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L’EUCHARISTIE ET LA MISSION

Le cardinal Télesphore Placidus Toppo
Archevêque de Ranchi, Inde

 20 juin 2008, Quebec

 

Je suis très heureux de me trouver parmi vous et de partager avec vous ces réflexions sur l’Eucharistie et la mission. C’est pour moi un grand privilège de vous parler de ce qui est si cher à mon coeur et je remercie les organisateurs de m'en fournir l'occasion.

Notre Dieu est le Dieu de l’histoire, un Dieu de relation, un Dieu qui communique avec l’humanité. Son acte créateur même est un acte de relation. Par cet acte d’amour, il a partagé sa vie avec les humains et les humains perpétuent son acte créateur en partageant leur amour les uns pour les autres.

Le péché est l’absence d’amour dans la vie des humains. En l’absence d’amour, nous ne pouvons connaître le véritable Dieu, ni bâtir une communauté humaine authentique

Les Saintes Écritures révèlent la dégradation de la relation qu’entretiennent les humains avec Dieu, comme dans le cas d’Adam et Ève qui ont été chassés du Jardin d'Eden et de Caïn qui, en tuant son frère, a fait entrer la mort pour la première fois dans le monde.

Jésus est venu nous faire bénéficier une fois de plus de l’expérience de transformation que nous offre ce Dieu d’amour. Comme nous le révèle l’Évangile de Saint Jean : « Dieu a tant aimé le monde qu’Il lui a donné son fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse point mais qu’il ait la vie éternelle » (Jn 3, 16). Toutes les actions accomplies par Jésus, ses miracles, ses enseignements, l’ensemble de sa vie, proclamaient l’amour de Dieu. Par sa mort et sa résurrection, il est comme le grain de blé tombé en terre qui meurt, donnant ainsi beaucoup de fruit (Jn 12, 26).

Notre Saint-Père, le pape Benoît XVI, le décrit de façon si admirable dans sa première encyclique, Deus Caritas Est, par ces paroles : « Dans sa mort sur la croix s’accomplit le retournement de Dieu contre lui-même, dans lequel il se donne pour relever l’homme et le sauver; tel est l’amour dans sa forme la plus radicale. » (12).

L’institution de l’Eucharistie, la veille de sa mort, constituait la récapitulation symbolique de la vie de Jésus dont l’aboutissement résidait dans le don absolu de lui-même accompli par sa mort sur la croix.

Il a demandé à ses disciples : « Faites cela en mémoire de moi » et leur a confié la tâche de veiller à ce que cette dernière journée reste présente dans la réalité concrète de leur existence jusqu'à ce qu'il revienne dans la gloire pour transformer tout l’univers et faire naître les nouveaux cieux et la terre nouvelle où pourra régner la relation d'amour parfait entre Dieu et les humains ainsi qu’entre les humains.

L’Église est la communauté qui, sur les traces des premiers disciples et apôtres, continue à travers les siècles de s’acquitter de cette mission dans le monde.

Lorsque nous célébrons l’Eucharistie, nous proclamons le grand acte rédempteur du Christ et nous nous engageons à poursuivre son travail dans le monde par une vie d’amour et de partage. Voilà ce qui était le trait distinctif des premiers chrétiens. Dans l’action de rompre le pain, ils reconnaissaient le Seigneur et ils étaient reconnus en tant que chrétiens parce qu’ils partageaient le pain (Actes 2, 44-47). L’Eucharistie était donc un acte par lequel ils affirmaient leur identité religieuse, identité basée sur leur relation avec Dieu et les autres humains.

Quand les disciples du Christ transposent l’amour de Dieu dont ils font l’expérience en Jésus dans l’Eucharistie dans leur vie quotidienne et dans leurs relations les uns avec les autres, ils construisent une nouvelle société, une nouvelle création.

Le pape Jean-Paul II exprime la même idée d’une façon éminemment plus théologique dans Ecclesia de Eucharistia où il explique que « le rapport étroit qui existe entre les éléments invisibles et les éléments visibles de la communion ecclésiale est constitutif de l’Église comme Sacrement du salut » (35).

Permettez-moi de vous l’exposer autrement en partageant avec vous l’histoire de mon propre peuple qui a été transformé en une nouvelle création après qu’il ait commencé à croire au Christ ressuscité et à reconnaître Jésus comme le Sauveur du monde.

Il y a 163 ans, les tribus du centre et du nord de l’Inde orientale n’avaient pas encore entendu parler de Jésus. Pauvres et complètement analphabètes, elles étaient victimes de l'oppression par les riches propriétaires et les puissants qui les exploitaient sans pitié. Tout espoir de justice s’était évanoui pour les tribus démunies. Plusieurs d’entre elles se sont réfugiées dans les jardins de thé Assam ou dans les forêts des îles Andaman pour assurer leur survie. Les tribus qui étaient demeurées sur les terres ancestrales étaient menacées de disparition et avaient perdu jusqu’au goût de vivre.

À ce moment de leur histoire, Dieu a entendu leurs pleurs et en 1845, leur a envoyé quelques missionnaires chrétiens à Ranchi, là où étaient concentrées les tribus. Pendant quatre ans, les missionnaires ont oeuvré en vain. Puis un beau jour, quatre membres d’une tribu se sont approchés d’eux parce qu’ils avaient entendu dire que les missionnaires prêchaient à propos d'un homme qui avait été tué et qui était toujours vivant et ils souhaitaient le rencontrer. Ils sont arrivés près des missionnaires et ont dit : « On voit voir JÉSUS ». Continuellement, ils demandaient : « Où est JÉSUS? Nous voulons le voir! » Les missionnaires ne savaient pas quoi faire et les membres se sont alors fâchés, les qualifiant de tricheurs et de menteurs. Puis les missionnaires les ont invités à la prière et un jour, ils les ont baptisés.

