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COMMISSION THÉOLOGIQUE INTERNATIONALE

Dieu Trinité, unité des hommes

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Le monothéisme chrétien contre la violence

  

Table des MATIÈRES

PRÉSENTATION

CHAPITRE I. Soupçons sur le monothéisme [1-18]

1. L'expérience religieuse du divin [1-2]

2. Monothéisme et violence : un lien nécessaire ? [3-9]

3. Polythéisme tolérant ? Une métaphore discutable [10-14]

4. La responsabilité assignée à notre foi [15-18]

CHAPITRE II. L'initiative de Dieu sur le chemin des hommes [19-42]

1. L'alliance avec Dieu, un dessein pour toutes les nations [19-23]

2. Le discernement chrétien sur la révélation de l’Ancien Testament [24-30]

3. Pratiquer l’amour, garder la justice [31-35]

4. La foi dans le Fils contre la haine entre les hommes [36-42]

CHAPITRE III. Dieu, pour nous sauver de la violence [43-66]

1. Dieu Père nous sauve par la croix du Fils [43-47]

2. Dans le Fils, le dépassement de la violence [48-53]

3. La chair de l’homme destinée à la Gloire de Dieu [54-59]

4. L’espérance des peuples, la foi de l’Église [60-66]

CHAPITRE IV. La foi confrontée avec l'ampleur de la raison [67-84]

1. Le chemin du dialogue et le système de l’athéisme [67-68]

2. La confrontation sur la vérité de l’existence de Dieu [69-72]

3. La critique de la religion et le naturalisme athée [73-75]

4. L'engagement de la raison : le monde athée, le Logos de Dieu [76-77]

5. Transcendance divine, et relations dans le Dieu unique et avec Lui [78-84]

CHAPITRE V. Les fils de Dieu dispersés et réunis [85-100]

1. La dignité du singulier et le lien de la multitude [85-87]

2. Dieu soutient la passion pour la justice, il délivre l’espérance de la vie [88-92]

3. La purification religieuse de la tentation de dominer [93-96]

4. La force de la paix avec Dieu, mission de l’Église [97-100]


NOTE PRÉLIMINAIRE

Durant son quinquennium 2009-2014, la Commission Théologique Internationale a conduit une étude touchant quelques aspects du discours chrétien sur Dieu, en se confrontant en particulier avec la thèse selon laquelle il existerait un rapport nécessaire entre le monothéisme et la violence. Le travail a été développé au sein d’une sous-commission, présidée par le P. Philippe Vallin et composée des membres suivants : le P. Peter Damian Akpunonu, le P. Gilles Emery, O.P., S.Exc. Mgr Savio Hon Tai-Fai, S.D.B., S.Exc. Mgr Charles Morerod, O.P., le P. Thomas Norris, le P. Javier Prades Lopez, S.Exc. Mgr Paul Rouhana, Mgr Pierangelo Sequeri, le P. Guillermo Zuleta Salas.

Les discussions générales sur ce thème se sont déroulées dans les différentes rencontres de la sous-commission, et durant les sessions plénières de la C.T.I. qui se sont tenues dans les années 2009-2014. Le présent texte, intitulé : Dieu Trinité, unité des hommes. Le monothéisme chrétien contre la violence, a été approuvé par la Commission “in forma specifica” le 6 décembre 2013, et il fut ensuite soumis à l’approbation de son Président, S. Em. le Cardinal Gerhard Müller, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, lequel en a autorisé la publication.


PRÉSENTATION

Le texte de réflexion théologique que nous présentons se propose de mettre en évidence quelques aspects du discours chrétien sur Dieu qui requièrent, dans le contexte d’aujourd’hui, une clarification théologique spéciale. L’occasion immédiate de cette clarification est la théorie, diversement argumentée, selon laquelle il existe un rapport nécessaire entre le monothéisme et les guerres de religion. La discussion interne à cette connexion a mis en évidence un nombre non négligeable de motifs d’incompréhension de la doctrine religieuse, capables d’obscurcir la pensée authentique du christianisme sur le Dieu unique.

Nous pourrions résumer l’intention de notre discours en une double question : (a) De quelle manière la théologie catholique peut-elle se confronter critiquement avec l’opinion culturelle et politique qui établit un rapport intrinsèque entre monothéisme et violence ? (b) De quelle manière la pureté religieuse de la foi dans le Dieu unique peut-elle être reconnue comme principe et comme source de l’amour entre les hommes ?

Notre réflexion entend se proposer dans le style du témoignage argumenté, et non pas de la réfutation apologétique. La foi chrétienne, en effet, reconnaît dans l’excitation de la violence au nom de Dieu la corruption maximale de la religion. Le christianisme atteint cette conviction par la révélation de l’intimité elle-même de Dieu, qui nous rejoint moyennant Jésus-Christ. L’Église des croyants est consciente du fait que le témoignage de cette foi demande d’être honoré par une attitude de conversion permanente, laquelle implique aussi la “parrhésie” (autrement dit : la courageuse franchise) de la nécessaire autocritique.

Dans le Chapitre I, nous nous sommes proposé de clarifier le thème du “monothéisme” religieux, dans l’acception qu’il reçoit suivant quelques orientations de la philosophie politique d’aujourd’hui. Nous sommes conscients du fait qu’une telle évolution présente aujourd’hui un spectre largement différencié de positions théoriques, lesquelles vont de l’arrière-plan classique de l’athéisme sous étiquette humaniste, jusqu’aux formes plus récentes de l’agnosticisme religieux et du laïcisme politique. Notre réflexion voudrait avant tout préciser que la notion de monothéisme, non dépourvue de signification pour l’histoire de notre culture, demeure encore trop générique quand elle sert de chiffre d’équivalence entre les religions historiques qui confessent l’unicité de Dieu (identifiées comme Judaïsme, Islam, Christianisme). En second lieu, nous formulons notre réserve critique devant une simplification culturelle qui réduit l’alternative au choix entre un monothéisme nécessairement violent et un polythéisme présumé tolérant.

Dans cette réflexion, nous nous savons soutenus de toute manière par la conviction, partagée chez un très grand nombre de nos contemporains, croyants et non-croyants, que les guerres interreligieuses, comme aussi la guerre faite à la religion, sont tout simplement insensées.

En tant que théologiens catholiques, nous avons cherché ensuite à illustrer à partir de la vérité de Jésus-Christ le rapport entre révélation de Dieu et humanisme non-violent. Nous l’avons fait à travers l’exposition renouvelée de quelques implications de la doctrine particulièrement capables d’éclairer la discussion actuelle : soit pour ce qui regarde la compréhension authentique de la confession trinitaire du Dieu unique ; soit pour ce qui concerne l’ouverture de la révélation christologique à la mise en évidence du lien entre les hommes.

Dans le Chapitre II, nous interrogeons l’horizon de la foi biblique, avec une attention particulière portée au thème de ses “pages difficiles” : celles, autrement dit, dans lesquelles la révélation de Dieu se trouve intriquée avec les figures de la violence entre les hommes. Nous cherchons à dégager les points de référence que la même tradition scripturaire met en lumière ‒ en son propre contenu ‒ pour l’interprétation de la Parole de Dieu. Sur la base de cette réappropriation, nous présentons une première ébauche pour le cadrage anthropologique et christologique des développements de l’interprétation du thème, avec le souci de la condition historique actuelle.

Dans le Chapitre III, nous proposons un approfondissement de l’événement de la mort et de la résurrection de Jésus sur le thème de la réconciliation entre les hommes. L’oikonomia est ici essentielle à la détermination de la theologia. La révélation inscrite dans l’événement de Jésus-Christ, qui rend universellement estimable la manifestation de l’amour de Dieu, permet de neutraliser la justification de la violence sur la base de la vérité christologique et trinitaire de Dieu.

