettre en œuvre un véritable « officium caritatis et unitatis ». Votre tâche est donc d’autant plus prenante et en même temps d’une grande valeur spirituelle, puisque vous devenez les artisans effectifs d’une singulière diaconie pour tout homme et encore plus pour le « fidèle du Christ ».

C’est là l’application correcte du droit canonique, que présuppose la grâce de la vie sacramentelle, qui favorise cette unité dans la charité, parce que le droit dans l’Eglise ne pourrait avoir une autre interprétation, un autre sens et une autre valeur sans manquer à la finalité essentielle de l’Eglise elle-même. De même, aucune activité judiciaire qui se déroule devant ce Tribunal ne peut faire exception à cette perspective et à ce but suprême.

3. Cela vaut depuis les procédures pénales, pour lesquelles la recomposition de l’unité ecclésiale signifie le rétablissement d'une pleine communion dans la charité, pour en arriver, en passant par les procès en matière contentieuse, aux procédures vitales et complexes qui touchent au statut personnel et, en premier lieu, à la validité du lien matrimonial.

Il serait superflu de rappeler ici que la « manière » selon laquelle sont menés les procès ecclésiastiques, doit elle aussi se traduire dans des comportements aptes à exprimer ce souffle de charité. Comment ne pas penser à l’icône du bon Pasteur qui se penche vers la brebis égarée et blessée, lorsque nous voulons nous représenter le juge qui, au nom de l’Eglise, rencontre, traite et juge la condition d’un fidèle qui s’est adressé à lui avec confiance ?

Mais, au fond, c’est l’esprit même du droit canonique qui exprime et réalise cette finalité de l’unité dans la charité: on doit en tenir compte aussi bien dans l’interprétation et l’application de ses différents canons, que — et surtout — dans la fidèle adhésion à ces principes doctrinaux qui, en tant que substrat nécessaire, donnent sens et substance aux canons. J’ai écrit, en ce sens, dans la Constitution Sacrae disciplinae leges  par laquelle j’ai promulgué le Code de droit canonique de 1983 : « Si, cependant, il n’est pas possible de traduire parfaitement en langage canonique l’image conciliaire de l’Eglise, le Code doit néanmoins être toujours référé à cette même image comme à son exemplaire primordial dont, par sa nature même, il doit exprimer les traits autant qu’il est possible » (AAS 75,1983, p.XI).

Comprendre correctement le droit du mariage

4. A cet égard, il serait difficile de ne pas penser tout particulièrement aux causes qui sont les plus nombreuses dans les procès soumis à l’examen de la Rote romaine et des Tribunaux de toute l’Eglise : je fais allusion aux causes de nullité de mariage.

Dans ces causes, l’« officium caritatis » doit s’exprimer au plan doctrinal comme au plan plus proprement processuel. Dans ce domaine, la fonction spécifique de la Rote romaine apparait comme principale, en tant que mise en œuvre d’une jurisprudence sage et univoque à laquelle doivent se conformer, comme à un modèle faisant autorité, les autres Tribunaux ecclésiastiques. Il ne devrait pas en aller autrement pour la publication, désormais, de vos décisions judiciaires concernant la substance du droit ainsi que les problèmes de procédure.

Au-delà de la valeur des jugements particuliers prononcés à l’égard des parties intéressées, les sentences rotales contribuent à comprendre correctement et à approfondir le droit matrimonial. Cela justifie donc le rappel continu — que l’on trouve dans ces sentences — des principes inaliénables de la doctrine catholique en ce qui concerne la conception naturelle du mariage, avec les obligations et les droits qui lui sont propres, et plus encore de tout ce qui appartient à sa réalité sacramentelle, quand il est célébré entre deux baptisés. L’exhortation de saint Paul vient ici à notre aide : « Proclame la parole, interviens à temps et à contretemps... Un temps viendra où l’on ne supportera plus l’enseignement solide » (2 Tm 4,2-3). Un avertissement qui, sans aucun doute, reste valable aujourd’hui encore.

