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 Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People

People on the Move - N° 93,  December 2003, pp. 67-70

Situation et défis de la Pastorale

des Migrants et des Réfugiés en Afrique.

Propos d’un Témoin et d’un « Praticien »

Rev.Abraham-Roch OKOKO-ESSEAU, S.J.

Coordonnateur, Commission pour les Migrants et les Réfugiés

(Conférence Episcopale de la République du Congo)

Introduction

1. Parler ou rendre compte de la pastorale des migrants et des réfugiés en Afrique aujourd’hui en dix minutes est une gageure. L’exercice oblige en effet à scruter l’expérience des Eglises particulières issues de plusieurs traditions et implantées dans plusieurs pays. Il nous condamne à adopter une démarche plus descriptive qu’analytique. C’est d’ailleurs ce qui convient le mieux à la posture du témoin que j’ai volontairement choisie de prendre ici. Mais à quoi une telle démarche servirait-elle si elle ne peut donner l’occasion de partager aussi un rêve surgi de la réflexion ? Je me propose dans cette intervention non seulement de témoigner de ce j’ai vu et entendu à l’occasion de mes contacts avec de nombreuses Eglises particulières d’Afrique ou leurs représentants, mais aussi de partager mon rêve de « praticien » sur la pastorale des migrants et des réfugiés en Afrique.

La pastorale actuelle : formes, tendances et limites

2. Il ne fait aucun doute que les Eglises d’Afrique proposent des réponses pastorales face aux problèmes que pose le phénomène de la migration. Mais quelles formes prennent ces réponses, quelles en sont les grandes tendances et limites ? Comment surtout les caractériser ? Confrontées massivement depuis la fin de la période coloniale aux problèmes des réfugiés et des personnes déplacées, leur sollicitude à l’égard des migrants a pris d’abord la forme de la recherche des solutions à la misère des victimes de la migration forcée. L’assistance aux réfugiés et personnes déplacées à travers les structures d’assistance et de solidarité communément appelées Caritas a occupé et occupent encore une bonne partie de leur temps et mobilisent l’essentiel de leurs ressources et énergies dans le domaine de pastorale de la mobilité humaine. Cette situation a relégué au second plan l’attention au besoin d’assistance spirituelle des réfugiés et pour les autres catégories de migrants.

3. Les Caritas assistent aussi sur une base individuelle quelques migrants volontaires isolés et en difficulté en leur apportant principalement une aide sociale ou humanitaire. Ces structures n’ont pas spécialement été créées pour l’assistance pastorale aux migrants. Elles ne font pas de l’accompagnement spirituel, mais davantage de l’aide sociale et humanitaire. Les structures de sollicitude pastorale sous la forme de l’assistance spirituelle aux victimes de la mobilité forcée restent les « paroisses territoriales » voisines des sites qui les abritent. Cela sans doute parce que les réfugiés et les déplacés sont d’abord considérés comme des personnes appelées à rentrer chez elles à la fin du conflit. Mais lorsque la situation dure et que ces personnes se trouvent de fait intégrées dans la région d’accueil, la proximité culturelle des populations frontalières rend inutile aux yeux des Eglises d’accueil la mise en place de structures particulières de prise en charge spirituelle telles que les « paroisses personnelles ».

4. Pour les autres catégories de migrants ou personnes en déplacement, à savoir les travailleurs qui se déplacent, les étudiants, les touristes, les structures sont rares, marginales et relativement peu développées. Là où elles existent, elles sont d’abord un héritage de la période missionnaire que l’on tente péniblement de maintenir pour préserver la foi des immigrants catholiques et assurer la présence de l’Eglise dans leur milieu. A travers le continent, les structures de prise en charge des autres catégories de migrants proposent principalement l’assistance spirituelle et prennent diverses formes dont les principales sont les aumôneries des ports, d’aéroports, de pèlerins ou d’étudiants étrangers et des paroisses offrant des célébrations liturgiques ou des possibilités d’écoute spirituelle en langues étrangères lorsque le nombre ou l’influence des immigrants le justifie. A travers ces structures, les Eglises particulières d’Afrique cherchent à exercer leur responsabilité pastorale à l’égard des immigrants originaires d’autres pays. Il n’y a cependant pas de signes forts du souci de ces Eglises pour les émigrés africains. Rares sont, en effet, les Eglises particulières qui ont par exemple des aumôniers envoyés officiellement pour accompagner des émigrés africains, ou tout simplement des vicaires épiscopaux ou des commissions diocésaines ou nationales chargés spécialement des migrants.

5. Les structures de prise en charge spirituelle des migrants et des réfugiés ne semblent pas découler d’une stratégie pastorale clairement définie au niveau diocésain. La preuve est qu’ elles survivent difficilement au départ des missionnaires et en dehors des priorités pastorales des évêques qui tournent presque toujours autour des paroisses, des communautés de base, de la formation des catéchistes et des séminaires. Elles manquent aussi cruellement d’agents pastoraux spécialement formés ou qualifiés pour les animer. Le résultat est une certaine inefficacité et une marginalisation de la pastorale des migrants et des réfugiés en tant que pastorale spécifique dans la pastorale d’ensemble des Eglises particulières d’Afrique. On peut dire que d’une manière générale, les Eglises particulières d’Afrique ont choisi la voie la plus facile. Celle d’encourager les immigrants à s’intégrer purement et simplement dans les différentes paroisses existantes où ils peuvent recevoir le soutien spirituel et social dont ils ont besoin et de laisser le soin pastoral des émigrants africains aux Eglises des pays de destination.

