The Holy See
back up
Search
riga

CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI
 

INSTRUCTION

LIBERTATIS CONSCIENTIA

SUR LA LIBERTÉ CHRÉTIENNE ET LA LIBÉRATION

«La vérité nous rend libres»

 

INTRODUCTION

Aspirations à la libération

1. La conscience de la liberté et de la dignité de l’homme jointe à l’affirmation des droits inaliénables de la personne et des peuples est une des caractéristiques majeures de notre temps. Or la liberté exige des conditions d'ordre économique, social, politique et culturel qui rendent possible son plein exercice. La vive perception des obstacles qui l'empêchent de se déployer et qui offensent la dignité humaine est à l'origine des puissantes aspirations à la libération qui travaillent notre monde.

L'Église du Christ fait siennes ces aspirations tout en exerçant son discernement à la lumière de l'Évangile qui est par sa nature même message de liberté et de libération. En effet, ces aspirations revêtent parfois, aux plans théorique et pratique, des expressions qui ne sont pas toujours conformes à la vérité de l'homme telle qu'elle se manifeste à la lumière de sa création et de sa rédemption. C'est pourquoi la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a jugé nécessaire d'attirer l'attention sur «des déviations ou risques de déviation, ruineux pour la foi et pour la vie chrétienne» [1]. Loin d'être dépassés, ces avertissements apparaissent toujours plus opportuns et pertinents.

But de l'Instruction

2. L'Instruction «Libertatis Nuntius» sur quelques aspects de la théologie de la libération annonçait l'intention de la Congrégation de publier un second document, qui mettrait en évidence les principaux éléments de la doctrine chrétienne sur la liberté et la libération. La présente Instruction répond à cette intention. Entre les deux documents, il existe un rapport organique. Ils doivent être lus à la lumière l'un de l'autre.

Sur leur thème, qui est au cœur du message évangélique, le Magistère de l'Église s'est prononcé à de nombreuses occasions [2]. Le document actuel se limite à en indiquer les principaux aspects théoriques et pratiques. Quant aux applications concernant les diverses situations locales, il revient aux Églises particulières, en communion entre elles et avec le Siège de Pierre, d'y pourvoir directement [3].

Le thème de la liberté et de la libération a une portée œcuménique évidente. Il appartient en effet au patrimoine traditionnel des Églises et communautés ecclésiales. Aussi le présent document peut-il aider le témoignage et l'action de tous les disciples du Christ appelés à répondre aux grands défis de notre temps.

La vérité qui nous libère

3. La parole de Jésus: «La vérité vous fera libre» (Jn 8, 32) doit illuminer et guider en ce domaine toute réflexion théologique et toute décision pastorale.

Cette vérité qui vient de Dieu a son centre en Jésus-Christ, Sauveur du monde [4]. De Lui, qui est «le Chemin, la Vérité et la Vie» (Jn 14, 6), l'Église reçoit ce qu'elle offre aux hommes. Dans le mystère du Verbe incarné et rédempteur du monde, elle puise la vérité sur le Père et son amour pour nous comme la vérité sur l'homme et sa liberté.

Par sa croix et sa résurrection, le Christ a opéré notre rédemption qui est la libération au sens le plus fort, puisqu'elle nous a libérés du mal le plus radical, c'est-à-dire du péché et du pouvoir de la mort. Quand l'Église, enseignée par son Seigneur, fait monter sa prière vers le Père: «délivre-nous du mal», elle supplie que le mystère du salut agisse avec puissance dans notre existence de chaque jour. Elle sait que la croix rédemptrice est vraiment le foyer de la lumière et de la vie et le centre de l'histoire. La charité qui brûle en elle la pousse à en proclamer la Bonne Nouvelle et à en distribuer par les sacrements les fruits vivifiants. C'est du Christ rédempteur que partent sa pensée et son action quand, devant les drames qui déchirent le monde, elle réfléchit sur la signification et sur les chemins de la libération et de la vraie liberté.

La vérité, à commencer par la vérité sur la rédemption, qui est au cœur du mystère de la foi, est ainsi la racine et la règle de la liberté, le fondement et la mesure de toute action libératrice.

La vérité, condition de liberté

4. L'ouverture à la plénitude de la vérité s'impose à la conscience morale de l'homme; il doit la rechercher et être prompt à l'accueillir quand elle se présente à lui.

Selon l'ordre du Christ Seigneur [5], la vérité évangélique doit être présentée à tous les hommes, et ceux-ci ont droit à ce qu'elle leur soit proposée. Son annonce, dans la force de l'Esprit, comporte le plein respect de la liberté de chacun et l'exclusion de toute forme de contrainte et de pression [6].

L'Esprit Saint introduit l'Église et les disciples du Christ Jésus «dans la vérité tout entière» (Jn 16, 13). Il dirige le cours des temps et «renouvelle la face de la terre» (Ps 104, 30). C'est lui qui est présent dans la maturation d'une conscience plus respectueuse de la dignité de la personne humaine [7]. L'Esprit Saint est à la source du courage, de l'audace, et de l'héroïsme: «Où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté» (2 Co 3, 17).
 

CHAPITRE I
LA SITUATION DE LA LIBERTÉ DANS LE MONDE D'AUJOURD'HUI

I. Conquêtes et menaces du processus moderne de libération

L'héritage du christianisme

5. En révélant à l'homme sa qualité de personne libre appelée à entrer en communion avec Dieu, l'Évangile de Jésus-Christ a suscité une prise de conscience des profondeurs jusque là insoupçonnées de la liberté humaine.

Ainsi la quête de la liberté et l'aspiration à la libération, qui sont parmi les principaux signes des temps du monde contemporain, ont leur racine première dans l'héritage du christianisme. Cela reste vrai même là où elles revêtent des formes aberrantes et en viennent à s'opposer à la vision chrétienne de l'homme et de sa destinée. Sans cette référence à l'Évangile, l'histoire des siècles récents en Occident demeure incompréhensible.

L'époque moderne

6. Dès l'aube des temps modernes, à la Renaissance, le retour à l'Antiquité en philosophie et dans les sciences de la nature devait, pensait-on, permettre à l'homme de conquérir la liberté de pensée et d'action, grâce à la connaissance et à la domination des lois de la nature.

D'autre part, Luther, à partir de sa lecture de saint Paul, entendait lutter pour la libération du joug de la Loi, représenté à ses yeux par l'Église de son temps.

Mais c'est surtout au siècle des Lumières et à la Révolution française que l'appel à la liberté retentit avec toute sa force. Dès lors, beaucoup regardent l'histoire à venir comme un irrésistible processus de libération devant conduire à une ère où l'homme, enfin totalement libre, jouirait dès cette terre de la félicité.

Vers la maîtrise de la nature

7. Dans la perspective d'une telle idéologie de progrès l'homme entendait se rendre maître de la nature. La servitude, qui jusque là avait été sienne, reposait sur l'ignorance et sur les préjugés. En arrachant à la nature ses secrets, l'homme la soumettrait à son service. La conquête de la liberté constituait ainsi le but poursuivi à travers le développement de la science et de la technique. Les efforts déployés ont abouti à de remarquables succès. Si l'homme n'est pas à l'abri des catastrophes naturelles, bien des menaces de la nature ont été écartées. La nourriture est garantie à un nombre croissant d'individus. Les possibilités de transport et de commerce favorisent l'échange des ressources alimentaires, des matières premières, de la force de travail, des capacités techniques, de sorte qu'une existence dans la dignité et soustraite à la misère peut raisonnablement être envisagée pour les êtres humains.

Conquêtes sociales et politiques

8. Le mouvement moderne de libération s’était fixé un but politique et social. Il devait mettre fin à la domination de l'homme sur l'homme et promouvoir l'égalité et la fraternité de tous les hommes. Que là encore des résultats positifs aient été atteints, c'est un fait indéniable. L'esclavage et le servage légaux ont été abolis. Le droit pour tous à la culture a fait des progrès significatifs. Dans de nombreux pays, la loi reconnaît l'égalité entre l'homme et la femme, la participation de tous les citoyens à l'exercice du pouvoir politique et les mêmes droits pour tous. Le racisme est rejeté comme contraire au droit et à la justice. La formulation des droits de l'homme signifie une conscience plus vive de la dignité de tous les hommes. Par comparaison avec les systèmes de domination antérieurs, les gains de la liberté et de l'égalité dans de nombreuses sociétés sont indéniables.

Liberté de pensée et du vouloir

9. Enfin et surtout, le mouvement moderne de libération devait apporter à l'homme la liberté intérieure, sous forme de liberté de pensée et de liberté du vouloir. Il entendait libérer l'homme de la superstition et des peurs ancestrales, perçues comme autant d'obstacles à son développement. Il se proposait de lui donner le courage et l'audace de se servir de sa raison sans que la crainte le retienne devant les frontières de l'inconnu. Ainsi, notamment dans les sciences historiques et dans les sciences humaines, s'est développée une nouvelle connaissance de l'homme, appelée à l'aider à se mieux comprendre, en ce qui concerne son développement personnel ou les conditions fondamentales de la formation de la communauté.

Ambiguïtés du processus moderne de libération

10. Cependant, qu'il s'agisse de la conquête de la nature, de la vie sociale et politique ou de la maîtrise de l’homme sur lui-même, au plan individuel et collectif, chacun peut constater que non seulement les progrès réalisés sont loin de correspondre aux ambitions initiales, mais encore que de nouvelles menaces, de nouvelles servitudes et de nouvelles terreurs ont surgi en même temps que s'amplifiait le mouvement moderne de libération. C'est là le signe que de graves ambiguïtés sur le sens même de la liberté ont dès son origine parasité ce mouvement de l'intérieur.

L'homme menacé par sa domination

11. C'est ainsi qu'à mesure qu'il se libérait des menaces de la nature, l’homme a connu une peur grandissante devant soi-même. La technique, en se soumettant toujours davantage la nature, risque de détruire les fondements de notre propre avenir, de sorte que l'humanité d'aujourd'hui devient l'ennemie des générations futures. En réduisant en esclavage avec une puissance aveugle les forces de la nature, n'est-on pas en train de détruire la liberté des hommes de demain? Quelles forces peuvent protéger l'homme de l'esclavage de sa propre domination? Une capacité toute nouvelle de liberté et de libération, exigeant un processus de libération entièrement renouvelé, devient nécessaire.

Dangers de la puissance technologique

12. La force libératrice de la connaissance scientifique s'objective dans les grandes réalisations technologiques. Qui dispose des technologies possède le pouvoir sur la terre et sur les hommes. De là sont nées des formes jusqu'ici inconnues de l'inégalité, entre les possesseurs du savoir et les simples utilisateurs de la technique. La nouvelle puissance technologique est liée à la puissance économique et porte à sa concentration. Ainsi, à l'intérieur des peuples comme entre les peuples, se sont formés des rapports de dépendance qui, dans les vingt dernières années, ont été l'occasion d'une revendication nouvelle de libération. Comment empêcher que la puissance technologique ne devienne une puissance d'oppression de groupes humains ou de peuples entiers?

Individualisme et collectivisme

13. Dans le domaine des conquêtes sociales et politiques, une des ambiguïtés fondamentales de l'affirmation de la liberté au siècle des Lumières tient à la conception du sujet de cette liberté comme individu se suffisant à lui-même et ayant pour fin la satisfaction de son intérêt propre dans la jouissance des biens terrestres. L'idéologie individualiste inspirée par cette conception de l'homme a favorisé l'inégale répartition des richesses dans les débuts de l'ère industrielle, à tel point que les travailleurs se sont trouvés exclus de l'accès aux biens essentiels qu'ils avaient contribué à produire et auxquels ils avaient droit. De là sont nés de puissants mouvements de libération de la misère entretenue par la société industrielle.

Des chrétiens, laïcs et pasteurs, n'ont pas manqué de lutter pour une équitable reconnaissance des droits légitimes des travailleurs. En faveur de cette cause, le Magistère de l'Église à plusieurs reprises a élevé la voix.

Mais le plus souvent, la juste revendication du mouvement ouvrier a conduit à de nouvelles servitudes, car elle s'inspirait de conceptions qui, ignorant la vocation transcendante de la personne humaine, assignaient à l'homme une fin purement terrestre. Elle a parfois été orientée vers des projets collectivistes qui devaient engendrer des injustices aussi graves que celles auxquelles ils entendaient mettre fin.

Nouvelles formes d’oppression

14. C'est ainsi que notre époque a vu naître les systèmes totalitaires et des formes de tyrannie qui n'eussent pas été possibles à l'époque antérieure à l'essor technologique. D'une part, la perfection technique a été appliquée à des génocides. D'autre part, en pratiquant le terrorisme, qui cause la mort de nombreux innocents, des minorités prétendent tenir en échec des nations entières.

Aujourd'hui le contrôle peut s'insinuer jusqu'à l'intérieur des individus; et même les dépendances créées par les systèmes de prévoyance peuvent représenter des menaces potentielles d'oppression. Une fausse libération des contraintes de la société est recherchée dans le recours à la drogue, qui conduit dans le monde entier beaucoup de jeunes à l'autodestruction, et jette des familles entières dans l'angoisse et la douleur.

Danger de destruction totale

15. La reconnaissance d'un ordre juridique comme garantie des rapports à l'intérieur de la grande famille des peuples s'affaiblit de plus en plus. Quand la confiance dans le droit ne semble plus offrir une protection suffisante, la sécurité et la paix sont recherchées dans une menace réciproque, qui devient un danger pour toute l'humanité. Les forces qui devraient servir au développement de la liberté servent à l'accroissement des menaces. Les engins de mort qui s'opposent aujourd'hui sont capables de détruire toute vie humaine sur la terre.

Nouveaux rapports d’inégalité

16. Entre les nations dotées de puissance e celles qui en sont privée se sont instaurés de nouveaux rapports d'inégalité et d'oppression. La recherche du propre intérêt semble être la règle des relations internationales, sans que l'on prenne en considération le bien commun de l'humanité.

L'équilibre intérieur des nations pauvres est rompu par l'importation des armes, introduisant chez elles un facteur de division qui conduit à la domination d'un groupe sur un autre. Quelles forces pourraient éliminer le recours systématique aux armes et rendre au droit son autorité?

Émancipation des jeunes nations

17. C'est dans le contexte de l'inégalité des rapports de puissance que sont apparus les mouvements d'émancipation des jeunes nations, en général des nations pauvres, récemment encore soumises à la domination coloniale. Mais trop souvent le peuple est frustré d'une indépendance durement conquise par des régimes ou des tyrannies sans scrupules, qui bafouent impunément les droits de l'homme. Le peuple qu'on a ainsi réduit à l'impuissance ne fait que changer de maîtres.

