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DISCOURS DU PAPE JEAN XXIII
À L'OCCASION DE SA VISITE À L'ÉGLISE ROMAINE SAINT-LOUIS-DES-FRANÇAIS

Mercredi 18 février 1959

 

Vénérables Frères, Chers Fils, La voix du Pape, humble serviteur des serviteurs de Dieu, s'est fait entendre ce matin dans toute la France et aussi en tous lieux de la terre. C'était un remerciement au Seigneur pour le don immense des grâces célestes accordées au monde pendant l'année centenaire des Apparitions de Lourdes. À Rome, cette voix résonna déjà par avance dimanche dernier sous les voûtes de la Basilique Libérienne consacrée à la Mère du Seigneur qui y est invoquée sous le double titre de « Salut du Peuple Romain » et — par l'initiative de Benoît XV de sainte mémoire — de « Reine de la Paix ». Au soir de ce jour, où les motifs liturgiques du temps de Carême ont fait transférer la célébration officielle de ce glorieux anniversaire en France et dans toutes les églises du monde catholique, Nous voici donc en personne au milieu de vous, heureux d'avoir accueilli votre aimable invitation. Et Nous vous redisons, comme en écho, les mêmes paroles d'action de grâces pour la joie particulière des fils de France qui perpétuent avec bonheur la présence à Rome de leur noble Nation au cours des siècles. Siècles de foi religieuse et catholique sans défaillance : depuis le temps où se dressa en ces lieux la première église consacrée à la Sainte Vierge — que les Bénédictins de Farfa remplissaient de leurs chants mélodieux et pacifiques — jusqu'aux progressives transformations artistiques et décoratives dont le sommet fut la construction de cette église dédiée à Saint Louis IX : témoignage de la ferveur et de la générosité des Français du temps de Sixte IV et de Sixte Quint. Et depuis lors, que de manifestations diverses de piété, de culture et d'art, qui continuent la belle tradition des ancêtres et qui sont pour les Romains un objet d'admiration respectueuse et cordiale !

Cette visite que Nous faisons à votre église nationale, et qui évoque également à Notre cœur les doux et chers souvenirs des huit années de Notre séjour à Paris au service du Saint-Siège, est pour vous, Nous le savons, un motif de joie. Mais ce fut un bien plus grand motif d'allégresse pour le monde entier que la visite, dix-huit fois répétée, de Marie, la Mère de Jésus et la nôtre, à ses enfants sur cette terre qui est un jardin de délices naturelles pour les yeux, mais pour tout le monde d'ailleurs la vallée de larmes des pauvres mortels gementes et flentes à toutes les époques de l'histoire humaine. Ces apparitions si remarquables de Marie, au milieu du XIXe siècle, demeurent un titre particulier d'honneur pour la France, patrie bénie de saints et de héros, où l'histoire du christianisme a inscrit des pages glorieuses et inoubliables. Dans l'ordre de la Providence, chaque nation a une mission, et il suffit parfois d'une devise pour la qualifier. Or quand on dit : « Regnum Galliae, regnum Mariae », on énonce de façon parfaite le témoignage d'honneur et d'amour des fils et des nombreux descendants de Clovis. Certes le mouvement spirituel vers la Grotte de Lourdes en terre de France, déterminé par les Apparitions de l'Immaculée — et qui, bien loin de s'affaiblir, semble devoir grandir encore en un édifiant crescendo, — est une manifestation de ferveur religieuse ; il est en même temps pour le monde entier un doux et insistant rappel adressé aux consciences profondément chrétiennes comme aussi aux moins ferventes : c'est le rappel d'un mystérieux dessein de la Providence qui devrait réveiller les responsabilités individuelles et collectives en face des grands problèmes de la vie et de la mort, chez tous et chacun, dans le présent et à l'avenir.

Permettez que sur ce point Nous reprenions quelques pensées de Notre Radio-message de ce matin, lancé de Rome au monde entier. L'année centenaire des Apparitions de Lourdes se termine sur cette date du 18 février, que la liturgie d'aujourd'hui consacre au culte de la voyante de Massabielle, sainte Marie Bernard, la fille du meunier Soubirous. Elle, et elle seule, a entendu les confidences de Marie, et elle les a transmises au monde. Et le monde — c'est là le grand miracle d'ordre moral — le monde y a cru, et continue d'y croire. Combien admirable, chez Bernadette, la parfaite conformité à la doctrine dont la céleste Dame l'avait rendue dépositaire ! Et combien lumineux 1'exemple de cette sainteté qui ouvrit à une enfant si petite et si humble la voie des cieux, dans l'au-delà, et lui assura pour toujours sur la terre, la gloire des autels et la vénération de tout le peuple chrétien ! Quelle doctrine ! Quel exemple ! Quel encouragement pour nous ! « Ce qu'il y a de faible dans le monde, dit saint Paul, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre la force ; ce qui dans le monde est sans naissance et qu'on méprise, voilà ce que Dieu a choisi ». « Modèle de la prière à Marie, disions-Nous dans Notre message de ce matin, exemple de force humble et souriante, éloquente par le silence même dans lequel elle s'est enveloppée une fois remplie sa mission, sainte Bernadette nous reporte comme irrésistiblement vers ce vrai centre spirituel de Lourdes, la grotte des apparitions, où les paroles de la Mère de Dieu ne cessent de retentir au cœur de ses enfants. Et en même temps la voyante qui eut le courage de quitter pour toujours ce lieu de l'ineffable rencontre nous rappelle que Lourdes n'est qu'un point de départ : la grâce qu'on y reçoit est un trésor que, loin d'enfouir stérilement, on doit faire fructifier pour la gloire de Dieu et le service de l'Église. « Très chers fils, ajoutions-Nous, notre siècle, vous le savez, voit se réaliser d'admirables progrès scientifiques, et l'humanité est comme saisie d'un frémissement d'orgueil devant les possibilités insoupçonnées qui s'offrent à elle.

