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RENCONTRE AVEC LE CLERGÉ DU DIOCÈSE DE ROME

DISCOURS DU PAPE BENOÎT XVI

Salle des Bénédictions
Jeudi 26 février 2009

 

1) Très Saint-Père, je suis le père Gianpiero Palmieri, curé de la paroisse "San Frumenzio ai Prati Fiscali". Je voudrais vous poser une question sur la mission évangélisatrice de la communauté chrétienne et, en particulier, sur notre rôle et sur notre formation à nous, les prêtres, au sein de cette mission évangélisatrice.

Pour m'expliquer, je partirai d'un épisode personnel. Lorsque, jeune prêtre, j'ai commencé mon service pastoral dans la paroisse et à l'école, je me sentais fort du bagage d'études et de formation reçu, bien enraciné dans le monde de mes convictions, de mes systèmes de pensée. Une femme croyante et sage, me voyant à l'action, secoua la tête en souriant et me dit:  père Gianpiero, quand commenceras-tu à porter des pantalons longs, quand deviendras-tu un homme? C'est un épisode qui est resté gravé dans mon cœur. Cette femme sage cherchait à m'expliquer que la vie, le monde réel, Dieu lui-même, sont plus grands et surprenants que les concepts que nous élaborons. Elle m'invitait à me mettre à l'écoute de l'humain pour chercher à comprendre, sans avoir hâte de juger. Elle me demandait d'apprendre à entrer en relation avec la réalité, sans peur, car la réalité est habitée par le Christ lui-même qui agit mystérieusement dans son Esprit. Face à la mission évangélisatrice d'aujourd'hui, nous les prêtres, nous nous sentons impréparés et inadaptés, toujours en culottes courtes. Que ce soit sous l'aspect culturel - la connaissance attentive des grands courants de pensée contemporains, sous ses aspects positifs et ses limites, nous échappe - et surtout sous l'aspect humain. Nous risquons toujours d'être trop schématiques, incapables de comprendre de manière sage le cœur des hommes d'aujourd'hui. L'annonce du salut en Jésus n'est-elle pas aussi l'annonce de l'homme nouveau, Jésus, le Fils de Dieu, dans lequel notre pauvre humanité est elle aussi rachetée, rendue authentique, transformée par Dieu? Ma question est donc celle-ci:  partagez-vous ces quelques réflexions? Dans nos communautés chrétiennes viennent de nombreuses personnes blessées par la vie. Quels lieux et quel modes pouvons-nous imaginer pour aider l'humanité des autres dans la rencontre avec Jésus? Et aussi, comment construire en nous, prêtres, une humanité belle et féconde? Votre Sainteté, je vous remercie.

R.: Merci! Chers confrères, je voudrais avant tout exprimer ma grande joie d'être parmi vous, prêtres de Rome:  mes prêtres, nous sommes en famille. Le cardinal-vicaire nous a bien dit que c'est un moment de repos spirituel. En ce sens, je suis aussi reconnaissant de pouvoir commencer le Carême par un moment de repos spirituel, de souffle spirituel, en contact avec vous. Et il a aussi ajouté:  nous sommes ensemble pour que vous puissiez me raconter vos expériences, vos souffrances, comme vos succès et vos joies. Je ne dirais donc pas que celui qui parle ici, auquel vous vous adressez, est un oracle. Nous sommes au contraire dans un échange familial, où il est aussi pour moi très important, à travers vous, de connaître la vie des paroisses, vos expériences avec la Parole de Dieu dans le contexte de notre monde d'aujourd'hui. Et je voudrais moi aussi apprendre, m'approcher de la réalité dont, lorsque l'on habite le Palais apostolique, on est un peu trop éloigné. Et c'est aussi la limite de mes réponses. Vous vivez en contact direct, jour après jour, avec le monde d'aujourd'hui; je vis avec des contacts divers, qui sont très utiles. Par exemple, je viens de recevoir la visite "ad limina" des évêques du Nigeria. Et j'ai pu voir ainsi, à travers ces personnes, la vie de l'Eglise dans un pays important d'Afrique, le plus grand, avec 140 millions d'habitants, un grand nombre de catholiques, et entrevoir la joie et aussi les souffrances de l'Eglise. Mais pour moi, cela est évidemment un repos spirituel, parce que c'est une Eglise comme nous la voyons dans les Actes des Apôtres. Une Eglise où il y a une joie toute nouvelle d'avoir trouvé le Christ, d'avoir trouvé le Messie de Dieu. Une Eglise qui vit et grandit chaque jour. La population est heureuse d'avoir trouvé le Christ. Ils ont des vocations et peuvent ainsi donner, dans plusieurs pays du monde, des prêtres fidei donum. Et c'est bien sûr un rafraîchissement spirituel de voir que l'Eglise n'est pas seulement fatiguée, comme souvent en Europe, mais qu'il existe une Eglise jeune, pleine de la joie de l'Esprit Saint. Mais il est aussi important pour moi, avec toutes ces expériences universelles, de voir mon diocèse, les problèmes et toutes les réalités vécus dans ce diocèse.

En ce sens et en substance, je suis d'accord avec vous:  il n'est pas suffisant de prêcher ou de faire de la pastorale avec le bagage précieux acquis durant les études de théologie. Cela est important et fondamental, mais doit être personnalisé:  il faut passer d'une connaissance académique que nous avons apprise et sur laquelle nous avons réfléchi, à une vision personnelle de notre propre vie pour arriver aux autres. En ce sens, je voudrais dire qu'il est essentiel, d'une part, de concrétiser les mots importants de la foi, par notre expérience personnelle de la foi, dans la rencontre avec nos paroissiens, mais aussi de ne pas perdre sa simplicité. Naturellement, des mots importants de la tradition - comme sacrifice d'expiation, rédemption du sacrifice du Christ, péché originel - sont aujourd'hui incompréhensibles comme tels. Nous ne pouvons pas travailler simplement avec de grandes formules, vraies, mais qui ne trouvent plus leur contexte dans le monde d'aujourd'hui. Nous devons, par l'étude et ce que nous disent les maîtres de la théologie et notre expérience personnelle de Dieu, concrétiser, traduire ces mots importants, afin qu'ils puissent entrer dans l'annonce de Dieu aux hommes d'aujourd'hui.

Et je dirais, d'autre part, qu'il ne faut pas recouvrir la simplicité de la Parole de Dieu par des jugements trop lourds d'approches humaines. Je me souviens d'un ami qui, après avoir écouté des prédications avec de longues réflexions anthropologiques pour en arriver à l'Evangile disait:  mais ces approches ne m'intéressent pas, je voudrais comprendre ce que dit l'Evangile! Et il me semble que souvent, au lieu de longs chemins d'approche, il vaudrait mieux - je l'ai fait quand j'étais encore dans ma vie normale - dire que cet Evangile ne nous plaît pas, que nous sommes contre ce que dit le Seigneur! Mais qu'est-ce que cela veut dire? Si  je  dis  sincèrement que je ne suis pas d'accord à première vue, j'attire déjà l'attention:  on voit que je voudrais, en tant qu'homme d'aujourd'hui, comprendre ce que dit le Seigneur. Nous pouvons ainsi, sans emprunter de longs chemins, entrer dans le vif de la Parole. Et nous devons aussi tenir compte, sans faire de fausses simplifications, du fait que les douze apôtres étaient des pêcheurs, des artisans, de cette province de Galilée, sans préparation particulière, sans connaissance du grand monde grec et latin. Et pourtant, ils sont allés dans tout l'empire et même en dehors, jusqu'en Inde, et ils ont annoncé le Christ avec simplicité et avec la force de la simplicité de ce qui est vrai. Et il me semble que cela aussi est important:  ne perdons pas la simplicité de la vérité. Dieu existe, et Dieu n'est pas un être hypothétique, lointain, mais il est proche, il a parlé avec nous, il a parlé avec moi. Et ainsi, nous affirmons simplement ce qui est et comment on peut et l'on doit naturellement l'expliquer et le développer. Mais ne perdons pas de vue que nous ne proposons pas des réflexions, que nous ne proposons pas une philosophie, mais que nous proposons l'annonce simple de ce Dieu qui a agi. Qui a aussi agi avec moi.