Environ trente ans plus tard, en 1869, l’archevêque de Calcutta a envoyé les premiers missionnaires jésuites auprès de ces tribus. Quatre ans plus tard, six familles de tribus totalisant 28 personnes ont été baptisées dans l'Église catholique. Mais le véritable mouvement de grâce s’est amorcé avec l’arrivée du serviteur de Dieu, le père Constant Lievens, S.J., aujourd'hui connu comme l'apôtre de Chotanagur, la patrie des tribus.

À l’arrivée de ce Jésuite, il n’y avait que 56 catholiques sur le territoire. Il n’aura passé que sept ans parmi eux, mais à sa mort, due au surmenage, à l’épuisement et à la tuberculose, la région comptait 80 000 catholiques baptisés et plus de 20 000 catéchumènes!

Que s’était-il passé? Qu’est-ce qui distinguait ces missionnaires jésuites des premiers missionnaires venus trente ans auparavant? La réponse est simple : l’Eucharistie! La différence réside dans la façon dont les catholiques ont compris, célébré et vécu l'Eucharistie. Plusieurs des premiers chrétiens ont embrassé la foi catholique précisément pour cette raison.

Les soeurs de Lorette ont été les premières religieuses à venir prêter main-forte aux missionnaires dans leur travail d'évangélisation. Quatre jeunes chrétiennes issues d'une famille instruite et étudiantes au pensionnat des soeurs de Lorette à Ranchi ont embrassé la foi catholique et, en 1897, ont fondé à Ranchi la première congrégation religieuse autochtone, les filles de Sainte-Anne. Cette congrégation compte aujourd’hui plus de mille religieuses réparties dans 23 diocèses indiens et aussi dans des diocèses à l’extérieur de l’Inde. Les humbles religieuses ont eu un rôle très important à jouer dans le travail d’évangélisation.

La jeune Église plantée en terre tribale a tellement grandi qu’elle correspond maintenant à 10 % de toute la population catholique en Inde, c’est-à-dire 18 millions. Malgré son indigence matérielle, l’Église est tout de même autosuffisante à bien des égards et peut compter sur ses propres religieuses, prêtres et évêques. L'une des caractéristiques de cette Église, c'est que ces catholiques tribaux étaient devenus porteurs de la foi partout où ils allaient. C'est pour cette raison que l'extraordinaire croissance de cette Église en terre tribale a rapidement été reconnue comme étant le « Miracle de Chotanagpur ».

Bien peu de gens savent que la bienheureuse Mère Teresa appartient à ce miracle, elle aussi. Parmi les Jésuites servant à la mission de Calcutta, dont Ranchi faisait partie, figuraient deux Albanais. Quand ces Jésuites sont venus rendre visite à leurs proches en Albanie, ils ont prononcé des conférences devant des élèves dans le but de promouvoir la vocation missionnaire et de collecter des fonds pour leur mission.

Parmi le public auquel ils s’adressaient se trouvait une étudiante du secondaire appelée Agnès, future Mère Teresa, qui avait alors 13 ou 14 ans. Après avoir écouté avec attention l'un des missionnaires parler de ce qui se passait dans les tribus à Ranchi, elle a décidé de venir en Inde auprès des tribus de Ranchi. À l’époque, le seul moyen pour elle de se rendre en Inde, c’était de devenir une soeur de Lorette parce que cet ordre avait des religieuses qui oeuvraient à Calcutta de même qu’à Ranchi. Elle a donc joint l’ordre des soeurs de Lorette en Irlande et à partir de là, elle est allée à Calcutta, en Inde.

Un jour, à l'époque où j’étais jeune évêque, j’ai eu le privilège de prendre Mère Teresa à bord de ma voiture. Elle était en compagnie de trois de ses missionnaires de la Charité. Ce sont elles qui m’ont appris que Mère Teresa avait travaillé jusqu’après minuit à la réorganisation de leur communauté. Elle était assise à côté de moi sur le siège avant et j’étais évidemment très intimidé d’être assis tout près d'une personne de cette envergure. Mais en véritable Mère, elle me dit de me détendre et de m’asseoir confortablement. Cela m’a donné le courage nécessaire pour lui dire : « Mère, on m’a dit que vous avez travaillé très tard hier soir. Vous n’êtes plus toute jeune. Où trouvez-vous la force de vaquer à toutes vos occupations? » Elle m’a répondu à la vitesse de l’éclair : « En JÉSUS, dans l’Eucharistie! »

Je crois que cela a été et continuera d’être le secret du succès de Mère Teresa et des missionnaires de la Charité. Elle qualifiait d’« un tabernacle de plus » chaque nouvelle communauté qu’elle ouvrait, quelque part dans le monde. Mère Teresa est l’exemple même de l’importance qu’occupe l’Eucharistie comme nourriture et source de motivation pour la mission de l’Église.

Jetons maintenant un coup d'oeil à cette mission.

 

La mission de l’Église

La Constitution pastorale Gaudium et Spes sur l’Église dans le monde de ce temps du deuxième Concile du Vatican (Gaudium et Spes, 1) nous enseigne que l’existence et la mission de l’Église sont étroitement liées au monde dans lequel Jésus a envoyé ses disciples pour qu’ils poursuivent la tâche que lui avait confiée son Père.

Parmi les nombreuses caractéristiques du monde d'aujourd'hui dans lequel l'Église doit accomplir sa mission, j’aimerais en souligner trois : la disparité socioéconomique, le pluralisme religieux et la diversité des identités culturelles.

L’Église doit dialoguer dans le contexte de tous ces aspects de la société humaine dans l’intention d'établir une communion entre tous les peuples. Dans son Message pour la Journée mondiale des Missions 2007, le pape Benoît explique que l’engagement missionnaire de l’Église, le premier service qu’elle doit à l’humanité d’aujourd’hui, est d’« orienter et évangéliser les transformations culturelles, sociales et éthiques; pour offrir le salut du Christ à l’homme de notre temps, dans de nombreuses régions du monde humilié et opprimé à cause des formes de pauvreté endémiques, de la violence, de la négation systématique des droits de l’homme. »

 

La mission de l’Église et la réalité socioéconomique du monde

Quand nous regardons autour de nous aujourd’hui, nous constatons la présence d’un gouffre considérable entre riches et pauvres, nous voyons la fébrilité et l’insatisfaction de l’humanité, dans sa quête d’une vie meilleure et, par dessus tout, d’un avenir rassurant où tous connaîtraient la sécurité, le bonheur et la paix. C’est la dure réalité, malgré les immenses progrès dans les champs de la technologie et des sciences et l’amélioration du bien-être par rapport au passé, à l’heure où l’éthos scientifique nous promet un avenir toujours meilleur.