6. Le grand problème dans les réponses des Eglises d’Afrique face aux problèmes que pose la migration aujourd’hui est qu’elles ne sont pas simplement partielles, mais elles ne sont pas non plus portées par une réflexion ou vision pastorale sérieuse, ne s’affrontent pas véritablement aux causes des migrations qui caractérisent l’Afrique d’aujourd’hui et ne se donnent pas les moyens d’une ambition digne de la nouvelle évangélisation. Le contexte actuel de la migration volontaire et forcée condamne pourtant ces réponses à être porteuses d’une vision, et à être à la fois sociales et pastorales, c’est à dire au delà de la barrière entre le soin spirituel des migrants ou des réfugiés et la défense de leur dignité dans l’évangélisation. Appelées à prendre soin des personnes en lien avec les pays d’origine et de transit, ces réponses sont condamnées à intégrer aussi la double perspective locale et régionale. Si la pastorale actuelle constitue déjà un acquis non négligeable, il faut toutefois reconnaître que l’Afrique a aujourd’hui grand besoin d’une pastorale des migrants et des réfugiés renouvelée. Il faut entendre par là une pastorale qui corrige et dépasse les limites de celle qui actuellement mise en œuvre.

Les trois défis majeurs à relever pour une pastorale renouvelée 

7. Pour parvenir à une telle pastorale, les Eglises particulières d’Afrique doivent relever au moins trois défis majeurs : considérer les migrations d’aujourd’hui comme un « lieu théologique » pour les comprendre autrement d’abord, reconstruire les vies brisées par les conséquences d’une migration destructrice et le monde qui la crée ensuite, et enfin se structurer efficacement. La pastorale actuelle ne s’accompagne pas d’une réflexion sérieuse sur les causes actuelles des migrations et les voies et moyens de les enrayer. Elle manque de vision. Sans une telle réflexion ou une vision pastorale, les vrais besoins pastoraux des migrants et réfugiés ne seront jamais convenablement identifiés et les réponses continueront à être inadaptées. La réflexion théologique et pastorale autour de la migration volontaire et forcée telle qu’elle se donne à voir aujourd’hui, et censée proposer une nouvelle vision du monde et de l’homme, est donc une exigence de l’évangélisation aujourd’hui. Elle est le premier défi qui se présente aux Eglises particulières d’Afrique. Je souhaite que cette problématique intègre rapidement les programmes de nos conseils pastoraux, universités catholiques et centres de formation des futurs ouvriers apostoliques.

8. Une réflexion sur les migrations d’aujourd’hui révèle rapidement le souci d’une vie meilleure qui traverse les agendas existentiels de la plupart des individus et familles africaines. La migration massive et dominante en Afrique aujourd’hui est celle déterminée par le désir de protection et d’un bien-être. Elle comporte à terme ses propres pièges et brise souvent des vies humaines. Il suffit de penser à la situation des travailleurs migrants et des victimes du trafic des êtres humains par exemple. Déracinés de leur milieu culturel ou religieux et coupés pour la plupart de leurs familles, les migrants sont livrés à eux. Il en résulte une grande de-structuration et désintégration de leurs vies. Reconstruire les vies ainsi brisées me semble être le deuxième défi majeur de la pastorale des migrants et des réfugiés en Afrique aujourd’hui. Mais il sera difficile de reconstruire des vies brisées sans essayer de reconstruire le monde qui les brise. La solidarité, la paix, la communion, la réconciliation, le développement, la promotion humaine, le respect des droits humains indiquent les directions de cette tâche de reconstruction du monde. Il s’agira de reconstruire l’homme de manière à ce qu’il ne vive plus seulement pour lui-même et dans l’oubli de Dieu. Le monde à reconstruire devra devenir le lieu de la fraternité et de la révélation de l’amour de Dieu pour l’homme. Seule une pastorale à la fois sociale et spirituelle pourra y contribuer.

9. Reconstruire des vies brisées et le monde ne s’improvise pas. Une telle tâche appelle nécessairement des structures appropriées et des animateurs qualifiés. Pour prendre une bonne direction et pour retrouver de la vigueur, la pastorale des migrants et des réfugiés mise en œuvre par les Eglises particulières d’Afrique a besoin de se structurer et de se donner des animateurs spécialement formés. Les structures et la formation constituent à mon avis le troisième défi majeur des Eglises particulières d’Afrique dans leur réponse pastorale face aux interpellations de la migration volontaire et forcée. Ceci bien sûr au niveau diocésain d’abord, national ensuite et sous-régional enfin. En effet, le niveau local ne suffit plus pour répondre aux problèmes que pose la migration aujourd’hui. 

Conclusion

10. Pour conclure, j’aimerais dire qu’il n’est finalement pas étonnant que la pastorale des migrants et des réfugiés en Afrique soit secondaire dans les projets apostoliques des diocèses et si faiblement structurée. La problématique ne fait en effet ni partie de l’enseignement ni de la stratégie pastorale globale de ces Eglises qui ne sont d’ailleurs pas au même niveau dans leurs réponses aux défis et problèmes de la mobilité humaine. La plupart de leurs réponses sont partielles. Rares sont les réponses intégrées et globales. Il faut entendre par là des réponses allant de la mise en place de structures de prise en charge humanitaire ou sociale à la prise en charge spirituelle, intégrant la perspective locale, nationale et régionale et surtout portées par un enseignement propre. Cette situation condamne la pastorale des migrants et des réfugiés à être embryonnaire et secondaire. La prise de conscience de cette réalité provoquera, je l’espère, un changement d’attitude et un renouvellement au lendemain de ce congrès.

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