Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People People on the Move - N° 93, December 2003, pp. 211-216 Repartir du Christpour un monde plus fraternel, solidaire et accueillantS.E. Mgr Laurent Monsengwo PASINYA Archevêque de Kisangani et ancien président du SCEAM Introduction 0. 1. « Repartir du Christ pour un monde plus fraternel, un monde plus solidaire et accueillant » : tel est le sujet qui nous a été assigné dans le cadre de cette journée, dont le thème général est : « miser sur la charité ». 0. 2. « Repartir du Christ », cÂÂÂest en fait la consigne que, dans la Lettre apostolique Novo millennio ineunte (NMI), le Saint-Père donne aux pasteurs et aux fidèles, au moment où lÂÂÂEglise catholique passe dÂÂÂun siècle à lÂÂÂautre, dÂÂÂun millénaire à un autre. Non pas quÂÂÂil existerait comme « une formule magique qui nous sauvera » face aux grands défis de notre temps, « mais une Personne, et la certitude quÂÂÂelle nous inspire : Je suis avec vous »[1]. Par cette consigne, le Saint-Père veut affirmer que tout programme pastoral doit être, en dernière analyse, « centré sur le Christ lui-même quÂÂÂil faut connaître, aimer, imiter, pour vivre en lui la vie trinitaire et pour transformer avec lui lÂÂÂhistoire jusquÂÂÂà son achèvement dans la Jérusalem céleste »[2]. NÂÂÂest-ce pas, en dÂÂÂautres termes, un programme qui de proche en proche vise à réunir dans le temps et dans lÂÂÂespace, le monde entier sous un seul Chef, le Christ (anakephalaiôsasthai) (Eph 1,10) ? 0. 3. Le Saint-Père veut donc que lÂÂÂentrée de lÂÂÂEglise dans le nouveau millénaire ait le même point de départ, le même fondement et la même source dÂÂÂinspiration quÂÂÂeut lÂÂÂEglise naissante, à savoir : Jésus Christ et les événements fondateurs de sa vie, sa mort et sa résurrection. Le nouveau millénaire doit partir du Christ, « le même aujourdÂÂÂhui comme hier » (Heb 13,8), recentrer tout sur lui et tout conduire à lui, lÂÂÂAlpha et lÂÂÂOméga (Ap 1,8 ; 22,13). 0. 4. Comment remonter aux événements fondateurs de la vie de Jésus sans retrouver aussitôt le « Notre Père » et la fraternité universelle en Christ dÂÂÂune part et, dÂÂÂautre part, le don total du Christ pour le salut du monde et le commandement nouveau : « Aimez-vous les uns les autres comme moi je vous ai aimés ? CÂÂÂest à ce signe que lÂÂÂon reconnaîtra que vous êtes mes disciples : à lÂÂÂamour que vous aurez les uns pour les autres » (cf. Jn 13,34; 13,1 ). Par conséquent, « repartir du Christ » conduit vers un monde plus fraternel, plus solidaire et plus accueillant. 0. 5. Nous voilà de plain-pied dans le programme de ce jour, avec comme idée centrale : « miser sur la charité ». Est-ce autre chose que le programme même du Conseil Pontifical pour la pastorale des migrants et des réfugiés, axée entièrement sur la charité, la fraternité, la solidarité et lÂÂÂaccueil à lÂÂÂendroit des migrants et des réfugiés ? 0. 6. Notre propos sera articulé de manière à développer les deux parties de lÂÂÂintitulé de notre exposé : 1° - Repartir du Christ ; 2° - Pour un monde plus fraternel, solidaire et accueillant. Nous en dégagerons les implications, pour enfin terminer par quelques considérations dÂÂÂordre pratique. 1. Repartir du Christ 1. 