Et puis pour le contexte culturel, romain - qui est absolument nécessaire - je dirais que la première aide est notre expérience personnelle. Nous ne vivons pas sur la lune. Je suis un homme de ce temps et si je vis sincèrement ma foi dans la culture d'aujourd'hui, comme une personne qui vit avec les médias d'aujourd'hui, avec les échanges, avec les réalités de l'économie, avec tout cela, si je prends au sérieux cette expérience et que je cherche à personnaliser en moi cette réalité. C'est ainsi que nous sommes sur le chemin pour nous faire comprendre des autres. Saint Bernard de Clairvaux a dit à son disciple le pape Eugène, dans son livre de réflexions considère que tu bois à ta propre source, c'est-à-dire à ta propre humanité. Si tu es sincère avec toi-même et que tu commences à voir à partir de toi ce qu'est la foi, par ton expérience humaine, buvant à ton propre puits, comme dit saint Bernard, tu peux aussi dire aux autres ce qu'il faut dire. Et en ce sens, il me semble important d'être réellement attentifs au monde d'aujourd'hui, et d'être aussi attentifs au Seigneur en nous:  être un homme de ce temps et en même temps un homme qui croit au Christ, qui transforme le message éternel en message actuel.

Qui connaît mieux les hommes d'aujourd'hui que le prêtre? Le presbytère n'est pas dans le monde, il est au contraire dans la paroisse. Et ici, les hommes viennent souvent, normalement, voir le prêtre, sans masque. Ils ne viennent pas avec des prétextes, mais dans des situations de souffrance, de maladie, de mort, avec des questions familiales. Ils viennent au confessionnal sans masque, avec leur personnalité. Aucune autre profession, me semble-t-il, ne donne cette possibilité de connaître l'homme tel qu'il est dans son humanité et non pas dans le rôle qu'il joue dans la société. En ce sens, nous pouvons réellement étudier comment il est dans sa profondeur, quand il ne joue pas un rôle, et apprendre nous aussi qui est l'être humain, l'être humain à l'école du Christ. En ce sens, je dirais qu'il est absolument important d'apprendre qui est l'homme, l'homme d'aujourd'hui, en nous et avec les autres, mais toujours dans l'écoute attentive au Seigneur et en acceptant en nous la semence de la Parole, parce qu'en nous elle se transforme en fruit et devient communicable aux autres.

2) Mon nom est Don Fabio Rosini, je suis curé de "Santa Francesca Romana all'Ardeatino". Face à l'actuel processus de sécularisation et à ses conséquences sociales et existentielles évidentes, nous avons à plusieurs reprises reçu opportunément de votre magistère, dans une admirable continuité avec celui de votre prédécesseur, un appel à l'urgence de la première annonce, au zèle pastoral pour évangéliser ou ré-évangéliser, à l'adoption d'un esprit missionnaire. Nous avons compris l'importance d'une transformation de l'action pastorale ordinaire:  non plus en présupposant la foi de la masse et en nous contentant de nous consacrer au petit nombre de croyants qui persévèrent, grâce à Dieu, dans la vie chrétienne; mais en nous intéressant, plus résolument et de façon mieux organisée, aux nombreuses brebis perdues, ou du moins désorientées. Beaucoup d'entre nous, prêtres romains, avons cherché, à travers diverses approches, à répondre à cette urgence objective de rétablir la foi, souvent même de l'établir. Les expériences de première annonce se multiplient actuellement, parfois même avec des résultats très encourageants. Personnellement, il m'est donné de constater comment l'Evangile, quand il est prêché avec joie et franchise, ne tarde pas à gagner le cœur des hommes et des femmes de cette ville, précisément parce qu'il est la vérité et correspond aux aspirations les plus intimes de la personne humaine. En effet, la beauté de l'Evangile et de la foi, quand ils sont présentés avec une authenticité bienveillante, sont évidents en eux-mêmes. Mais les chiffres, parfois étonnamment élevés, ne garantissent pas en soi qu'une initiative est bonne. Les exemples ne manquent pas dans l'histoire de l'Eglise, même récente. Un succès pastoral, paradoxalement, peut masquer une erreur, une approche mal définie, qui n'apparaît peut-être pas tout de suite. Voilà pourquoi j'aimerais vous demander:  quels devraient être les critères indispensables pour mener cette action urgente d'évangélisation? A votre avis, quels sont les éléments qui garantiront que tous ces efforts de la pastorale pour annoncer l'Evangile à la nouvelle génération ne seront pas vains? Je vous demande humblement de bien vouloir nous montrer, avec votre sage discernement, les paramètres qu'il convient de respecter et de mettre en valeur pour que nous puissions prétendre accomplir une œuvre d'évangélisation qui soit authentiquement catholique et porte des fruits dans l'Eglise. Je vous remercie de tout cœur pour votre magistère éclairé. Bénissez-nous.

R.: Je me réjouis d'entendre que cette première annonce se fait effectivement, que l'on va au-delà des limites de la communauté des fidèles, de la paroisse, à la recherche des "brebis égarées"; que l'on s'efforce d'aller à la rencontre de l'homme d'aujourd'hui qui vit sans le Christ, qui a oublié le Christ, pour lui annoncer l'Evangile. Et je suis heureux d'entendre que non seulement cela, mais des résultats quantitatifs encourageants sont obtenus. Je vois donc, que vous êtes capables de parler aux personnes chez qui la foi doit se refonder, ou même se fonder.

Pour cette tâche concrète, je n'ai pas de recettes:  les routes à suivre sont des plus diverses, en fonction des personnes, de leurs professions, de la diversité de leurs situations. Le catéchisme indique l'essence de ce qu'il faut annoncer. Mais c'est à celui qui connaît les situations qu'il appartient de suivre les indications, de trouver une méthode pour ouvrir les cœurs et inviter à se mettre en chemin avec le Seigneur et avec l'Eglise.

Vous parlez des critères de discernement pour ne pas courir en vain. Je voudrais tout d'abord dire que les deux parties sont importantes. La communauté des fidèles est une chose précieuse et nous ne devrions pas sous-estimer - sans pour autant cesser de regarder du côté de ceux, nombreux, qui en sont loin - la réalité positive et belle que constituent ces fidèles. Ils ont dit oui au Seigneur dans l'Eglise, ils cherchent à vivre leur foi, s'efforcent de marcher sur les traces du Seigneur. Comme nous l'avons déjà dit en répondant à la première question, nous devons aider ces fidèles à distinguer la présence de la foi, à comprendre qu'elle n'est pas du passé; mais que, aujourd'hui même, elle montre la route, enseigne à vivre notre vie d'homme. Il est très important qu'ils trouvent vraiment en leur curé un pasteur qui les aime et les aide à être à l'écoute, aujourd'hui, de la Parole de Dieu; à comprendre qu'il s'agit d'une parole pour eux et pas seulement pour les personnes du passé ou de l'avenir; qui les aide, encore, dans la vie sacramentelle, dans l'expérience de la prière, dans l'écoute de la Parole de Dieu et dans une vie de justice et de charité, afin que les chrétiens puissent être un ferment dans notre société confrontée à de si nombreux problèmes et périls, une si grande corruption.

De cette façon, je pense qu'ils peuvent également envisager un rôle missionnaire "sans paroles", car il s'agit de personnes qui vivent en vérité une vie juste. Et elles offrent ainsi un témoignage de la manière dont il est possible de vivre sur les chemins indiqués par le Seigneur. Notre société a besoin justement de ces communautés, capables de vivre aujourd'hui la justice non seulement pour elles-mêmes, mais également pour les autres. De personnes qui, comme nous l'avons entendu dans la première lecture d'aujourd'hui, sachent vivre la vie. Cette lecture dit au début:  "Choisis la vie":  il est facile de répondre oui. Mais ensuite elle poursuit:  "Ta vie est Dieu". Par conséquent, choisir la vie, c'est choisir l'option pour la vie, et cette option est Dieu. S'il y a des personnes ou des communautés qui font ce choix complet de vie et rendent visible le fait que la vie qu'ils ont choisie est réellement la vie, ils rendent un témoignage de très grande valeur.

