Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People People on the Move - N° 93, December 2003, pp. 203-210 Repartir du Christ pour un monde plus chrétien(à la lumière des Saintes Ecritures)R.P. Albert Vanhoye, S.J. Professeur Em. à lÂInstitut Biblique Pontifical (Rome) En cette troisième journée du Congrès, le thème général, "repartir du Christ", est précisé par un sous-titre : "parier sur la charité". Ce sous-titre est une vraie trouvaille. On ne pouvait pas en choisir un qui fût plus indiqué, car repartir du Christ signifie avant tout repartir de son amour, de sa charité surabondante, rejoindre en lui la source de lÂamour divin qui veut transformer le monde en y établissant la civilisation de lÂamour. Pour une nouvelle pastorale des migrants et des réfugiés il nÂexiste pas de base de départ plus adéquate ni dÂorientation plus féconde. "Repartir du Christ pour un monde plus chrétien", cela veut dire puiser dans le CÂur du Christ le dynamisme de lÂamour qui rend capable de surmonter toutes les barrières, tous les obstacles à lÂunion, et établir partout des rapports de solidarité fraternelle. "Un monde plus chrétien", en effet, est un monde où la charité du Christ est davantage présente et opérante. On mÂa demandé de traiter maintenant ce thème "à la lumière des Écritures". Celles-ci nous offrent effectivement un enseignement très clair et très stimulant sur ce sujet. Pour point de départ, il convient de prendre un épisode fondamental de lÂévangile, celui où Jésus est interrogé par un scribe, qui lui demande : "Quel est le premier de tous les commandements ?" (Mc 12,28 ; cf. Mt 22,36). La réponse à cette question nÂallait pas de soi. La Loi de Moïse, en effet, contient des centaines de préceptes et de prohibitions. Comment discerner, dans cette multitude, le point le plus important ? Il est vrai que la Loi ne met pas tout sur le même plan. Certains commandements y sont présentés comme plus importants que dÂautres. CÂest le cas, surtout, des dix commandements du décalogue. Selon le Deutéronome, ces dix commandements furent les seuls à être prononcés par Dieu lui-même sur le Sinaï aux oreilles de tout le peuple. Moïse y déclare : "Ces paroles, le Seigneur les a dites à toute votre assemblée sur la montagne, du milieu du feu, des nuages et de la nuit épaisse, avec une voix puissante, et il nÂa rien ajouté" (Dt 5,22). Les autres préceptes et prohibitions furent communiqués au peuple indirectement, par lÂintermédiaire de Moïse. De ce point de vue, il aurait été naturel de répondre au scribe que le premier de tous les commandements, cÂest le premier commandement du décalogue, celui où Dieu ordonne : "Tu nÂauras pas dÂautres dieux devant ma face" (Ex 20,3; Dt 5,7). LÂimportance fondamentale de cette prohibition est indéniable. Jésus, pourtant, nÂa pas donné cette réponse, mais il est allé chercher ailleurs dans la Loi de Moïse, non pas un commandement unique, comme le demandait son interlocuteur, mais deux commandements, qui commencent tous les deux par les mêmes mots, les mots "Tu aimeras". "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu" (Dt 6,5), "Tu aimeras ton prochain" (Lv 19,18.34). Cette réponse de Jésus est extrêmement significative, à bien des égards. En premier lieu, Jésus y affirme clairement la primauté de lÂamour de charité et nous invite donc à "parier sur la charité" plutôt que sur toute autre attitude ou orientation. Pourquoi convient-il de parier sur la charité plutôt que sur lÂobservance dÂun certain nombre de règles, les plus judicieuses possibles ? Pourquoi Jésus ne sÂest-il pas référé au décalogue ? Pourquoi a-t-il préféré le double commandement de lÂamour ? Il avait assurément de nombreux motifs pour justifier cette option. Un premier motif est que le décalogue sÂexprime le plus souvent de façon négative : "Tu nÂauras pas dÂautres dieux Tu