Et voici — en contraste — que, de Lourdes, un appel à l'humilité et à la prière nous est transmis par Bernadette : sans crainte, Nous l'adressons Nous-mêmes avec force à tous ceux qui courent aujourd'hui le risque grave d'être aveuglés par cette puissance de l'homme au point de perdre le sens des vraies valeurs religieuses. De Lourdes, c'est encore un appel à la pénitence et à la charité qui nous parvient, pour nous détacher des richesses et nous apprendre à les partager avec plus pauvres que nous : et Nous le reprenons également à Notre compte, en ce temps où des millions 1'hommes prennent conscience — parfois hélas dans la révolte — du scandaleux contraste entre le bien-être des uns et l'insuffisance vitale des autres ».

Chers fils, Nous aimons conclure cet entretien simple et bref, — en une circonstance si solennelle destinée à marquer une date dans l'histoire de l'église de Saint Louis des Français, — par le rappel d'un souvenir. qui, Nous le pensons, ne vous déplaira pas. Lors de la récente élection de Notre humble personne aux graves responsabilités du Souverain Pontificat, l'Éminentissime Cardinal Doyen du Sacré Collège, Notre très cher Frère Eugène Tisserant, illustre représentant et gloire insigne de la France chrétienne, nous demanda quel nom Nous voulions prendre dans la succession des Pontifes Romains. Nous répondîmes : Jean, ajoutant quelques paroles pour donner le sens de ce choix. Le nom de Jean, éminemment sacré et apostolique, Nous unissait à la personne de Jésus, le divin Fondateur et le Chef de la Sainte Église. Mais il n'était pas étranger à Notre pensée ; il lui était même agréable de Nous sentir unis, à travers six siècles d'histoire, au dernier des nombreux Pontifes de ce nom, Jean XXII, Jacques Duèse de Cahors, évêque d'Avignon, qui gouverna 18 ans l'Église et mourut plus que nonagénaire en 1334. Ce fut un grand Pontife. Sa vie fut pleine de tribulations, mais riche d'œuvres et de mérites à tous égards : un vrai Serviteur des Serviteurs du Seigneur. Il eut, entre autres, l'honneur de canoniser saint Thomas d'Aquin. Surtout il était très dévot à Marie. C'est à lui que l'histoire attribue l'heureuse idée de faire réciter un Pater et un Ave au tintement de la cloche du soir ; à lui aussi la paternité du « privilège du samedi », si précieux et si cher à ceux qui portent le scapulaire de Notre Dame du Mont Carmel. Chers fils ! tout ce qui Nous rappelle la France Nous touche au vif. Les fils savent lire dans le cœur de ceux qui les aiment, sans rien enlever pour autant à celui qui, comme père dans le Christ et pasteur, appartient à l'Église universelle, mère de toutes les Nations. Et Nous voulons ajouter encore ceci : le Pape Jean XXII accompagnait son nom de sa devise personnelle : Dominus mihi adjutor, le Seigneur est mon secours.

Chers fils ! Ces premiers mois du grand service, que le ministère pontifical Nous imposa, ont ouvert devant Nos yeux une grande vision : vision de bon travail pastoral au bénéfice du diocèse de Rome, dont le Pape est l'Évêque comme successeur de Saint Pierre, Prince des Apôtres, et au bénéfice de l'Église universelle, dont son autorité est le fondement. Veuillez intercéder par votre prière auprès de la Mère de Jésus, notre Mère, pour que ce secours du Seigneur ne Nous manque pas le long du chemin. Dans Notre jeunesse, Nous avions sous les yeux l'exemple de l'activité pastorale d'un grand Cardinal qui avait placé dans ses armes le rappel de Marie Immaculée avec les paroles : Tu fortitudo mea. Rien n'est plus souhaitable pour Nos humbles efforts. Ô Jésus, Tu mihi adjutor, comme vous invoquait Notre lointain Prédécesseur Jean. Ô Marie Immaculée, Tu fortitudo mea. Amen.

 



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