Et j'en viens à ma seconde réflexion. Pour l'annonce, nous avons besoin des deux éléments:  la Parole et le témoignage. Comme nous le savons par le Seigneur lui-même, la Parole est nécessaire. Elle nous dit ce qu'Il nous a dit, elle fait apparaître la vérité de Dieu, la présence de Dieu dans le Christ, le chemin qui s'ouvre devant nous. Il s'agit donc d'une annonce dans le présent, comme vous l'avez dit, qui traduit les paroles du passé dans le monde de notre expérience. Il est absolument indispensable, fondamental, de donner, à travers le témoignage, de la crédibilité à cette Parole, afin qu'elle n'apparaisse pas seulement comme une belle philosophie, une utopie, mais plutôt comme la réalité. Une réalité avec laquelle on peut vivre, mais aussi une réalité qui nous fait vivre. Et en ce sens, il me semble que le témoignage de la communauté des croyants, comme fondement de la Parole, de l'annonce, est de première importance. Avec la Parole, nous devons ouvrir des lieux d'expérience de la foi à ceux qui sont à la recherche de Dieu. C'est ce que l'Eglise primitive a fait avec le catéchuménat, qui ne se bornait pas à une simple catéchèse, quelque chose de doctrinal:  il constituait un lieu d'expérience progressive de la vie de la foi, dans laquelle se dévoile ensuite également la Parole, qui ne devient compréhensible que si elle est interprétée dans la vie, réalisée dans la vie.

Voilà pourquoi, selon moi, il est important d'avoir, en même temps que la Parole, un lieu d'accueil de la foi, un lieu où s'opère une expérience progressive de la foi. Et je vois ici une autre tâche de la paroisse:  l'accueil de ceux qui ne connaissent pas cette vie caractéristique de la communauté paroissiale. Nous ne devons pas constituer un cercle refermé sur nous-mêmes. Nous avons nos habitudes; néanmoins, nous devons nous ouvrir et chercher à créer également des "vestibules", c'est-à-dire des espaces de rencontre. Quelqu'un qui vient de loin ne peut pas pénétrer immédiatement dans la vie déjà bien constituée d'une paroisse, qui a ses habitudes. Pour le nouveau venu, sur le moment, tout est surprenant, loin de sa vie. Nous devons donc chercher à créer, avec l'aide de la Parole, ce que l'Eglise primitive a créé avec les catéchuménats:  des espaces où commencer à vivre la Parole, à suivre la Parole, à la rendre compréhensible et réaliste, correspondant à des formes d'expérience réelle. En ce sens, ce que vous avez évoqué me paraît très important, c'est-à-dire la nécessité de lier la Parole au témoignage d'une vie juste, d'être là pour les autres, de s'ouvrir aux pauvres et aux indigents, mais aussi aux riches, qui ont besoin de voir leur cœur s'ouvrir, d'entendre frapper à leur cœur. Il s'agit donc d'espaces les plus divers, en fonction de la situation.

Il y a, me semble-t-il, peu à dire sur le plan théorique, mais l'expérience concrète montrera la route à suivre. Et, bien entendu - un critère toujours important à respecter - il faut être dans la grande communion de l'Eglise, même dans un espace peut-être encore un peu lointain:  ce qui signifie en communion avec l'évêque, avec le Pape, en communion ainsi avec le grand passé et avec le grand avenir de l'Eglise. En effet, être dans l'Eglise catholique n'implique pas seulement se trouver sur une grande route qui nous précède, mais aussi avec la perspective d'une large ouverture sur l'avenir. Un avenir qui ne s'ouvre que de cette façon. On pourrait peut-être poursuivre en parlant des contenus, mais nous aurons une autre occasion de le faire.

3) Très Saint-Père, je suis le père Giuseppe Forlai, vicaire de la paroisse "San Giovanni Crisostomo", située dans le secteur nord du diocèse. L'urgence éducative, dont vous avez parlé de manière faisant autorité, est également, comme nous le savons tous, une urgence d'éducateurs, particulièrement sous deux aspects. Tout d'abord, il est nécessaire d'être plus attentifs à la continuité de la présence de l'éducateur-prêtre. Une jeune n'accepte pas de confier sa croissance à quelqu'un qui s'en va après deux ou trois ans, également parce qu'il est déjà occupé émotivement à gérer des relations avec des parents qui quittent la maison, les nouveaux partenaires de sa mère ou de son père, des professeurs vacataires qui changent chaque année. Pour éduquer, il faut rester. La première nécessité que je ressens est donc celle d'une certaine stabilité sur place de l'éducateur-prêtre. Deuxième aspect:  je crois que la partie fondamentale de la pastorale des jeunes se joue dans le domaine de la culture. Une culture entendue comme compétence au niveau émotif et relationnel et comme maîtrise des mots que les concepts contiennent. Sans cette culture, un jeune peut devenir le pauvre de demain, une personne à risque d'échec affectif et un naufragé dans le monde du travail. Sans cette culture, un jeune risque de rester un non croyant ou, pire encore, un pratiquant sans foi car l'incompétence dans les relations déforme la relation avec Dieu et l'ignorance des mots bloque la compréhension de l'excellence de la parole de l'Evangile. Il ne suffit pas que les jeunes remplissent physiquement l'espace des aumôneries pour passer un peu de temps libre. Je voudrais que l'aumônerie soir un lieu où l'on apprend à développer des compétences relationnelles et où l'on trouve une écoute et un soutien scolaire. Un lieu qui ne soit pas le refuge constant de celui qui n'a pas envie d'étudier ou de s'appliquer, mais une communauté de personnes qui élaborent les questions justes qui ouvrent au sentiment religieux et où l'on fasse la grande charité d'apprendre à penser. Et on devrait commencer là une série de réflexions sur la collaboration entre les aumôneries et les enseignants de religion. Votre Sainteté, adressez-nous encore une parole faisant autorité sur ces deux aspects de l'urgence éducative:  la nécessité de créer des agents stables et l'urgence d'avoir des éducateurs-prêtres bien formés d'un point de vue culturel. Merci.

R.: Commençons par le second point. Disons qu'il est plus vaste et, dans un certain sens, plus facile aussi. Il est certain qu'une aumônerie paroissiale dans laquelle on ne ferait que des jeux, dans lequel on ne ferait que consommer des boissons, serait absolument superflue. Le sens d'une aumônerie doit réellement être celui de la formation culturelle, humaine et chrétienne d'une personnalité qui doit gagner en maturité. Sur ce point, nous sommes parfaitement d'accord et il me semble qu'il y a, aujourd'hui particulièrement, une pauvreté culturelle:  on connaît beaucoup de choses, mais il n'y a pas de cœur, il n'y a pas de lien intérieur parce qu'il manque une vision commune du monde. Et c'est pourquoi une solution culturelle inspirée de la foi de l'Eglise, de la connaissance de Dieu qu'elle nous a donnée, est absolument nécessaire. Je dirais que c'est cela la fonction d'une aumônerie:  qu'un jeune trouve non seulement des activités pour son temps libre, mais qu'il trouve surtout une formation humaine intégrale qui complète sa personnalité.