ne te feras pas dÂidole Tu ne prononceras pas à tort le nom du Seigneur Tu ne tueras pas. Tu ne seras pas adultère. Tu ne voleras pas " (Ex 20,3-17). Tout cela, ce sont des interdictions ; elles disent où il ne faut pas aller, mais nÂindiquent pas où il faut aller. Elles nÂexpriment pas un dynamisme positif. Le 4e commandement semble positif ; il exige lÂobservance du sabbat, mais cette observance est aussitôt définie de façon exclusivement négative : "Tu ne feras aucun travail" (Ex 20,10). Un autre commandement est positif, il prescrit dÂhonorer son père et sa mère (Ex 20,12). Il est important, mais il ne concerne que les relations avec deux personnes ; sa portée est donc très limitée. Jésus nÂa pas voulu choisir des interdictions, ni se contenter dÂun précepte de portée restreinte. Il a choisi deux formules dynamiques qui, au lieu dÂinterdire, poussent à aller de lÂavant dans une direction très positive, celle de lÂamour. Elles ouvrent des perspectives illimitées, qui invitent à de continuels progrès, car il sÂagit dÂaimer "de tout son cÂur, de toute son âme, de toute sa force", selon le Deutéronome (6,5), et lÂévangile ajoute encore : "de toute son intelligence" (Mt 22,37 ; Mc 12,30 ; Lc 10,27) Il y a donc lieu de "parier sur lÂamour de charité", parce que cet amour est un puissant dynamisme. "Les grandes eaux ne peuvent pas éteindre lÂamour ni les fleuves le submerger" (Ct 8,7). La pastorale des migrants et des réfugiés a besoin avant tout de ce dynamisme. Toute son organisation doit être inspirée par lÂamour de charité, imprégnée de cet amour. Elle doit viser à communiquer cet amour, car les migrants et les réfugiés ont surtout besoin dÂêtre accueillis comme des personnes dignes dÂamour. Ils nÂont pas seulement besoin dÂêtre secourus, ils ont besoin de se sentir respectés et aimés. Ils ont aussi besoin dÂêtre encouragés à vivre eux-mêmes dans lÂamour. Pour être complète, en effet, la pastorale doit, me semble-t-il, prendre comme objectif dÂaider les migrants et les réfugiés à vivre dans lÂamour. Souvent, leur situation les pousse plutôt dans la direction opposée, car elle suscite en eux des sentiments de frustration, de mécontentement et dÂopposition. Il faut tout faire pour lÂaméliorer et pour restaurer en eux le dynamisme positif de lÂamour de charité. "Parier sur la charité" comporte aussi cet aspect : parier non seulement sur la charité que lÂEsprit Saint verse dans nos cÂurs pour venir en aide généreusement aux migrants et aux réfugiés, parier non seulement sur la charité dÂautres personnes qui nous aideront dans cette mission ecclésiale, mais parier aussi sur la charité que lÂEsprit Saint veut verser dans les cÂurs des migrants et des réfugiés en nous prenant comme instruments de son action. Un autre motif du choix de Jésus est suggéré par la situation de lÂépisode dans le récit évangélique. LÂinterrogation sur "le premier de tous les commandements" y vient avant le récit de la Passion et sert visiblement à éclairer le sens de la Passion comme parfait accomplissement du double commandement de lÂamour. La chose est particulièrement manifeste dans lÂévangile de Marc ; elle lÂest moins dans lÂévangile de Matthieu, qui a surchargé cette section. Dans le chapitre 12 de lÂévangile de Marc, tous les épisodes sont en rapport avec le mystère pascal de Jésus ; ne font exception que les dernier versets (Mc 12,38-44). Le chapitre commence par la parabole des vignerons homicides, claire annonce de la Passion, suivie dÂune annonce de la glorification évoquée par la citation du Ps 118,22-23 sur la pierre rejetée par les bâtisseurs, qui devient pierre angulaire (Mc 12,1-11). Une tentative dÂarrestation de Jésus montre ensuite combien le danger est imminent (Mc 12,12). Vient alors la question insidieuse des pharisiens sur le tribut à César (Mc 12,13-17). Devant Pilate, Jésus