Au Chapitre IV, notre réflexion s’engage dans l’illustration des approximations et des implications philosophiques concernant le fait de penser Dieu. Ici sont traités avant tout les points de discussion avec l’athéisme actuel, largement alimenté par les thèses convergentes d’un radical naturalisme anthropologique. À la fin – pour le bénéfice conjoint du débat interreligieux sur le monothéisme – nous proposons une sorte de méditation philosophico-théologique sur l’intégration, dans la révélation, d’un dispositif de relations à l’intime de Dieu et de la conception traditionnelle de son absolue simplicité.

Dans le Chapitre V, pour finir, nous reprenons les éléments de la spécificité chrétienne qui définissent l’engagement du témoignage ecclésial pour la réconciliation des hommes avec Dieu, et entre eux. La révélation chrétienne purifie la religion, dans le moment même où elle lui rend sa signification fondamentale pour l’expérience humaine du sens. C’est pourquoi, dans notre invitation à la réflexion, nous tenons bien présent la nécessité spéciale – surtout devant l’horizon culturel d’aujourd’hui – de traiter toujours conjointement le contenu théologique et le développement historique de la révélation chrétienne de Dieu.


Chapitre I
Soupçons sur le monothéisme

1. L'expérience religieuse du divin

1. D’accord avec une multitude immense d’hommes et de femmes qui habitent et ont habité cette planète, nous reconnaissons en “Dieu” “le principe et la fin” de l’existence de chaque personne humaine et de la communauté humaine tout entière[1]. Éclairée par les Saintes Écritures, l’Église affirme que l’être humain, selon la médiation rationnelle de son expérience, est naturellement capable de reconnaître Dieu comme créateur du monde et interlocuteur de l’homme[2]. C’est en ce sens que nous pourrions comprendre aussi ce que signifie la description de l’être humain comme homo religiosus.

2. L'ouverture au divin est inscrite si profondément en l’homme qu’elle pourrait être déjà en elle-même perçue – quoiqu’encore indistinctement – comme une forme d’expérience religieuse. La portée universelle de cette expérience (attestée dans la réflexion d’un si grand nombre de penseurs de l’Occident et de l’Orient, comme par exemple un Platon et un Confucius) a constitué depuis toujours un thème de méditation et de recherche parmi les cultures de l’humanité. C’est pourquoi, comme des personnes qui s’efforcent de vivre sincèrement l’esprit et la pratique de la religion authentique, nous nous sentons profondément unis à tous ceux qui conservent et approfondissent, dans l’intelligence et dans le cœur, ce sens radical du divin. Nous sommes convaincus que, dans le fait même de la religion, en laquelle tous les peuples de la terre sont enracinés et façonnés dès l’origine, se laisse reconnaître le témoignage d’une vie divine qui précède toute chose, et de laquelle toute chose dépend ultimement : qu’elle soit matérielle ou spirituelle, connue ou inconnue.

2. Monothéisme et violence : un lien nécessaire ?

3. Le noyau de la foi religieuse, à travers les mythes et les rites, les croyances et les dévotions, atteste l’expérience mystérieuse de Dieu et interpelle en profondeur tous les êtres humains. Dieu est principe et fin de toute réalité. Et aucune réalité n’est comme Dieu. Sous cette forme, le “monothéisme” a été pendant longtemps reconnu aussi, du point de vue de l’histoire de la civilisation, comme la forme culturellement la plus évoluée de la religion : en d’autres termes comme le mode de penser le divin le plus cohérent avec les principes de la raison. L’unicité de Dieu, accessible à la philosophie, a été dégagée comme un principe de la raison naturelle qui précède les traditions historiques des religions. La pensée purement rationnelle de l’unicité de Dieu, comme point de convergence de la raison et des religions, avait servi tout bonnement à réguler dans l’ordre culturel et civil les conflits confessionnels et interreligieux de la modernité. Il est vrai cependant que, dans le cours de l’histoire et dans celui de la même modernité occidentale, cette configuration de la religion, que les philosophies et les sciences de la culture étaient finalement convenues d’appeler “monothéisme judéo-chrétien”, a été utilisée idéologiquement, selon la perspective d’un parallélisme immédiatement théologico-politique, pour justifier la forme monarchique du pouvoir souverain.

4. Il ne fait pas de doute, quoi qu’il en soit, que cette pensée philosophique de Dieu, avec le temps, a développé une image – philosophique et politique – du monothéisme largement autonome au regard de la révélation chrétienne authentique, laquelle image tend vers le déisme. En partie, en atténuant, parmi les croyants eux-mêmes, l’originalité de la révélation chrétienne ; en partie, en développant une idée de l’absolu divin en tension, sinon en conflit ouvert, avec l’interprétation cohérente de la foi. La culture occidentale contemporaine, en réaction à un certain empire de l’unité de l’être et du vrai qui a caractérisé la majeure partie des conceptions philosophiques et politiques de la modernité, tend maintenant à privilégier la pluralité du bien et du juste ; en engendrant, ce faisant, une tension significative entre la reconnaissance du pluralisme et la théorisation d’un relativisme de principe. Sans aucun doute, la conscience et le respect des différences représentent un avantage pour l’appréciation des singularités et pour l’ouverture de la convivialité humaine à un style hospitalier. Dans le même temps, l’évolution de cette ouverture laisse émerger néanmoins sa contradiction, en substance, l’incommunicabilité des mondes humains, lesquels sont induits pour ainsi dire à la méfiance – sinon à l’indifférence – devant l’engagement à rechercher ce qui est commun à la dignité de l’homme. La résignation au relativisme radical comme horizon ultime et indépassable de la recherche du vrai, du juste, du bien, ne constitue pas en réalité une assurance meilleure pour la pacification et la coopération au sein de la communauté de vie humaine. Le relativisme se transforme, en fait, inévitablement en un motif de justification pour l’indifférence ou la défiance réciproques, sur quelque thème de la vie, sur quelque responsabilité de la politique, que ce soit. Quand la recherche de la vraie justice, et l’engagement pour le bien commun, tombent sous le soupçon du conformisme et de la contrainte, la passion authentique pour l’égalité, la liberté, et les liens du bien, finit par être découragée jusqu’à la racine. Ce n’est pas tout. Une telle perte de confiance et de motivations, induite par un sentiment global de relativité, abandonne les rapports humains à une gestion anonyme et bureaucratique de la communauté de vie civile. Ce n’est pas un hasard si l’on constate, d’après ce que signale aujourd’hui une part considérable de la critique sociale, la croissance d’une image pluraliste de la société avec l’affirmation conjointe d’une ambition totalitaire de la pensée unique.

5. Dans le sillage de ce paradoxe, l’idéal – l'idée même – de la vérité est l’objet d’une dénonciation radicale. L'idée que la recherche de la vérité, outre qu’elle soit nécessaire pour le bien commun, puisse être pensée comme une entreprise commune, partagée pacifiquement et présentée en un témoignage respectueux, est jugée illusoire et privée de réalisme. La vérité, dans cette perspective, n’est pas pensée comme un principe de dignité et d’union entre les hommes, qui sache les soustraire à l’arbitraire et aux déloyautés d’un égoïsme reclus en lui-même, par quoi ils deviennent indifférents à la justice de l’humain qui appartient à tous. Au contraire, elle est parfois explicitement désignée comme une menace radicale pour l’autonomie du sujet et pour son ouverture à la liberté. Surtout parce que la prétention à une vérité objective et universelle qui soit un point de référence pour tous, étant supposé qu’elle est accessible à l’esprit humain, est immédiatement associée à une prétention de pouvoir exclusif de la part d’un sujet ou d’un groupe humain. Elle conduirait ainsi à la justification de la domination de l’homme qui en revendique la possession, sur l’homme qui, selon selon cette prétention, en est privé. En conséquence de cette représentation de la vérité, qui la considère inséparable de la volonté de puissance, l’engagement même pour sa recherche et la passion pour son témoignage, sont regardées a priori comme des matrices de conflit et de violence entre les hommes. Dans ce cadre, le regain préoccupant de ce que nous appelons communément – et aussi très génériquement – les “fondamentalismes religieux”, est reçu comme une preuve évidente et définitive du rapport en cause.