1. Repartir du Christ, cÂÂÂest retourner aux origines et aux sources de notre foi ; cÂÂÂest « fixer le regard sur Celui qui est lÂÂÂinitiateur de notre foi et qui la mène à son accomplissement : JÉSUS » (Hebr 12,2). CÂÂÂest contempler les moments « essentiels » de sa vie, verba et facta, et en mesurer la portée permanente et inaltérable pour la vie de lÂÂÂEglise. La démarche ressemble à celle de lÂÂÂauteur de lÂÂÂApocalypse qui, dès le départ, place en tête Jésus Christ, le témoin fidèle, venant au milieu des nuées (1,7) ou encore le Fils de lÂÂÂhomme se tenant au milieu de 7 chandeliers que sont les 7 Eglises (1,13.20). Ainsi lÂÂÂEglise en ce début du millénaire doit avoir devant les yeux le Christ qui se tient au milieu de lÂÂÂEglise (cf. Mt 28,20) et qui viendra sur les nuées du Ciel » (cf. Mt 26,64 ; 25,31). « Repartir du Christ » est en somme un condensé dÂÂÂeschatologie : présente, finale et future, qui met simultanément en exergue lÂÂÂEglise comme « sacrement universel du salut dans le temps et dans lÂÂÂespace[3]». 1. 2. Mais ce « temps de lÂÂÂEglise » ou « temps du Christ au milieu des Eglises » (Ap 1,13) et la parousie sont historiquement ÂÂÂ historisch et geschichtlich ÂÂÂ précédés par deux étapes capitales : lÂÂÂincarnation et la rédemption, couronnées par la résurrection. 1. 3. Jésus, le goÂÂÂēl 1. 3. 1. En sÂÂÂincarnant, le Verbe de Dieu sÂÂÂest fait le goÂÂÂēl de lÂÂÂhomme et, à ce titre, il a opéré la rédemption de lÂÂÂhumanité, du fait de sa double nature : divine et humaine. SÂÂÂil a accompli la rédemption de lÂÂÂhomme, cÂÂÂest parce que celui-ci, son proche parent par la commune nature, était tombé dans lÂÂÂesclavage (cf. Lev 25,47-53 ; Hebr 2,14-15). Or, comme lÂÂÂatteste lÂÂÂépître aux Ephésiens, la rédemption est une ÂÂÂuvre par laquelle « le Christ a aimé lÂÂÂEglise et sÂÂÂest livré pour elle » (Eph 5,25) : la rédemption, conséquence de la condition de goÂÂÂēl, est une ÂÂÂuvre dÂÂÂamour. LÂÂÂévangile ne dit pas autre chose en affirmant : « Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusquÂÂÂau bout » (Jn 13,1). Repartir du Christ Incarné, Sauveur et Rédempteur, cÂÂÂest sÂÂÂengager dans un courant dÂÂÂamour qui part de lui et se vit dans lÂÂÂEglise pour se répercuter dans le monde. Aussi Jésus peut-il dire : « Il nÂÂÂy a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux quÂÂÂon aime » (Jn 15,13). Le Seigneur ne lÂÂÂa pas seulement enseigné, mais il en a surtout donné lÂÂÂexemple ; il en a été le modèle et lÂÂÂArchétype (verba et facta). 1. 3. 2. Ce courant dÂÂÂamour (charité), lÂÂÂEglise en est le lieu, le sacrement et la détentrice par le moyen de lÂÂÂéconomie sacramentaire, notamment par lÂÂÂEucharistie, dont la solidarité et le partage constituent les conséquences sociales. Comme le dit le Pape Jean-Paul II dans sa récente encyclique Ecclesia de Eucharistia : « LÂÂÂApôtre Paul déclare « indigne » dÂÂÂune communauté chrétienne la participation à la Cène du Seigneur dans un contexte de divisions et dÂÂÂindifférence envers les pauvres (cf. 1 Cor 11,17-22.27-34). Proclamer la mort du Seigneur « jusquÂÂÂà ce quÂÂÂil vienne » (1 Cor 11,20) implique, pour ceux qui participent à lÂÂÂEucharistie, lÂÂÂengagement de transformer la vie, pour quÂÂÂelle devienne, dÂÂÂune certaine façon, « eucharistique ». Ce sont précisément ce fruit de transfiguration de lÂÂÂexistence et lÂÂÂengagement à transformer le monde selon lÂÂÂEvangile qui font resplendir la dimension eschatologique de la célébration eucharistique et de toute la vie chrétienne : « Viens, Seigneur Jésus ! (Ap 22,20) »[4]. 1. 3. 3. « A partir de la communion intra-ecclésiale, la charité sÂÂÂouvre par nature au service universel, nous lançant dans lÂÂÂengagement dÂÂÂun amour actif et concret envers tout être humain. (ÂÂÂ ) On ne peut certes pas oublier que personne ne peut être exclu de notre amour, à partir du moment où, ÂÂÂpar son incarnation, le Fils de Dieu sÂÂÂest en quelque sorte uni à tout hommeÂÂÂ »[5]. 