Il reste qu'un des phénomènes majeurs de notre temps est, à l'échelle de continents entiers, l'éveil de la conscience du peuple qui, ployant sous le poids de la misère séculaire, aspire à une vie dans la dignité et dans la justice, et est prêt à combattre pour sa liberté.

La morale et Dieu, obstacles à la libération?

18. En référence au mouvement moderne de libération intérieure de l'homme, on doit constater que l’effort en vue de libérer la pensée et la volonté de leurs limites est arrivé jusqu'à considérer que la moralité comme telle constituait une limite irrationnelle qu'il appartenait à l'homme, décidé à devenir son propre maître, de surmonter.

Bien plus pour beaucoup, c'est Dieu lui-même qui serait l'aliénation spécifique de l'homme. Entre l'affirmation de Dieu et la liberté humaine, il y aurait une radicale incompatibilité. En rejetant la foi en Dieu, l'homme deviendrait vraiment libre.

Des questions angoissantes

19. Là est la racine des tragédies qui accompagnent l'histoire moderne de la liberté. Pourquoi cette histoire, en dépit de grandes conquêtes, qui d'ailleurs demeurent toujours fragiles, connaît-elle des rechutes fréquentes dans l'aliénation et voit-elle surgir de nouvelles servitudes? Pourquoi des mouvements de libération qui ont suscité d'immenses espoirs aboutissent-ils à des régimes pour lesquels la liberté des citoyens [8], à commencer par la première de ces libertés qui est la liberté religieuse [9], constitue le premier ennemi?

Quand l'homme veut se libérer de la loi morale et devenir indépendant de Dieu, loin de conquérir sa liberté, il la détruit. Échappant à la mesure de la vérité, il devient la proie de l'arbitraire; entre les hommes, les rapports fraternels sont abolis pour faire place à la terreur, à la haine et à la peur.

Parce qu'il a été contaminé par des erreurs mortelles sur la condition de l'homme et de sa liberté, le profond mouvement moderne de libération demeure ambigu. Il est lourd à la fois de promesses de vraie liberté et de menaces de mortels asservissements.

II. La liberté dans l'expérience du Peuple de Dieu

Église et liberté

20. C'est parce qu'elle était consciente de cette mortelle ambiguïté que l'Église, par son Magistère, a élevé la voix, au cours des derniers siècles, pour mettre en garde contre des déviations qui risquaient de détourner l'élan libérateur vers d'amères déceptions. Elle fut souvent incomprise au moment même. Avec le recul du temps, il est possible de rendre justice à son discernement.

C'est au nom de la vérité de l'homme, créé à l'image de Dieu, que l'Église est intervenue [10]. On l'accuse pourtant de constituer par elle-même un obstacle sur la voie de la libération. Sa constitution hiérarchique serait opposée à l'égalité, son Magistère serait opposé à la liberté de pensée. Certes, il y a eu des erreurs de jugement ou de graves omissions dont les chrétiens ont été responsables au cours des siècles [11]. Mais ces objections méconnaissent la vraie nature des choses. La diversité des charismes dans le peuple de Dieu, qui sont des charismes de service, n'est pas opposée à l'égale dignité des personnes et à leur commune vocation à la sainteté.

La liberté de pensée, comme condition de recherche de la vérité dans tous les domaines du savoir humain, ne signifie pas que la raison humaine doive se fermer aux lumières de la Révélation dont le Christ a confié le dépôt à son Église. En s'ouvrant à la vérité divine, la raison créée trouve un épanouissement et une perfection qui constituent une forme éminente de la liberté. D'ailleurs, le Concile Vatican II a pleinement reconnu la légitime autonomie des sciences [12], comme aussi des activités d'ordre politique [13].

La liberté des petits et des pauvres

21. Une des principales erreurs, qui a lourdement grevé, depuis le temps des Lumières, le processus de libération, tient a la conviction largement partagée que ce seraient les progrès réalisés dans le champ des sciences, de la technique et de l'économie, qui devraient servir de fondement à la conquête de la liberté. Par là, on méconnaissait les profondeurs de cette liberté et de ses exigences.

Cette réalité des profondeurs de la liberté, l'Église l'a toujours expérimentée à travers la vie d'une foule de fidèles, spécialement parmi les petits et les pauvres. Dans leur foi ceux-ci savent qu'ils sont l'objet de l'amour infini de Dieu. Chacun d'eux peut dire: «Je vis dans la foi au Fils de Dieu, qui m'a aimé et qui s'est livré pour moi» (Ga 2, 20b). Telle est leur dignité qu'aucun des puissants ne peut leur arracher; telle est la joie libératrice présente en eux. Ils savent qu'à eux également s'adresse la parole de Jésus: «Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ignore ce que fait son maître; je vous appelle amis, car tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître» (Jn 15, 15). Cette participation à la connaissance de Dieu est leur émancipation à l'égard des prétentions à la domination de la part des détenteurs du savoir: «Tous vous possédez la science ... et vous n'avez pas besoin qu'on vous enseigne» (1 Jn 2, 20b. 27b). Ils sont ainsi conscients d'avoir part à la connaissance la plus haute à laquelle l'humanité soit appelée [14]. Ils se savent aimés de Dieu comme tous les autres et plus que tous les autres. Ils vivent ainsi dans la liberté qui découle de la vérité et de l'amour.

Ressources de la religiosité populaire

22. Le même sens de la foi du peuple de Dieu, dans sa dévotion pleine d'espérance à la croix de Jésus, perçoit la puissance contenue dans le mystère du Christ rédempteur. Loin donc de mépriser ou de vouloir supprimer les formes de religiosité populaire que revêt cette dévotion, il faut au contraire en dégager et en approfondir toute la signification et toutes les implications [15]. Il y a là un fait de portée théologique et pastorale fondamentale: ce sont les pauvres, objet de la prédilection divine, qui comprennent le mieux et comme d'instinct que la libération la plus radicale, qui est libération du péché et de la mort, est celle accomplie par la mort et la résurrection du Christ.

Dimension sotériologique et éthique de la libération

23. La puissance de cette libération pénètre et transforme en profondeur l'homme et son histoire dans son actualité présente, et elle anime son élan eschatologique. Le sens premier et fondamental de la libération qui se manifeste ainsi est le sens sotériologique: l'homme est libéré de l'esclavage radical du mal et du péché.

Dans cette expérience du salut, l'homme découvre le vrai sens de sa liberté, puisque la libération est restitution de la liberté. Elle est aussi éducation de la liberté, c'est-à-dire éducation au droit usage de la liberté. Ainsi à la dimension sotériologique de la libération vient s'ajouter sa dimension éthique.

Une nouvelle phase de l'histoire de la liberté

24. A des degrés divers, le sens de la foi, qui est à l’origine d'une expérience radicale de la libération et de la liberté, a imprègne la culture et les mœurs des peuples chrétiens.

Mais aujourd'hui, c'est d'une manière toute nouvelle, à cause des redoutables défis auxquels l'humanité doit faire face, qu'il est devenu nécessaire et urgent que l'amour de Dieu et la liberté dans la vérité et la justice marquent de leur empreinte les relations entre les hommes et entre les peuples et animent la vie des cultures.

Car là où manquent la vérité et l'amour, le processus de libération aboutit à la mort d'une liberté qui aura perdu tout appui.

Une nouvelle phase de l'histoire de la liberté s'ouvre devant nous. Les capacités libératrices de la science, de la technique, du travail, de l'économie et de l'action politique ne donneront leurs fruits que si elles trouvent leur inspiration et leur mesure dans la vérité et dans l'amour plus forts que la souffrance, révélés par Jésus-Christ aux hommes.
 

CHAPITRE II
VOCATION DE L'HOMME À LA LIBERTÉ ET DRAME DU PÉCHÉ

I. Premières approches de la liberté

Une réponse spontanée

25. La réponse spontanée à la question: «qu’est-ce qu'être libre?» est la suivante: est libre celui qui peut faire uniquement ce qu'il veut sans être empêché par une contrainte extérieure, qui jouit par conséquent d'une pleine indépendance. Le contraire de la liberté serait ainsi la dépendance de notre volonté à l'égard d'une volonté étrangère.

Mais l'homme sait-il toujours ce qu'il veut? Peut-il tout ce qu'il veut? Se limiter à son propre moi et se séparer de la volonté d'autrui, est-ce conforme à la nature de l'homme? Souvent la volonté d'un moment n'est pas la volonté réelle. Et dans le même homme peuvent exister des vouloirs contradictoires. Mais surtout l'homme se heurte aux limites de sa propre nature: il veut plus qu'il ne peut. Ainsi l'obstacle qui s'oppose à son vouloir ne vient pas toujours du dehors, mais des limites de son être. C'est pourquoi, sous peine de se détruire, l'homme doit apprendre à accorder sa volonté à sa nature.

Vérité et justice, règles de la liberté

26. De plus, chaque homme est orienté vers les autres hommes et a besoin de leur société. Ce n'est qu'en apprenant à accorder sa volonté à celle des autres en vue d'un vrai bien qu'il fera l'apprentissage de la rectitude du vouloir. C'est donc l'harmonie avec les exigences de la nature humaine qui rend la volonté elle-même humaine. En effet celle-ci requiert le critère de la vérité et une juste relation à la volonté d'autrui. Vérité et justice sont ainsi la mesure de la vraie liberté. En s'écartant de ce fondement, l'homme, se prenant pour Dieu, tombe dans le mensonge et, au lieu de se réaliser, se détruit.

Loin de s'accomplir dans une totale autarcie du moi et dans l'absence de relations, la liberté n'existe vraiment que là où des liens réciproques, réglés par la vérité et la justice, unissent les personnes. Mais pour que de tels liens soient possibles, chacun personnellement doit être vrai.

La liberté n'est pas liberté de faire n'importe quoi, elle est liberté pour le Bien, en qui seul réside le Bonheur. Le Bien est ainsi son but. En conséquence l'homme devient libre pour autant qu'il accède à la connaissance du vrai, et que celle-ci – et non pas n'importe quelles autres forces – guide sa volonté. La libération en vue d'une connaissance de la vérité qui seule dirige la volonté est condition nécessaire d'une liberté digne de ce nom.

II. Liberté et libération

Une liberté de créature

27. En d'autres termes, la liberté qui est maîtrise intérieure de ses propres actes et auto-détermination comporte immédiatement une relation à l'ordre éthique. Elle trouve son véritable sens dans le choix du bien moral. Elle se manifeste alors comme un affranchissement à l'égard du mal moral.

Par son action libre, l'homme doit tendre vers le Bien suprême à travers les biens conformes aux exigences de sa nature et à sa vocation divine.

En exerçant sa liberté, il décide de soi-même et se forme lui-même. En ce sens, l'homme est cause de soi. Mais il l'est à titre de créature et d'image de Dieu. Telle est la vérité de son être qui manifeste par contraste ce qu'ont de profondément erroné les théories qui croient exalter la liberté de l'homme ou sa «praxis historique» en faisant d'elles le principe absolu de son être et de son devenir. Ces théories sont des expressions de l'athéisme ou tendent, par leur logique propre, à l'athéisme. L'indifférentisme et l'agnosticisme délibéré vont dans le même sens. C'est l'image de Dieu dans l'homme qui fonde la liberté et la dignité de la personne humaine [16].

L'appel du Créateur

28. En créant l'homme libre, Dieu a imprimé en lui son image et sa ressemblance [17]. L'homme entend l'appel de son Créateur dans l'inclination et l'aspiration de sa nature vers le Bien, et plus encore dans la Parole de la Révélation, qui a été prononcée d'une manière parfaite dans le Christ. Il lui est ainsi révélé que Dieu l'a créé libre pour qu'il puisse, par grâce, entrer en amitié avec Lui et communier à sa Vie.

Une liberté participée

29. L'homme n'a pas son origine dans sa propre action individuelle ou collective, mais dans le don de Dieu qui l'a créé. Telle est la première confession de notre foi, qui vient confirmer les plus hautes intuitions de la pensée humaine.

La liberté de l'homme est une liberté participée. Sa capacité de se réaliser n'est nullement supprimée par sa dépendance à l'égard de Dieu. C'est justement le propre de l'athéisme que de croire à une opposition irréductible entre la causalité d'une liberté divine et celle de la liberté de l'homme, comme si l'affirmation de Dieu signifiait la négation de l'homme, ou comme si son intervention dans l'histoire rendait vaines les tentatives de celui-ci. En réalité, c'est de Dieu et par rapport à Lui que la liberté humaine prend sens et consistance.

Le choix libre de l’homme

30. L'histoire de l'homme se déroule sur le fondement de la nature qu'il a reçue de Dieu, dans le libre accomplissement des fins vers lesquelles l'orientent et le portent les inclinations de cette nature et de la grâce divine.

Mais la liberté de l'homme est finie et faillible. Son désir peut se porter sur un bien apparent: en choisissant un faux bien, il manque à la vocation de sa liberté. L'homme, par son libre arbitre, dispose de soi: il peut le faire dans un sens positif ou dans un sens destructeur.

En obéissant à la loi divine gravée dans sa conscience et reçue comme impulsion de l'Esprit Saint, l'homme exerce la vraie maîtrise de lui-même et réalise ainsi sa vocation royale d'enfant de Dieu. «Par le service de Dieu, il règne» [18]. L'authentique liberté est «service de la justice», alors qu'à l'inverse le choix de la désobéissance et du mal est «esclavage du péché» [19].

Libération temporelle et liberté

31. A partir de cette notion de liberté se précise la portée de celle de libération temporelle: il s'agit de l'ensemble des processus qui visent à procurer et à garantir les conditions requises pour l'exercice d'une liberté humaine authentique.

Ce n'est donc pas la libération qui, par elle-même, produit la liberté de l'homme. Le sens commun, confirmé par le sens chrétien, sait que, même soumise à des conditionnements, la liberté n'en est pas pour autant complètement détruite. Des hommes qui subissent de terribles contraintes réussissent à manifester leur liberté et à se mettre en marche pour leur libération. Un processus de libération achevé peut seulement créer des conditions meilleures pour l'exercice effectif de la liberté. Aussi bien, une libération qui ne tient pas compte de la liberté personnelle de ceux qui combattent pour elle est-elle par avance condamnée à l'échec.

III. La liberté et la société humaine

Les Droits de l'homme et les « libertés »

32. Dieu n'a pas créé l'homme comme un «être solitaire», mais il l’a voulu comme un «être social» [20]. La vie sociale n est donc pas extérieure à l'homme: il ne peut croître et réaliser sa vocation qu'en relation avec les autres. L'homme appartient à diverses communautés: familiale, professionnelle, politique, et c'est en leur sein qu'il doit exercer sa liberté responsable. Un ordre social juste offre à l'homme une aide irremplaçable pour la réalisation de sa libre personnalité. Au contraire, un ordre social injuste est une menace et un obstacle qui peuvent compromettre sa destinée.