Naturellement, le prêtre éducateur doit lui-même être bien formé et être présent dans la culture d'aujourd'hui. Il doit posséder une grande culture, pour pouvoir aider les jeunes à entrer dans une culture inspirée de la foi. J'ajouterais naturellement que le point d'orientation de toute culture est finalement Dieu, Dieu présent dans le Christ. Nous voyons aujourd'hui qu'il y a des personnes qui ont beaucoup de connaissances, mais qui n'ont pas d'orientation intérieure. Dans ce cas, la science peut être dangereuse pour l'homme parce que si l'homme n'a pas d'orientations éthiques profondes, elle l'abandonne à l'arbitraire, et il avance, privé des orientations nécessaires pour devenir réellement un homme. En ce sens, le cœur de toute formation culturelle, particulièrement nécessaire, doit sans aucun doute être la foi:  connaître le visage de Dieu qui s'est révélé dans le Christ, et avoir ainsi un point d'orientation pour toute la culture, qui, autrement, est désorientée et déstabilisante. Une culture sans connaissance personnelle de Dieu et sans connaissance du visage de Dieu dans le Christ est une culture qui pourrait être destructrice, parce qu'elle ne reconnaît pas les orientations éthiques nécessaires. En ce sens, il me semble que nous avons réellement une mission de formation culturelle et humaine profonde, qui s'ouvre à toutes les richesses de la culture de notre temps, mais qui nous donne aussi un critère, un discernement pour montrer dans quelle mesure il s'agit d'une culture véritable et dans quelle mesure elle pourrait devenir une anti-culture.

La première question est beaucoup plus difficile pour moi - la question est aussi adressée à Son Eminence. Elle concerne la durée du séjour du jeune prêtre pour que celui-ci puisse donner une orientation aux jeunes. La relation personnelle avec l'éducateur est sans aucun doute importante, de même que celle de pouvoir compter sur une certaine durée pour s'orienter ensemble. Et, en ce sens, je suis d'accord sur le fait que le prêtre, point de référence pour les jeunes, ne peut pas changer tous les jours, sinon les jeunes perdent justement cette orientation. Mais d'un autre côté, le jeune prêtre doit aussi faire des expériences différentes dans des contextes culturels variés, pour arriver finalement à acquérir le bagage culturel nécessaire pour être, comme curé, un point de référence à long terme dans la paroisse. Et je dirais que, dans la vie d'un jeune, les dimensions du temps sont différentes de celles d'un adulte. Les trois années, de 16 à 19 ans, sont au moins aussi longues et importantes que les années entre quarante et cinquante ans. C'est à ce moment-là, en effet, que la personnalité se forme:  c'est un chemin intérieur de grande importance, de grande extension existentielle. C'est pourquoi je dirais que trois ans pour un vicaire, c'est une bonne période pour former une génération de jeunes; et il peut ainsi, d'autre part, connaître d'autres contextes, expérimenter d'autres situations dans d'autres paroisses, enrichir son bagage humain. C'est une période assez longue pour avoir une certaine continuité, un chemin éducatif de l'expérience commune, de l'apprentissage comme être humain. Par ailleurs, comme je l'ai dit, trois ans pour la jeunesse constituent un temps décisif et très long, parce que c'est là que se forme réellement la personnalité future. Il me semble donc que l'on pourrait concilier les deux besoins:  d'une part, que le jeune prêtre ait la possibilité de vivre des expériences différentes pour enrichir son bagage d'expérience humaine; d'autre part, la nécessité de rester un temps déterminé avec les jeunes pour les introduire réellement dans la vie, pour leur enseigner à être des personnes humaines. En ce sens, je pense qu'il faut concilier les deux aspects:  des expériences différentes pour un jeune prêtre et la continuité de l'accompagnement des jeunes pour les guider dans la vie. Mais je ne sais pas ce que le cardinal vicaire pourrait nous dire en ce sens.

Le cardinal Vallini

"Très Saint-Père, je suis naturellement d'accord avec ces deux exigences, la nécessité de conjuguer ces deux exigences. Il me semble, pour le peu que j'ai pu constater, qu'on conserve à Rome une certaine stabilité des jeunes prêtres dans les paroisses, pendant au moins quelques années, sauf exceptions. Il peut toujours y avoir des exceptions. Mais le vrai problème, parfois, naît de graves exigences ou de situations concrètes, surtout dans les relations entre curé et vicaire - et je touche ici un point sensible - et aussi la rareté des jeunes prêtres. Comme j'ai eu l'occasion de le dire quand vous m'avez reçu en audience, l'un des graves problèmes de notre diocèse est justement le nombre des vocations au sacerdoce. Personnellement, je suis persuadé que le Seigneur appelle, qu'il continue à appeler. Peut-être devrions-nous aussi faire plus. Rome peut donner des vocations, elle les donnera, j'en suis convaincu. Mais dans cette question complexe, s'insèrent parfois de nombreux aspects. Je crois que nous avons vraiment garanti une certaine stabilité et je ferai tout mon possible pour me conformer aux grandes lignes que nous a indiquées le Saint-Père".

4) Votre Sainteté, je suis le père Giampiero Ialongo, l'un des nombreux prêtres qui exercent leur ministère dans la banlieue de Rome, plus précisément à Torre Angela, qui jouxte les quartiers de Torbellamonaca, Borghesiana, Borgata Finocchio, Colle Prenestino. Des banlieues qui, comme tant d'autres, sont souvent oubliées et négligées par les institutions. Je suis heureux que nous ayons été convoqués cet après-midi par le président du quartier:  nous verrons ce qui pourra naître de cette rencontre avec la municipalité. Et, peut-être davantage que d'autres zones de notre ville, nos banlieues ressentent de manière vraiment profonde les difficultés que la crise économique internationale commence à faire peser sur les conditions matérielles de vie de nombreuses familles. En tant que Caritas paroissiale, mais surtout aussi en tant que Caritas diocésaine, nous réalisons de nombreuses initiatives qui ont tout d'abord pour objectif l'écoute, mais également une aide matérielle, concrète, à l'égard de de ceux qui - sans distinction de races, de cultures, de religions - s'adressent à nous. Malgré tout cela, nous nous rendons compte toujours davantage que nous nous trouvons devant une véritable urgence. Il me semble que de nombreuses personnes, trop de personnes - non seulement des retraités, mais aussi ceux qui possèdent un emploi régulier, un contrat à temps indéterminé -, rencontrent de grandes difficultés pour faire cadrer le budget familial. Des paquets alimentaires, comme nous le faisons, quelques vêtements, parfois des aides économiques concrètes pour payer les factures ou le loyer, peuvent effectivement représenter une aide mais, me semble-t-il, pas une solution. Je suis convaincu qu'en tant qu'Eglise, nous devrions nous interroger davantage sur ce que nous pouvons faire, mais plus encore sur les motifs qui ont déterminé cette situation de crise généralisée. Nous devrions avoir le courage de dénoncer un système économique et financier injuste à ses racines. Et je ne crois pas que face à ces inégalités, introduites par ce système, un peu d'optimisme soit suffisant. Une parole faisant autorité est nécessaire, une parole libre, qui aide les chrétiens, comme vous l'avez déjà dit d'une certaine manière, Saint-Père, à gérer avec sagesse évangélique et avec responsabilité les biens que Dieu a donnés et donne à tous et pas seulement à quelques-uns. Cette parole, comme vous l'avez déjà fait auparavant - car d'autres fois, nous avons écouté votre parole à ce propos -, je souhaiterais l'entendre à nouveau dans ce contexte. Merci, Votre Sainteté!

R.: Tout d'abord, je voudrais remercier le cardinal-vicaire pour sa parole de confiance:  Rome peut donner davantage de candidats pour la moisson du Seigneur. Nous devons surtout prier le Seigneur de la moisson, mais aussi jouer notre rôle pour encourager les jeunes à dire oui au Seigneur. Et, naturellement, les jeunes prêtres sont justement appelés à donner l'exemple à la jeunesse d'aujourd'hui qu'il est bon de travailler pour le Seigneur. Dans ce sens, nous sommes pleins d'espérance. Nous prions le Seigneur et nous accomplissons notre devoir.