6. La renversement du cadre de pensée moderne est inattendu : maintenant le monothéisme est archaïque et despotique, le polythéisme est créatif et tolérant. En tous cas, la classification sommaire du judaïsme, du christianisme, et de l’islam, comme étant les trois grandes “religions monothéistes”, entend bien indiquer sous la formule la raison du danger qu’elles représentent pour la stabilité et le progrès humaniste de la “société civile”. Nous ne pouvons cependant passer sous silence le fait que, dans quelque secteur de notre culture occidentale, crédité d’un certain relief intellectuel, l’agressivité avec laquelle ce “théorème” est rebattu, se concentre essentiellement dans la dénonciation radicale du christianisme ; c’est-à-dire, précisément, de la religion qui apparaît certainement, en cette phase historique, comme la protagoniste des instances d’un dialogue de paix et pour la paix, avec les grandes traditions religieuses et avec les cultures laïques de l’humanisme. Le fait d’être ainsi associés, non sans désinvolture, à une représentation de la foi dans le Dieu Unique comme “semence de violence” blesse à coup sûr des millions de croyants authentiques. Et non seulement des chrétiens. Parmi les disciples du Seigneur, l’accusation produit certainement des points de perplexité et d’embarras, pour le motif que la conscience chrétienne d’aujourd’hui leur apparaît fort éloignée d’une prédication de la violence. C’est pourquoi nous pouvons comprendre la stupeur des chrétiens quand ils se voient attribuer une vocation religieuse à la violence contre les fidèles d’autres religions, ou encore contre les propagandistes de la critique dirigée vers la religion ; surtout si nous considérons que, dans de nombreuses parties du monde, les chrétiens sont frappés par l’intimidation et par la violence, pour la simple raison de leur appartenance à la communauté chrétienne. Dans les mêmes sociétés démocratiques et laïques, le lien avec l’appartenance chrétienne est souvent dénoncé comme une menace pour la paix sociale et pour la libre confrontation culturelle, même quand les argumentations présentées, pour le soutien d’opinions qui regardent la sphère publique, font appel aux ressources de la rationalité commune.

7. On ne peut certes pas nier le réembrasement, à l’échelle mondiale, du phénomène préoccupant de la “violence religieuse”, non dépourvu de connexions significatives avec les politiques d’iniquités ethniques et de stratégie terroriste. Nous ne pouvons pas davantage ignorer, en considérant l’histoire même du christianisme, les égarements de nos passages coupables et répétés par la violence religieuse. Comment s’introduit dans la foi en Dieu la semence de la violence ? Et comment se pervertit la bénédiction de la reconnaissance du Dieu unique, dans la malédiction qui conduit sur la voie de la violence “au nom de Dieu” ? Notre réflexion entend essentiellement offrir des éléments de compréhension de la caractéristique chrétienne du monothéisme, en vue d’une mise en évidence explicite de son rapport intrinsèque avec le mystère de l’intimité trinitaire de Dieu, révélé dans l’incarnation du Fils de Dieu fait homme. La conversion de notre esprit et de notre intelligence à une transparence plus lumineuse de la foi doit susciter le généreux élan du témoignage en faveur de la singularité de cette foi ; chose que la conjoncture historique réclame avec une urgence toute spéciale. Dans le même temps, avec nos réflexions, nous nous proposons d’expliciter au profit de tous “la raison de l’espérance qui est en nous” (1 P 3,15), moyennant le discernement plus éclairé du soutien que la foi ecclésiale peut offrir pour la reconversion de la raison occidentale à l’esprit d’un meilleur humanisme.

3. Polythéisme tolérant ? Une métaphore discutable

8. L’idée d’un lien de conséquence intrinsèque entre monothéisme et violence, qu’un certain nombre d’intellectuels considère comme une évidence culturelle, contribue à creuser le fossé de la défiance sociale à l’encontre des cultures religieuses. Cette accusation retire sa dignité de représentation à la pensée authentique de la religion et des croyants. En vérité, l’application métaphorique du polythéisme religieux à la démocratie civile, comme antidote à la violence, semble quelquefois extravagante du point de vue historique, sociologique et également théorique. Quand nous parlons de la corruption de la religion qui la rend semence de violence, nous parlons d’un phénomène grave et passablement sérieux. Or ce phénomène n’est pas en réalité étranger au polythéisme des luttes antiques entre les dieux. Pensons aussi, pour en rester au domaine de l’histoire biblique, à la violente persécution de l’impérialisme hellénistique, confronté avec la religion hébraïque (cf. 1 M 1-14 ; 2 M 3-10). La religion polythéiste de l’empire romain, à son tour, avec toute l’extraordinaire modernité de son concept de citoyenneté, et de sa structure multiethnique et multireligieuse, a persécuté avec un acharnement spécifique le christianisme, coupable de refuser l’encensement de l’empereur comme figure divine. La réponse s’exprima dans le témoignage non-violent et l’acceptation du martyre chrétien.

9. Le même monde occidental, si orgueilleux de sa civilisation sécularisée, est contraint aujourd’hui de se mesurer avec un déploiement croissant et déconcertant de styles de vie et de comportements portés vers une violence spontanée, immédiate et destructrice. Et toujours plus inconsciente de ce qu’elle est, au point d’être justifiée éthiquement. Devant un tel tableau, on apprend non sans une vive surprise que “les religions monothéistes” sont désignées comme une des matrices principales d’un absolutisme violent et déstabilisant pour l’harmonie sociale. Ce schématisme semble lié avec un peu trop d’évidence au préjugé – typique du modèle rationaliste – selon lequel, même sur le plan existentiel et social, il y a un seul mode pour affirmer la vérité : nier la liberté, ou éliminer l’antagoniste.

10. La pratique actuelle de cette critique est en tous cas différenciée d’une manière significative. En réalité, elle va au-delà de la déduction abstraite de la “violence monothéiste”, en mettant au fur et à mesure en discussion des aspects divers du rapport entre conviction religieuse et raison politique. Le Judaïsme, en tant que religion, est généralement soustrait à une accusation directe, soit par le fait, au demeurant tout à fait compréhensible, qu’il suscite comme c’est bien clair la honteuse mémoire de l’innommable violence subie ; soit par le fait que n’existe pas dans son cas la perception d’un engagement tourné vers la mission et vers la conversion (prosélytisme). Quant à l’Islam, la réverbération du conflit historique entre la domination chrétienne et la domination musulmane est interprétée de façon prévalente en clef géopolitique plutôt qu’en clef théologique. En réalité, la question cruciale du rapport entre observance religieuse et législation civile forme un thème de discussion et de recherche sur lequel toutes les cultures religieuses sont encore très divisées et perplexes en leur propre sein. Les excès du “fondamentalisme” religieux apparaissent, en Occident comme en Orient, radicalement problématiques, aussi du point de vue de leur pure inspiration religieuse. Il s’agit donc d’un thème de discussion commun aux religions. C’est pourquoi, sa corrélation avec la croyance monothéiste apparaît une simplification excessive, qui relève du prétexte et obscurcit la question plus fondamentale du rapport entre transcendance religieuse et sécularisation civile[3]. En fait, cette simplification excite des excès de ressentiment “fondamentaliste” de la part de la critique rationnelle et politique dans son rapport à la religion, qui ne contribuent pas à la culture de la démocratie et du dialogue.