Dans la sphère sociale, la liberté s'exprime et se réalise dans des actions, des structures et des institutions, grâce auxquelles les hommes communiquent entre eux et organisent leur vie commune. L'épanouissement d'une libre personnalité, qui est pour chacun un devoir et un droit, doit être aidé et non pas entravé par la société.

Il y a là une exigence de nature morale qui a trouvé son expression dans la formulation des Droits de l'homme. Certains d'entre eux ont pour objet ce qu'il est convenu d'appeler «les libertés», c'est-à-dire des manières de reconnaître à chaque être humain son caractère de personne responsable de soi-même et de sa destinée transcendante, ainsi que l'inviolabilité de sa conscience [21].

Dimensions sociales de l’homme et gloire de Dieu

33. La dimension sociale de l'être humain revêt encore une autre signification: seules la pluralité et la riche diversité des hommes peuvent exprimer quelque chose de la richesse infinie de Dieu.

Enfin cette dimension est appelée à trouver son accomplissement dans le Corps du Christ qui est l'Église. C'est pourquoi la vie sociale, dans la variété de ses formes et dans la mesure où elle est conforme à la loi divine, constitue un reflet de la gloire de Dieu dans le monde [22].

IV. Liberté de l'homme et domination de la nature

Vocation de l'homme a «dominer» la nature

34. De par sa dimension corporelle, l'homme a besoin des ressources du monde matériel pour son accomplissement personnel et social. Dans cette vocation à dominer la terre en la mettant à son service par le travail, on peut reconnaître un trait de l'image de Dieu [23]. Mais l'intervention humaine n'est pas «créatrice»; elle rencontre une nature matérielle qui a comme elle son origine en Dieu Créateur et dont l'homme a été constitué le « noble et sage gardien » [24].

L'homme, maître de ses activités

35. Les transformations techniques et économiques se répercutent sur l'organisation de la vie sociale; elles ne vont pas sans affecter dans une certaine mesure la vie culturelle et la vie religieuse elle-même.

Cependant, par sa liberté, l'homme reste maître de son activité. Les grandes et rapides transformations de l'époque contemporaine lui posent un défi dramatique: celui de la maîtrise et du contrôle par sa raison et sa liberté des forces qu'il met en œuvre au service des vraies finalités humaines.

Découvertes scientifiques et progrès moral

36. Il appartient donc à la liberté, bien orientée, de faire en sorte que les conquêtes scientifiques et techniques, la recherche de leur efficacité, les produits du travail et les structures mêmes de l'organisation économique et sociale, ne soient pas soumis à des projets qui les priveraient de leurs finalités humaines et les retourneraient contre l'homme lui-même.

L'activité scientifique et l'activité technique comportent chacune des exigences spécifiques. Elles n'acquièrent cependant leur signification et leur valeur proprement humaines que lorsqu'elles sont subordonnées aux principes moraux. Ces exigences doivent être respectées; mais vouloir leur attribuer une autonomie absolue et nécessitante, non conforme à la nature des choses, est s'engager dans une voie ruineuse pour l'authentique liberté de l'homme.

V. Le péché, source de division et d'oppression

Le péché, séparation d'avec Dieu

37. Dieu appelle l'homme à la liberté. En chacun est vive la volonté d'être libre. Et pourtant cette volonté aboutit presque toujours a l'esclavage et à l'oppression. Tout engagement pour la libération et la liberté suppose donc qu'on ait affronté ce dramatique paradoxe.

Le péché de l'homme, c'est-à-dire sa rupture d'avec Dieu, est la raison radicale des tragédies qui marquent l'histoire de la liberté. Pour le comprendre, beaucoup de nos contemporains doivent redécouvrir d'abord le sens du péché.

Dans la volonté de liberté de l'homme se cache la tentation de renier sa propre nature. En tant qu'il veut tout vouloir et tout pouvoir et par là oublier qu'il est fini et qu'il est créé, il prétend être un dieu. «Vous serez comme Dieu» (Gen 3, 5). Cette parole du serpent manifeste l'essence de la tentation de l'homme; elle implique la perversion du sens de sa propre liberté. Telle est la nature profonde du péché: l'homme s'arrache à la vérité, mettant sa volonté au-dessus d'elle. En voulant se libérer de Dieu et être lui-même un dieu, il se trompe et se détruit. Il s'aliène de lui-même.

Dans cette volonté d'être un dieu et de tout soumettre à son bon plaisir se cache une perversion de l'idée même de Dieu. Dieu est amour et vérité dans la plénitude du don réciproque des divines Personnes. L'homme est appelé à être comme Dieu, cela est vrai. Cependant il lui devient semblable non dans l'arbitraire de son bon plaisir, mais dans la mesure où il reconnaît que la vérité et l'amour sont à la fois le principe et la fin de sa liberté.

Le péché, racine des aliénations humaines

38. En péchant, l'homme se ment à soi-même et se sépare de sa vérité. En recherchant la totale autonomie et l’autarcie, il me Dieu et se nie lui-même. L'aliénation par rapport à la vérité de son être de créature aimée de Dieu est la racine de toutes les autres aliénations.

En niant ou en tentant de nier Dieu, son Principe et sa Fin, l'homme altère profondément son ordre et son équilibre intérieur, ceux de la société et même de la création visible [25].

C'est en connexion avec le péché que l'Écriture considère l'ensemble des calamités qui oppriment l'homme dans son être individuel et social.

Elle montre que tout le cours de l'histoire garde un lien mystérieux avec l'agir de l'homme qui, dès l'origine, a abusé de sa liberté en se dressant contre Dieu et en cherchant à parvenir à ses fins en dehors de lui [26]. Dans le caractère pénible du travail et de la maternité, dans la domination de l'homme sur la femme et dans la mort, la Genèse indique les conséquences de ce péché originel. Les hommes privés de la grâce divine ont ainsi hérité d'une nature commune mortelle, incapable de se fixer dans le bien, et portée à la convoitise [27].

Idolâtrie et désordre

39. L'idolâtrie est une forme extrême du désordre engendré par le péché. La substitution du culte de la créature à l'adoration du Dieu vivant fausse les relations entre les hommes et entraîne diverses sortes d'oppression.

La méconnaissance coupable de Dieu déchaîne les passions, causes de déséquilibre et de conflits à l'intime de l'homme. De là dérivent inévitablement les désordres qui affectent la sphère familiale et sociale: licence sexuelle, injustice, homicide. C'est ainsi que l'apôtre Paul décrit le monde païen, porté par l'idolâtrie aux pires aberrations qui ruinent l'individu et la société [28].

Déjà avant lui, les Prophètes et les Sages d'Israël voyaient dans les malheurs du peuple un châtiment de son péché d'idolâtrie, et dans le «cœur rempli de malice» (Qo 9, 3) [29] la source de l'esclavage radical de l'homme et des oppressions qu'il fait subir à ses semblables.

Mépris de Dieu et retournement vers la créature

40. La tradition chrétienne, chez les Pères et les Docteurs de l'Église, a explicité cette doctrine de l'Écriture sur le péché. Pour elle, le péché est mépris de Dieu (contemptus Dei). Il comporte la volonté d'échapper au rapport de dépendance du serviteur à l'égard de son Seigneur, ou plus encore du fils à l'égard de son Père. En péchant, l'homme entend se libérer de Dieu. En réalité, il se rend esclave. Car en refusant Dieu, il brise l'élan de son aspiration à l'infini et de sa vocation au partage de la vie divine. C'est pourquoi son cœur est livré à l'inquiétude.

L'homme pécheur qui refuse d'adhérer à Dieu est conduit nécessairement à s'attacher d'une manière fallacieuse et destructrice à la créature. Dans ce retournement vers la créature (conversio ad creaturam), il concentre sur celle-ci son désir insatisfait d'infini. Mais les biens créés sont limités; aussi son cœur court-il de l'un à l'autre, toujours en quête d'une impossible paix.

En réalité, quand il attribue aux créatures un poids d'infinité, l'homme perd le sens de son être créé. Il prétend trouver son centre et son unité en lui-même. L'amour désordonné de soi est l'autre face du mépris de Dieu. L'homme entend alors ne s'appuyer que sur soi, il veut se réaliser soi-même et se suffire dans sa propre immanence [30].

L'athéisme, fausse émancipation de la liberté

41. devient plus particulièrement manifeste quand le pécheur estime qu’il ne peut affirmer sa propre liberté qu'en niant explicitement Dieu. La dépendance de la créature à l'égard du Créateur ou celle de la conscience morale à l'égard de la loi divine seraient pour lui d'intolérables servitudes. L'athéisme est donc à ses yeux la vraie forme d'émancipation et de libération de l'homme, tandis que la religion ou même la reconnaissance d'une loi morale constitueraient des aliénations. L'homme veut alors souverainement décider du bien et du mal, ou des valeurs, et d'un même mouvement, il rejette à la fois l'idée de Dieu et l'idée de péché. C'est à travers l'audace de la transgression qu'il prétend devenir adulte et libre, et il revendique cette émancipation non seulement pour lui, mais pour l'humanité tout entière.

Péché et structures d’injustice

42. Devenu son propre centre, l'homme pécheur tend à s'affirmer et à satisfaire son désir d'infini en se servant des choses: richesses, pouvoirs et plaisirs, au mépris des autres hommes qu'il dépouille injustement et traite en objets ou instruments. Ainsi contribue-t-il pour sa part à la création de ces structures d'exploitation et de servitude que par ailleurs il prétend dénoncer.
 

CHAPITRE III
LIBÉRATION ET LIBERTÉ CHRÉTIENNE

Évangile, liberté et libération

43. L'histoire humaine, marquée par l'expérience du péché, nous conduirait au désespoir si Dieu avait abandonne sa créature a elle-même. Mais les promesses divines de libération et leur victorieux accomplissement dans la mort et la résurrection du Christ sont le fondement de la «joyeuse espérance» où la communauté chrétienne puise la force d'agir résolument et efficacement au service de l'amour, de la justice et de la paix. L'Évangile est un message de liberté et une force de libération [31], qui accomplit l'espérance d'Israël fondée sur la parole des Prophètes. Celle-ci s'appuyait sur l'action de Yahvé qui, avant même d'intervenir comme «goèl» [32], libérateur, rédempteur, sauveur de son Peuple, l'avait gratuitement choisi en Abraham [33].

I. La libération dans l'Ancien Testament

L'Exode et les interventions libératrices de Yahvé

44. Dans l'Ancien Testament, l'action libératrice de Yahvé qui sert de modèle et de référence à toutes les autres est l’Exode de l'Égypte, « maison de servitude ». Si Dieu arrache son Peuple à un dur esclavage économique, politique et culturel, c'est en vue d'en faire, par l'Alliance du Sinaï, « un royaume de prêtres et une nation sainte » (Ex 19, 6). Dieu veut être adoré par des hommes libres. Toutes les libérations ultérieures du peuple d'Israël tendent à le conduire à cette liberté en plénitude qu'il ne peut trouver que dans la communion avec son Dieu.

L'événement majeur et fondateur de l'Exode a donc une signification à la fois religieuse et politique. Dieu libère son Peuple, il lui donne une descendance, une terre, une loi, mais à l'intérieur d'une Alliance et pour une Alliance. On ne saurait donc isoler pour lui-même l'aspect politique; il est nécessaire de le considérer à la lumière du dessein de nature religieuse dans lequel il est intégré [34].

La loi de Dieu

45. Dans son dessein de salut, Dieu a donné à Israël sa Loi. Elle contenait, avec les préceptes moraux universels du Décalogue, des normes cultuelles et civiles qui devaient régler la vie du peuple choisi par Dieu pour être son témoin parmi les nations.

De cet ensemble de lois, l'amour de Dieu par dessus tout [35] et du prochain comme soi-même [36] constitue déjà le centre. Mais la justice qui doit régler les rapports entre les hommes, et le droit qui en est l'expression juridique, appartiennent aussi à la trame la plus caractéristique de la Loi biblique. Les Codes et la prédication des Prophètes, comme aussi les Psaumes, se réfèrent constamment à l'une et à l'autre, bien souvent ensemble [37]. C'est dans ce contexte que doit être apprécié le souci de la loi biblique pour les pauvres, les démunis, la veuve et l'orphelin: on leur doit la justice selon l'ordonnance juridique du Peuple de Dieu [38]. L'idéal et l'ébauche existent donc déjà d'une société centrée sur le culte du Seigneur et fondée sur la justice et le droit animés par l'amour.

L'enseignement des Prophètes

46. Les Prophètes ne cessent de rappeler à Israël les exigences de la Loi de l'Alliance. Ils dénoncent dans le cœur endurci de l'homme la source des transgressions répétées, et ils annoncent une Alliance Nouvelle dans laquelle Dieu changera les cœurs en y gravant la Loi de son Esprit [39].

En annonçant et préparant cette ère nouvelle, les Prophètes dénoncent avec vigueur l'injustice perpétrée contre les pauvres; ils se font en leur faveur les porte-parole de Dieu. Yahvé est le suprême recours des petits et des opprimés, et le Messie aura pour mission de prendre leur défense [40].

La situation du pauvre est une situation d'injustice contraire à l'Alliance. C'est pourquoi la Loi de l'Alliance le protège par des préceptes qui reflètent l'attitude même de Dieu quand il a libéré Israël de la servitude de l'Egypte [41]. L'injustice envers les petits et les pauvres est un grave péché, qui brise la communion avec Yahvé.

Les «pauvres de Yahvé»

47. A partir de toutes les formes de la pauvreté, de l'injustice subie, de l'affliction, les «justes» et les «pauvres de Yahvé» font monter vers Lui leur supplication dans les Psaumes [42]. Ils souffrent dans leur cœur de la servitude à laquelle le peuple «à la nuque raide» est réduit à cause de ses péchés. Ils endurent la persécution, le martyre, la mort, mais vivent dans l'espérance de la délivrance. Par dessus tout, ils mettent leur confiance en Yahvé à qui ils recommandent leur propre cause [43].

Les «pauvres de Yahvé» savent que la communion avec Lui [44] est le bien le plus précieux dans lequel l'homme trouve sa vraie liberté [45]. Pour eux, le mal le plus tragique est la perte de cette communion. C'est pourquoi leur combat contre l'injustice prend son sens le plus profond et son efficacité dans leur volonté d'être libérés de la servitude du péché.

Au seuil du Nouveau Testament

48. Au seuil du Nouveau Testament, «les pauvre de Yahvé» constituent les prémices d'un peuple «humble et pauvre» qui vit dans l'espérance de la libération d'Israël [46].