A présent, cette question qui touche le centre des problèmes de notre temps. Je distinguerais deux niveaux. Le premier niveau est celui de la macroéconomie, qui se réalise et touche ensuite jusqu'au dernier citoyen, qui ressent les conséquences d'une construction erronée. Naturellement, dénoncer ce fait est un devoir de l'Eglise. Comme vous le savez, depuis longtemps, nous préparons une Encyclique sur ces points. Et sur ce long chemin, je vois combien il est difficile de parler avec compétence, car, si elle n'est pas affrontée avec compétence, une certaine réalité économique ne peut pas être crédible. Et, d'autre part, il est aussi nécessaire de parler avec une grande conscience éthique, disons créée et éveillée par une conscience formée par l'Evangile. Il faut donc dénoncer ces erreurs fondamentales qui sont à présent apparues dans l'effondrement des grandes banques américaines, les erreurs de fond. En fin de compte, il s'agit de l'avarice humaine comme péché ou, comme le dit la Lettre aux Colossiens, de l'avarice comme idolâtrie. Nous devons dénoncer cette idolâtrie qui va contre le vrai Dieu et la falsification de l'image de Dieu avec un autre Dieu, "mammon". Nous devons le faire avec courage, mais aussi de manière concrète. Car les grands moralismes ne sont d'aucun secours s'ils ne sont pas soutenus par des connaissances de la réalité, qui aident également à comprendre ce que l'on peut concrètement faire pour changer peu à peu la situation. Et, naturellement, pour pouvoir le faire, la connaissance de cette vérité et la bonne volonté de tous sont nécessaires.

Nous nous trouvons ici devant un point fort:  le péché originel existe-t-il vraiment? S'il n'existait pas, nous pourrions faire appel à la raison lucide, avec des arguments qui sont accessibles à chacun et incontestables, et à la bonne volonté qui existe chez tous. Nous pourrions aller de l'avant de façon positive simplement de cette manière, et réformer l'humanité. Mais il n'en est pas ainsi:  la raison - également la nôtre - est obscurcie, nous le voyons chaque jour. Car l'égoïsme, la racine de l'avarice, se trouve dans le fait de vouloir surtout soi-même et le monde pour soi. Il existe en chacun de nous. Tel est l'obscurcissement de la raison:  celle-ci peut être très docte, avec de très beaux arguments scientifiques, mais toutefois, elle est obscurcie par de fausses prémisses. C'est ainsi qu'on avance avec une grande intelligence et à grands pas sur la mauvaise route. La volonté est elle aussi, pourrions-nous dire, déviée comme le disent les Pères:  elle n'est pas simplement disponible pour accomplir le bien, mais elle se cherche surtout elle-même ou recherche le bien de son propre groupe. C'est pourquoi trouver réellement la voie de la raison, de la raison véritable, est déjà une chose difficile et se développe difficilement dans un dialogue. Sans la lumière de la foi, qui entre dans les ténèbres du péché originel, la raison ne peut pas aller de l'avant. Mais la foi trouve ensuite précisément la résistance de notre volonté. Celle-ci ne veut pas voir la route, qui constituerait également une route de renoncement à soi-même et d'une correction de sa propre volonté en faveur de l'autre et non de soi-même.

C'est pourquoi je dirais qu'il est nécessaire de dénoncer de façon raisonnable et raisonnée les erreurs, non pas avec de grands moralismes, mais avec des raisons concrètes qui soient compréhensibles dans le monde de l'économie d'aujourd'hui. La dénonciation de ce fait est importante, c'est un mandat pour l'Eglise depuis toujours. Nous savons que dans la nouvelle situation qui s'est créée avec le monde industriel, la doctrine sociale de l'Eglise, à commencer par Léon xiii, cherche à dénoncer ces situations - et pas seulement à les dénoncer, ce qui n'est pas suffisant -, mais également à montrer les routes difficiles où, pas à pas, on exige l'assentiment de la raison et l'assentiment de la volonté, en même temps que la correction de sa propre conscience, que la volonté de renoncer, dans un certain sens, à soi-même pour pouvoir collaborer à ce qui est le véritable objectif de la vie humaine, de l'humanité.

Ceci dit, l'Eglise a toujours la tâche d'être vigilante, de rechercher elle-même avec ses meilleurs forces les raisons du monde économique, d'entrer dans ce raisonnement et d'illuminer ce raisonnement avec la foi qui nous libère de l'égoïsme du péché originel. C'est la tâche de l'Eglise d'entrer dans ce discernement, ce raisonnement, de faire entendre sa voix, également aux différents niveaux nationaux et internationaux, pour aider et corriger. Et cela n'est pas un travail facile, car de nombreux intérêts personnels et de groupes nationaux s'opposent à une correction radicale. Cela est peut-être du pessimisme, mais pour ma part, cela me semble du réalisme:  tant qu'il y aura le péché originel, nous n'arriverons jamais à une correction radicale et totale. Toutefois, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour effectuer des corrections tout au moins provisoires, suffisantes pour faire vivre l'humanité et pour faire obstacle à la domination de l'égoïsme, qui se présente sous des prétextes de science et d'économie nationale et internationale.

Tel est le premier niveau. L'autre niveau est d'être réalistes. Et voir que ces grands objectifs de la macroscience ne se réalisent pas dans la microscience - la macroéconomie dans la microéconomie - sans la conversion des cœurs. S'il n'y a pas de justes, la justice elle-même n'existe pas. Nous devons accepter cela. C'est pourquoi l'éducation à la justice est un objectif prioritaire, nous pourrions dire également la priorité. Parce que saint Paul dit que la justification est l'effet de l'œuvre du Christ, elle n'est pas un concept abstrait, concernant des péchés qui aujourd'hui ne nous intéressent pas, mais elle se réfère précisément à la justice intégrale. Dieu seul peut nous la donner, mais il nous la donne avec notre coopération sur différents niveaux, à tous les niveaux possibles.

La justice ne peut pas être créée dans le monde uniquement avec de bons modèles économiques, qui sont cependant nécessaires. La justice ne se réalise que s'il y a des justes. Et les justes n'existent pas sans le travail humble, quotidien, de convertir les cœurs. Et de créer la justice dans les cœurs. Ce n'est qu'ainsi que s'étend également la justice corrective. C'est pourquoi le travail du curé est aussi fondamental non seulement pour la paroisse, mais pour l'humanité. Car s'il n'y a pas les justes, comme je l'ai dit, la justice reste abstraite. Et les bonnes structures ne se réalisent pas si l'égoïsme de personnes, mêmes compétentes, s'y oppose.

Ce travail qui nous revient, humble, quotidien, est fondamental pour arriver aux grands objectifs de l'humanité. Et nous devons travailler ensemble à tous les niveaux. L'Eglise universelle doit dénoncer, mais aussi annoncer ce qu'on peut faire et comment on peut le faire. Les conférences épiscopales et les évêques doivent agir. Mais nous devons éduquer tout le monde à la justice. Il me semble qu'aujourd'hui encore, le dialogue d'Abraham avec Dieu (Genèse 18, 22-33) reste vrai et réaliste, lorsque le premier dit:  tu détruiras vraiment la ville? Peut-être y a-t-il cinquante juste, peut-être dix justes. Et dix justes sont suffisants pour faire survivre la ville. Or, si dix justes manquent, malgré toute sa doctrine économique, la société ne survit pas. C'est pourquoi nous devons faire le nécessaire pour éduquer et garantir au moins dix justes, et si possible beaucoup plus. Précisément avec notre annonce, faisons en sorte qu'il y ait de nombreux justes, que la justice soit réellement présente dans le monde.

Les deux niveaux sont inséparables d'un point de vue de l'effet. Si, d'une part, nous n'annonçons pas la macrojustice, la microjustice n'apparaît pas. Mais, d'autre part, si nous ne faisons pas le travail très humble de la microjustice, la macrojustice n'apparaît pas non plus. Et, comme je l'ai dit dans ma première encyclique, dans tous les systèmes qui peuvent se développer dans le monde, outre la justice que nous cherchons, la charité reste toujours nécessaire. Ouvrir les cœurs à la justice et à la charité signifie éduquer à la foi, signifie guider vers Dieu.