Mais alors quelle est la véritable origine de la soif que l’on discerne chez de nombreuses personnes partout dans le monde? Que signifie cette quête incessante de l’humanité aujourd’hui? Qu’est-ce qui empêche l'humanité de bâtir une nouvelle société où tous les rêves et désirs seraient satisfaits?

Une analyse des besoins de l’être humain révèle la présence sous-jacente des tendances suivantes dans cette quête et cette lutte :

- Il y a un besoin d’accomplissement personnel, un désir de voir se réaliser les valeurs de justice, de vérité, de liberté, d’amour, d’égalité et de paix au sein des sociétés humaines.

- Il y a un besoin fortement ressenti de bâtir un ordre mondial plus juste et une nouvelle humanité.

- Il y a un grand besoin de communion avec son prochain.

En tant que chrétiens, nous savons que Jésus est venu racheter le monde et transformer l’humanité en une nouvelle société où les besoins ci-dessus seront tous comblés. Il n’a pas fait cela à la manière d’un simple travailleur social, mais en étant le signe vivant de l’amour de Dieu. Il est mort et est ressuscité d'entre les morts afin de prouver qu'il incarne réellement ce signe. Il a établi une communauté, l’Église, afin de perpétuer ce signe dans le monde jusqu'à ce que celui-ci soit finalement transformé par l’amour de Dieu. Il nous a donné l’Eucharistie en mémorial et en manifestation constante de cet amour dans le monde. Voilà pourquoi les chrétiens célèbrent l'Eucharistie jusqu’au retour de Jésus dans la gloire pour établir définitivement le royaume de Dieu.

 

La mission de l’Église et le pluralisme religieux

L’un des phénomènes les plus frappants dans le monde d’aujourd'hui est la croissance et le retour en force d’autres religions mondiales. Elles occupent maintenant le devant de la scène de façon inattendue : l’islam, le bouddhisme, l’hindouisme, le judaïsme et le christianisme, de façon encore plus marquée dans les 400 millions de groupes pentecôtistes bien établis.

Il est évident pour tous que l'Église doit maintenant changer d'attitude envers elles et qu’une nouvelle approche est essentielle. Si, par le passé, jusqu’au deuxième Concile du Vatican (1962-1965), l’Église en avait une perception négative, aujourd’hui l’Esprit Saint lui inspire d’établir une relation de dialogue avec elles. Le dialogue entre les religions fait maintenant partie intégrante de sa mission d’évangélisation dans le monde moderne.

L’Église doit partager avec elles la richesse de sa propre expérience avec Dieu dans le Christ plutôt qu'adopter une approche doctrinale négative à leur endroit. L’expérience du Christ dans l’Eucharistie qui réunit par son amour tous les peuples de la terre en une seule grande famille constitue un facteur très important de sa mission dans le contexte multi-religieux mondial. C’est Jésus dans l’Eucharistie qui nous enseigne les véritables leçons du dialogue et de la communion, des leçons que nous n’intégrons pas toujours rapidement.

 

La mission de l’Église et le monde multiculturel

Le Christ est venu rassembler toutes les nations du monde dans le royaume de Dieu et la mission de l’Église est de poursuivre cette oeuvre jusqu’à la fin des temps, quand le Christ reviendra dans la gloire pour apporter la touche finale à cette oeuvre.

Dieu a distribué ses dons à chacun et chacune d’entre nous. Chaque peuple, chaque nation a sa propre manière d’exprimer le don divin de la vie et de l’existence.

L’Église, qui marche dans les traces de son Dieu et maître, vise l’élimination partout dans le monde de tout type de discrimination entre les peuples et cherche à favoriser la communion entre tous, comme prédit dans le livre des Révélations (Rév. 21, 1-7; 22-27).

L’expérience de l’Eucharistie permet à l'Église de voir la présence de Dieu dans toutes les réalités temporelles. La vie de partage à laquelle l’Eucharistie convie le people de Dieu ouvre de nouveaux horizons et facilite l’édification d’une communauté humaine exempte de rivalité et de discrimination.

 

La relation entre l’Eucharistie et la mission de l’Église

Le pape Jean Paul II, dans son Message pour la Journée mondiale des missions 2004, « Eucharistie et Mission », insiste sur le fait que « autour du Christ eucharistique, l’Église grandit comme peuple, temple et famille de Dieu : une, sainte, catholique et apostolique. En même temps, elle comprend mieux son caractère de sacrement universel de salut et de réalité visible hiérarchiquement structurée. »

Voilà qui apparaît clairement dans la vie des premiers chrétiens pour qui l’Eucharistie constituait le centre de l’existence en tant que communauté. Ils se rencontraient souvent pour tenir cette célébration collective; ils se réunissaient dans les maisons de leur frères et soeurs chrétiens. Ils écoutaient les enseignements des Apôtres, priaient ensemble, parlaient de leurs problèmes, échangeaient un repas et commémoraient le Seigneur qui était présent parmi eux lorsqu’ils rompaient le pain en mémoire de lui.

Ce partage de l’Eucharistie les a amenés à avoir toujours plus de sollicitude et d'intérêt les uns envers les autres. Ils partageaient leurs biens et devenaient visiblement de véritables disciples de Jésus. Ce repas convivial et la vie de partage constituaient la marque de leur identité religieuse. Ils comprenaient le symbole institué par Jésus Christ comme un appel à bâtir une nouvelle société basée sur le double commandement d'amour : amour de Dieu et amour de son prochain.