sera accusé dÂavoir empêché de verser ce tribut (Lc 23,2). LÂépisode suivant a pour acteurs les sadducéens, qui expriment leurs objections contre la résurrection, objections réfutées victorieusement par Jésus (Mc 12,18-27). CÂest ensuite que se place notre épisode, interrogation sur "le premier de tous les commandements" (Mc 12,28-34). Selon le premier évangéliste, cÂest une question insidieuse, comme celle sur le tribut à César (cfr. Mt 22,35). Après y avoir répondu, Jésus prend lui-même lÂoffensive, en posant la question de la filiation du Messie et en citant le psaume 110 : "Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Siège à ma droite " (Mc 12,35-37). Au cours de la Passion, cÂest ce texte du psaume quÂil utilisera pour répondre au grand prêtre et affirmer sa filiation divine (Mc 14,61-62). On ne se trompe donc pas en discernant une relation étroite entre la réponse donnée par Jésus à la question sur "le premier de tous les commandements" et, dÂautre part, sa propre attitude dÂâme pendant sa Passion. Dès avant sa Passion, cette attitude se manifeste dans lÂinstitution de lÂeucharistie. Jésus y prend à lÂavance sa Passion, rendue présente dans le pain rompu et le vin versé, qui deviennent son corps et son sang, et il sÂen sert pour un don dÂamour extrême. LÂamour envers le Père sÂexprime dans la double action de grâces prononcée par Jésus ; lÂamour envers ses sÂurs et ses frères sÂexprime dans le don de son corps et de son sang, don offert alors à ses disciples, mais qui ne se limite pas au petit groupe présent : il est destiné à la "multitude" (Mc 14,22-24). DÂabord exprimé comme amour reconnaissant, lÂamour de Jésus envers le Père se manifeste ensuite dans toute sa générosité, par la prière de lÂagonie, comme une parfaite docilité filiale, une union héroïque des volontés : "Non pas ce que je veux, mais ce que tu veux" (Mc 14,36). Déjà perceptible dans les évangiles synoptiques, la double dimension de lÂamour de Jésus devient plus explicite dans le quatrième évangile. Allant à sa Passion, Jésus déclare nettement : "CÂest afin que le monde sache que jÂaime le Père et que jÂagis comme le Père me lÂa ordonné" (Jn 14,31). Son amour pour le Père pousse Jésus à aimer en même temps ses frères. LÂévangéliste introduit le récit de la dernière Cène en affirmant que Jésus, "ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusquÂà la fin " (Jn 13,1), cÂest-à-dire jusquÂau don total de lui-même. "Il nÂy a pas de plus grand amour que dÂoffrir sa vie pour ceux quÂon aime" (Jn 15,13). Jésus a vraiment "accompli" le double commandement de lÂamour. Il a réellement aimé "de tout son cÂur, de toute son âme, de toute sa force". Il a aimé jusquÂà la mort. On peut dire que Jésus a "parié sur la charité". Pour sauver le monde, il nÂa pas parié sur sa toute-puissance divine, il nÂa pas parié sur la lumière de son enseignement, il a parié sur lÂamour poussé à lÂextrême, sur le puissant courant dÂamour qui lui venait du Père, remplissait son CÂur et débordait de tous côtés. Un amour capable de la plus complète abnégation et des plus audacieuses innovations, celle, en particulier, du mystère eucharistique, qui met à la disposition des croyants la force victorieuse de cet amour. SÂil nous est possible de "parier sur la charité", cÂest précisément parce que Jésus met à notre disposition, dans lÂeucharistie, la force de son amour, quÂil rend présent comme il était à la dernière cène, cÂest-à-dire au moment de la plus grande générosité, moment de la victoire complète de lÂamour sur le mal et sur la mort. Revenant maintenant à lÂinterrogation du scribe sur "le premier de tous les commandements", nous pouvons remarquer la double originalité de la réponse de Jésus. Nous avons déjà observé la première originalité, qui consiste en ce que Jésus nÂa pas choisi un commandement du décalogue. Une