Personnifiant cette espérance, Marie dépasse le seuil de l'Ancien Testament. Elle annonce avec joie l'avènement messianique et loue le Seigneur qui se prépare à libérer son Peuple [47]. Dans son hymne de louange à la divine miséricorde, l'humble Vierge, vers laquelle se tourne spontanément et avec tant de confiance le peuple des pauvres, chante le mystère du salut et sa force de transformation. Le sens de la foi, si vivant chez les petits, sait reconnaître d'emblée toute la richesse à la fois sotériologique et éthique du Magnificat [48].

II. Signification christologique de l'Ancien Testament

A la lumière du Christ

49. L'Exode, l'Alliance, la Loi, la voix des Prophètes et la spiritualité des « pauvres de Yahvé » n'atteignent leur pleine signification que dans le Christ.

L'Église lit l'Ancien Testament à la lumière du Christ mort et ressuscité pour nous. Elle voit sa propre préfiguration dans le Peuple de Dieu de l'Ancienne Alliance, incarné dans le corps concret d'une nation particulière, politiquement et culturellement constituée, qui était inséré dans la trame de l'histoire comme témoin de Yahvé à la face des nations, jusqu'à l'achèvement du temps des préparations et des figures. Dans la plénitude des temps, arrivée avec le Christ, les enfants d'Abraham sont appelés à entrer avec toutes les nations dans l'Église du Christ pour former avec elles un seul Peuple de Dieu, spirituel et universel [49].

III. La libération chrétienne

La Bonne Nouvelle annoncée aux pauvres

50. Jésus annonce la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu et appelle les hommes à la conversion [50] «Les pauvres sont évangélisés» (Mt 11, 5): en reprenant la parole du Prophète [51], Jésus manifeste son action messianique en faveur de ceux qui attendent le salut de Dieu.

Bien plus, le Fils de Dieu qui s'est fait pauvre par amour pour nous [52] veut être reconnu dans les pauvres, dans ceux qui souffrent ou sont persécutés [53] : «Ce que vous avez fait à l'un de ces plus petits qui sont mes frères, c'est à Moi que vous l'avez fait» (Mt 25, 40) [54].

Le Mystère Pascal

51. Mais c'est avant tout par la force de son Mystère Pascal que le Christ nous a libérés [55]. Par son obéissance parfaite sur la Croix et la gloire de sa résurrection, l'Agneau de Dieu a ôté le péché du monde et nous a ouvert la voie de la libération définitive.

Par notre service et notre amour, mais aussi par l'offrande de nos épreuves et de nos souffrances, nous participons à l'unique sacrifice rédempteur du Christ, complétant en nous «ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps qui est l'Église» (Col 1, 24), dans l'attente de la résurrection des morts.

Grâce, réconciliation et liberté

52. Le cœur de l'expérience chrétienne de la liberté est dans la justification par la grâce. de la foi et des sacrements de l'Église. Cette grâce nous libère du péché et nous introduit dans la communion avec Dieu. Par la mort et la résurrection du Christ, le pardon nous est offert. L'expérience de notre réconciliation avec le Père est le fruit de l'Esprit Saint. Dieu se révèle à nous comme le Père de miséricorde, devant qui nous pouvons nous présenter avec une confiance totale.

Réconciliés avec Lui [56] et recevant cette paix du Christ que le monde ne peut donner [57], nous sommes appelés à être entre tous les hommes des artisans de paix [58].

Dans le Christ, nous pouvons vaincre le péché, et la mort ne nous sépare plus de Dieu; elle sera finalement détruite lors de notre résurrection semblable à celle de Jésus [59]. Le « cosmos » lui-même, dont l'homme est le centre et le sommet, attend d'être «libéré de l'esclavage de la corruption pour participer à la liberté glorieuse des fils de Dieu» (Rm 8, 21).

Dès maintenant, Satan est mis en échec; lui, qui a la puissance de la mort, il a été réduit à l'impuissance par la mort du Christ [60]. Des signes sont donnés, qui anticipent la gloire future.

Lutte contre l'esclavage du péché

53. La liberté, apportée par le Christ dans l'Esprit Saint, nous a restitué la capacité, dont le péché nous avait privés, d'aimer Dieu par dessus tout et de demeurer en communion avec Lui.

Nous sommes libérés de l'amour désordonné de nous-mêmes, qui est la source du mépris du prochain et des rapports de domination entre les hommes.

Néanmoins, jusqu'au retour glorieux du Ressuscité, le mystère d'iniquité est toujours à l'œuvre dans le monde. Saint Paul nous avertit: «C'est pour que nous soyons libres que le Christ nous a libérés» (Gal 5, 1). Il faut donc persévérer et lutter pour ne pas retomber sous le joug de l'esclavage. Notre existence est un combat spirituel pour la vie selon l'Évangile et avec les armes, de Dieu [61]. Mais nous avons reçu la force et la certitude de notre victoire sur le mal, victoire de l'amour du Christ à qui rien ne peut résister [62].

L'esprit et la Loi

54. Saint Paul proclame le don de la Loi Nouvelle de l'Esprit en opposition à la loi de la chair ou de la convoitise qui incline l'homme au mal et le rend impuissant à choisir le bien [63]. Ce manque d'harmonie et cette faiblesse intérieure n'abolissent pas la liberté et la responsabilité de l'homme, mais en compromettent l'exercice pour le bien. C'est ce qui fait dire à l'Apôtre: «Je ne fais pas le bien que je veux et commets le mal que je ne veux pas» (Rm 7, 19). Il parle donc à juste titre de la «servitude du péché» et de l'«esclavage de la loi», car à l'homme pécheur la loi, qu'il ne peut intérioriser, apparaît opprimante.

Cependant, saint Paul reconnaît que la Loi conserve sa valeur pour l'homme et le chrétien parce qu'elle est «sainte, et le précepte saint, juste et bon» (Rm 7, 12) [64]. Il réaffirme le Décalogue tout en le mettant en rapport avec la charité qui en est la vraie plénitude [65]. En outre, il sait bien qu'un ordre juridique est nécessaire au développement de la vie sociale [66]. Mais la nouveauté qu'il proclame, c'est que Dieu nous a donné son Fils «pour que la justice exigée par la Loi fût accomplie en nous» (Rm 8, 4).

Le Seigneur Jésus lui-même a énoncé les préceptes de la Loi Nouvelle dans le Sermon sur la Montagne; par son sacrifice offert sur la croix et sa résurrection glorieuse, il a vaincu les puissances du péché et nous a obtenu la grâce du Saint-Esprit qui rend possible la parfaite observance de la loi de Dieu [67] et l'accès au pardon si nous retombons dans le péché. L'Esprit qui habite en nos cœurs est la source de la vraie liberté.

Par le sacrifice du Christ, les prescriptions cultuelles de l'Ancien Testament ont été rendues caduques. Quant aux normes juridiques de la vie sociale et politique d'Israël, l'Église apostolique, en tant que Royaume de Dieu inauguré sur la terre, a eu conscience qu'elle n'y était plus astreinte. Cela a fait comprendre à la communauté chrétienne que les lois et les actes des autorités des divers peuples, bien que légitimes et dignes d'obéissance [68], ne pouvaient cependant jamais, en tant qu'ils procèdent d'elles, prétendre à un caractère sacré. A la lumière de l'Évangile, bien des lois et structures paraissent porter la marque du péché et prolonger son influence oppressive dans la société.

IV. Le Commandement nouveau

L'amour, don de l'Esprit

55. L'amour de Dieu, répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint, implique l'amour du prochain. Rappelant le premier commandement, Jésus ajoute aussitôt: «Le second lui est semblable: tu aimeras ton prochain comme toi-même. A ces deux commandements se rattachent toute la Loi, ainsi que les Prophètes» (Mt 22, 39-40). Et saint Paul dit que la charité est l'accomplissement plénier de la Loi [68].

L'amour du prochain ne connaît pas de limites, il s'étend aux ennemis et aux persécuteurs. La perfection, image de celle du Père, à laquelle le disciple doit tendre, réside dans la miséricorde [70]. La parabole du Bon Samaritain démontre que l'amour plein de compassion, qui se met au service du prochain, détruit les préjugés qui dressent les groupes ethniques ou sociaux les uns contre les autres [71]. Tous les livres du Nouveau Testament rendent témoignage de cette inépuisable richesse de sentiments dont est porteur l'amour chrétien du prochain [72].

L'amour du prochain

56. L'amour chrétien, gratuit et universel, tient sa nature de l’amour du Christ qui a donné sa vie pour nous: «Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres » (Jn 13, 34-35) [73]. Tel est le « Commandement nouveau» pour les disciples.

A la lumière de ce commandement, saint Jacques rappelle sévèrement les riches à leur devoir [74], et saint Jean affirme que celui qui, disposant des richesses de ce monde, ferme son cœur à son frère dans la nécessité, ne peut avoir l'amour de Dieu demeurant en lui [75]. L'amour du frère est la pierre de touche de l'amour de Dieu: «Celui qui n'aime pas son frère, qu'il voit, ne saurait aimer Dieu, qu'il ne voit pas» (1 Jn 4, 20). Saint Paul souligne avec force le lien qui existe entre la participation au sacrement du Corps et du Sang du Christ et le partage avec le frère qui se trouve dans le besoin [76].

Justice et charité

57. L'amour évangélique et la vocation de fils de Dieu, à laquelle tous les hommes sont appelés, ont pour conséquence l'exigence directe et impérative du respect de chaque être humain dans ses droits à la vie et à la dignité. Il n'y a pas de distance entre l'amour du prochain et la volonté de justice. C'est dénaturer à la fois l'amour et la justice que de les opposer. Bien plus, le sens de la miséricorde complète celui de la justice en l'empêchant de s'enfermer dans le cercle de la vengeance.

Les inégalités iniques et les oppressions de toutes sortes qui frappent aujourd'hui des millions d'hommes et de femmes sont en contradiction ouverte avec l'Évangile du Christ et ne peuvent laisser tranquille la conscience d'aucun chrétien.

L'Église, dans sa docilité à l'Esprit, s'avance avec fidélité sur les chemins de la libération authentique. Ses membres ont conscience de leurs défaillances et de leurs retards dans cette recherche. Mais une foule de chrétiens, depuis le temps des Apôtres, ont engagé leurs forces et leur vie pour la libération de toute forme d'oppression et pour la promotion de la dignité humaine. L'expérience des saints et l'exemple de tant d'œuvres au service du prochain constituent un stimulant et une lumière en vue des initiatives libératrices qui s'imposent aujourd'hui.

V. L'Église, Peuple de Dieu de la Nouvelle Alliance

Vers la plénitude de la liberté

58. Le Peuple de Dieu de la Nouvelle Alliance est l’Église du Christ. Sa loi est le commandement de l'amour. Dans le cœur de ses membres, l'Esprit habite comme dans un temple. Elle est le germe et le commencement du Royaume de Dieu ici-bas, qui recevra son achèvement à la fin des temps avec la résurrection des morts et le renouvellement de toute la création [77].

Possédant ainsi les arrhes de l'Esprit [78], le Peuple de Dieu est conduit vers la plénitude de la liberté. La Jérusalem nouvelle que nous attendons avec ferveur est appelée à juste titre cité de liberté au sens le plus haut [79]. Alors, «Dieu essuiera toute larme; et de mort, de pleurs, de cris et de peine, il n'y en aura plus, car l'ancien monde s'en est allé» (Ap 21, 4). L'espérance est l'attente certaine « des deux nouveaux et de la terre nouvelle où habitera la justice » (2 P 3, 13).

La rencontre finale avec le Christ

59. La transfiguration par le Christ ressuscité de l'Église arrivée au terme de son pèlerinage n'annule aucunement la destinée personnelle de chacun au terme de sa propre vie. Tout homme, trouvé digne devant le tribunal du Christ pour avoir bien usé dans la grâce de Dieu de son libre arbitre, recevra la béatitude [80]. Il sera rendu semblable à Dieu parce qu'il le verra tel qu'il est [81]. Le don divin de la béatitude éternelle est l'exaltation de la plus haute liberté qui se puisse concevoir.

Espérance eschatologique et engagement pour la libération temporelle

60. Cette espérance n'affaiblit pas l’engagement pour le progrès de la cité terrestre, mais au contraire lui donne sens et force. Il convient certes de distinguer avec soin progrès terrestre et croissance du Royaume, qui ne sont pas du même ordre. Toutefois, cette distinction n'est pas une séparation; car la vocation de l'homme à la vie éternelle ne supprime pas, mais confirme sa tâche de mettre en œuvre les énergies et les moyens qu'il a reçus du Créateur pour développer sa vie temporelle [82].

Éclairée par l'Esprit du Seigneur, l'Église du Christ peut discerner dans les signes des temps ceux qui sont prometteurs de libération et ceux qui sont trompeurs et illusoires. Elle appelle l'homme et les sociétés à vaincre les situations de péché et d'injustice, et à établir les conditions d'une vraie liberté. Elle a conscience que tous ces biens: dignité humaine, union fraternelle, liberté, qui constituent le fruit d'efforts conformes à la volonté de Dieu, nous les retrouverons «lavés de toute tache, illuminés et transfigurés, quand le Christ remettra au Père le règne éternel et universel» [83] qui est un règne de liberté.

L'attente vigilante et active de la venue du Royaume est aussi celle d'une justice enfin parfaite pour les vivants et pour les morts, pour les hommes de tous les temps et de tous les lieux, que Jésus-Christ, institué Juge suprême, instaurera [84]. Une telle promesse, qui dépasse toutes les possibilités humaines, concerne directement notre vie en ce monde. Car une vraie justice doit s'étendre à tous, apporter la réponse à l'immense somme de souffrances endurées par toutes les générations. En réalité, sans la résurrection des morts et le jugement du Seigneur, il n'est pas de justice au sens plein de ce terme. La promesse de la résurrection vient gratuitement à la rencontre du vœu de vraie justice qui habite le cœur humain.
 

CHAPITRE IV
LA MISSION LIBÉRATRICE DE L'ÉGLISE

L'Église et les inquiétudes de l'homme

61. L'Église a la ferme volonté de répondre à l’inquiétude de l'homme contemporain, subissant de dures oppressions et soucieux de liberté. La gestion politique et économique de la société n'entre pas directement dans sa mission [85]. Mais le Seigneur Jésus lui a confié la parole de vérité capable d'illuminer les consciences. L'amour divin, qui est sa vie, la presse de se rendre réellement solidaire de tout homme qui souffre. Si ses membres demeurent fidèles à cette mission, l'Esprit Saint, source de liberté, habitera en eux, et ils produiront des fruits de justice et de paix dans leur milieu familial, professionnel et social.