La vie de partage était si essentielle à la communauté eucharistique que, pour l’apôtre Paul, une célébration sans l’esprit d’amour et de partage n’était pas un repas digne du Seigneur (1 Co 11, 20).

L’Eucharistie perdait beaucoup de sa signification lorsqu’elle n’inspirait ni ne favorisait la compassion, la pitié et l'amour. Cela est exprimé de belle façon dans les Actes des Apôtres : « Car il n’y avait parmi eux aucun indigent » (Actes 4, 34).

C’est la raison pour laquelle les premiers chrétiens étaient aussi bien acceptés par un grand nombre de personnes, particulièrement par les pauvres et les marginaux. Le christianisme était un mouvement énergique qui visait à libérer l’humanité de l'égoïsme et de l'exploitation qui sont à la base d'une société injuste. Tous ont été créés égaux au sein de la communauté croyante et le symbole de cette égalité était le repas eucharistique. Cet idéal n’était pas facile à atteindre. Tout cela était élaboré spirituellement au coeur de la vie quotidienne ordinaire avec ses luttes journalières et, à cette époque aussi, au milieu de la contestation et de la persécution.

Les hommes et les femmes ordinaires vivaient leur spiritualité chrétienne et ont amorcé le processus de construction d'une nouvelle société, d’une nouvelle famille humaine telle qu’imaginée par Jésus Christ.

Les Pères de la première Église ont beaucoup insisté sur cette édification de la communauté et sur la dimension sociale de l'Eucharistie. « Tu veux honorer le corps du Christ? Ne le méprise pas lorsqu’il est nu. Ne l’honore pas ici, dans l’église, par des tissus de soie tandis que tu le laisses souffrir du froid et du manque de vêtements. Car celui qui a dit : Ceci est mon corps, et qui l’a réalisé en le disant, c’est lui qui a dit : Vous m’avez vu avoir faim, et vous ne m’avez pas donné à manger. Quel avantage y a-t-il à ce que la table du Christ soit chargée de vases d’or? Commence par rassasier l’affamé, et avec ce qui te restera tu orneras son autel. Tu fabriques un calice en or mais tu refuses de donner un peu d'eau fraîche? Le temple qu’est le corps souffrant de ton frère est bien plus précieux que celui-ci (l’église). Le corps du Christ devient pour toi un autel. Il est plus saint que l’autel de pierre sur lequel tu célèbres le saint sacrifice. Tu dois voir cet autel partout, dans la rue et sur la place publique ». (Saint Jean Chrysostome)

La Constitution sur la liturgie du deuxième Concile du Vatican a amorcé un changement dans la pratique du culte de l’Église et ce changement a transformé la célébration de l’Eucharistie en insistant sur trois aspects principaux de la célébration :

- L’Eucharistie comme acte posé par la communauté. La Constitution sur la liturgie du Concile (Sacrosanctum Concilium, 1) a expliqué ce qui a motivé ces changements. Elle a révélé que ces changements ont pour but de « favoriser tout ce qui peut contribuer à l’union de tous ceux qui croient au Christ et de fortifier tout ce qui concourt à appeler tous les hommes dans le sein de l'Église. » Cette Constitution (7) nous a rappelé que le Christ est présent « lorsque l’Église prie et chante les psaumes, lui qui a promis : « Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis là, au milieu d'eux » (Mt 18, 20). »

- La même Constitution sur la Liturgie a soutenu que les fidèles participent activement à la célébration de l’Eucharistie. Elle indique que (n.14) : « La Mère Église désire beaucoup que tous les fidèles soient amenés à cette participation pleine, consciente et active aux célébrations liturgiques, qui est demandée par la nature de la liturgie elle-même et qui est, en vertu de son baptême, un droit et un devoir pour le peuple chrétien, « race élue, sacerdoce royal, nation sainte, peuple racheté » (1 P 2, 9; cf. 2, 4-5). » La même Constitution (48) a rappelé aux gens que « aussi l’Église se soucie-t-elle d’obtenir que les fidèles n’assistent pas à ce mystère de la foi comme des spectateurs étrangers ou muets, mais que, le comprenant bien dans ses rites et ses prières, ils participent consciemment, pieusement et activement à l’action sacrée. »

- Les Pères du deuxième Concile du Vatican ont eux aussi enseigné que l’effet de participer à la célébration eucharistique contribue à la construction de la communauté d'amour et de partage (Gaudium et Spes, 38). Leur Constitution sur la Liturgie (37) a décrit l’Eucharistie comme étant « le mémorial de sa mort et de sa résurrection; sacrement de piété, signe d’unité, lien de charité, banquet pascal, où on reçoit le Christ, où l’âme est comblée de grâce et par quoi est accordé le gage de la gloire à venir. »

Ces changements indiquent à quel point l'Eucharistie nourrit et fortifie la mission de l’Église.

Nous célébrons le Congrès eucharistique sous le thème : « L’Eucharistie, don de Dieu pour la vie du monde ». En tant que disciples de Jésus vivant à une période de la vie de l’Église où la mission d’évangélisation connaît une poussée et occupe à nouveau une place importante, nous devons nous assurer que notre vie eucharistique nous donne un sens renouvelé de la mission. Nous célébrons l’Eucharistie dans un monde déchiré par la discrimination, déshumanisé par les structures socioéconomiques abusives, souvent dominé par l’égoïsme de l'avidité et l'avarice de l'humain, qui, malheureusement, ont pu parfois avoir trouvé leur justification dans certains principes religieux.

La Bonne Nouvelle dont le monde a besoin aujourd’hui est une société qui s’appuie sur la fraternité et la sororité et qui vit dans le partage. Alors le véritable Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui a fait de nous aussi ses enfants en Jésus-Christ va apparaître au milieu de nous. Notre célébration eucharistique devrait nous permettre de concentrer nos efforts dans l’atteinte de cet idéal. Comment y arriverons-nous? Comment pouvons-nous célébrer de manière à tendre toujours davantage à ce but? Ce sont là les pistes de réflexion que nous devrions aborder ensemble en tant que disciples de Jésus autour de l’Eucharistie, qui n’est pas uniquement le mémorial de sa mort et de sa résurrection, mais aussi sa présence vivante parmi nous.