Un examen sérieux mais plus rapide des causes introduites

5. Mon âme de Pasteur n’oublie pas le problème angoissant et dramatique que vivent les fidèles dont le mariage a échoué sans faute de leur part et qui, avant d’obtenir une éventuelle sentence ecclésiastique qui en déclare légitimement la nullité, contractent une nouvelle union dont ils voudraient qu’elle soit bénie et consacrée devant un ministre de l’Eglise.

Déjà en d’autres occasions, j’ai attiré votre attention sur la nécessité qu’aucune norme processuelle, purement formelle, ne représente un obstacle à la solution, dans la charité et l’équité, de ces situations : l’esprit et la lettre du Code de droit canonique actuellement en vigueur vont dans cette direction. Mais, avec cette préoccupation pastorale, je ressens la nécessité que les causes matrimoniales soient menées à leur terme avec le sérieux et la célérité que requièrent leur nature même.

A cet égard, et dans le but de favoriser une administration toujours meilleure de la justice, aussi bien du point de vue substantiel que processuel, j’ai créé une Commission inter-dicastères chargée de préparer un projet d’instruction sur le déroulement des procès concernant les causes matrimoniales.

6. Mais étant donné ces exigences indispensables de vérité et de justice, l’« officium caritatis et unitatis », qui a servi de cadre aux réflexions que je viens d’exposer, ne pourra jamais signifier un état d’inertie intellectuelle, qui aurait de la personne qui est l’objet de votre jugement une conception étrangère à la réalité historique et anthropologique, limitée et même invalidée par une vision liée culturellement à une partie ou l’autre du monde.

Les problèmes que l’on rencontre dans le droit matrimonial — Mgr le Doyen y a fait allusion au début de cette rencontre — exigent de votre part, en particulier de vous qui composez ce Tribunal ordinaire d’appel du Saint-Siège, une attention intelligente aux progrès des sciences humaines, à la lumière de la Révélation chrétienne, de la Tradition et du Magistère authentique de l’Eglise. Conservez avec vénération tout ce que le passé nous a transmis de saine doctrine et de culture, mais accueillez avec discernement, pareillement, ce que le moment actuel nous présente de bon et de juste. Bien plus, laissez-vous toujours guider uniquement par le critère suprême de la recherche de la vérité, sans penser que la justesse des solutions soit liée à la pure conservation d’aspects humains contingents ni au frivole désir d'une nouveauté qui ne serait pas en consonance avec la vérité.

En particulier, la compréhension correcte du « consentement matrimonial », fondement et cause de l’engagement nuptial, en tous ses aspects et toutes ses implications, ne peut être réduit exclusivement à des schémas désormais acquis, sans aucun doute encore valables aujourd’hui, mais qui sont perfectibles par le progrès dans l’approfondissement des sciences anthropologiques et juridiques. Même dans son autonomie et sa spécificité épistémologique et doctrinale, le droit canonique doit, surtout aujourd’hui, profiter de l’apport d’autres disciplines morales, historiques et religieuses.

Dans ce délicat processus interdisciplinaire, la fidélité à la vérité révélée sur le mariage et sur la famille, interprétée de manière authentique par le Magistère de l’Eglise, constitue toujours le point définitif de référence et l’impulsion véritable pour un profond renouveau de ce secteur de la vie ecclésiale.

Ainsi, le 90ème anniversaire de l’activité de la Rote restaurée devient un motif d’élan nouveau vers l’avenir, dans une attente idéale que se réalise aussi de manière visible dans le Peuple de Dieu qui est l’Eglise, l’unité dans la charité.

Que l’Esprit de vérité vous éclaire dans votre lourde tâche, qui est un service des frères qui recourent à vous, et que ma Bénédiction, que je vous donne avec affection, soit le gage de la continuelle et bénéfique assistance divine.

 

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