I. Pour le salut intégral du monde

Les Béatitudes et la force de L'Évangile

62. L’Évangile est puissance de la vie éternelle, donnée dès maintenant à ceux qui le reçoivent [86]. Mais en engendrant des hommes nouveaux [87], cette force pénètre dans la communauté humaine et dans son histoire, purifiant et vivifiant ainsi ses activités. Par là, elle est « racine de culture » [88].

Les Béatitudes proclamées par Jésus expriment la perfection de l'amour évangélique, et elles n'ont cessé d'être vécues tout au long de l'histoire de l'Église par de nombreux baptisés, et d'une manière éminente par les saints.

A partir de la première, celle des pauvres, les Béatitudes forment un tout qui lui-même ne doit pas être séparé de l'ensemble du Sermon sur la Montagne [89]. Jésus, qui est le nouveau Moïse, y commente – en lui donnant son sens définitif et plénier – le Décalogue, la Loi de l'Alliance. Lues et interprétées dans la totalité de leur contexte, les Béatitudes expriment l'esprit du Royaume de Dieu qui vient. Mais, à la lumière de la destinée définitive de l'histoire humaine ainsi manifestée, apparaissent du même coup avec une plus vive clarté les fondements de la justice dans l'ordre temporel.

Car, en enseignant la confiance qui s'appuie sur Dieu, l'espérance de la vie éternelle, l'amour de la justice, la miséricorde qui va jusqu'au pardon et à la réconciliation, les Béatitudes permettent de situer l'ordre temporel en fonction d'un ordre transcendant qui, sans lui ôter sa propre consistance, lui confère sa vraie mesure.

A leur lumière, l'engagement nécessaire dans les tâches temporelles au service du prochain et de la communauté des hommes est à la fois demandé avec urgence et maintenu dans sa juste perspective. Les Béatitudes préservent de l'idolâtrie des biens terrestres et des injustices qu'entraîne leur poursuite effrénée [90]. Elles détournent de la recherche utopique et ruineuse d'un monde parfait, car «elle passe, la figure de ce monde» (1 Co 7, 31).

L'annonce du Salut

63. La mission essentielle de l'Église, à la suite de celle du Christ, est une mission évangélisatrice et salvifique [91]. Elle puise son élan dans la charité divine. L'évangélisation est annonce du salut, don de Dieu. Par la Parole de Dieu et les sacrements, l'homme est libéré avant tout du pouvoir du péché et du pouvoir du Malin qui l'oppriment, et il est introduit dans la communion d'amour avec Dieu. A la suite de son Seigneur «venu dans le monde pour sauver les pécheurs» (1 Tim 1, 15), l'Église veut le salut de tous les hommes.

Dans cette mission, l'Église enseigne la voie que l'homme doit suivre en ce monde pour entrer dans le Royaume de Dieu. Sa doctrine s'étend donc à tout l'ordre moral, et notamment à la justice qui doit régler les relations humaines. Cela fait partie de la prédication de l'Évangile.

Mais l'amour qui pousse l'Église à communiquer à tous la participation de grâce à la vie divine lui fait aussi, par l'action efficace de ses membres, poursuivre le vrai bien temporel des hommes, subvenir à leurs nécessités, pourvoir à leur culture et promouvoir une libération intégrale de tout ce qui entrave le développement des personnes. L'Église veut le bien de l'homme selon toutes ses dimensions, d'abord comme membre de la cité de Dieu, ensuite comme membre de la cité terrestre.

Évangélisation et promotion de la justice

64. Quand donc elle se prononce sur la promotion de la justice dans les sociétés humaines ou qu'elle engage les fidèles laïcs à y travailler selon leur vocation propre, l'Église ne sort pas de sa mission. Elle est cependant soucieuse que cette mission ne soit pas absorbée par les préoccupations concernant l'ordre temporel ou réduite à celles-ci. C'est pourquoi elle a grand soin de maintenir clairement et fermement à la fois l'unité et la distinction entre évangélisation et promotion humaine: l'unité, parce qu'elle recherche le bien de l'homme tout entier; la distinction, parce que ces deux tâches entrent à des titres divers dans sa mission.

Évangile et réalités terrestres

65. C’est donc en poursuivant sa propre finalité que l’Église répand la lumière de l’Évangile sur les réalités terrestres, en sorte que la personne humaine soit guérie de ses misères et élevée dans sa dignité. La cohésion de la société selon la justice et la paix est par là promue et renforcée [92]. Aussi l'Église est-elle fidèle à sa mission quand elle dénonce les déviations, les servitudes et les oppressions dont les hommes sont victimes.

Elle est fidèle à sa mission lorsqu'elle s'oppose aux tentatives d'instaurer une forme de vie sociale d'où Dieu est absent, soit par une opposition consciente, soit par une négligence coupable [93].

Elle est fidèle enfin à sa mission quand elle exerce son jugement à l'égard des mouvements politiques qui entendent lutter contre la misère et l'oppression selon des théories et des méthodes d'action contraires à l'Évangile et opposée à l'homme lui-même [94].

Certes, avec les énergies de la grâce, la morale évangélique apporte à l'homme de nouvelles perspectives et de nouvelles exigences. Mais elle vient perfectionner et élever une dimension morale qui appartient déjà à la nature humaine et dont l'Église se préoccupe, en sachant que c'est là un patrimoine commun à tous les hommes en tant que tels.

II. L'amour de préférence pour les pauvres

Jésus et la pauvreté

66. Le Christ Jésus, de riche qu'il était, s'est fait pauvre pour nous enrichir par le moyen de sa pauvreté [95]. Saint Paul parle ici du mystère de l'Incarnation du Fils éternel venu assumer la nature humaine mortelle pour sauver l'homme de la misère où le péché l'avait plongé. De plus, dans la condition humaine, le Christ a choisi un état de pauvreté et de dénuement [96] afin de montrer en quoi consiste la vraie richesse à rechercher, celle de la communion de vie avec Dieu. Il a enseigné le détachement des richesses de la terre pour que l'on désire celles du ciel [97]. Les Apôtres qu'il a choisis ont dû eux aussi quitter et partager son dénuement [98].

Annoncé par le Prophète comme le Messie des pauvres [99], c'est chez eux, les humbles, les «pauvres de Yahvé» assoiffés de la justice du Royaume, qu'il a trouvé des cœurs pour l'accueillir. Mais il s'est voulu aussi proche de ceux qui, même riches des biens de ce monde, étaient exclus de la communauté comme «publicains et pécheurs», car il était venu pour les appeler à la conversion [100].

C'est une telle pauvreté, faite de détachement, de confiance en Dieu, de sobriété, de disposition au partage, que Jésus a déclarée bienheureuse.

Jésus et les pauvres

67. Mais Jésus n'a pas seulement apporté la grâce et la paix de Dieu; il a aussi guéri d’innombrables malades; il a eu compassion de la foule qui n'avait rien à manger et l'a nourrie; avec les disciples qui le suivaient, il a pratiqué l'aumône [101]. La Béatitude de la pauvreté qu'il a proclamée ne peut donc aucunement signifier que les chrétiens puissent se désintéresser des pauvres dépourvus de ce qui est nécessaire à la vie humaine en ce monde. Fruit et conséquence du péché des hommes et de leur fragilité naturelle, cette misère est un mal dont il faut autant que possible libérer les êtres humains.

L'amour de préférence pour les pauvres

68. Sous ses multiples formes: dénuement matériel, oppression injuste, infirmités physiques et psychiques, et enfin la mort, la misère humaine est le signe manifeste de la condition native de faiblesse où l'homme se trouve depuis le premier péché et du besoin de salut. C'est pourquoi elle a attiré la compassion du Christ Sauveur qui a voulu la prendre sur lui [102] et s'identifier aux «plus petits d'entre ses frères» (Mt 25, 40. 45). C'est pourquoi aussi ceux qu'elle accable sont l'objet d'un amour de préférence de la part de l'Église qui, depuis les origines, en dépit des défaillances de beaucoup de ses membres, n'a cessé de travailler à les soulager, les défendre et les libérer. Elle l'a fait par d'innombrables œuvres de bienfaisance qui restent toujours et partout indispensables [103]. Puis par sa doctrine sociale qu'elle presse d'appliquer, elle a cherché à promouvoir des changements structurels dans la société afin de procurer des conditions de vie dignes de la personne humaine.

Par le détachement des richesses, qui permet le partage et ouvre le Royaume [104], les disciples de Jésus témoignent dans l'amour des pauvres et des malheureux de l'amour même du Père manifesté dans le Sauveur. Cet amour vient de Dieu et va à Dieu. Les disciples du Christ ont toujours reconnu dans les dons déposés sur l'autel un don offert à Dieu lui-même.

En aimant les pauvres, l'Église enfin témoigne de la dignité de l’homme. Elle affirme clairement qu'il vaut plus par ce qu'il est que par ce qu'il possède. Elle témoigne que cette dignité ne peut être détruite, quelle que soit la situation de misère, de mépris, de rejet, d'impuissance, à laquelle un être humain a été réduit. Elle se montre solidaire de ceux qui ne comptent pas pour une société dont ils sont spirituellement et parfois même physiquement rejetés. En particulier, l'Église se penche avec une affection maternelle sur les enfants qui, à cause de la méchanceté humaine, ne verront jamais la lumière, ainsi que sur les personnes âgées seules et abandonnées.

L'option privilégiée pour les pauvres, loin d'être un signe de particularisme ou de sectarisme, manifeste l'universalité de l'être et de la mission de l'Église. Cette option est sans exclusive.

C'est la raison pour laquelle l'Église ne peut l'exprimer à l'aide de catégories sociologiques et idéologiques réductrices, qui feraient de cette préférence un choix partisan et de nature conflictuelle.

Communautés ecclésiales de base et autres groupements de chrétiens

69. Les nouvelles communautés ecclésiales de base ou d'autres groupements de chrétiens formés pour être témoins de cet amour évangélique sont un motif de grande espérance pour l'Église. S'ils vivent vraiment en unité avec l'Église locale et l'Église universelle, ils seront une vraie expression de la communion et un moyen pour construire une communion plus profonde [105]. Il seront fidèles à leur mission dans la mesure où ils auront le souci d'éduquer leurs membres à l'intégralité de la foi chrétienne, par l'écoute de la Parole de Dieu, la fidélité à l'enseignement du Magistère, à l'ordre hiérarchique de l'Église et à la vie sacramentelle. A cette condition, leur expérience, enracinée dans un engagement pour la libération intégrale de l'homme, devient une richesse pour l'Église tout entière.

La réflexion théologique

70. D'une manière semblable, une réflexion théologique développée à partir d'une expérience particulière peut constituer un apport très positif, en ce qu'elle permet de mettre en évidence des aspects de la Parole de Dieu dont toute la richesse n'avait pas encore été pleinement perçue. Mais afin que cette réflexion soit vraiment une lecture de l'Écriture, et non pas une projection sur la Parole de Dieu d'un sens qui n'y est pas contenu, le théologien sera attentif à interpréter l'expérience dont il part à la lumière de l'expérience de l'Église elle-même. Cette expérience de l'Église, elle brille d'un éclat singulier et avec toute sa pureté dans la vie des saints. Il revient aux Pasteurs de l'Église, en communion avec le Successeur de Pierre, d'en discerner l'authenticité.
 

CHAPITRE V
LA DOCTRINE SOCIALE DE L'ÉGLISE:
POUR UNE PRAXIS CHRÉTIENNE DE LA LIBÉRATION

La praxis chrétienne de la libération

71. La dimension sotériologique de la libération ne peut être réduite à la dimension socio-éthique, qui en est une conséquence. En restituant la vraie liberté de l'homme, la libération radicale opérée par le Christ lui assigne une tâche: la praxis chrétienne, qui est la mise en œuvre du grand commandement de l'amour. Celui-ci est le principe suprême de la morale sociale chrétienne, fondée sur l'Évangile et toute la tradition depuis les temps apostoliques et l'époque des Pères de l'Église jusqu'aux interventions récentes du Magistère.

Les défis considérables de notre époque constituent un appel urgent à la mise en pratique de cette doctrine d'action.

I. Nature de la doctrine sociale de l'Église

Message évangélique et vie sociale

72. L'enseignement social de l'Église est né de la rencontre du message évangélique et de ses exigences résumées dans le commandement suprême de l'amour de Dieu et du prochain et dans la justice [106] avec des problèmes émanant de la vie de la société. Il s'est constitué comme une doctrine, en usant des ressources de la sagesse et des sciences humaines, porte sur l'aspect éthique de cette vie, et prend en compte les aspects techniques des problèmes, mais toujours pour les juger sous l'angle moral.

Essentiellement orienté vers l'action, cet enseignement se développe en fonction des circonstances changeantes de l'histoire. C'est pourquoi, avec des principes toujours valables, il comporte aussi des jugements contingents. Loin de constituer un système clos, il demeure constamment ouvert aux questions nouvelles qui ne cessent de se présenter; il requiert la contribution de tous les charismes, expériences et compétences.

Experte en humanité, l'Église offre par sa doctrine sociale un ensemble de principes de réflexion et de critères de jugement [107] et aussi de directives d'action [108] pour que les changements en profondeur que réclament les situations de misère et d'injustice soient accomplis, et cela d'une manière qui serve le vrai bien des hommes.

Principes fondamentaux

73. Le commandement suprême de l'amour conduit à la pleine reconnaissance de la dignité de chaque homme, créé à l'image de Dieu. De cette dignité découlent des droits et des devoirs naturels. A la lumière de l'image de Dieu, la liberté, prérogative essentielle de la personne humaine, est manifestée dans toute sa profondeur. Les personnes sont les sujets actifs et responsables de la vie sociale [109].

Au fondement, qui est la dignité de l'homme, sont intimement liés le principe de solidarité et le principe de subsidiarité.

En vertu du premier, l'homme doit contribuer avec ses semblables au bien commun de la société, à tous ses niveaux [110]. Par là, la doctrine de l'Église est opposée à toutes les formes de l'individualisme social ou politique.

En vertu du second, ni l'État ni aucune société ne doivent jamais se substituer à l'initiative et à la responsabilité des personnes et des communautés intermédiaires au niveau où elles peuvent agir, ni détruire l'espace nécessaire à leur liberté [111]. Par là, la doctrine sociale de l'Église s'oppose à toutes les formes de collectivisme.

Critères de jugement

74. Ces principes fondent des critères pour porter un jugement sur les situations, les structures et les systèmes sociaux.

Ainsi l'Église n'hésite pas à dénoncer les situations de vie qui portent atteinte à la dignité et à la liberté de l'homme.