11. Dans le domaine de la culture théorique et critique du rationalisme occidental, il revient au christianisme d’être analysé de préférence comme le cas exemplaire de l’inclination despotique du monothéisme religieux. Dans une pareille perspective, les caractéristiques du christianisme qui ont inspiré aussi le meilleur de la culture humaniste occidentale, sont obscurcies par l’interprétation générale de la foi comme renoncement à la liberté de pensée et fanatisme de l’identité.

12. L’identification obstinée du christianisme catholique comme l’obstacle à abattre, dans la lutte contre le monothéisme qui diffuse la violence religieuse dans le monde, ne cesse, malgré tout, de jeter dans la stupeur. Le christianisme est depuis bien longtemps la religion qui devrait être la mieux connue dans la culture occidentale moderne. La culture occidentale, pour autant, semblerait être la dernière à devoir être soupçonnée d’ignorance devant les facteurs fondamentaux du christianisme. La conjonction originale et inédite de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain, d’autant qu’elle est ancrée métaphysiquement, et non pas rhétoriquement, dans le dogme de l’incarnation du Fils de Dieu pour le rachat et la réconciliation des hommes, a toujours été – et demeure – une pierre angulaire de la théologie chrétienne. Difficile d’ignorer de bonne foi une telle différence. Elle est restée le chiffre identificateur du christianisme à toutes les époques : une donnée qui, si elle rend encore plus scandaleuses les pratiques difformes, doit aussi faire réfléchir sur sa miraculeuse continuité. Le christianisme fait système avec ce fondement ; supposé qu’on veuille l’éliminer, ou même seulement le redimensionner, on devrait changer la totalité du récit fondateur. Et toute sa structure dogmatique.

13. De cette singularité religieuse, et de sa solide stabilité dans le temps, la même modernité occidentale s’est largement nourrie et servie, lorsqu’elle a parcouru les voies – religieusement et philosophiquement inédites – de la dignité personnelle de chaque sujet singulier et de l’égalité entre les êtres humains. Il ne paraît pas, dans ces conditions, que ce soit un effet du hasard, si l’animosité de la prise de distance – et de la polémique – en face du christianisme, laquelle emploie aujourd’hui instrumentalement la clef de sa réduction (philosophique et politique) au stéréotype du monothéisme violent, s’accompagne d’un affaiblissement concomitant, dans les moeurs occidentales même, du respect de la vie, de l’intimité de la conscience, de la protection de l’égalité, de la passion rationnelle pour un engagement éthique partagé et pour le respect de l’authentique conscience religieuse. L’affaiblissement de l’Occident, sous le profil des liens sociaux – déploré comme une dégradation des valeurs partagées, ou salué comme le prix de la liberté individuelle – est au demeurant l’objet d’un diagnostic critique largement convergent. La croissance d’une conflictualité diffuse à l’intérieur des moeurs civiles ne peut être sans rapport avec cet affaiblissement d’un ethos civil qui tirait sa substance de la solidité de la foi chrétienne dans l’idéal du prochain.

14. En fait, la dénonciation élevée contre le monothéisme apparaît certainement plus transparente, dans ses véritables motivations, quand elle se développe à partir des prémisses d’un athéisme clairement professé, pour la défense d’une conception immanentiste et naturaliste de l’humain. L’athéisme civil, d’un autre côté – les plus avertis le perçoivent avec clarté –, doit à son tour se pourvoir des précautions nécessaires, philosophiques et politiques. L’expérience des “athéismes d’État” demeure bien vive dans la conscience occidentale. En effet, même si l’on nous convainc qu’il n’existe pas un Dieu devant lequel tous les hommes sont égaux, néanmoins l’horizon de la pensée sur Dieu est si fondamental pour la conscience humaine, que, même vidé de son légitime occupant, il demeure à la disposition du délire d’omnipuissance de l’homme. Quelqu’un, ou même quelque chose (la race, la nation, la faction, le parti, la tradition, l’argent, le corps, la jouissance) finit par prendre la place laissée vide par Dieu. La révélation biblique l’annonce, et l’histoire le démontre : l’homme hostile au Dieu bon et créateur, dans l’obsession de “devenir comme lui”, devient un “Dieu pervers” et prévaricateur dans la confrontation avec ses semblables. Du polythéisme de ces contrefigures narcissiques du “Dieu pervers”, qui vient du péché depuis l’origine, ne peut venir rien de bon pour la sociabilité pacifique entre les hommes.

4. La responsabilité assignée à notre foi

15. Dans notre exposé, nous resterons fidèles aux limites balisées de notre perspective, qui vise à l’illustration du sens authentique de la confession chrétienne du Dieu unique. Nous, théologiens chrétiens, sommes conscients, d’un autre côté, du fait que nous avons dû accomplir, comme tous les croyants, un long chemin historique d’écoute de la Parole et de l’Esprit, pour purifier la foi chrétienne de toute contamination ambiguë avec les puissances du conflit et de l’assujettissement. Et nous sommes bien conscients de devoir nous rappeler constamment à la plus scrupuleuse vigilance devant le péril, toujours récurrent, que représente pour l’authentique témoignage évangélique la dégradation de la passion de la foi en esprit de domination[4]. La conversion n’est pas seulement une décision initiale, elle est un style de vie. Nous pouvons cependant attester, avec toute la fermeté et l’humilité nécessaires, que l’avertissement radical concernant un usage despotique et violent de la religion appartient, en un mode unique, au noyau originaire de la révélation de Jésus-Christ : il en représente un des aspects les plus rares et porteurs d’émotion, au coeur de l’histoire où se développent l’attente de la manifestation personnelle de Dieu et l’expérience religieuse de l’humanité. La confession du fait que le Dieu unique, Père de tous les hommes, se laisse historiquement et définitivement reconnaître en propre dans l’unité du suprême commandement de l’amour, sur lequel les disciples eux-mêmes du Seigneur acceptent d’être jugés, illumine la foi authentique dans le Dieu unique que nous entendons professer. La confession chrétienne proclame, et pratique avec toutes ses forces l’unité d’origine, de chemin et de destination du genre humain, en vue du rachat et de l’accomplissement offerts par Dieu. Toute vision du monde qui exclut cette suprême unité du commandement – qu’elle se présente comme religion ou bien comme irreligion – est une invention des hommes. Et elle ne sauve rien. C’est le devoir et l’honneur du christianisme, en toute certitude, de rendre rigoureux et crédible le témoignage qu’il rend à cette vérité salvifique du Dieu unique. C’est en ce noyau de la révélation du Fils, aujourd’hui plus que jamais essentiel, que nous désirons affermir la foi. Et c’est à l’espérance qui en vient pour la réconciliation des hommes, en dépit de l’hostilité intéressée des puissances mondaines, que nous désirons restituer à la fois cohérence de pensée et confiance.

16. L’opposition de la révélation de Jésus au profil d’une religion qui induit la séparation entre les êtres humains, et leur avilissement, est un trait profond de l’originalité de la foi chrétienne que nous voulons expliciter. Il représente un thème d’annonce décisif pour l’espérance en Dieu de l’humanité entière. Et il est un principe d’incalculable portée pour la mise en évidence d’une religion qui veut être “pure et sans tache” (Jc 1, 27). La Loi, même la plus sainte, et la Prophétie, même la plus haute, ne suffisent pas à compenser la dégradation d’une religion qui s’éloigne de l’adoration de Dieu “en esprit et en vérité” (Jn 4, 24). La pureté de la religion et de sa justice vient de la foi en Jésus-Christ. “Le sabbat est pour l’homme”, non pour lui-même (Mc 2, 27). Et la prophétie la plus exaltante “ne vaut rien, sans l’agapé” (1 Co 13, 2).