seconde originalité sÂy ajoute : Jésus est allé au delà de la demande du scribe. Cette demande ne concernait quÂun seul commandement, le premier de tous. Jésus, de son propre mouvement, a défini en outre le second commandement. Au commandement de lÂamour de Dieu, il a uni étroitement celui de lÂamour du prochain. Dans lÂAncien Testament, ces deux commandements sont très distants lÂun de lÂautre. Ils ne se trouvent pas dans le même livre. Le premier se trouve dans le Deutéronome (Dt 6,5) ; le deuxième dans le Lévitique, où il est répété deux fois (Lv 19,18.34). Jésus les unit lÂun à lÂautre, et déclare que "il nÂy a pas dÂautre commandement plus grand que ceux-là" (Mc 12,31). Il a même lÂaudace, selon le premier évangile, de dire que le deuxième est "semblable" au premier et que "de ces deux commandements dépendent toute la Loi et les prophètes" (Mt 22,40). LorsquÂon veut "parier sur la charité", il convient dÂêtre très conscient de lÂunion étroite mise par Jésus entre les deux dimensions de lÂamour. La charité nÂest pas un simple amour humain, une simple philanthropie. CÂest un amour divin, un amour en même temps divin et humain, une participation à lÂamour divin et humain du CÂur de Jésus. La charité est divine en plusieurs sens. En premier lieu, par son origine : cÂest un amour qui a sa source en Dieu, amour versé dans nos cÂurs par lÂEsprit Saint (cf. Rm 5,5). Elle est divine par sa nature, car elle est une participation à la vie même de Dieu. Elle est divine par son orientation, car elle nous fait aimer Dieu et aimer les autres personnes avec Dieu. Elle est en même temps humaine, car elle prend notre affectivité humaine, sÂexprime par des gestes humains, des paroles humaines, des dévouements au service des personnes humaines. Votre dévouement pastoral au service des migrants et des réfugiés nÂest pleinement valable  vous le savez bien  que sÂil part dÂun cÂur uni à Dieu. CÂest dÂabord et avant tout une Âuvre du Christ lui-même, à laquelle vous êtes associés et que vous ne pouvez réaliser avec lui que si vous êtes unis à son CÂur. "Parier sur la charité", cÂest surtout parier sur la charité du CÂur du Christ. En unissant étroitement le deuxième commandement au premier, Jésus a révélé la manière authentique de comprendre lÂun et lÂautre. Cette union était déjà préparée dans lÂAncien Testament, car de nombreux textes y exprimaient une connexion entre le respect de Dieu et les relations avec les personnes humaines. Cette connexion apparaît avec force dans le chapitre 19 du Lévitique, celui, précisément, qui contient le commandement de lÂamour du prochain. Les préceptes concernant les relations humaines y sont appuyés dÂune déclaration concernant la relation avec Dieu ; à de nombreuses reprises Dieu y dit : "CÂest moi, le Seigneur" (Lv 19,3.10.12.14.16.18.31.32.34.36.37). Il prescrit, par exemple : "NÂinsulte pas un sourd et ne mets pas dÂobstacle devant un aveugle ; cÂest ainsi que tu auras la crainte de ton Dieu. CÂest moi, le Seigneur" (Lv 19,14). Ces textes, toutefois, ne parlent pas dÂamour de Dieu et nÂont donc pas la même portée que la réponse de Jésus au scribe. A propos de lÂAncien Testament, une constatation présente pour notre thème un intérêt particulier. Le commandement de lÂamour du prochain sÂy trouve appliqué explicitement aux immigrés. Ce fait passe habituellement inaperçu. On dit ordinairement que la réponse de Jésus se réfère au texte de Lv 19,18. On oublie le verset 34, qui répète le même précepte à propos des immigrés. Dans le premier passage, le commandement de lÂamour du prochain nÂa quÂune extension limitée et il est expliqué en termes négatifs : "NÂaie aucune pensée de haine contre ton frère" (Lv 19,17), cÂest-à-dire contre un autre Israélite ; "ne te venge pas et ne sois pas rancunier è lÂégard des fils de ton peuple : cÂest ainsi que tu aimeras