Le pape Jean Paul II exprime admirablement cette idée dans son Encyclique Dominum et vivificantem : « Par l’Eucharistie, l’Esprit Saint « fortifie l’homme intérieur », comme le dit la Lettre aux Éphésiens. Par l’Eucharistie, les personnes et les communautés, sous l’action du Paraclet-Consolateur, apprennent à découvrir le sens divin de la vie humaine, rappelé par le Concile, sens selon lequel Jésus-Christ « révèle pleinement l'homme à l'homme », en suggérant « une certaine ressemblance entre l’union des Personnes divines et celle des Fils de Dieu dans la vérité et dans l’amour. » Une telle union s’exprime et se réalise d’une façon particulière par l’Eucharistie où l’homme, participant au sacrifice de la croix que cette célébration rend présent, apprend à « se trouver ... par le don ... de lui-même », dans la communion avec Dieu et avec les autres hommes, ses frères. » (62)

 

L’Eucharistie comme source de la mission

La mission chrétienne consiste à propager l'amour de Dieu à tous les peuples afin que tous soient unis dans une même communauté avec Dieu notre Père.

Jésus l’exprime très clairement : « J’ai fait connaître ton nom à ceux que tu m'as donnés du milieu du monde. Ils étaient à toi et tu me les as donnés, et ils ont gardé ta parole. » (Jn 17, 6)

La mission de Jésus a pour but d’amener tous les peuples du monde à partager la vie de Dieu.

Aujourd’hui, c'est par l’Eucharistie que Jésus poursuit sa mission au sein du ministère de l’Église. Par le baptême, les gens se joignent au Christ dans sa mort et sa résurrection; par la Confirmation ils reçoivent son Esprit et par l’Eucharistie, ils sont nourris continuellement par sa vie en tant que Fils de Dieu et par la vie de témoin chrétien. Ils partagent cette vie avec tous ceux qui entrent en contact avec eux, jusqu'à ce que tous soient empreints de la même vie dans le Christ. Voilà ce que nous proclamons à chaque célébration de la messe : « Nous proclamons ta mort, Seigneur, dans l’attente de ta venue. » L’Eucharistie est par conséquent la source de la vie et de la mission chrétiennes.

Examinons maintenant la dynamique dans laquelle elle s’inscrit :

- L’Église remplit sa mission en aimant les autres comme le Christ l’a aimée. Le Christ a donné sa vie pour le salut du monde. C’est là le symbole de l’Eucharistie : « Ceci est mon corps donné pour vous. » Dans l’Eucharistie, l’Église participe à cet amour comme don absolu de soi et est ainsi en mesure de poursuivre sa mission.

- L’Église remplit sa mission grâce à l’aide constante du Saint-Esprit. Dans l’Eucharistie, l’Église reçoit l’Esprit de Jésus qui est mort et est revenu d’entre les morts. Les énergies apostoliques de l’Église proviennent de cet Esprit.

- Au sein d’une société dominée par les principes de mondialisation dans la consommation et de valorisation d’une culture de la mort, l’Église doit se consacrer à faire progresser l’amour et la solidarité partout dans le monde par la promotion d’une culture d’amour et de partage. La dynamique d’une nouvelle mondialisation qui unirait tous les êtres humains et toute la création se trouve proclamée chaque jour dans l’Eucharistie, qui célèbre l’absolu don de soi du Christ afin que tous puissent profiter de la plénitude de la vie. Ainsi se définit la nouvelle évangélisation que le Pape Jean Paul II a lancée au début du nouveau millénaire, dont l‘Eucharistie est à la fois la source et le centre. Je suis certain que nous partageons tous le même souhait qu'un nouvel esprit missionnaire qui transforme le monde se dégage de ce Congrès eucharistique.

- Jésus, mort puis ressuscité, est au coeur de la Bonne Nouvelle. Dans notre évangélisation, nous proclamons le Christ; non seulement nous reprenons les miracles du Christ, mais nous proclamons aussi la grande bonté de Dieu.

- Dans l’Eucharistie, nous reconnaissons le Christ lorsque nous rompons le pain et nous le proclamons comme celui qui est vivant et présent dans nos activités apostoliques. Sans l’Eucharistie, nous ne pourrions pas vraiment affirmer qu’il est vivant parce que nous n’aurions pas l’expérience de sa présence au milieu de nous. L’Eucharistie est donc nécessaire pour l’authenticité et l’efficacité de notre mission évangélisatrice.

- L’objectif de notre mission est la communion totale entre Dieu et les humains, d’une part, et des humains entre eux, d’autre part, exprimée par une vie d’amour et de partage. La célébration quotidienne de l’Eucharistie nous initie à cette communion: nous sommes unis à Dieu lorsque nous recevons le corps du Fils de Dieu; nous sommes unis entre nous lorsque nous recevons le corps du Christ sous la forme de la communion partagée; nous sommes unis à toute la création parce que le pain que nous partageons dans l’Eucharistie est le fruit de la terre, cette terre que Dieu a créée en signe de son amour et que nous avons déformée par son utilisation coupable. Lorsque nous devenons le corps du Christ, il est de nouveau capable de manifester l’amour de Dieu. En y participant, nous nous engageons à rétablir la divine bonté à toute la création.

- Par le mort et la résurrection du Christ, Dieu a scellé une nouvelle alliance avec toute l'humanité. Chaque fois que nous célébrons l’Eucharistie et que nous y participons, nous renouvelons cette alliance. Chaque participant à l’Eucharistie devient le promoteur de cette alliance parmi tous les peuples par la mise en pratique des conditions de l’alliance, qui ne tiennent à rien d’autre qu’au commandement d’amour. Le symbole de l’acte liturgique devient un réel engagement concentré sur la vie.  La mission évangélisatrice de l’Église se prolonge avec l’établissement de communautés libérées de tout type d’injustice, de discrimination, d’oppression et d’exploitation, des communautés à l’action véritablement humanisante.