17. L’unité indissoluble du commandement évangélique de l’amour de Dieu et du prochain établit le degré d’authenticité de la religion. En toute religion. Et non moins en tout humanisme présumé, religieux ou non religieux. Les évangiles présentent Jésus-Christ dans l’unicité de Sa relation personnelle au Père. En Lui nous reconnaissons Dieu qui se rend visible, proprement au moment où nous voyons la perfection de l’homme correspondre intimement à la relation avec Dieu. Dans sa passion et sa résurrection, Jésus porte la rédemption du péché, en restituant à l’homme – selon un mode non révocable et non dépassable – l'accès de l’amour de Dieu. L'authentique annonce du Christ, à partir du récit évangélique de sa manifestation, est une clef fondamentale pour la discussion actuelle sur le monothéisme et ses malentendus.

18. Dans la tradition de l’Église, le principe de cette vérité christologique de Dieu ne s’est jamais perdue, au risque de mettre le christianisme en contradiction entre sa pratique historique et son inspiration authentique, mais pour le provoquer – non sans le passage douloureux par le scandale de pratiques difformes – à une conversion renouvelée dans sa pureté fondatrice. Convenons cependant, par honnêteté, que la reconnaissance de cette contradiction a fait, dans l’époque actuelle de l’Église, un saut de qualité irréversible, que ce soit dans la doctrine ou dans la pratique, en devenant inséparable de l’avenir du christianisme, comme aussi de l’idéal de la religion véritable. C’est pour ce motif que nous pensons, comme théologiens chrétiens et catholiques, que cet approfondissement représente une réelle opportunité pour la reprise spéculative de l’idée de religion. Opportunité pour les cultures séculières de l’Occident, tentées par la répudiation du christianisme et de la religion, au risque d’une résignation au nihilisme. Opportunité encore pour les religions dans le monde, tentées de nouveau par la clôture sur elles-mêmes, et traversées même d’horribles présages de guerre.

Chapitre II
L'initiative de Dieu sur le chemin des hommes

1. L'alliance avec Dieu, un dessein pour toutes les nations

19. Le monothéisme au sens strict, qui constitue un élément essentiel de la religion d’Israël parmi les religions antiques, s’est en réalité défini à l’issue d’un long processus historique. En termes théologiques, il se présente comme le fruit d’une révélation progressive. Historiquement, le culte des tribus d’Israël à YHWH, le Dieu sauveur qui fait sortir de l’esclavage de l’Égypte, semble avoir cohabité avec d’autres formes de culte (Jos 24, 16-24). Avec le temps, s’est imposée graduellement l’exigence forte d’une “monolâtrie”, en correspondance avec le “privilège” qui doit être accordé, par rapport à toute autre figure divine, au culte du Dieu de la libération et de l’alliance spéciale avec le peuple d’Israël. Bien que le nom de YHWH soit connu et employé dans la période précédant l’Exode, Il est identifié comme le “Dieu personnel d’Israël”, dans la lumière de la connexion entre deux grands événements fondateurs de l’identité théologique d’Israël : la promesse faite à Abraham (Gn 12, 2-3.15) et la libération de l’Exode (Ex 19-20). En d’autres termes, Israël connaît YHWH comme Sauveur du peuple avant de le reconnaître encore comme Créateur du monde. Le principe de cette connaissance est la libération d’Israël hors de l’esclavage. En ce sens le Dieu de l’Alliance attend pour lui-même, de la part du peuple qu’il a fait naître et renaître, un rapport exclusif d’appartenance et d’amour : “Je serai ton Dieu et tu seras mon peuple” (Ex 6, 6 ; Jr 31, 33). L’existence des autres dieux, qui sont propres à chacun des autres peuples, n’est pas pour autant niée automatiquement. Israël, pour ce qui le regarde, est absolument certain que son existence, son salut, son futur, dépendent exclusivement de YHWH. “Si tous les peuples marchent chacun au nom de son dieu, nous, nous marchons seulement au nom de YHWH notre Dieu, à tout jamais” (Mi 4, 5). De là l’affirmation de la conscience de devoir réserver à Dieu un culte exclusif. Cette exigence est clairement exprimée en Dt 5, 6-9 : “Je suis YHWH ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude. Tu n’auras pas d’autres dieux face à moi. Tu ne te feras pas d’images sculptée de rien de ce qui est là-haut dans les cieux, ou ici-bas sur la terre, ou de ce qui est dans les eaux sous la terre. Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux et tu ne les serviras pas. Car moi, YHWH ton Dieu, je suis un Dieu jaloux” (cf. aussi Ex 20, 3-5).

20. À travers l’expérience de l’Exil, Israël comprend que YHWH son Dieu lui est proche, quoi qu’il en soit et où que ce soit. Sa présence et son action salvifique ne sont pas limitées à un lieu déterminé (la Terre promise ou le Temple), mais sont vraiment universelles. Cette amplification correspond à l’émergence de la doctrine de la création. Le grand mystère, qui progressivement vient à la lumière, est précisément la perception du fait que le Dieu d’Abraham et de l’Exode est Celui qui, “au commencement, créa le ciel et la terre” (Gn 1,1). Dans l’horizon de cette ouverture (le Dieu des Pères et de l’Exode est le Seigneur de tout le créé), Dieu est Celui qui est destiné à être connu – et reconnu – par les peuples de la terre comme le Dieu du salut pour tous les hommes. Israël comprend aussi que YHWH ne ressemble en rien aux dieux “des nations”. Ceux-ci apparaissent comme des dieux impuissants à donner le salut, même à ceux qui se confient en eux : “Ils se trompent ceux qui transportent leurs idoles de bois et qui prient un dieu qui ne peut les sauver. [...] Qui avait déjà fait cette révélation, dans les temps anciens, sinon moi-même, YHWH ? Il n’existe pas d’autre Dieu. Un Dieu juste et sauveur, il n’en est pas d’autre que moi. Tournez-vous vers moi et vous serez sauvés, tous les confins de la terre, parce que je suis Dieu et qu’il n’en est pas d’autre” (Is 45, 20b-22 ; cf. 1 S 5, 2-5 ; 1 R 18, 20-40 ; 2 R 18, 33-35). Au terme de cette lente maturation, le Deutéro-Isaïe peut prêcher un monothéisme rigoureux qui confesse l’unicité absolue de Dieu, et nie en conséquence l’existence d’autres dieux : “Ainsi parle YHWH, roi d’Israël, YHWH Sabaoth, son rédempteur : Je suis le premier et le dernier, à part moi il n’est pas d’autre dieu. [...] Y a-t-il un dieu en dehors de moi ? Il n’y a pas d’autre Rocher, moi je n’en connais pas !” (Is 44, 6.8). Baruch exhorte le peuple à maintes reprises à ne pas avoir peur des idoles et à ne pas céder à leur séduction : “N’ayez pas peur, ils ne sont pas des dieux” (Baruch 6[5], 14.22.28.64). Le Livre de la Sagesse complète le processus, dévoilant l’origine purement humaine des idoles et des faux dieux : “Les idoles n’existaient pas à l’origine, et elles n’existeront pas toujours ; c’est la superficialité des hommes qui les a fait entrer dans le monde ” (Sg 14, 13-14). YHWH a toujours été, et pour toujours il demeurera, l’unique et seul Dieu.