5) Très Saint-Père, mon nom est dom Marco Valentini, je suis vicaire de la paroisse "Sant'Ambrogio". Pendant ma formation, je ne me rendais pas compte, comme à présent, de l'importance de la liturgie. Bien sûr, les célébrations étaient nombreuses, mais je ne comprenais pas complètement à quel point celle-ci est "le sommet auquel tend l'action de l'Eglise et en même temps la source dont découle toute sa vertu" (Sacrosanctum Concilium, n. 10). Je la considérais plutôt comme un élément technique pour la réussite d'une célébration ou d'une pratique pieuse et non comme un contact avec le mystère qui sauve, une manière de nous laisser configurer au Christ pour être lumière du monde, une source de théologie, un moyen pour réaliser l'intégration tant souhaitée entre ce que l'on étudie et la vie spirituelle. D'autre part, je pensais que la liturgie n'était pas strictement nécessaire pour être chrétiens, ou pour être sauvés et qu'il suffisait de s'efforcer de mettre en pratique les Béatitudes. A présent, je me demande ce que serait la charité sans la liturgie et si, sans elle, notre foi ne se réduirait pas à une morale, une idée, une doctrine, un fait du passé et si nous, prêtres, ne paraîtrions pas davantage des enseignants ou des conseillers plutôt que des mystagogues qui introduisent les personnes dans le mystère. La Parole de Dieu elle-même est une annonce qui se réalise dans la liturgie et qui entretient avec elle un rapport surprenant:  Sacrosanctum concilium, n. 6; Praenotanda du Lectionnaire, nn. 4 et 10. Et pensons également au récit d'Emmaüs ou du fonctionnaire éthiopien (Acte des Apôtres, 8). J'en viens donc à ma question. Sans rien ôter à la formation humaine, philosophique, psychologique, dans les universités et les séminaires, je voudrais comprendre si notre spécificité n'exige pas une formation liturgique plus approfondie, ou bien si la pratique et la structure actuelle des études répondent de manière satisfaisante à la Constitution Sacrosanctum Concilium n. 16, lorsqu'elle dit que la liturgie doit être comptée au nombre des matières nécessaires et les plus importantes, principales, et qu'elle doit être enseignée sous l'aspect théologique, historique, spirituel, pastoral et juridique et que les professeurs des autres matières doivent avoir soin que le lien avec la liturgie soit clair. Je pose cette question parce que, m'appuyant sur le préambule du décret Optatam totius, il me semble que les multiples actions de l'Eglise dans le monde et notre propre pratique pastorale, dépendent beaucoup de notre propre conscience du mystère inépuisable d'être baptisés, confirmés et prêtres.

R.: Donc, si j'ai bien compris, la question est la suivante:  quel est, dans l'ensemble de notre travail pastoral, multiple et aux très nombreuses dimensions, l'espace et le lieu de l'éducation liturgique et de la réalité de la célébration du mystère. En ce sens, me semble-t-il, c'est aussi une question sur l'unité de notre annonce et de notre travail pastoral, qui a un grand nombre de dimensions. Nous devons chercher quel est le point d'unité, afin que ces nombreuses occupations qui sont les nôtres soient toutes ensemble un travail du pasteur. Si j'ai bien compris, vous êtes de l'avis que le point d'unité, qui crée la synthèse de toutes les dimensions de notre travail et de notre foi, pourrait être précisément la célébration des mystères. Et, donc, la mystagogie, qui nous apprend à célébrer.

Selon moi, il est réellement important que les sacrements, la célébration eucharistique des sacrements, ne soient pas quelque chose d'un peu étrange, à côté de travaux plus contemporains comme l'éducation morale, économique, tout ce que nous avons déjà dit. Il peut facilement arriver que le sacrement reste un peu isolé dans un contexte plus pragmatique et qu'il devienne une réalité qui ne soit pas tout à fait intégrée dans la totalité de notre être humain. Merci de cette question, parce que nous devons réellement enseigner à être homme. Nous devons enseigner ce grand art:  comment être un homme. Cela exige, comme nous l'avons vu, beaucoup de choses:  de la grande dénonciation du péché originel aux racines de notre économie et, dans les nombreuses branches de notre vie, jusqu'à des orientations concrètes sur la justice, jusqu'à l'annonce en direction des non-croyants. Mais les mystères ne sont pas quelque chose d'exotique dans l'univers des réalités plus concrètes. Le mystère est le cœur d'où provient notre force et auquel nous retournons pour trouver ce centre. Et c'est la raison pour laquelle je pense que la catéchèse, disons, mystagogique est réellement importante. Mystagogique veut aussi dire réaliste, qui se réfère à notre vie à nous, hommes d'aujourd'hui. S'il est vrai que l'homme n'a pas en lui-même sa propre mesure - qu'est-ce qui est juste et qu'est-ce qui ne l'est pas - mais trouve sa mesure en dehors de lui-même, en Dieu, il est important que ce Dieu ne soit pas lointain, mais puisse être reconnu, qu'il soit concret, qu'il entre dans notre vie et qu'il soit réellement un ami avec lequel nous puissions parler et qui parle avec nous. Nous devons apprendre à célébrer l'Eucharistie, apprendre à connaître Jésus Christ, le Dieu à visage humain, de près, entrer réellement en contact avec Lui, apprendre à l'écouter, apprendre à le laisser entrer en nous. Parce que la communion sacramentelle est précisément cette interpénétration entre deux personnes. Je ne prends pas un morceau de pain ou de chair, je prends ou j'ouvre mon cœur pour que le Ressuscité entre en moi, pour qu'il soit en moi et pas seulement en dehors de moi, et qu'il parle ainsi en moi et transforme mon être, me donne le sens de la justice, le dynamisme de la justice, le zèle pour l'Evangile.

Cette célébration, dans laquelle Dieu se fait non seulement proche de nous mais entre dans la trame de notre existence, est fondamentale pour pouvoir réellement vivre avec Dieu et pour Dieu et porter la lumière de Dieu dans ce monde. N'entrons pas à présent dans trop de détails. Mais il est toujours important que la catéchèse sacramentelle soit une catéchèse existentielle. Naturellement, tout en acceptant et en apprenant toujours davantage la dimension de mystère - là où s'arrêtent les paroles et les raisonnements - elle est totalement réaliste, parce qu'elle me conduit à Dieu et conduit Dieu à moi. Elle me conduit à l'autre parce que l'autre reçoit le Christ lui-même, tout comme moi. Donc, si en lui et en moi, il y a le même Christ, nous-mêmes, nous ne sommes plus des individus séparés. C'est ici que naît la doctrine du Corps du Christ, parce que nous sommes tous incorporés si nous recevons bien l'Eucharistie dans le Christ lui-même. Alors, mon prochain est réellement proche de moi:  nous ne sommes pas deux "moi" séparés, mais nous sommes unis dans le même "moi" du Christ. En d'autres termes, la catéchèse eucharistique et sacramentelle doit réellement arriver au cœur de notre existence, être réellement une éducation à nous ouvrir à la voix de Dieu, à accepter de nous ouvrir pour qu'elle brise ce péché originel de l'égoïsme et qu'elle soit une ouverture en profondeur de mon existence, afin que nous puissions devenir vraiment justes. En ce sens, il me semble que nous devons tous toujours mieux apprendre la liturgie, non comme quelque chose d'exotique, mais comme le cœur de notre être chrétien, qui ne s'ouvre pas facilement à un homme distant, mais est véritablement, dans l'autre sens, l'ouverture vers l'autre, vers le monde. Nous devons tous collaborer pour célébrer toujours plus en profondeur l'Eucharistie:  non seulement comme un rite, mais comme un processus existentiel qui me touche dans mon intimité, plus que toute autre chose, et me change, me transforme. Et en me transformant, inaugure également la transformation du monde que le Seigneur désire et pour laquelle il veut faire de nous ses instruments.