Ces critères permettent aussi de juger la valeur des structures. Celles-ci sont l'ensemble des institutions et des pratiques que les hommes trouvent déjà existantes ou créent, au plan national et international, et qui orientent ou organisent la vie économique, sociale et politique. En soi nécessaires, elles tendent souvent à se figer et à se durcir en mécanismes relativement indépendants de la volonté humaine, paralysant par là ou pervertissant le développement social, et engendrant l'injustice. Cependant, elles relèvent toujours de la responsabilité de l'homme qui peut les modifier, et non d'un prétendu déterminisme de l'histoire.

Les institutions et les lois, quand elles sont conformes à la loi naturelle et ordonnées au bien commun, sont les garantes de la liberté des personnes et de sa promotion. On ne saurait condamner tous les aspects contraignants de la loi, ni la stabilité d'un État de droit digne de ce nom. On peut donc parler de structure marquée par le péché, mais on ne peut condamner les structures en tant que telles.

Les critères de jugement concernent aussi les systèmes économiques, sociaux et politiques. La doctrine sociale de l'Église ne propose aucun système particulier, mais, à la lumière de ses principes fondamentaux, elle permet d'abord de voir dans quelle mesure les systèmes existant sont conformes ou non aux exigences de la dignité humaine.

Primauté des personnes sur les structures

75. Certes, l'Église est consciente de la complexité des problèmes auxquels les sociétés sont affrontées et des difficultés a y trouver des solutions adéquates. Cependant elle pense qu'il faut d'abord faire appel aux capacités spirituelles et morales de la personne et à l'exigence permanente de conversion intérieure si l'on veut obtenir des changements économiques et sociaux qui soient vraiment au service de l'homme.

La primauté donnée aux structures et à l'organisation technique sur la personne et les exigences de sa dignité est l'expression d'une anthropologie matérialiste, elle est contraire à l'édification d'un ordre social juste [112].

Cependant, la priorité reconnue à la liberté et à la conversion du cœur n'élimine nullement la nécessité d'un changement des structures injustes. Il est donc pleinement légitime que ceux qui souffrent de l'oppression de la part des détenteurs de la richesse ou du pouvoir politique agissent, par des moyens moralement licites, pour obtenir des structures et des institutions dans lesquelles leurs droits soient vraiment respectés.

Il reste toutefois que les structures instaurées pour le bien des personnes sont à elles seules incapables de le procurer et de le garantir. La corruption qui atteint, dans certains pays, les dirigeants et la bureaucratie d'État, et qui détruit toute vie sociale honnête, en est une preuve. La droiture des mœurs est condition de la santé de la société. Il faut donc œuvrer à la fois pour la conversion des cœurs et l'amélioration des structures, car le péché qui est à l'origine des situations injustes est, au sens propre et premier, un acte volontaire qui a sa source dans la liberté de la personne. C'est dans un sens dérivé et second qu'il s'applique aux structures, et qu'on peut parler de « péché social » [113].

Par ailleurs, dans le processus de libération, on ne peut faire abstraction de la situation historique de la nation ni attenter à l'identité culturelle du peuple. En conséquence, on ne peut accepter passivement et encore moins activement appuyer des groupes qui, par la force ou la manipulation de l'opinion, s'emparent de l'appareil de l'État et imposent abusivement à la collectivité une idéologie importée opposée aux vraies valeurs culturelles du peuple [114]. A ce propos, il convient de rappeler la grave responsabilité morale et politique des intellectuels.

Directives d'action

76. Les principes fondamentaux et les critères de jugement inspirent des directives d'action: puisque le bien commun de la société humaine est au service des personnes, les moyens d'action doivent être conformes à la dignité de l'homme et favoriser l'éducation de la liberté. C'est là un critère sûr de jugement et d'action: pas de véritable libération si ne sont pas respectés dès le début les droits de la liberté.

Il faut dénoncer, dans le recours systématique à la violence présentée comme la voie nécessaire de la libération, une illusion destructrice, ouvrant la voie à de nouvelles servitudes. On condamnera avec la même vigueur la violence exercée par les possédants contre les pauvres, l'arbitraire policier, ainsi que toute forme de violence établie en système de gouvernement. En ces domaines, il faut savoir tirer les leçons de tragiques expériences qu'a connues et connaît encore l'histoire de notre siècle. On ne peut non plus admettre la coupable passivité des pouvoirs publics dans des démocraties où la situation sociale d'un grand nombre d'hommes et de femmes est loin de correspondre à ce qu'exigent les droits individuels et sociaux constitutionnellement garantis.

Une lutte pour la justice

77. Quand elle encourage la création et l'action d'associations, comme les syndicats, qui luttent pour la défense des droits et des intérêts légitimes des travailleurs et pour la justice sociale, l'Église n'admet pas pour autant la théorie qui voit dans la lutte des classes le dynamisme structurel de la vie sociale. L'action qu'elle préconise n'est pas la lutte d'une classe contre une autre en vue d'obtenir l'élimination de l'adversaire; elle ne procède pas de la soumission aberrante à une prétendue loi de l'histoire. Elle est une lutte noble et raisonnée en vue de la justice et de la solidarité sociales [115]. Le chrétien préférera toujours la voie du dialogue et de la concertation.

Le Christ nous a donné le commandement de l'amour des ennemis [116]. La libération dans l'esprit de l'Évangile est donc incompatible avec la haine de l'autre, pris individuellement ou collectivement, y compris avec la haine de l'ennemi.

Le mythe de la révolution

78. De situations de grave injustice requièrent le courage de réformes en profondeur et la suppression de privilèges injustifiables. Mais ceux qui discréditent la voie des réformes au profit du mythe de la révolution, non seulement nourrissent l'illusion que l'abolition d'une situation inique suffit par elle-même à créer une société plus humaine, mais encore favorisent l'avènement de régimes totalitaires [117]. La lutte contre les injustices n'a de sens que si elle est menée en vue de l'instauration d'un nouvel ordre social et politique conforme aux exigences de la justice. Celle-ci doit déjà marquer les étapes de son instauration. Il y a une moralité des moyens [118].

Un recours ultime

79. Ces principes doivent être spécialement appliqués dans le cas extrême du recours à la lutte armée, indiquée par le Magistère comme l'ultime remède pour mettre fin à une « tyrannie évidente et prolongée qui porterait gravement atteinte aux droits fondamentaux de la personne et nuirait dangereusement au bien commun d'un pays » [119]. Toutefois, l'application concrète de ce moyen ne peut être envisagée qu'après une analyse très rigoureuse de la situation. En effet, à cause du développement continuel des techniques employées et de la croissante gravité des dangers impliqués dans le recours à la violence, ce qu'on appelle aujourd'hui la « résistance passive » ouvre une voie plus conforme aux principes moraux et non moins prometteuse de succès.

On ne peut jamais admettre, ni de la part du pouvoir constitué ni de la part de groupes insurgés, le recours à des moyens criminels comme les représailles exercées sur les populations, la torture, les méthodes du terrorisme et de la provocation calculée pour entraîner mort d'homme au cours de manifestations populaires. Les odieuses campagnes de calomnies capables de détruire quelqu'un psychiquement et moralement sont également inadmissibles.

Le rôle des laïcs

80. Il n'appartient pas aux pasteurs de l'Église d'intervenir directement dans la construction politique et dans l'organisation de la vie sociale. Cette tâche fait partie de la vocation des laïcs agissant de leur propre initiative avec leurs concitoyens [120]. Ils doivent l'accomplir, conscients que la finalité de l'Église est de répandre le Règne du Christ pour que tous les hommes soient sauvés et que par eux le monde soit effectivement ordonné au Christ [121].

L'œuvre de salut apparaît ainsi indissolublement liée à la tâche d'améliorer et d'élever les conditions de la vie humaine en ce monde.

La distinction entre l'ordre surnaturel du salut et l'ordre temporel de la vie humaine doit être vue à l'intérieur de l'unique dessein de Dieu de récapituler toutes choses dans le Christ. C'est pourquoi, dans l'un et l'autre domaine, le laïc, à la fois fidèle et citoyen, doit se laisser constamment guider par sa conscience chrétienne [122].

L'action sociale, qui peut impliquer une pluralité de voies concrètes, sera toujours en vue du bien commun et conforme au message évangélique et à l'enseignement de l'Église. On évitera que la différence d'options nuise au sens de la collaboration, conduise à la paralysie des efforts ou produise un désarroi dans le peuple chrétien.

L'orientation reçue de la doctrine sociale de l'Église doit stimuler l'acquisition des compétences techniques et scientifiques indispensables. Elle stimulera aussi à rechercher la formation morale du caractère et l'approfondissement de la vie spirituelle. En fournissant des principes et des conseils de sagesse, cette doctrine ne dispense pas de l'éducation à la prudence politique requise pour le gouvernement et la gestion des réalités humaines.

II. Exigences évangéliques de transformation en profondeur

Nécessité d'une transformation culturelle

81. Un défi sans précédent est aujourd'hui lancé aux chrétiens qui œuvrent à réaliser cette civilisation de l'amour qui condense tout l'héritage éthico-culturel de l'Évangile. Cette tâche requiert une nouvelle réflexion sur ce qui constitue le rapport du commandement suprême de l'amour à l'ordre social envisagé dans toute sa complexité.

La fin directe de cette réflexion en profondeur est l'élaboration et la mise en route de programmes d'action audacieux en vue de la libération socio-économique de millions d'hommes et de femmes dont la situation d'oppression économique, sociale et politique est intolérable.

Cette action doit commencer par un immense effort d'éducation: éducation à la civilisation du travail, éducation à la solidarité, accès de tous à la culture.

L'Évangile du travail

82. L'existence de Jésus à Nazareth, véritable «Évangile du travail », nous offre l'exemple vivant et le principe de la radicale transformation culturelle indispensable pour résoudre les graves problèmes que notre époque doit affronter. Celui qui, étant Dieu, nous est devenu semblable en tout, s'est livré pendant la plus grande partie de sa vie terrestre à un travail manuel [123]. La culture que notre époque attend sera caractérisée par la pleine reconnaissance de la dignité du travail humain, qui apparaît dans toute sa noblesse et sa fécondité à la lumière des mystères de la Création et de la Rédemption [124]. Reconnu comme expression de la personne, le travail devient source de sens et effort créateur.

Une vraie civilisation du travail

83. Ainsi la solution de la plupart des très graves problèmes de la misère se trouve dans la promotion d'une véritable civilisation du travail. Le travail est en quelque sorte la clé de toute la question sociale [125].

C'est donc dans le domaine du travail que doit être entreprise en priorité une action libératrice dans la liberté. Parce que le rapport entre la personne humaine et le travail est radical et vital, les formes et les modalités selon lesquelles ce rapport sera réglé exerceront une influence positive en vue de la solution d'un ensemble de problèmes sociaux et politiques qui se posent à chaque peuple. De justes relations de travail préfigureront un système de communauté politique apte à favoriser le développement intégral de toute personne humaine.

Si le système des rapports de travail, mis en œuvre par les protagonistes directs, travailleurs et employeurs, avec l'indispensable soutien des pouvoirs publics, réussit à donner naissance à une civilisation du travail, il se produira alors, dans la manière de voir des peuples et jusque dans les bases institutionnelles et politiques, une révolution pacifique en profondeur.

Bien commun national et international

84. Une telle culture du travail devra supposer et mettre en acte un certain nombre de valeurs essentielles. Elle reconnaîtra que la personne du travailleur est principe, sujet et fin de l'activité laborieuse. Elle affirmera la priorité du travail sur le capital et la destination universelle des biens matériels. Elle sera animée par le sens d'une solidarité qui ne comporte pas seulement des droits à revendiquer, mais aussi des devoirs à accomplir. Elle impliquera la participation, visant à promouvoir le bien commun national et international, et non seulement à défendre des intérêts individuels ou corporatifs. Elle assimilera la méthode de la confrontation pacifique et du dialogue franc et vigoureux.

Dès lors, les autorités politiques deviendront davantage capables d'agir dans le respect des libertés légitimes des individus, des familles, des groupes subsidiaires, créant ainsi les conditions requises pour que l'homme puisse atteindre son bien véritable et intégral, y compris sa fin spirituelle [126].

La valeur du travail humain

85. Une culture qui reconnaît l'éminente dignité du travail en évidence la dimension subjective du travail [127]. La valeur de tout travail humain n'est pas d'abord fonction du genre de travail accompli; elle a son fondement dans le fait que celui qui l'exécute est une personne [128]. Il y a là un critère éthique dont les exigences ne sauraient échapper.

Ainsi tout homme a un droit au travail, lequel doit être pratiquement reconnu par un engagement effectif en vue de résoudre le dramatique problème du chômage. Le fait que celui-ci maintienne dans une situation de marginalisation de larges portions de la population et notamment de la jeunesse, est intolérable. C'est pourquoi la création de postes de travail est une tâche sociale primordiale qui s'impose aux individus et à l'initiative privée, mais également à l'État. En règle générale, ici comme ailleurs, ce dernier a une fonction subsidiaire; mais souvent il peut être appelé à intervenir directement, comme dans le cas d'accords internationaux entre divers États. De tels accords doivent respecter le droit des émigrés et de leur famille [129]

Promouvoir la participation

86. Le salaire, qui ne peut être conçu comme une simple marchandise, doit permettre au travailleur et à sa famille d'avoir accès à un niveau de vie vraiment humain dans l'ordre matériel, social, culturel et spirituel. C'est la dignité de la personne qui constitue le critère pour juger le travail, et non l'inverse. Quel que soit le type de travail, le travailleur doit pouvoir le vivre comme expression de sa personnalité. De là découle l'exigence d'une participation qui, bien au-delà d'un partage des fruits du travail, devrait comporter une véritable dimension communautaire au niveau des projets, des initiatives et des responsabilités [130].

Priorité du travail sur le capital

87. La priorité du travail sur le capital fait un devoir de justice aux entrepreneurs de considérer le bien des travailleurs avant l’augmentation des profits. Ils ont l'obligation morale de ne pas maintenir des capitaux improductifs, et, dans les investissements, de viser d'abord le bien commun. Celui-ci exige que l'on recherche par priorité la consolidation ou la création de nouveaux postes de travail, dans la production de biens réellement utiles.

Le droit à la propriété privée n'est pas concevable sans devoirs à l'égard du bien commun. Il est subordonné au principe supérieur de la destination universelle des biens [131].

Réformes en profondeur

88. Cette doctrine doit inspirer des réformes avant qu’il ne soit trop tard. L’accès de tous aux biens requis pour une vie humaine, personnelle et familiale, digne de ce nom, est une exigence première de la justice sociale. Elle demande à être appliquée dans le domaine du travail industriel et d'une manière très particulière dans celui du travail agricole [132]. En effet, les paysans, surtout dans le Tiers-Monde, forment la masse prépondérante des pauvres [133].