21. L’unicité de Dieu, créateur du monde, obtient son sens absolu, en liaison avec l’ouverture du sens universel de son offre de salut. À mesure que s’affirme le caractère exclusif du lien de Dieu avec l’antique Israël, témoin élu de sa puissance et de son amour, s’accentue en proportion la destination universelle de son alliance avec la création. Le fil rouge de cette destination ouverte de la révélation était déjà tressé avec l’ancienne promesse faite à Abraham, à l’intérieur de laquelle “toutes les nations de la terre” étaient bénies par anticipation (Gn 12, 3). Et, avant encore, il rutilait dans l’arc-en-ciel qui marquait symboliquement la promesse faite à Noé en faveur de toutes les créatures de la terre (Gn 9, 8). Au point qu’il est devenu le motif dominant d’une “eschatologie de l’alliance”, propre et véritable, en laquelle s’ouvre le temps de l’attente. Quand le peuple témoin de Dieu recevra un “coeur nouveau” (Jr 31, 31s ; Ez 16, 59), “des peuples nombreux” viendront à la montagne du Seigneur, en demandant au “Dieu de Jacob” de leur “montrer ses chemins” et de “les accompagner sur leurs routes” (Is 2, 3). La grande prophétie d’Israël ouvre à la fin – et nous assigne – l’horizon de l’affirmation sur l’unicité de Dieu qui s’accomplit selon le scénario (messianique, eschatologique, apocalyptique) d’une réconciliation définitive entre les hommes (cf. Is 66, 18-21). Quand Dieu sera reconnu, parmi toutes les nations, comme le créateur puissant, le juste juge et le sauveur miséricordieux de tous les hommes, “un peuple ne lèvera plus l’épée contre un autre peuple” (Is 2, 4). Selon Ezéchiel, au “jour du Seigneur”, tous “les habitants de la cité d’Israël sortiront pour allumer un feu, ils brûleront les armes, les boucliers grands et petits, les arcs et les flèches, les gourdins et les lances, avec quoi ils alimenteront le brasier pour sept ans”, au point qu’ils “ne devront plus ramasser du bois dans la campagne, ni abattre des arbres dans les forêts” (Ez 39, 9-10 ; cf. Ps 46, 8-10). Le roi-messie du prophète Zacharie, à la fin, lui qui réalisera le nom-symbole de Jérusalem, sera un roi de paix : “Il est juste et victorieux, humble, monté sur un âne, un ânon, le petit d’une ânesse. Il fera disparaître le char de guerre d’Ephraïm, et de Jérusalem le char de combat ; l’arc de guerre sera brisé, il proclamera la paix pour les nations” (Za 9, 9-10). La splendide seigneurie du Dieu unique qui accompagne Israël (Is 9, 1) s’est ouverte la route de l’histoire, moyennant les liens d’amour qui ont fait naître un peuple témoin comme “sorti du néant” (Is 41, 14), par lequel il enveloppe dans sa bénédiction tous les peuples de la terre (Is 65, 18-24). La grande attestation de cette ouverture décisive se trouve dans le Deutéro-Isaïe, avec son impressionnante anticipation du serviteur de YHWH qui porte la justice à tous les peuples (Is 42, 1-4), jusqu’aux confins de la terre (Is 49,6b). Non sans qu’il ait à passer à travers l’épreuve du martyre (Is 50, 4-9; 52, 13- 53, 12).

22. La foi biblique dans l’alliance de Dieu avec l’antique Israël atteste finalement du choix singulier de Dieu, Créateur et Seigneur de toute chose ; ce choix de se faire connaître de tous les hommes à travers la fréquentation longue et quotidienne d’un petit groupe humain, appelé à demeurer, jour après jour, sur la voie de la justice qui réconcilie l’être humain avec la vie de Dieu. La fidélité exclusive requise du témoin de cette révélation du Dieu unique est destinée à faire croître dans l’histoire l’adhésion de l’esprit et l’abandon du coeur à l’amour du Dieu unique.

23. Dans son exploration du mystère de l’Église, le concile Vatican II s’est engagé dans l’approfondissement de la relation de l’Église avec le peuple d’Israël, selon la référence explicite à la tradition d’Abraham comme “commencement” de la révélation du Dieu unique. La Déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non-chrétiennes rappelle “le lien par lequel le peuple du Nouveau Testament est spirituellement lié avec la lignée d’Abraham[6] ”. La valeur de cet accomplissement singulier de l’histoire salvifique de l’antique Israël, dans son rapport avec l’histoire des peuples et de l’aventure humaine entière, a toujours été bien présente à la conscience chrétienne. Par manière d’exemple, nous pouvons mentionner deux grandes ouvertures : Paul, avec sa théologie passionnée de la vocation d’Israël et son interprétation audacieuse de l’agnostos theos (le “dieu inconnu”) sur l’Aréopage d’Athènes (cf. Ac 17, 28) ; les Pères de l’Église, avec leur conservation fidèle du sens permanent et plénier des Écritures bibliques, et avec leur théologie lumineuse des “semences de la Parole de Dieu”, reconnaissables dans le monde et dans l’histoire[7]. Une telle conviction, soutenue par la foi biblique, n’est pas sans trouver des confirmations dans l’expérience universelle. Toutes les grandes élaborations de la pensée ont sans cesse donné la voix à la recherche de l’infini, de l’absolu, du mystère de l’origine et de l’énigme de la destinée. Nous ne connaissons jusqu’à maintenant aucune civilisation qui soit née et qui ait pris force au dehors de cette dimension caractéristique de l’esprit qui est la recherche de Dieu.

2. Le discernement chrétien sur la révélation de l’Ancien Testament

24. La révélation de Dieu, dans la formation de l’antique Israël, s’est ouverte un chemin selon le scénario des tensions, des conflits, des excès de violence même, qui accompagnent l’histoire de la totalité des peuples à la recherche de leur destin historique. Cette révélation, d’un autre côté, connaît aussi toutes les nuances intimes et les fortes tonalités de l’amour, de l’amitié, de la sollicitude maternelle et même de l’éros passionnel.

25. Le discernement apparaît dans chaque cas d’espèce nécessaire, également pour la théologie chrétienne, à cause de la valeur de révélation authentique qu’elle reconnaît aux antiques Écritures bibliques. Commençons par rappeler que l’opposition sommaire entre un Dieu malintentionné, Dieu “de la colère et de la guerre”, et un Dieu bon, Dieu “de l’amour et du pardon”, assumée comme clef herméneutique discriminante entre la révélation hébraïque (à répudier) et la révélation évangélique (à accueillir), a été repoussée depuis les débuts de l’ère chrétienne[8]. C’est en particulier l’opposition radicale d’un Dieu méchant de l’Ancien Testament et d’un Dieu bon du Nouveau Testament qui a été repoussée avec une ferme détermination. Le refus – ferme et immédiat – de ce dualisme semble même surprenant, d’un certain point de vue, si l’on considère l’avantage apologétique apparent qu’il aurait pu représenter : soit pour se libérer des pages incommodes de la “violence de Dieu” qui font partie de la Bible ; soit pour marquer en termes apparemment rédhibitoires la différence de la “nouvelle religion” d’avec le judaïsme. C’est pourquoi, il est particulièrement choquant que cette simplification grossière continue aujourd’hui encore d’être employée au sein d’une certaine apologétique populaire (et même dans la culture savante).

26. Les Saintes Écritures contiennent indubitablement des pages qui demeurent, pour nous aussi les croyants, très impressionnantes et très difficiles à déchiffrer. Quelques exemples : Dieu punit le genre humain par le déluge (Gn 6-7), et il détruit par le feu Sodome et Gomorre (Gn 19). Dieu inflige une série de punitions sévères à l’Égypte, lesquelles culminent avec la mort de ses fils premiers-nés et l’anéantissement de ses guerriers (Ex 7-13). Dans la période de la conquête de la Terre promise, nous entendons à plusieurs reprises résonner l’ordre d’extermination (anathéma) qui porte sur des armées et des cités entières (cf. Jos 6, 21; 8, 22-25; 1 S 15, 3). Les formes de violence sacrificielle, dans le contexte de la guerre de conquête, apparaissent aussi comme des gages adressés à Dieu en vue de son soutien pour la victoire (Nb 21, 1-13). L’extermination qui suit la victoire et la conquête est certainement une pratique sacrificielle mise en oeuvre, sans différence, par d’autres peuples. Comme aussi les sacrifices humains propitiatoires, qui sont présents dans l’histoire même de l’antique Israël (Lv 20, 2-5 ; 2 R 16, 3 ; 21,6). Témoin en particulier le fait que, dans l’ultime période prophétique, ces pratiques, que la relecture deutéronomique elle-même dénonce comme typiques de Canaan (Dt 13, 31), sont durement condamnées (Mi 6, 6-8; Jr 19, 4-6).