ton prochain comme toi-même" (Lv 19,18, traduction de la TOB). Le second passage élargit la perspective et sÂexprime de façon positive : il applique le commandement à des personnes qui ne sont pas Israélites et il prescrit positivement de les traiter comme des Israélites. Voici le texte : "LorsquÂun immigré se sera installé chez toi, dans votre pays, vous ne lÂexploiterez pas ; cet immigré installé chez vous, vous le traiterez comme un autochtone, comme lÂun de vous ; tu lÂaimeras comme toi-même, car vous-mêmes vous avez été des immigrés dans le pays dÂÉgypte. CÂest moi le Seigneur, votre Dieu" (Lv 19,33-34). LÂextension du précepte est notable. Elle correspond à une orientation fréquente dans lÂAncien Testament , qui se préoccupe de donner un statut positif à lÂétranger résident, qui se nomme en hébreu : le ghér. La Loi de Moïse recommande plusieurs fois de bien le traiter (cf. Ex 22,20 ; 23,9) ; le Deutéronome invite à lÂaimer (Dt 10,19), car Dieu lui-même "aime lÂimmigré et lui donne nourriture et vêtement" (Dt 10,18). LÂimmigré est mentionné plusieurs fois avec la veuve et lÂorphelin, autres catégories défavorisées, à qui la législation assure une spéciale protection (cf. Dt 10,18 ; 14,29 ; 24,17.19.20.21). Il faut toutefois remarquer que lÂextension du précepte à lÂimmigré nÂest pas une extension universelle. LÂAncien Testament en reste è une conception limitée du prochain. Sa législation ne considère pas le cas des réfugiés. Elle ne pense pas à cette catégorie, mais seulement à lÂétranger qui habite de façon stable dans le pays. Quelques textes narratifs apportent toutefois, sur ce point, des compléments, en montrant des exemples de généreuse hospitalité (cf. Gn 18,1-8 ; Ruth 2,8-9.14-16). Dans lÂévangile, Jésus a mis en pleine lumière lÂimportance du commandement de lÂamour du prochain et il lui a donné une extension universelle. Il sÂest opposé résolument à la mentalité pharisienne, qui, en fait, séparait le premier commandement du deuxième, car elle prétendait aimer Dieu en se séparant des autres hommes. Un préoccupation unilatérale de pureté religieuse conduisait les pharisiens à manquer de solidarité. La prière du pharisien est révélatrice à ce sujet. «Le pharisien, debout priait ainsi en lui-même : O Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme les autres hommes, qui sont voleurs, malfaisants, adultères » (Lc 18,11). Jésus, au contraire, a proclamé que, sans lÂamour du prochain, lÂamour de Dieu nÂest pas authentique. On ne peut pas séparer lÂun de lÂautre les deux commandements de lÂamour. La Première Lettre de Jean le déclare nettement : "Si quelquÂun dit : JÂaime Dieu, et quÂil haïsse son frère, cÂest un menteur" (1 Jn 4,20). Pour plaire à Dieu, les chrétiens doivent accueillir dans leur cÂur lÂamour de Dieu, qui sÂétend aux autres personnes. Aux pharisiens qui le critiquaient Jésus a rétorqué : «Allez donc apprendre ce que signifie cette parole [de Dieu] : "CÂest la miséricorde que je veux et non le sacrifice rituel" (Os 6,6)» (Mt 9,13 ; cf. 12,7). La meilleure façon dÂaimer Dieu nÂest pas de lui rendre un culte extérieur, mais dÂaccueillir sa miséricorde et de la répandre sur tous ceux qui sont dans la misère. Jésus lui-même a pratiqué continuellement cette façon dÂaimer Dieu. Il sÂest mis entièrement à la disposition de la miséricorde de son Père envers les pauvres et les petits, les malades et les infirmes, les personnes méprisées et marginalisées, envers les foules affamées de pain et de vérité, envers les pécheresses et les pécheurs ; à la fin, il a donné "sa vie en rançon pour la multitude" (Mc 10,45 ; Mt 20,28) ; "il est mort pour tous" (2 Co 5,15). LÂamour de Dieu pour les hommes est un amour universel. Il les a tous créés. Dans le Christ, il leur offre à tous le salut (cf. Rm 5,18 ; 1 Tm 2,5-6). Il sÂensuit que lÂunion du deuxième