III. Promotion de la solidarité

Une nouvelle solidarité

89. La solidarité est une exigence directe de la fraternité humaine et surnaturelle. Les graves problèmes socio-économiques qui se posent aujourd'hui ne pourront être résolus que si se créent de nouveaux fronts de solidarité: solidarité des pauvres entre eux, solidarité avec les pauvres, à laquelle les riches sont convoqués, solidarité des travailleurs et avec les travailleurs. Les institutions et les organisations sociales, à divers niveaux, ainsi que l'État, doivent participer à un mouvement général de solidarité. Quand elle y appelle, l'Église sait qu'elle-même est concernée d'une manière toute particulière.

La destination universelle des biens

90. Le principe de la destination universelle des biens, joint à celui de la fraternité humaine et surnaturelle, dicte leurs devoirs aux pays les plus riches à l'égard des pays pauvres. Ces devoirs sont de solidarité dans l'aide aux pays en voie de développement; de justice sociale, par une révision en termes corrects des relations commerciales entre Nord et Sud et par la promotion d'un monde plus humain pour tous, où chacun puisse donner et recevoir, et où le progrès des uns ne sera pas un obstacle au développement des autres, ni un prétexte à leur asservissement [134].

Aide au développement

91. La solidarité internationale est une exigence d'ordre moral. Elle ne s'impose pas uniquement dans les cas d'extrême urgence, mais aussi pour l'aide au vrai développement. Il y a là une œuvre commune, qui requiert un effort concerté et constant pour trouver les solutions techniques concrètes, mais aussi pour créer une nouvelle mentalité chez les hommes de ce temps. La paix du monde en dépend pour une grande part [135].

IV. Tâches culturelles et éducatives

Droit à l'instruction et à la culture

92. Les inégalités contraires à la justice dans la possession et l'usage des biens matériels sont accompagnées et aggravées par des inégalités tout aussi injustes dans l'accession à la culture. Chaque homme a un droit à la culture, qui est le mode spécifique d'une existence vraiment humaine auquel il accède par le développement de ses facultés de connaissance, de ses vertus morales, de ses capacités de relations avec ses semblables, de ses aptitudes à créer des œuvres utiles et belles. De là découle l'exigence de la promotion et de la diffusion de l'éducation, à laquelle chacun a un droit inaliénable. La première condition en est l'élimination de l'analphabétisme [136].

Respect de la liberté culturelle

93.Le droit de chaque homme à la culture n’est assuré que si la liberté culturelle est respectée. Trop souvent la culture est dénaturée en idéologie, et l'éducation est transformée en instrument au service du pouvoir politique ou économique. Il n'est pas dans les compétences de l'autorité publique de déterminer la culture. Sa fonction est de promouvoir et protéger la vie culturelle de tous, y compris celle des minorités [137].

La tâche éducative de la famille

94. La tâche éducatrice appartient fondamentalement et prioritairement à la famille. La fonction de l'État est subsidiaire: son rôle est de garantir, protéger, promouvoir et suppléer. Quand l'État revendique le monopole scolaire, il outrepasse ses droits et offense la justice. C'est aux parents que revient le droit de choisir l'école où ils enverront leurs propres enfants, et de créer et soutenir des centres éducatifs en accord avec leurs propres convictions. L'État ne peut sans injustice se contenter de tolérer les écoles dites privées. Celles-ci rendent un service public et ont en conséquence le droit à être économiquement aidées [138].

«Les libertés» et la participation

95. L'éducation qui donne accès à la culture est aussi éducation à l’exercice responsable de la liberté. C'est pourquoi il n'y a d'authentique développement que dans un système social et politique respectant les libertés et les favorisant par la participation de tous. Une telle participation peut revêtir des formes diverses; elle est nécessaire pour garantir un juste pluralisme dans les institutions et dans les initiatives sociales. Elle assure, notamment par la séparation réelle entre les pouvoirs de l'État, l'exercice des droits de l'homme, les protégeant également contre de possibles abus de la part des pouvoirs publics. De cette participation à la vie sociale et politique, personne ne peut être exclu pour motif de sexe, de race, de couleur, de condition sociale, de langue ou de religion [139]. Le maintien du peuple en marge de la vie culturelle, sociale et politique, constitue dans beaucoup de nations une des injustices les plus criantes de notre temps.

Quand les autorités politiques règlent l'exercice des libertés, elles ne sauraient prendre prétexte des exigences de l'ordre public et de la sécurité pour limiter systématiquement ces libertés. Ni le prétendu principe de la « sécurité nationale », ni une vision restrictivement économique, ni une conception totalitaire de la vie sociale, ne sauraient prévaloir sur la valeur de la liberté et de ses droits [140].

Le défi de l’inculturation

96. La foi est inspiratrice de critère de jugement, de valeur déterminantes, de lignes de pensée et de modèles de vie, valables pour la communauté humaine elle-même [141]. C'est pourquoi l'Église, attentive aux angoisses de notre époque, indique les voies d'une culture dans laquelle le travail serait reconnu selon sa pleine dimension humaine et où chaque être humain trouverait les possibilités de s'accomplir comme personne. Elle le fait en vertu de son ouverture missionnaire pour le salut intégral du monde, dans le respect de l'identité de chaque peuple et nation.

L'Église, communion qui unit diversité et unité, par sa présence dans le monde entier, assume dans toute culture ce qu'elle y trouve de positif. Toutefois, l'inculturation n'est pas simple adaptation extérieure; elle est une intime transformation des authentiques valeurs culturelles par l'intégration dans le christianisme et enracinement du christianisme dans les diverses cultures humaines [142]. La séparation entre l'Évangile et la culture est un drame, dont les problèmes évoqués sont la triste illustration. Un effort généreux d'évangélisation des cultures s'impose donc. Ces dernières seront régénérées dans leur rencontre avec l'Évangile. Mais cette rencontre suppose que l'Évangile soit vraiment proclamé [143]. Éclairée par le Concile Vatican II, l'Église veut s'y consacrer avec toutes ses énergies, afin de provoquer un immense élan libérateur.
 

CONCLUSION

Le chant du Magnificat

97. «Bienheureuse celle qui a cru...» (Lc 1, 45). A la salutation d’Elisabeth, la Mère de Dieu répond en laissant éclater son cœur dans le chant du Magnificat. Elle nous montre que c'est par la foi et dans la foi qu'à son exemple, le peuple de Dieu devient capable d'exprimer en paroles et de traduire dans sa vie le mystère du dessein de salut et ses dimensions libératrices au plan de l'existence individuelle et sociale. C'est en effet à la lumière de la foi que l'on perçoit comment l'histoire du salut est l'histoire de la libération du mal sous sa forme la plus radicale, et l'introduction de l'humanité dans la véritable liberté des fils de Dieu. Totalement dépendante de Dieu et toute orientée vers Lui par l'élan de sa foi, Marie est, aux côtés de son Fils, l'icône la plus parfaite de la liberté et de la libération de l'humanité et du cosmos. C'est vers elle que l'Église dont elle est la Mère et le Modèle doit regarder pour comprendre dans son intégralité le sens de sa mission.

Il est tout à fait remarquable que le sens de la foi des pauvres, en même temps qu'à une perception aiguë du mystère de la croix rédemptrice, porte à un amour et à une confiance indéfectible dans la Mère du Fils de Dieu vénérée en de nombreux sanctuaires.

Le «sensus fidei» du Peuple de Dieu

98. Les pasteurs, et tous ceux, prêtres et laïcs, religieux et religieuses, qui travaillent souvent dans des conditions très dures à l'évangélisation et à la promotion humaine intégrale, doivent être remplis d'espérance en pensant quelles ressources extraordinaires de sainteté sont contenues dans la foi vivante du peuple de Dieu. Il faut faire en sorte que ces richesses du sensus fidei puissent pleinement éclore et donner des fruits en abondance. Aider, par une méditation en profondeur du plan du salut, tel qu'il se déroule au regard de la Vierge du Magnificat, la foi du peuple des pauvres à s'exprimer avec clarté et à se traduire dans la vie: c'est là une noble tâche ecclésiale qui attend le théologien. Ainsi une théologie de la liberté et de la libération, comme écho fidèle du Magnificat de Marie conservé dans la mémoire de l'Église, constitue une exigence de notre temps. Mais ce serait une grave perversion que de capter les énergies de la religiosité populaire pour les détourner vers un projet de libération purement terrestre, qui se révélerait très tôt être une illusion et une cause de nouvelles servitudes. Ceux qui ainsi cèdent aux idéologies du monde et à la prétendue nécessité de la violence ne sont plus fidèles à l'espérance, à sa hardiesse et à son courage, tels que les magnifie l'hymne au Dieu de miséricorde que la Vierge nous enseigne.

Les dimensions d'une authentique libération

99. Le sens de la foi perçoit toute la profondeur de la libération opérée par le Rédempteur. C'est du mal le plus radical, du péché et du pouvoir de la mort, qu'ils nous a délivrés, pour rendre la liberté à elle-même et pour lui montrer son chemin. Ce chemin, il est tracé par le commandement suprême, qui est le commandement de l'amour.

La libération, dans sa signification première qui est sotériologique, se prolonge ainsi en tâche libératrice, en exigence éthique. Ici se situe la doctrine sociale de l'Église, qui éclaire la praxis chrétienne au plan de la société.

Le chrétien est appelé à agir selon la vérité [144], et à travailler ainsi à l'instauration de cette «civilisation de l'amour», dont a parlé Paul VI [145]. Le présent document, sans prétendre être complet, a indiqué quelques unes des directions où il est urgent d'entreprendre des réformes en profondeur. La tâche prioritaire, qui conditionne la réussite de toutes les autres, est d'ordre éducatif. L'amour qui guide l'engagement doit dès maintenant donner naissance à de nouvelles solidarités. A ces tâches qui s'imposent d'une manière pressante à la conscience chrétienne, tous les hommes de bonne volonté sont convoqués.

C'est la vérité du mystère du salut à l'œuvre dans l'aujourd'hui de l'histoire pour conduire l'humanité rachetée vers la perfection du Royaume, qui donne aux nécessaires efforts de libération d'ordre économique, social et politique leur vraie signification, et qui les empêche de sombrer dans de nouvelles servitudes.

Une tâche devant nous

100. Il est vrai que devant l'ampleur et la complexité de la tâche, qui peut requérir le don de soi jusqu'à l'héroïsme, beaucoup sont tentés par le découragement, par le scepticisme ou par l'aventure désespérée. Un formidable défi est lancé à l'espérance, théologale et humaine. La Vierge magnanime du Magnificat, qui enveloppe l'Église et l'humanité de sa prière, est le ferme soutien de l'espérance. En elle, en effet, nous contemplons la victoire de l'amour divin qu'aucun obstacle ne peut retenir et nous découvrons à quelle sublime liberté Dieu élève les humbles. Sur le chemin tracé par elle doit s'avancer dans un grand élan la foi qui opère par la charité [146].

Au cours d'une audience accordée au Préfet soussigné, Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II a approuvé cette Instruction adoptée en réunion ordinaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, et en a ordonné la publication.

A Rome, au siège de la Congrégation, le 22 mars 1986, en la Fête de l'Annonciation du Seigneur.

 

JOSEPH Card. RATZINGER
Préfet

 

+ ALBERTO BOVONE
Arch. tit. de Césarée de Numidie
Secrétaire


[1] Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruction sur quelques aspects de la théologie de la libération (Libertatis Nuntius), Avant-Propos: AAS 76 (1984), 876-877.

[2] Cf. la Constitution pastorale Gaudium et Spes et la Déclaration Dignitatis Humanae du Concile Œcuménique Vatican II, les Encycliques Mater et Magistra, Pacem in Terris, Populorum Progressio, Redemptor Hominis et Laborem Exercens; les Exhortations apostoliques Evangelii Nuntiandi et Reconciliatio et Poenitentia; la lettre apostolique Octogesima Adveniens. Jean-Paul II a traité ce thème dans son Discours inaugural de la 3e Conférence de l'Épiscopat latino-américain à Puebla: AAS 71 (1979), 187-205. Il y est revenu en de nombreuses autres occasions. Le thème a également été traité au Synode des évêques en 1971 et 1974. Les Conférences de l'Épiscopat latino-américain en ont fait l'objet direct de leurs réflexions. Il a aussi attiré l'attention d'autre Épiscopats, comme l'Épiscopat français: Libération des hommes et salut en Jésus-Christ, 1975.

[3] Paul VI, Lettre ap. Octogesima Adveniens, nn. 1-4: AAS 63 (1971), 401-404.

[4] Cf. Jn 4, 42; 1 Jn 4, 14.

[5] Cf. Mt 28, 18-20; Mc 16, 15.

[6] Cf. Décl. Dignitatis Humanae, n. 10.

[7] Cf. Paul VI, Exhort. ap. Evangelii Nuntiandi, nn. 78-80: AAS 68 (1976), 70-75; Décl. Dignitatis Humanae, n. 3; Jean-Paul II, Encycl. Redemptor Hominis, n. 12: AAS 71 (1979), 278-281.

[8] Cf. Instr. Libertatis Nuntius, XI, 10: AAS 76 (1984), 905-906.

[9] Cf. Jean-Paul II, Encycl. Redemptor Hominis, n. 17: AAS 71 (1979), 296-297; Déclaration du 10 mars 1984 au 5è Colloque des Juristes: L'Osservatore Romano, 11 mars 1984, 8.

[10] Cf. Instr. Libertatis Nuntius, XI, 5: AAS 76 (1984), 904; Jean-Paul II, Discours inaugural de Puebla: AAS 71 (1979), 189.

[11] Cf. Const past. Gaudium et Spes, n. 36.

[12] Cf. Ibid.

[13] Cf. Loc. cit., n. 41.

[14] Cf. Mt 11, 25; Lc 10, 21.

[15] Cf. Paul VI, Exhort. ap. Evangelii Nuntiandi, n. 48: AAS 68 (1976), 37-38.

[16] Cf. Instr. Libertatis Nuntius, VII, 9; VIII, 1-9; AAS 76 (1984), 892; 894-895.

[17] Cf. Gn 1, 26.

[18] Jean-Paul II, Encycl. Redemptor Hominis, n. 21: AAS 71 (1979), 316.

[19] Cf. Rm 6, 6; 7, 23.

[20] Cf. Gn 2, 18. 23: «Il n'est pas bon que l'homme soit seul» ... «Celle-ci est la chair de ma chair et os de mes os»: à ces paroles de l'Écriture, qui visent directement le rapport entre homme et femme, on peut reconnaître une portée plus universelle. Cf. Lv 19, 18.

[21] Cf. Jean XXIII, Encycl. Pacem in Terris, nn. 5-15: AAS 55 (1963), 259-265; Jean-Paul II, Lettre à M. K. Waldheim, Secrétaire général des Nations Unies, à l'occasion du 30è anniversaire de la «Déclaration universelle des droits de l'homme»: AAS 71 (1979), 122; Discours pontifical à l'O.N.U., n. 9: AAS 71 (1979), 1149.