6) Très Saint-Père, je suis le père Lucio Maria Zappatore, carmélite, curé de la paroisse "Santa Maria Regina Mundi", à Torrespaccata.

Pour justifier mon intervention, je me réfère à ce que vous avez dit dimanche dernier, au cours de la prière de l'Angelus, à propos du ministère pétrinien. Vous avez parlé du ministère singulier et spécifique de l'évêque de Rome, qui préside à la communion universelle de la charité. Je vous demande de poursuivre cette réflexion, en l'élargissant à l'Eglise universelle:  quel est le charisme singulier de l'Eglise de Rome et quelles sont les caractéristiques qui font qu'elle est, par un don mystérieux de la Providence, unique au monde? L'Eglise de Rome a pour évêque le Pape de l'Eglise universelle:  quelles en sont les conséquences sur sa mission, aujourd'hui en particulier? Nous ne voulons pas connaître nos privilèges, autrefois l'on disait:  Parochus in urbe, episcopus in orbe; mais nous voulons savoir comment vivre ce charisme, ce don de vivre comme prêtres à Rome et ce que vous attendez de nous, prêtres romains.

Dans quelques jours, vous vous rendrez au Capitole pour rencontrer les autorités civiles de Rome et vous parlerez des problèmes matériels de notre ville:  aujourd'hui, nous vous demandons de nous parler des problèmes spirituels de Rome et de son Eglise. Et, à propos de votre visite au Capitole, je me suis permis de vous dédier un sonnet en dialecte romain, en vous demandant d'avoir la patience de l'écouter: 

Le Pape qui monte au Capitole / c'est quelque chose à couper le souffle / parce que cette fois-ci s'il quitte son siège / c'est qu'il pense du bien de ses voisins. / Le maire et le conseil municipal avec fierté / l'ont invité, de tout leur cœur, / parce qu'à Rome, c'est bien connu, que tu le veuilles ou non, / pas moyen de se passer de la papauté. / Rome, tu as eu dans le cœur / la force d'apporter la civilisation. / Quand Pierre t'a imposé la barrette sur la tête / Dieu t'a fait devenir éternelle. / Accueille donc le Pape Benoît / qui monte pour te bénir et te remercier!

R.: Merci. Nous avons entendu parler le cœur romain, qui est un cœur de poésie. Il est beau d'entendre un peu parler en dialecte romain et d'entendre que la poésie est profondément enracinée dans le cœur romain. C'est peut-être un privilège naturel que le Seigneur a donné aux romains. C'est un charisme naturel qui précède les charismes ecclésiaux.

Votre question, si j'ai bien compris, est composée de deux parties. Tout d'abord, quelle est la responsabilité concrète de l'évêque de Rome aujourd'hui? Mais ensuite, vous étendez à juste titre le privilège pétrinien à toute l'Eglise de Rome - c'est également ainsi qu'il était considéré dans l'Eglise antique - et vous demandez quels sont les devoirs de l'Eglise de Rome pour répondre à cette vocation.

Il n'est pas nécessaire de développer ici la doctrine du primat, vous la connaissez tous très bien. Il est important de s'arrêter sur le fait que réellement le Successeur de Pierre, le ministère de Pierre, garantit l'universalité de l'Eglise, cette transcendance des nationalismes et d'autres frontières qui existent dans l'humanité d'aujourd'hui pour être réellement une Eglise dans la diversité et dans la richesse des si nombreuses cultures.

Nous constatons que les autres communautés ecclésiales également, les autres Eglises ressentent le besoin d'un point d'unité pour ne pas tomber dans le nationalisme, dans l'identification avec une culture déterminée, pour être réellement ouvertes, toutes pour toutes et pour être en quelque sorte contraintes à s'ouvrir toujours vers toutes les autres. Il me semble que c'est là le ministère fondamental du Successeur de Pierre:  garantir cette catholicité qui implique la multiplicité, la diversité, la richesse de cultures, le respect des diversités et qui, dans le même temps exclut absolument et les unit toutes, les oblige à s'ouvrir, à sortir de l'absolutisation de soi pour se trouver dans l'unité de la famille de Dieu que le Seigneur a voulu et pour laquelle il garantit le Successeur de Pierre, comme unité dans la diversité.

Naturellement, l'Eglise du Successeur de Pierre doit porter, avec son évêque, ce poids, cette joie du don de sa responsabilité. Dans l'apocalypse, l'évêque apparaît en effet comme l'ange de son Eglise, c'est-à-dire un peu comme l'intégralité de son Eglise, à laquelle doit répondre l'être même de l'Eglise. Par conséquent, l'Eglise de Rome, avec le Successeur de Pierre et en tant que son Eglise particulière, doit précisément garantir cette universalité, cette ouverture, cette responsabilité pour la transcendance de l'amour, cette suprématie de l'amour qui exclut les particularismes. Elle doit aussi garantir la fidélité à la Parole du Seigneur, au don de la foi, que nous n'avons pas inventée, mais qui est réellement le don qui ne pouvait venir que de Dieu seul. C'est et ce sera toujours le devoir, mais aussi le privilège, de l'Eglise de Rome, contre les modes, contre les particularismes, contre l'absolutisation de certains aspects, contre des hérésies qui sont toujours des absolutisations d'un aspect. C'est également le devoir de garantir l'universalité et la fidélité à l'intégralité, à la richesse de sa foi, de son chemin dans l'histoire qui s'ouvre toujours à l'avenir. Et avec ce témoignage de la foi et de l'universalité, naturellement elle doit donner l'exemple de la charité.

C'est ce que nous dit saint Ignace, en voyant dans ce mot un peu énigmatique, le sacrement de l'Eucharistie, l'action de l'amour pour les autres. Et cela, pour revenir au point précédent, est très important:  à savoir cette identification avec l'Eucharistie qui est agapè, qui est charité, qui est la présence de la charité qui s'est donnée dans le Christ. Elle doit toujours être charité, signe et cause de charité dans l'ouverture vers les autres, de ce don de soi aux autres, de cette responsabilité envers les plus démunis, les plus pauvres, les oubliés. C'est là une grande responsabilité.
Présider dans l'Eucharistie conduit à présider dans la charité, qui ne peut être témoignée que par la communauté elle-même. Tel me semble le grand devoir, la grande question posée à l'Eglise de Rome:  être réellement un exemple et un point de départ de la charité. En ce sens, elle est une citadelle de la charité.

Au sein du presbyterium de Rome, nous sommes de tous les continents, de toutes les races, de toutes les philosophies et de toutes les cultures. Je suis heureux que le presbyterium de Rome exprime justement l'universalité, se trouve dans l'unité de la petite Eglise locale la présence de l'Eglise universelle. Le plus difficile et le plus exigeant est d'être aussi et réellement porteurs du témoignage de la charité, d'être parmi les autres avec notre Seigneur. Nous ne pouvons que prier le Seigneur qu'il nous aide dans les paroisses particulières, dans les communautés particulières, et que tous ensemble, nous puissions être réellement fidèles à ce don,  à  ce  mandat:   présider  à  la charité.

7) Très Saint-Père, mon nom est Guillermo M. Cassone, j'appartiens à la communauté des pères de Schönstatt à Rome; je suis vicaire paroissial dans la paroisse des saints patrons d'Italie, Saint François et Sainte Catherine, à Trastevere.

Après le synode sur la Parole de Dieu, en réfléchissant sur la Proposition 55:  "Marie, Mater Dei et Mater fidei", je me suis demandé comment améliorer le rapport entre la Parole de Dieu et la piété mariale, tant dans la vie spirituelle sacerdotale que dans l'action pastorale. Deux images me viennent en aide:  l'Annonciation pour l'écoute, et la Visitation pour l'annonce. Je voudrais demander à Votre Sainteté de nous éclairer à travers son enseignement sur ce thème. Je vous remercie pour ce don.