- L’Eucharistie rend très efficace notre mission évangélisatrice dans une société multi-religieuse. La communauté chrétienne qui participe à l’Eucharistie acquiert une ouverture inconditionnelle à la présence de Dieu. Ainsi, les chrétiens peuvent aborder les croyants de toute religion avec une attitude positive et partager avec eux leur propre expérience de Dieu. Le dialogue devient le mode de communication avec les gens appartenant à d’autres religions. Il en résultera une communion avec les pratiquants des autres confessions sans que ne soient compromises les convictions de chacun. Ceux qui ont fait l’expérience de Jésus dans l’Eucharistie peuvent partager le même amour qu’ils reçoivent de Jésus dans leurs relations avec les autres, indépendamment de leur foi, tout comme Charles de Foucault l’a fait avec les peuples du désert en Afrique du Nord.

 

L’Eucharistie développe la communauté de mission

Le Pape Paul VI dans son exhortation Evangelii Nuntiandi établit un lien entre l’Eucharistie et la mission : « Car la totalité de l’évangélisation, au-delà de la prédication d’un message, consiste à implanter l’Église, laquelle n’existe pas sans cette respiration qu’est la vie sacramentelle culminant dans l’Eucharistie » (28).

Depuis le début de l’Église, nous constatons que l'Eucharistie bâtit des communautés de mission, que cette mission s’exerce sous la forme de proclamation de l’Évangile ou sous la forme de martyre comme témoignage de la foi, comme nous avons pu le voir en Chine, par exemple, et dans plusieurs autres pays au cours du siècle dernier.

Le rapport qui unit l’Eucharistie et les communautés de mission repose sur une caractéristique fondamentale de la mission chrétienne elle-même. Le missionnaire chrétien est d’abord et avant tout un témoin du Christ et non pas un petit écolier qui a bien appris ses leçons sur le Christ. Un témoin est quelqu’un qui a fait l’expérience de ce qu’il communique. L’Eucharistie est la source de ce puissant témoignage. C’est là que le chrétien rencontre le Christ vivant pour être capable de témoigner haut et fort de ce qu’il a vu, entendu et touché. Nous allons voir comment cela se manifeste réellement dans chaque célébration eucharistique, particulièrement dans la paroisse.

 

La communauté rassemblée pour la célébration

La célébration eucharistique dominicale donne lieu au rassemblement de toute la communauté. Cette occasion permet aux membres de la communauté d’approfondir la connaissance qu’ils ont du Seigneur et de leur prochain, de se rencontrer entre eux et de prêter une oreille attentive aux besoins de communion et de solidarité. Ce n’est pas qu’une simple occasion de remplir son devoir de culte. Cela signifie qu’ils doivent aller au delà de leur seule présence anonyme dans l’église. Nul ne peut vivre seul sa vie de chrétien, coupé des autres, dans le splendide isolement.

Cela montre que le fidèle qui participe à la messe dominicale doit s’y rendre pour se rendre compte que le Dieu qu'il est venu rencontrer fait maintenant partie de sa vie, qu’il a partagé son amour avec lui et tous les autres fidèles afin que ceux-ci deviennent des signes visibles de son amour grâce à l'amour et à la sollicitude qu'ils se manifestent les uns envers les autres. Le Dieu véritable, le Dieu des chrétiens, est le Dieu présent au milieu de son peuple. Par conséquent, notre rencontre avec lui n’exprime rien de moins que la nécessité de mener une vie d’amour et de sollicitude les uns envers les autres.

Lors de l’une de ses premières visites pastorales en tant que pape, à Bari en mai 2005, Benoît XVI a dit dans son homélie : « Le précepte de fête n'est donc pas un devoir imposé de l'extérieur, un fardeau qui pèse sur nos épaules. Au contraire, participer à la Célébration dominicale, se nourrir du Pain eucharistique et faire l'expérience de la communion des frères et des soeurs dans le Christ, est un besoin pour le chrétien, est une joie; ainsi, le chrétien peut trouver l'énergie nécessaire pour le chemin que nous devons parcourir chaque semaine ».

 

La communauté à l’écoute de la Parole

Cette communauté de l’amour voit sa foi renforcée à un point tel que ses membres deviennent en mesure de la proclamer dans leur vie. La liturgie de la Parole ne fait pas qu'instruire les gens sur les vérités de la foi; elle approfondit leur foi de telle sorte qu'ils sont en mesure de la traduire en amour.

Leur foi est placée dans un contexte de communauté où ils doivent devenir des témoins de cette foi; ils doivent être transformés de manière à ce qu’ils puissent devenir le levain au milieu de la société dans laquelle ils vivent.

Le Lineamenta préparé pour le Synode des évêques sur la Parole de Dieu tenu en octobre 2008 nous dit que : « L'Exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi de Paul VI conserve toute son actualité pour une pédagogie de l'annonce.Tandis que l'Encyclique Deus caritas est du Saint-Père Benoît XVI met bien en évidence comment la charité est étroitement liée à l'annonce de la Parole de Dieu. Lorsqu'on reçoit la Parole de Dieu, qui est amour, il s'ensuit qu'il est impossible d'annoncer vraiment la Parole sans pratiquer l'amour ou exercer la justice et la charité. Dans cette optique de la mission évangélisatrice de la Parole de Dieu, on trouve mentionnés de façon synthétique certains objectifs et certaines tâches à remplir et considérés comme particulièrement importants (25). »

 

La communauté qui apporte le pain et le vin

Le pain et le vin que les chrétiens apportent à l'autel sont le symbole de leur vie quotidienne d’interactions les uns avec les autres. Loin d’être de simples éléments liés à un rituel, ils représentent la communauté et sa composition de différentes relations.

Aux temps de la première Église, ces éléments ont été puisés à la table du partage pour ainsi exprimer la relation des gens les uns avec les autres.