[22] Cf. S. Augustin, Ad Macedonium, II, 7-17 (PL 33, 669-673, CSEL 44, 437-447).

[23] Cf. Gn 1, 27-28.

[24] Cf. Jean-Paul II, Encycl. Redemptor Hominis, n. 15: AAS 71 (1979), 286.

[25] Cf. Const. Past. Gaudium et Spes, n. 13, § 1.

[26] Cf. Jean-Paul II, Exhort. ap. Reconciliatio et Poenitentia, n. 13: AAS 77 (1985), 208-211.

[27] Cf. Gn 3, 16-19; Rm 5, 12; 7, 14-24; Paul VI, Sollemnis Professio Fidei, 30 juin 1968, n. 16: AAS 60 (1968), 439.

[28] Cf. Rm 1, 18-32.

[29] Cf. Jr 5, 23; 7, 24; 17, 9; 18, 12.

[30] Cf. S. Augustin, De civitate Dei, XIV, 28 (PL 41, 535; CSEL 40/2, 56-57; CCL 14/2, 451-452).

[31] Cf. Instr. Libertatis Nuntius, Avant-propos: AAS 76 (1984), 876.

[32] Cf. Is 41, 14; Jr 50, 34. «Goél»: ce mot implique l'idée d'un lien de parenté entre celui qui libère et celui qui est libéré; cf. Lv 25, 25. 47-49; Rt3, 12; 4, 1. «Padah» signifie «acquérir pour soi»; cf. Ex 13, 13; Dt 9, 26; 15, 15; Ps 130, 7-8.

[33] Cf. Gn 12, 1-3.

[34] Cf. Instr. Libertatis Nuntius, IV, 3: AAS 76 (1984), 882.

[35] Cf. Dt 6, 5.

[36] Cf. Lv 19, 18.

[37] Cf. Dt 1, 16-17; 16, 18-20; Jr 22, 3-15; 23, 5; Ps 33, 5; 72, 1; 99, 4.

[38] Cf. Ex 22, 20-23; Dt 24, 10-22.

[39] Cf. Jr 31, 31-34; Ez 36, 25-27.

[40] Cf. Is 11, 1-5; Ps 72, 4. 12-14; Instr. Libertatis Nuntius, IV, 6: AAS 76 (1984), 883.

[41] Cf. Ex 23, 9; Dt 24, 17-22.

[42] Cf. Ps 25; 31; 35; 55; Instr. Libertatis Nuntius, IV, 5: AAS 76 (1984), 883.

[43] Cf. Jr 11, 20; 20, 12.

[44] Cf. Ps 73, 26-28.

[45] Cf. Ps 16; 62; 84.

[46] Cf. So 3, 12-20; cf. Instr. Libertatis Nuntius, IV, 5: AAS 76 (1984), 883.

[47] Cf. Lc 1, 46-55.

[48] Cf. Paul VI, Exhort. ap. Marialis Cultus, n. 37: AAS 66 (1974), 148-149.

[49] Cf. Ac 2, 39; Rm 10, 12; 15, 7-12; Ep 2, 14-18.

[50] Cf. Mc 1, 15.

[51] Cf. Is 61, 9.

[52] Cf. 2 Co 8, 9.

[53] Cf. Mt 25, 31-46; Ac 9, 4-5.

[54] Cf. Instr. Libertatis Nuntius, IV, 9: AAS 76 (1984), 884.

[55] Cf. Jean-Paul II, Discours inaugural de Puebla, I, 5: AAS 71 (1979), 191.

[56] Cf. Rm 5, 10; 2 Co 5, 18-20.

[57] Cf. Jn 14, 27.

[58] Cf. Mt 5, 9; Rm 12, 18; He 12, 14.

[59] Cf. 1 Co 15, 26.

[60] Cf. Jn 12, 31; He 2, 14-15.

[61] Cf. Ep 6, 11-17.

[62] Cf. Rm 8, 37-39.

[63] Cf. Rm 8, 2.

[64] Cf. 1 Tm 1, 8.

[65] Cf. Rm 13, 8-10.

[66] Cf. Rm 13, 1-7.

[67] Cf. Rm 8, 2-4.

[68] Cf. Rm 13, 1.

[69] Cf. Rm 13, 8-10; Ga 5, 13-14.

[70] Cf. Mt 5, 43-48; Lc 6, 27-38.

[71] Cf. Lc 10, 25-37.

[72] Cf. par exemple 1 Th 2, 7-12; Ph 2, 1-4; Ga 2, 12-20; 1 Co 13, 4-7; 2 Jn 12; 3 Jn 14; Jn 11, 1-5. 35-36; Me 6, 34; Mt 9, 36; 18, 21 s.

[73] Cf. Jn 15, 12-13; 1 Jn 3, 16.

[74] Cf. Jc 5, 1-4.

[75] Cf. 1 Jn 3, 17.

[76] Cf. 1 Co 11, 17-34; Instr. Libertatis Nuntius, IV, 11: AAS 76 (1984), 884. Saint Paul lui-même organisa une collecte en faveur des «pauvres parmi les saints de Jérusalem» (Rm 15, 26).

[77] Cf. Rm 8, 11-21.

[78] Cf. 2 Co 1, 22.

[79] Cf. Ga 4, 26.

[80] Cf. 1 Co 13, 12; 2 Co 5, 10.

[81] Cf. 1 Jn 3, 2.

[82] Cf. Const. past. Gaudium et Spes, n. 39, § 2.

[83] Ibid., n. 39, § 3.

[84] Cf. Mt 24, 29-44. 46; Ac 10, 42; 2 Co 5, 10.

[85] Cf. Const. past. Gaudium et Spes, n. 42, § 2.

[86] Cf. Jn 17, 3.

[87] Cf. Rm 6, 4; 2 Co 5, 17; Col 3, 9-11.

[88] Cf. Paul VI, Exhort. ap. Evangelii Nuntiandi, nn. 18. 20: AAS 68 (1976), 17. 19.

[89] Cf. Mt 5, 3.

[90] Cf. Const. past. Gaudium et Spes, n. 37.

[91] Cf. Const. dogm. Lumen Gentium, n. 17; Decr. Ad Gentes, n. 1; Paul VI, Exhort. ap. Evangelii Nuntiandi, n. 14: AAS 68 (1976), 13.

[92] Cf. Const. past. Gaudium et Spes, n. 40, § 3.

[93] Cf. Jean-Paul II, Exhort. ap. Reconciliatio et Poenitentia, n. 14: AAS 77 (1985), 211-212.

[94] Cf. Instr. Libertatis Nuntius, XI, 10: AAS 76 (1984), 901.

[95] Cf. 2 Co 8, 9.

[96] Cf. Lc 2, 7; 9, 58.

[97] Cf. Mt 6, 19-20. 24-34; 19, 21.

[98] Cf. Lc 5, 11. 28; Mt 19, 27.

[99] Cf. Is 11, 4; 61, 1; Lc 4, 18.

[100] Cf. Mc 2, 13-17; Lc 19, 1-10.

[101] Cf. Mt 8, 16; 14, 13-21; Jn 13, 2-9.

[102] Cf. Mt 8, 17.

[103] Cf. Paul VI, Encycl. Populorum Progressio, nn. 12. 46: AAS 59 (1967), 262-263. 280; Document de la 3e Conférence de l'Épiscopat latino-américain à Puebla, n. 476.

[104] Cf. Ac 2, 44-45.

[105] Cf. 2e Synode Extr., Relatio finalis, II, C, 6: L'Osservatore Romano, 10 décembre 1985, 7; Paul VI, Exhort. ap. Evangelii Nuntiandi, n. 58: AAS 68 (1976), 46-49; Jean-Paul II, Mensagem as comunidades de base, remis à Manaus, 10 juillet 1980.

[106] Cf. Mt 22, 37-40; Rm 13, 8-10.

[107] Cf. Paul VI, Lettre ap. Octogesima Adveniens, n. 4: AAS 63 (1971), 403-404; Jean-Paul II, Discours inaugural de Puebla, III, 7: AAS 71 (1979), 203.

[108] Cf. Jean XXIII, Encycl. Mater et Magistra, n. 235: AAS 53 (1961), 461.

[109] Cf. Const. past. Gaudium et Spes, n. 25.

[110] Cf. Jean XXIII, Encycl. Mater et Magistra, nn. 132-133: AAS 53 (1961), 437.

[111] Cf. Pie XI, Encycl. Quadragesimo Anno, nn. 79-80: AAS 23 (1931), 203; Jean XXIII, Encycl. Mater et Magistra, n. 138: AAS 53 (1961), 439; Encycl. Pacem in Terris, n. 74: AAS 55 (1963), 294-295.

[112] Cf. Paul VI, Exhort, ap. Evangelii Nuntiandi, n. 18: AAS 68 (1976), 17-18; Instr. Libertatis Nuntius, XI, 9: AAS 76 (1984), 901.

[113] Cf. Jean-Paul II, Exhort. ap. Reconciliatio et Poenitentia, n. 16: AAS 77 (1985), 213-217.

[114] Cf. Paul VI, Lettre ap. Octogesima Adveniens, n. 25: AAS 63 (1971), 419-420.

[115] Cf. Jean-Paul II, Encycl. Laborem Exercens, n. 20: AAS 73 (1981), 629-632; Instr. Libertatis Nuntius, VII, 8; VIII, 5-9; XI, 11-14: AAS 76 (1984), 891-892. 894-895. 901-902.

[116] Cf. Mt 5, 44; Lc 6, 27-28. 35.

[117] Cf. Instr. Libertatis Nuntius, XI, 10: AAS 76 (1984), 905-906

[118] Cf. Document de la 3e Conférence de l'Épiscopat latino-américain à Puebla, nn. 533-534; Jean-Paul II, Homélie à Drogheda, 30 septembre 1979: AAS 71 (1979), 1076-1085.

[119] Paul VI, Encycl. Populorum Progressio, n. 31: AAS 59 (1967), 272-273; cf. Pie XI, Encycl. Nos es muy conocida: AAS 29 (1937), 208-209.

[120] Cf. Const. past. Gaudium et Spes, n. 76, § 3; Décr. Apostolicam Actuositatem, n. 7.

[121] Cf. Loc. cit., n. 20.

[122] Cf. Loc. cit., n.5.

[123] Cf. Jean-Paul II, Encycl. Laborem Exercens, n. 6: AAS 73 (1981), 589-592.

[124] Cf. Loc. cit., ch. V: ibid., 637-647.

[125] Cf. Loc. cit., n. 3: ibid. 583-584; Allocution à Loreto du 10 mai 1985: AAS 77 (1985), 967-969.

[126] Cf. Paul VI, Lettre ap. Octogesima Adveniens, n. 46: AAS 63 (1971), 633-635.

[127] Cf. Jean-Paul II, Encycl. Laborem Exercens, n. 6: AAS 73 (1981), 589-592.

[128] Cf. Ibid.

[129] Cf. Jean-Paul II, Exhort. ap. Familiaris Consortio, n. 46: AAS 74 (1982), 137-139; Encycl. Laborem Exercens, n. 23: AAS 73 (1981), 635-637; cf. Charte des droits de la Famille présentée par le Saint-Siège, art. 12: L'Osservatore Romano, 25 novembre 1983.

[130] Cf. Const. past. Gaudium et Spes, n. 68; Jean-Paul II, Encycl. Laborem Exercens, n. 15: AAS 73 (1981), 616-618; Discours du 3 juillet 1980: L'Osservatore Romano, 5 juillet 1980, 1-2.

[131] Cf. Const. past. Gaudium et Spes, n. 69; Jean-Paul II, Encycl. Laborem Exercens, nn. 12. 14: AAS 73 (1981), 605-608. 612-616.

[132] Cf. Pie XI, Encycl. Quadragesimo Anno, n. 72: AAS 23 (1931), 200; Jean-Paul II, Encycl. Laborem Exercens, n. 19: AAS 73 (1981), 625-629.

[133] Cf. Document de la 2e Conférence de l'Épiscopat latino-américain à Medellin, Justice, I. 9; Document de la 3e Conférence de l'Épiscopat latino-américain à Puebla, nn. 31. 35. 1245.

[134] Cf. Jean XXIII, Encycl. Mater et Magistra, n. 163: AAS 53 (1961), 443; Paul VI, Encycl. Populorum Progressio, n. 51: AAS 59 (1967), 282; Jean-Paul II, Discours au Corps diplomatique du 11 janvier 1986: L'Osservatore Romano, 12 Janvier 1986, 4-5.

[135] Cf. Paul VI, Encycl. Populorum Progressio, n. 55: AAS 59 (1967), 284.

[136] Cf. Const. past. Gaudium et Spes, n. 60; Jean-Paul II, Discours à l'UNESCO du 2 juin 1980, n. 8: AAS 72 (1980), 739-740.

[137] Cf. Const. past. Gaudium et Spes, n. 59.

[138] Cf. Décl. Gravissimum Educationis, nn. 3. 6; Pie XI, Encycl. Divini Illius Magistri, nn. 29. 38. 66: AAS 22 (1930), 59. 63. 68; cf. Charte des droits de la Famille présentée par le Saint-Siège, art. 5: L'Osservatore Romano, 25 novembre 1983.

[139] Cf. Const. past. Gaudium et Spes, n. 29; Jean XXIII, Encycl. Pacem in Terris, nn. 73-74. 79: AAS 55 (1963), 294-296.

[140] Cf. Décl. Dignitatis Humanae, n. 7; Const. past. Gaudium et Spes, n. 75; Document de la 3e Conférence de l'Épiscopat latino-américain à Puebla, nn. 311-314; 317-318; 548.

[141] Cf. Paul VI, Exhort. ap. Evangelii Nuntiandi, n. 19: AAS 68 (1976), 18.

[142] Cf. 2e Synode Extr., Relatio finalis, II, D, 4: L'Osservatore Romano, 10 décembre 1985, 7.

[143] Cf. Paul VI, Exhort. ap. Evangelii Nuntiandi, n. 20: AAS 68 (1976), 18-19.

[144] Cf. Jn 3, 21.

[145] Cf. Paul VI, Audience générale du 31 décembre 1975: L'Osservatore Romano, 1er janvier 1976, 1. Jean-Paul II a repris cette idée dans le Discours au «Meeting per l'amicizia dei popoli » du 29 août 1982: L'Osservatore Romano, 30-31 août 1982. Les évêques latino-américains l'ont également évoquée dans le Message aux peuples d'Amérique latine, n. 8 et dans le Document de Puebla, nn. 1188. 1192.

[146] Cf. Ga 5, 6.

     

top