R.: Il me semble que vous avez également apporté la réponse à votre question. En réalité, Marie est la femme de l'écoute:  nous le voyons dans la rencontre avec l'Ange et nous le revoyons dans toutes les scènes de sa vie, des noces de Cana jusqu'au jour de la Pentecôte, lorsqu'elle se tient au milieu des apôtres précisément pour accueillir l'Esprit. C'est le symbole de l'ouverture, de l'Eglise qui attend la venue de l'Esprit Saint.

Au moment de l'annonce, nous pouvons déjà entrevoir l'attitude d'écoute - une écoute réelle, une écoute à intérioriser, qui ne dit pas simplement oui, mais qui assimile la Parole, prend la Parole - à laquelle suit la véritable obéissance, comme s'il s'agissait d'une Parole intériorisée, c'est-à-dire devenue Parole en moi et pour moi, presque comme une forme de ma vie. Cela me semble très beau:  voir cette écoute active, c'est-à-dire une écoute qui attire la Parole de façon à ce qu'elle entre et devienne en moi Parole, la reflétant et l'acceptant au plus profond du cœur. Ainsi, la Parole devient incarnation.

Nous le voyons également dans le Magnificat. Nous savons qu'il s'agit d'un tissu composé de paroles de l'Ancien Testament. Nous voyons que Marie est réellement une femme d'écoute, qui connaissait dans son cœur l'Ecriture. Elle ne connaissait pas seulement certains textes, mais elle s'était tellement identifiée à la Parole que les paroles de l'Ancien Testament devenaient, synthétisées, comme un chant dans son cœur et sur ses lèvres. Nous voyons que sa vie était réellement pénétrée par la Parole, elle était entrée dans la Parole, l'avait assimilée et était devenue vie en elle, se transformant ensuite à nouveau en Parole de louange et d'annonce de la grandeur de Dieu.

Il me semble que saint Luc, se référant à Marie, dit au moins trois fois, peut-être quatre, qu'elle a assimilé et conservé les paroles dans son cœur. C'était, pour les Pères, le modèle de l'Eglise, le modèle du croyant qui conserve la Parole, porte en lui la Parole; non seulement il la lit, mais il l'interprète avec son esprit pour savoir ce qu'elle a été à cette époque, quelles sont les questions philologiques. Tout cela est intéressant, important, mais il est plus important d'écouter la Parole qui doit être conservée et qui devient Parole en moi, vie en moi et présence du Seigneur. C'est pourquoi le lien entre mariologie et théologie de la Parole, dont ont également parlé les pères synodaux, et dont nous parlerons dans notre document post-synodal, me semble important.

Cela est évident:  la Vierge est la parole de l'écoute, la parole silencieuse, mais également parole de louange, de l'annonce, parce que la Parole dans l'écoute devient à nouveau chair et devient ainsi présence de la grandeur de Dieu.

8) Très Saint-Père, mon nom est Pietro Riggi, je suis un salésien et je travaille au "Borgo Jeunes" Don Bosco. Je voulais évoquer le point suivant:  le Concile Vatican ii a apporté beaucoup de changements très importants dans l'Eglise, mais il n'a pas aboli ce qui existait déjà. Il me semble que plusieurs prêtres ou théologiens voudraient faire passer comme l'esprit du Concile ce qui au contraire n'a rien à voir avec le Concile lui-même. Par exemple, les indulgences. Il existe le Manuel des indulgences de la Pénitencerie apostolique; à travers les indulgences, on puise au trésor de l'Eglise et on peut prier pour les âmes du Purgatoire. Il existe un calendrier liturgique qui précise quand et comment il est possible d'obtenir les indulgences plénières, mais de nombreux prêtres n'en parlent plus, empêchant ainsi de faire arriver des prières importantes aux âmes du Purgatoire. Ensuite, les bénédictions. Il existe le Manuel des bénédictions, dans lequel est prévue la bénédiction de personnes, de lieux, d'objets et même de nourriture. Mais de nombreux prêtres ne connaissent pas tout cela, et d'autres les considèrent comme pré-conciliaires, et renvoient ainsi les fidèles qui demandent ce qui devrait leur revenir de droit.

Les pratiques de piété les plus connues. Les premiers vendredis du mois n'ont pas été abolis par le Concile Vatican II, mais de nombreux prêtres n'en parlent plus, ou encore en parlent mal. Aujourd'hui, il existe un sentiment d'aversion à l'égard de tout cela, car on les considère comme antiques et nuisibles, comme des choses anciennes et préconciliaires; je pense au contraire que toutes ces prières et pratiques chrétiennes sont très actuelles et très importantes, qu'elles doivent être reprises et expliquées de façon adéquate au Peuple de Dieu, dans un juste équilibre et dans la vérité complète de Vatican II.

Je voulais également vous demander:  un jour, en parlant de Fatima, vous avez dit qu'il existe un lien entre Fatima et Akita, la Vierge en pleurs au Japon. Tant Paul VI que Jean-Paul II ont célébré à Fatima une Messe solennelle et ont utilisé le même passage de l'Ecriture Sainte, Apocalypse 12, la femme vêtue de soleil qui combat une bataille décisive contre le serpent antique, le diable, satan. Existe-t-il une affinité entre Fatima et Apocalypse 12?

Je conclus:  l'an dernier, un prêtre vous a offert un tableau; pour ma part, je ne sais pas peindre, mais je voulais moi aussi vous faire un cadeau, alors j'ai pensé vous offrir trois livres que j'ai écrits récemment, en espérant qu'ils vous plairont.

R.: Il s'agit de réalités dont le Concile n'a pas parlé, mais qu'il suppose être des réalités de l'Eglise. Celles-ci vivent dans l'Eglise et se développent. Ce n'est pas le lieu ici d'entrer dans le vaste thème des indulgences. Paul vi a réformé ce thème et nous a indiqué le fil pour le comprendre. Je dirais qu'il s'agit simplement d'un échange de dons, c'est-à-dire de de ce qu'il existe de bon dans l'Eglise, ce qui existe pour tous. Avec cette clé de l'indulgence, nous pouvons entrer dans cette communion des biens de l'Eglise. Les protestants s'y opposent en affirmant que l'unique trésor est le Christ. Mais pour moi, ce qu'il y a de merveilleux, c'est que le Christ - qui est réellement plus que suffisant dans son amour infini, dans sa divinité et dans son humanité - voulait ajouter, à ce qu'il a fait, également notre pauvreté. Il ne nous considère pas uniquement comme des objets de sa miséricorde, mais il fait de nous des sujets de sa miséricorde et de son amour pour Lui, comme si - même si ce n'est pas de façon quantitative, mais au moins de façon mystérieuse - il voulait nous ajouter au grand trésor du corps du Christ. Il voulait être la Tête avec le corps. Et il voulait qu'avec son corps soit complété le mystère de sa rédemption. Jésus voulait avoir l'Eglise comme son corps, dans lequel se réalise toute la richesse de ce qu'il a fait. De ce mystère il résulte précisément qu'il existe un thesaurus ecclesiae, que le corps, comme la tête, donne beaucoup et que nous pouvons recevoir l'un de l'autre et donner l'un à l'autre.

Et cela vaut également pour les autres choses, par exemple, les vendredis du sacré Cœur:  il s'agit d'une chose très belle dans l'Eglise. Ce ne sont pas des choses nécessaires, mais qui ont mûri dans la richesse de la méditation du mystère. Ainsi, le Seigneur nous offre ces possibilités dans l'Eglise. Je ne pense pas que ce soit ici le lieu d'entrer dans tous les détails. Chacun peut plus ou moins comprendre ce qui est important ou non; mais personne ne devrait mépriser cette richesse, développée au fil des siècles comme un don et comme une multiplication des lumières dans l'Eglise. La lumière du Christ est unique. Elle apparaît dans toutes ses tonalités et offre la connaissance et la richesse de son don, l'interaction entre la tête et le corps, l'interaction entre les membres, afin que nous puissions être véritablement ensemble un organisme vivant, dans lequel chacun donne à tous et tous donnent le Seigneur, qui nous a donné son être tout entier.

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