27. Les formes de la violence qui impliquent Dieu, directement ou indirectement, dans les textes bibliques, constituent un thème complexe qui fait l’objet d’une analyse attentive, déjà sur le plan historico-littéraire. La réécriture théologique des événements, qui vise à accentuer la présence et le jugement de Dieu dans l’histoire, emploie des formes de reconfiguration narrative plus libres que les nôtres pour raconter la révélation de la volonté divine dans les signes de l’histoire et dans les projets du peuple. En d’autres cas, les stéréotypes de l’“épreuve”, de la “colère”, ou du “jugement” de Dieu sur la foi de l’homme amplifient l’appel à la conversion et à la fidélité. Pour le déchiffrement théologique global du thème de la violence sacrée dans les pages scripturaires, la réflexion des théologiens convoque traditionnellement deux critères. D’un côté, la tradition théologique souligne le caractère pédagogique de la révélation historique, qui doit s’ouvrir un chemin dans un contexte de réception imprégné de rudesse tribale, bien différent de celui qui façonne aujourd’hui notre sensibilité. D’un autre côté, elle met en relief l’historicité de l’élaboration de la foi attestée dans les textes bibliques, en signalant l’évidence d’une dynamique évolutive des modes selon lesquels la violence est représentée et jugée, sous la perspective de son dépassement progressif, du point de vue de la foi au Dieu de la création et de l’alliance du salut. Ces lignes de clarification forment certainement, en termes généraux, le cadre d’un discours de vérité. D’un côté, comme Jésus en personne le rappelle, les interprètes les plus autorisés de la parole de Dieu – à commencer par Moïse lui-même (Mc 10, 1-12) – sont restés eux aussi conditionnés inévitablement par un cadre anthropologique et culturel intriqué en profondeur avec l'ethos – pour nous insupportablement violent – d’une conception archaïcho-sacrale de l’honneur et du sacrifice, du conflit et de la représaille, de la guerre et de la conquête. De l’autre côté, une herméneutique historique et théologique correcte tient nécessairement compte des stéréotypes culturels et linguistiques des récits de révélation. La même relecture biblique des traditions, à l’intérieur des Saintes Écritures, reconfigure et discerne le signifié théologique contenu dans l’histoire du témoignage, en indiquant clairement un processus de purification de la foi en la Parole de Dieu. L’opération de reconfiguration de la mémoire, à travers le travail rédactionnel, et la réélaboration rétrospective de l’expérience, dirigent le sens de la révélation vers sa synthèse accomplie. Et c’est à partir de ce point d’accomplissement que doit être indiqué le sens du processus entier. Nous-mêmes, nous assimilons avec une clarté toujours plus grande, à la lumière de l’événement de Jésus-Christ et moyennant l’illumination que l’Esprit ne cesse d’offrir à l’Église, la différence qui doit être reconnue entre l’authentique doctrine de la Parole de Dieu et les stéréotypes linguistiques et culturels du mythe, de la cosmologie et de l’anthropologie, de l’éthique et de la politique, de la religiosité populaire et du sens commun, dans lesquels – inévitablement – ces stéréotypes transmettent, en la simplifiant, la conscience de la présence et de l’action de Dieu dans l’histoire.

28. Le sens ultime de l’alliance de Dieu avec l’antique peuple d’Israël demeure la révélation de sa miséricorde et de sa justice. On pense, par exemple, dans la tradition deutéronomiste, à la révision inspirée, concernant, par-delà les malentendus, le sens de l’alliance avec Dieu, laquelle est liée à la qualité de la foi plutôt qu’au formalisme de la loi ; ou bien à l’apport de la tradition prophétique, ordonnée à la critique de la conscience de soi exaltée de l’institution politico-religieuse, qui offense le primat de la foi et la recherche de la justice de Dieu ; ou bien encore à l’immense relecture de l’antique expérience de Dieu et de l’histoire d’Israël, que la tradition de la Sagesse explore sous la perspective de “l’alliance originaire” de Dieu avec la vie de l’homme, inscrite dans la constitution du “monde créé” : toutes choses qui ouvrent à la confrontation de la Parole de Dieu avec la beauté et avec la dramatique de la condition humaine universelle.

Le long de cet axe, la centralité du message biblique se laisse aisément définir et reconnaître en relation avec le mystère de l’amour de Dieu, lui qui accepte de se faire l’interlocuteur de l’homme, pour le rendre à sa liberté et le restituer dans l’estime de sa propre justice. Il est impossible d’échapper à la puissance de Dieu comme à sa justice : cela, toute religion le sait. Et pourtant, Dieu veut être librement estimé et s’offrir en répondant à la responsabilité humaine : il veut être aimé dans le libre don de lui-même, et non pas subi comme une puissance inéluctable du destin. Le mode avec lequel l’homme reçoit la manifestation de sa puissance et de son amour, est partie intégrante de la révélation, mais la foi en laquelle cette manifestation est reçue et transmise parle inévitablement dans le langage et les images des hommes à qui il est impossible d’accueillir, en parfaite transparence, la vérité ultime du lien de l’amour et de la puissance de Dieu. Demeure le fait que l’originalité de la Parole de Dieu que, selon la révélation biblique, nous héritons des Saintes Écritures, a produit un héritage essentiel et dépourvu d’équivoque : l’ultime parole sur la vérité du mystère de Dieu dans l’histoire de l’homme doit être laissée à la puissance de l’amour. Le croyant de la foi biblique sait ne pas se tromper quand il résume ainsi sa propre foi, même quand il n’est pas capable de déchiffrer avec précision les paroles et les signes.

29. L’amour de la puissance, du reste, n’a jamais été non plus la parole première de Dieu. Cet amour a instruit, en revanche, la parole de la tentation et du délire d’omnipuissance du premier Adam, qui retira son évidence au rapport de création et contamina pour toujours – mais sans en interdire la guérison – le langage du discours humain sur Dieu, la théo-logie. Saint Paul écrit : “En réalité, quoiqu’étant hommes (en sarkì 2 Co 10, 3), nous ne combattons pas en mode purement humain. Non, les armes de notre combat ne sont pas d’origine humaine (kata sarka 2 Co 10, 4), mais leur puissance vient de Dieu pour la destruction des forteresses. Nous détruisons les raisonnements prétentieux et toute puissance arrogante qui se dresse contre la connaissance de Dieu. Nous faisons captive toute connaissance pour la conduire à obéir au Christ” (2 Co 10, 3-5). En un passage comme celui-là (et d’autres analogues : cf. Ep 6, 10-17) se trouve bien documentée la conquête définitive d’un retournement du langage où l’interprétation christologique fait la décision dans le conflit qui met en cause la religion. Ce retournement, du reste, est comme préfiguré par le fruit mûr de l’antique prophétie. La scène du drame est désormais l’histoire entière du péché du monde, par le moyen duquel les puissances malignes qui nous dominent, obscurcissent la justice de Dieu en versant le sang des hommes et en alimentant l’hostilité entre les peuples. La lutte pour la vérité de Dieu, contre l’incrédulité des hommes et le péché du monde, consiste alors dans l’acte lui-même de l’annonce de l’amour, lequel change la réalité de l’histoire moyennant le témoignage vécu de la foi. La réponse de la foi à la violence humaine se libère ainsi de l’équivoque d’une violence religieuse qui prétend anticiper le jugement eschatologique de Dieu. En d’autres termes, elle ne peut devenir – sans se contredire gravement ‒ guerre de religion entre les hommes et violence homicide au nom de la foi.