commandement au premier exige que lÂamour du prochain soit universel. Mon prochain, cÂest nÂimporte quelle personne humaine que les circonstances mettent sur mon chemin. Je suis appelé à lÂaimer, même si elle est misérable, surtout si elle est misérable. Je suis appelé à lÂaider, si elle a besoin de mon aide. Plus que dÂautres, les migrants et les réfugiés ont besoin dÂaide et dÂamour. Le Seigneur nous invite donc à répondre à leurs besoins et il met à notre disposition pour cela lÂinépuisable charité de son CÂur. Dans lÂévangile de Luc, Jésus précise en ce sens universel le précepte de lÂamour du prochain. Son interlocuteur lui demandait : "Qui est mon prochain ?" (Lc 10,29) ; il voulait connaître les limites au dedans desquelles le précepte lÂobligeait. Mon prochain, est-ce simplement mes proches, ma famille, mes amis ? faut-il y inclure tous les gens de mon village ou de ma ville ? tous les citoyens de mon pays ? faut-il aller plus loin encore ? jusquÂoù faut-il aller ? Et quels sont les gens que je peux exclure ? Telle était la question du légiste. Jésus nÂy a pas répondu, et cela est très significatif. Jésus a refusé de fixer des limites à lÂamour du prochain. Il a raconté la parabole du Bon samaritain (Lc 10,30-35) ; celle-ci met en scène un homme qui ne se pose pas la question du légiste. Le Bon samaritain ne sÂest pas demandé si le blessé que des bandits avaient laissé à demi mort au bord de la route faisait partie ou non de son prochain. Il a simplement constaté sa détresse et, rempli de compassion, il lui est venu généreusement en aide. Il sÂest fait ainsi lui-même le prochain de cet inconnu. Par cette parabole, Jésus nous invite à ne mettre aucune limite à notre notion de prochain, mais bien plutôt à supprimer les barrières et à créer partout des rapports de proximité effective et efficace, des rapports dÂamour et de solidarité. Jésus a toujours refusé de séparer les deux dimensions de lÂamour. Le mystère de son Incarnation a renforcé leur union au plus haut point. Lui, le Fils de Dieu, nÂa pas hésité à sÂidentifier avec toutes les personnes qui se trouvent dans des situations de difficulté et de dénuement, les personnes qui ont faim et soif, qui nÂont rien pour sÂhabiller ni pour se loger, qui sont incarcérées. Il sÂest identifié, en particulier, à lÂétranger qui est hors de son pays et a besoin dÂêtre accueilli (Mt 25,35.43). Il nous demande de le reconnaître, lui, en toutes ces personnes, de lÂaimer et de le secourir. Jésus a enseigné une charité universelle et désintéressée. La pastorale des migrants et des réfugiés correspond pleinement à cette orientation, exprimée de manière très concrète dans un conseil de Jésus rapporté par Luc : "Quand tu donnes un banquet, dit Jésus, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles et tu seras heureux, parce quÂils nÂont pas de quoi te rendre" (Lc 14,13-14). Jésus désire pour nous la joie divine de lÂamour généreux, sans aucun mélange de recherche intéressée. Se dévouer pour les migrants et les réfugiés donne cette joie profonde, car ces personnes nÂont pas la possibilité de nous procurer des biens matériels. Notre joie est plus grande encore, lorsque notre dévouement suscite de leur part une réponse dÂamour reconnaissant et donc une union dans lÂamour. Le monde devient ainsi plus chrétien. Pour ne pas abuser de votre attention, ma conclusion sera très brève :les Saintes Écritures montrent on ne peut plus clairement que "repartir du Christ pour un monde plus chrétien" exige avant tout de "parier sur la charité", en la recevant de sa source divine grâce au CÂur du Christ et en la communiquant généreusement à toutes les personnes qui nous sont confiées. La Pastorale pour les Migrants et les Réfugiés trouve là lÂorientation la plus stimulante et la plus féconde. |
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