De nos jours, je crois qu’il est nécessaire encore une fois de mettre en valeur les dimensions sociale et communautaire du pain et du vin qui sont portés à l’autel. Cela peut être fait de la façon suivante. En premier lieu, il est idéal que les fidèles apportent ces présents à l'autel comme symbole de leur propre vie. En outre, il serait bon qu’ils accompagnent le pain et le vin d’autres présents pour exprimer leur sollicitude pour la communauté. La quête pourrait revêtir une plus grande signification de développement de la communauté. La communauté réunie autour du corps du Christ devrait se rendre compte qu’il y a parmi eux certains membres qui ne font pas l'expérience de l’amour de Dieu parce que trop peu de gens traduisent cet amour en partage et en amour de leur prochain.

En apportant le pain et le vin, nous proclamons notre propre désir de contribuer à édifier le corps du Christ, c’est-à-dire la communauté de frères et de soeurs dans le Christ au sein de notre paroisse.

 

La communauté transformée devient capable du don de soi à la consécration

Le coeur de la célébration eucharistique est la transformation du pain et du vin qui deviennent le corps et le sang du Christ. Le pain et le vin apportés par la communauté font maintenant partie du corps de Jésus dont il fait le don absolu. Il nous a d’abord offert le don de soi au Calvaire; ce don doit maintenant se dérouler dans la communauté qui est le corps du Christ dans le monde d’aujourd’hui. La proclamation du don de soi du Christ dans le pain et le vin apportés par la communauté permet à celle-ci d'être consacrée et de devenir un signe visible de ce don de soi dans le monde actuel.

Alors nous pouvons dire que par la consécration, la nouvelle société basée sur le don de soi et le partage est en train de voir le jour dans notre monde. Ainsi, la consécration est non seulement le moment d’adorer Jésus qui devient présent sur l’autel, mais est particulièrement le moment où la communauté des chrétiens, le corps visible de Jésus aujourd'hui, devient une communauté capable du don de soi. La communauté s’allie au Christ dans son don de soi par lequel le monde sera transformé et où une nouvelle société verra le jour.

 

La naissance d'une nouvelle communauté de l’Esprit

Au commencement de la création, l’Esprit de Dieu flottait au dessus des eaux primordiales et tout l’univers a vu le jour par la puissance de ce même Esprit. À la nouvelle création, inaugurée par la résurrection du Christ, l’Esprit du Christ se répand sur l’humanité afin de lui permettre de donner naissance à un nouveau monde. L’agent de cette nouvelle création est l’Église, cette communauté comblée de l’Esprit.

À la sainte Communion, Jésus, le Verbe Incarné qui est mort et ressuscité et qui est empli de l’Esprit de Dieu, entre dans notre coeur et nous comble de son Esprit afin de faire de nous ses collaborateurs dans la construction d’une nouvelle société basée sur l’amour et le partage.

 

La communauté envoyée en mission

La fin de la messe ne marque pas la conclusion d'un acte d'adoration,mais plutôt le début de la mission de l’Église.

Cela me rappelle les mots de Jean Paul II: « [Il est certain que] aucune communauté chrétienne ne s’édifie si elle n’a pas sa racine et son centre dans la célébration de la très sainte Eucharistie » (Ecclesia de Eucharistia, 33; cf. Presbyterorum Ordinis, 6). Au terme de chaque messe, quand le célébrant congédie l’assemblée par les mots « Ite, Missa est », tous doivent se sentir envoyés comme « missionnaires de l’Eucharistie » à diffuser dans tous les milieux le grand don reçu » (Eucharistie et Mission, Message pour la Journée mondiale des Missions 2004).

Nous sommes envoyés dans le monde pour faire en sorte que les symboles de l'adoration eucharistique deviennent la réalité de la vie eucharistique. Nous allons de par le monde après la célébration eucharistique, encouragés par la Parole de Dieu, guidés de façon prophétique par l'Esprit du Seigneur tout-puissant et engagés à oeuvrer à la transformation du monde. Voilà ce que signifie la phrase : « Nous proclamons ta mort, Ö Seigneur, dans l’attente de ta venue. » C’est donc dire que nous allons poursuivre l’oeuvre du Christ d’édifier le Royaume de Dieu où l'amour divin se traduira en amour humain, où la vie divine se manifestera en communion, où la création sera transformée en une nouvelle terre et un nouveau paradis où tous les peuples du monde vivront comme des frères et des soeurs. L’Eucharistie nous donne la force nécessaire Il s’agit de l’objectif ultime de toutes nos célébrations eucharistiques.

 

L’Eucharistie et la mission évangélisatrice de la communauté de la paroisse

La paroisse est le levain qui transforme l’ensemble de la société d’un milieu donné. Des gens appartenant à d’autres religions et à d’autres idéologies y vivent aussi et tous doivent être en mesure de faire l'expérience de l'Évangile grâce à la communauté chrétienne. L’Eucharistie remplit le rôle de levain dans la communauté chrétienne.

Nous ne forçons pas les gens appartenant à d'autres religions à nous suivre dans nos célébrations eucharistiques, mais nous participons à l’Eucharistie de telle sorte que nous sommes animés par l'amour du don absolu du Christ, qui est l’âme de l’Évangile, et nous portons cet amour à tous nos frères et soeurs. Ainsi, ils feront l’expérience de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ à travers nous et, en retour, ils contribueront à la transformation de la société. De cette façon, notre expérience eucharistique aura une dimension missionnaire.

Les gens d’autres confessions et d’autres idéologies devraient nous percevoir comme une communauté capable de vivre dans l'amour et le partage, comme c'était le cas pour les premiers chrétiens. L’Eucharistie joue un rôle important dans tout cela, dans la mesure où elle nous anime de l’Esprit du don de soi du Christ, nous remplit de l’Esprit et fait en sorte que nos communautés soient guidées par l’Esprit.