2. « Pour un monde plus fraternel, solidaire et accueillant » 2. 1. Repartir du Christ, de son incarnation et de son ÂÂÂuvre rédemptrice au Calvaire signifiée sacramentellement par lÂÂÂEucharistie, cÂÂÂest viser lÂÂÂhumanité assoiffée et en quête de salut intégral. Dans un monde globalisé, régulé par la marginalisation sans cesse croissante des pauvres, des faibles et des laissés-pour-compte, lÂÂÂEucharistie, par la pauvreté des signes sacramentels, rappelle, dÂÂÂune part, la kénose, lÂÂÂabaissement extrême du Christ qui, pour nous, « de riche quÂÂÂil était, sÂÂÂest fait pauvre, pour ÂÂÂnousÂÂÂ enrichir de sa pauvreté » (2 Cor 8,9). DÂÂÂautre part, elle symbolise et met en évidence toute la pauvreté et la misère du monde, invitant les disciples du Christ à suivre et à imiter la générosité du Christ (cf. 2 Cor 8,9). Cette « pauvreté » de lÂÂÂEucharistie défie toute cupidité et toute avarice au regard de la pauvreté et de la misère du monde. 2. 2. « En effet, (ÂÂÂ ÂÂÂ ) notre monde entre dans le nouveau millénaire chargé de contradictions dÂÂÂune croissance économique, culturelle, technologique, qui offre de grandes possibilités à quelques privilégiés, laissant des millions et des millions de personnes non seulement en marge du progrès, mais aux prises avec des conditions de vie bien inférieures au minimum qui leur est dû en raison de leur dignité humaine »[6]. 2. 3. A ces disparités dÂÂÂordre socio-économique entre riches et pauvres sÂÂÂajoute ce que le Saint-Père appelle « les nouvelles pauvretés, que lÂÂÂon rencontre souvent dans les secteurs et les catégories non dépourvues de ressources économiques, mais exposés à la désespérance du non-sens, au piège da la drogue, à la solitude du grand âge ou de la maladie, à la mise à lÂÂÂécart ou à la discrimination sociale »[7]. 2. 4. Par ailleurs, dans un monde déchiré par la violence, la guerre, les tensions le terrorisme et les conflits de tout genre entraînant la haine, lÂÂÂagressivité, la soif de vengeance, la migration et la masse des réfugiés, lÂÂÂassemblée eucharistique rappelle opportunément la fraternité universelle dans le Christ, pour susciter des élans de solidarité accrue et mondialiser la charité. Comment ne pas y penser dans un monde devenu un « village planétaire », où lÂÂÂon apprend, en temps réel, « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps »[8] ? On ne peut raisonnablement suivre lÂÂÂactualité conflictuelle du monde, sans se laisser émouvoir et sÂÂÂengager dans un élan de générosité agissante, de solidarité effective et de partage (cf. 1 Jn 3,17-18). 2. 5. DÂÂÂautant quÂÂÂà en croire lÂÂÂévangile selon St Matthieu (25,31-46), le Seigneur nous jugera suivant notre sensibilité à la pauvreté et à la misère du prochain de même quÂÂÂà notre sens de lÂÂÂhospitalité. Repartir du Christ, cÂÂÂest par conséquent se rappeler lÂÂÂidentification du Christ avec le pauvre qui a faim ou soif, avec celui ou celle qui est étranger (ère), nu (e), malade ou en prison ; situation bien proche de celle que connaissent aujourdÂÂÂhui les migrants, les personnes déplacées et les réfugiés. Repartir du Christ, cÂÂÂest se rappeler ces paroles du Seigneur : « Tout ce que vous avez fait (ou nÂÂÂavez pas fait) pour lÂÂÂun de ces plus petits qui sont mes frères, cÂÂÂest à moi que vous lÂÂÂavez fait (ou ne lÂÂÂavez pas fait) (Mt 25,39.45). Le Christ affirmera encore de façon prégnante son identification avec les membres de son Corps quÂÂÂest lÂÂÂEglise, lorsquÂÂÂil dira à Paul : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ?ÂÂÂ Je suis Jésus que tu persécutes » (Act 9,4.5). Repartir du Christ implique réellement lÂÂÂédification dÂÂÂun monde toujours plus fraternel, marqué par « lÂÂÂimagination de la charité, de la solidarité et du partage »[9]. 3. Conclusion 3. 1. Les migrations, les mouvements de personnes et le phénomène des réfugiés ont généralement pour causes les conflits armés et les guerres : guerres raciales, guerres par procuration, guerres qui se délocalisent et se privatisent, bref ce que les évêques dÂÂÂAfrique appellent « la violence structurelle »[10]. 3. 2. Mais une des formes les plus subtiles de cette violence structurelle sÂÂÂavère être lÂÂÂordre politique et socio-économique mondialisé et globalisé, qui entraîne la paupérisation des pays en développement et lÂÂÂexode consécutif de leurs fils et filles vers des espaces sociaux plus vivables, dussent-ils y aller dans des trains dÂÂÂatterrissage des avions. Mais les disparités dans le développement économique des peuples qui, contrairement à lÂÂÂenseignement des souverains Pontifes[11], nÂÂÂest ni intégral ni solidaire, demeurent une bombe à retardement dans lÂÂÂordre international et dès lors une cause potentielle de conflits, de migrations, de lÂÂÂexode massif de personnes et du phénomène sans cesse croissant des réfugiés. La violation des droits humains par des régimes autocratiques produit les mêmes effets. 3. 3. Pour conjurer les effets néfastes de cet état de choses, il faut de toutes manières en aval « miser sur la charité », puisquÂÂÂon doit sÂÂÂoccuper des victimes innocentes de ces systèmes inhumains. A cet effet, il faut organiser une chaîne de solidarité accrue et « mondialiser la charité » (Pape Jean-Paul II), afin de prendre en charge et dignement accueillir les personnes déplacées et les réfugiés. 3. 4. En amont, il est impérieux de décourager de manière efficace les « faiseurs de réfugiés » et les « chefs de guerre », en se mobilisant, dans un combat pacifique, « pour lÂÂÂinstauration de systèmes politiques et socio-économiques respectueux de la dignité humaine, des impératifs de justice sociale, du droit des personnes et groupes humains ainsi que du droit des nations. Le conflit, même latent, commence généralement lorsquÂÂÂun droit est bafoué ou violé »[12], disent les évêques dÂÂÂAfrique. Puisse le Seigneur susciter de plus en plus dÂÂÂartisans de paix, respectueux de la justice et du droit, « pour un monde plus fraternel, solidaire et accueillant ». « Ecce quam bonum et quam jucundum Habitare fratres in unum » (Ps 133/132,1). « Voyez ! Comme il est bon et agréable dÂÂÂhabiter ensemble en frères et dÂÂÂêtre unis ».
[1] Jean-Paul II,
NMI, n. 29.
[2]
Ibid.
[3] Concile Vatican II,
LG 48.
[4] Jean-Paul II,
Ecclesia de Eucharistia, n. 20.
[5] Jean-Paul II,
NMI, n. 49.
[6] Jean-Paul II,
NMI, n. 50.
[7]
I bid.
[8] Concile Vatican II,
Gaudium et Spes, n. 1.
[9] Jean-Paul II,
NMI, 5, n. 50.
[10] cf. SCEAM, Lettre pastorale
Christ est notre Paix (Eph 2,14), Accra, octobre 2001, n
os 17-20.
[11] Paul VI,
Populorum Progressio (AAS, 59, 1967, p. 257-299) ; Jean-Paul II,
Sollicitudo rei socialis (AAS, 80, 1988, p. 513-586) ;
Id.,
Centesimus Annus (AAS, 83, 1991, p. 793-867).
[12] SCEAM,
ibid., n. 109.
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