 

L’Eucharistie et la création d'une nouvelle société

Les intérêts égoïstes des individus sont satisfaits au détriment du bien de la société. L’esprit de compétition, devenu la norme du progrès et de la croissance, exalte les puissants; il favorise l'accroissement du nombre de gens appartenant aux classes pauvres et opprimées; il soutient l'individualité et détruit la communauté. Il présente la consommation comme une valeur et crée la pauvreté comme si c’était le lot permanent de plusieurs hommes et femmes vivant à notre époque. Il est nécessaire d’apporter la valeur du don de soi et du partage comme point de repère dans la construction d'une société. Notre participation à l'Eucharistie devrait nous donner la force de devenir des agents qui construisent une société basée sur le don de soi, et non sur l’égoïsme. Là où il y a partage, personne ne vit dans le besoin; là où règnent l'avarice et l'égoïsme, tous seront continuellement dans le besoin puisque rien n'arrive à satisfaire les gens égoïstes

 

Conclusion

L’Eucharistie détient le pouvoir de remettre en question toute situation s’opposant au Royaume de Dieu. Jésus a affronté la mort et par sa résurrection, il a inauguré le nouveau Royaume de Dieu. La communauté des premiers chrétiens a découvert sa véritable identité et sa force d’être le témoin de l’Évangile dans ses rassemblements eucharistiques. Elle a été capable de résister à la provocation de l'empire le plus puissant à s'être opposé au message chrétien.

Pourquoi ne pas profiter de ce Congrès eucharistique pour découvrir la puissance de l’Eucharistie comme force de transformation, non seulement dans nos propres vies mais aussi dans l’ensemble de la société, et pour faire ressortir son potentiel à rendre notre vie chrétienne crédible et notre témoignage chrétien puissamment convaincant.

Nous devons décider de faire de l’Eucharistie la puissance nécessaire pour bâtir nos paroisses et nos petites communautés chrétiennes. Si le travail est accompli de manière systématique, à la fois par les pasteurs grâce à leur leadership et par les fidèles au moyen de leur implication dans les célébrations dominicales, nos communautés chrétiennes donneront naissance à une nouvelle société sur le territoire de leur paroisse. La nouvelle société dont nous avons besoin n’est pas qu’un simple assemblage social industriellement et technologiquement avancé; il s’agit plutôt d’une société où l’acceptation de l’autre, l’amour qu’on éprouve les uns pour les autres et le partage mutuel deviendront la loi et le mode de vie. Seuls les chrétiens faisant l’expérience de l'amour inconditionnel et absolu du Christ dans l'Eucharistie, semaine après semaine, peuvent y parvenir.

Puissent nos paroisses, transformées par l'Eucharistie, deviennent le levain au milieu du monde, ouvrant la voie à une nouvelle société libérée de l’oppression, de la corruption, de la discrimination, de l’exploitation et de la pauvreté, et puissent-elles se remplir des fruits de l’amour, de l’acceptation et du partage mutuels.

Avant de conclure, permettez-moi de revenir sur l’histoire des tribus en Inde. Au fil du temps, un changement de paradigme s’est produit dans la façon dont nos gens pensaient, et c’est ainsi qu’une puissante foi en Jésus-Christ continue de les libérer, de les transformer et de les renforcer, alors qu’ils vivent et interagissent dans leur vie quotidienne avec des gens appartenant à d’autres religions, cultures et groupes ethniques, dans une Inde malmenée par les forces de la mondialisation, de la consommation, du communisme, de la guerre et du terrorisme.

Je souhaite reprendre les paroles que j’ai prononcées lors du Premier congrès missionnaire asiatique en 2006, pendant un partage sur l’histoire de Jésus parmi les tribus : « Là se trouvait un peuple qui était un « non-peuple ». Ces gens étaient impitoyablement foulés aux pieds. Leur goût de vivre avait été broyé, pulvérisé, en miettes. Mais après qu'ils aient accepté Jésus, ils se sont relevés avec lui dans le baptême (…). Maintes fois, j’ai entendu les enfants de la Croisade eucharistique des aborigènes et indigènes catholiques dire : « Ham krusvir kissi se kam nahin : Nous, les enfants de l’Eucharistie, ne sommes inférieurs à personne! » En fait, ils constituent aujourd’hui une force qui mérite d’être considérée. (Cf. Cardinal Télesphore P. Toppo, A Story of Jesus among the Tribals of Central India, Premier congrès missionnaire asiatique, 2006, à Chiang Mai, Thaïlande).

Par ailleurs, les sacrements de l’Église, tout particulièrement la Sainte Eucharistie, la Parole de Dieu et l’expérience de la communion dans les paroisses, les petites communautés et les mouvements spirituels de l’Église, me permettent en tant qu’évêque, de même que les prêtres, les religieux et les laïcs que je connais, d’accomplir les paroles perspicaces de la Commission Théologique Internationale :

« Ce qui donne aux Chrétiens leur identité et les rend différents des autres peuples, c'est leur mémoire de Jésus-Christ et l’attente de sa venue. La mémoire et l’espoir des peuples pèlerins de Dieu à travers le temps et l'espace leur confèrent une identité unique et un caractère distinctif, les protégeant partout et à jamais des dangers de la dissolution et de la perte de leur identité. Grâce au partage de la mémoire de Jésus-Christ et de l'attente de sa venue, le peuple de Dieu connaît par la foi des vérités et des réalités auxquelles d'autres personnes n’ont pas accès et n’auront jamais accès sur le sens de l’existence et l’histoire humaine » (Osservatore Romano, 12-1-85)

Le Christ a véritablement transformé le repas de Pâques en le remettant au centre de la vie chrétienne, au sein de l'expérience de la présence du Christ ressuscité parmi son peuple. L’Eucharistie n’est pas que le simple souvenir d'un événement passé; il s’agit plutôt de notre participation à la vie qui suit son cours, à la mort, à la résurrection de Jésus-Christ et à l’affirmation de notre espoir qu’il reviendra dans la gloire. Visons tous à être les témoins de cette réalité: c’est notre mission dans le monde d'aujourd'hui

 

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