30. Ils n’étaient donc pas si éloignés du sens authentique, nos Pères dans la foi, lorsqu’ils s’employaient – bien qu’avec les excès de l’allégorie – à interpréter, dans la figure des antiques exhortations divines à la lutte contre les ennemis, la vérité eschatologique du secours de Dieu dans la lutte contre les puissances du mal qui assaillent la paix avec Dieu et entre les hommes[9]. Ceci dit néanmoins, avec la prise en compte de plusieurs précisions ultérieures, à ajouter à ces réflexions qui réclament des approfondissements nécessaires.

3. Pratiquer l’amour, garder la justice

31. L’évolution moderne de la différence entre religion et politique – certainement favorisée par la culture du christianisme – constitue aussi un processus de maturation herméneutique immanent à la lecture de la révélation. Néanmoins, la parole énigmatique de Jésus, à propos du Royaume “qui souffre violence”, et dans lequel on entre par “un acte de force” (cf. Mt 11, 12), nous avertit sur le fait que l’amour reste exposé à la violence. Après tout, il ne faudrait pas prendre moins ses distances d’avec l’apparence de raisonnable dont se revêt une culture qui censure toute passion pour sa propre justice comme étant propension à la violence. Les paroles de la foi biblique qui se laissent instruire par les métaphores de la “jalousie” de Dieu pour son peuple (reprises d’une certaine manière avec le “zèle” pour la maison de Dieu auquel renvoie le geste symbolique de Jésus, cf. Jn 2, 17 ; Ps 69, 9), ne doivent pas être vidées de toute signification. À la fin, leur herméneutique la plus émouvante pourra se recueillir, à l’intérieur de la Bible elle-même, dans le dialogue édifiant entre Dieu et Abraham (Gn 18, 18-22), lequel intercède pour un peuple qui pourtant n’est pas le sien ; ou dans celui entre Dieu et Moïse (Ex 32, 32), lequel repousse l’offre d’être séparé du peuple rebelle.

32. L’amour authentique n’est pas confondu, par conséquent, avec le manque de courage, ni identifié comme une irresponsable ingénuité, totalement ignorante de la dialectique de l’Esprit et de la force. Les récits de vocation, comme ceux d’Abraham (Gn 12, 1-3), Moïse (Ex 3, 1-10), et Jérémie (Jr 1, 4-10), nous instruisent de la manière la plus éloquente sur le profil fort des histoires d’amour du croyant avec Dieu, au bénéfice des hommes. La dialectique de l’obéissance et de la liberté qui engage le témoin, constitue une dramatique sérieuse et de profil élevé, dans la logique de l’amour de Dieu. À la fin, maintes paraboles du Royaume, comme aussi les représentations symboliques de l’eschatologie néotestamentaire, nous rappellent que si, d’un côté, nous devons réserver à la justice de Dieu les échecs de la violence peccamineuse de l’homme contre l’homme, de l’autre côté cependant, la justice et la victoire de l’amour de Dieu se présentent toujours sur l’horizon d’un acte de témoignage qui résiste avec la force de l’esprit à l’injustice de l’histoire : en confirmation de l’irrévocable accomplissement de la justice de Dieu. C’est ainsi que l’amour – lequel, jusqu’au jour ultime, ouvre la voie de la conversion et de la miséricorde au prix de sa propre vie – maintient sa promesse pour le peuple des Béatitudes dispersé parmi les Nations. Et il ouvre, avec sa puissance, l’espace et le temps de l’émancipation et de la sauvegarde pour les victimes de la violence de prévarication (Ap 21). Leur abandon jugera les peuples (Mt 25).

33. Une justice de Dieu sans amour résonne toujours comme une condamnation inexorable pour l’homme pécheur. Mais il en irait de même pour une promesse de l’amour de Dieu privée de l’efficience décisive de sa justice, elle qui met définitivement la victime des puissances mondaines à l’abri de la violence qu’elle a subie[10]. Notre culture est sans aucun doute exposée au grave risque d’une séparation drastique entre l’amour et la raison, comme aussi entre l’amour et la justice. Cette double séparation s’alimente à une rhétorique très séduisante qui court le danger de légitimer l’abus de l’autre comme étant la tendance parfaitement naturelle à l’affirmation de soi. Elle induit par surcroît une grave confusion entre la non violence de l’amour et l’abandon d’autrui à l’injustice.

34. Le primat théologal de l’amour, qui retire radicalement sa valeur à la violence religieuse (de laquelle nous parlons ici essentiellement), n’est pas une possibilité alternative à la recherche des bonnes politiques du droit et de la justice (desquelles, en ce lieu, nous ne nous occupons pas[11]) : tout au contraire, il l’encourage. La diffusion d’une certaine culture radicale dirige le souçon sur toutes les figures de l’autorité et de la loi considérées comme des figures masquées de prévarication, toujours inacceptables. L’équivalent symétrique de ce fondamentalisme critique est une rhétorique sentimentale de l’amour qui se soustrait à tout jugement éthique et à tout sérieux engagement avec la justice. Cette double simplification engendre une facile emprise démagogique, et elle alimente un conformisme de la liberté hostile à toute responsabilité et à toute obligation. On voit à coup sûr s’accroître le niveau de tolérance et de résignation devant les faits de violence diffuse qui augmentent le risque pour tous.

35. Notre engagement spécifique, comme croyant, demeure avant tout celui d’invoquer l’Esprit-Saint pour demander la force nécessaire à l’annonce de la justice de l’amour de Dieu : ceci, en affrontant le ressentiment de l’injustice et en acceptant le risque du témoignage[12]. La fermeté de l’opposition religieuse à la violence – proprement en tant que telle – doit enlever sa justification théologique à toute forme de prévarication. En cette phase historique, l’évidence de cette opposition de résistance devient un facteur de premier plan pour le discernement sur la qualité de l’expérience religieuse.

4. La foi dans le Fils contre la haine entre les hommes

36. La tradition de la foi biblique, selon sa vocation originaire, ouvre l’horizon du salut de Dieu pour tous les hommes. Tel est le thème fondamental sur lequel la foi chrétienne instaure son dialogue avec toute époque. Le sens authentique de cette ouverture est scellé dans l’Évangile du Fils Crucifié qui rend pour toujours contradictoire la violence entre les hommes “au nom de Dieu”. Le christianisme lui-même, sous l’impulsion de la parole et de l’action de Dieu qui le presse sans relâche, est reconduit inlassablement à la fidélité envers cette vérité signifiée de la vraie foi dans le Dieu unique. La résistance de la foi contre la haine religieuse trouve sa force dans le témoignage de son échec en Jésus crucifié (1 Co 2, 2). L’histoire du salut jaillit comme de sa source de l’initiative de Dieu pour l’homme. Dieu en personne rend possible notre rencontre avec Lui. La foi elle-même fait partie du don. Dans la disposition au témoignage, la foi chrétienne annonce le Seigneur Jésus à tout homme. De cette foi, nul n’est “patron” (2 Co 1, 24), et tous les disciples sont “serviteurs” (Lc 17, 10). La tendance à transformer la grâce de l’élection en privilège ethnique ou en préjugé sectaire doit être combattue et vaincue.

37. Le christianisme a explicité le sens universel du rapport de réconciliation qui, dans la mort de Jésus, s’établit entre entre Dieu et l’histoire de l’homme[13]. Tous sont pécheurs (Rm 5, 12). Tous doivent se laisser réconcilier avec Dieu (2 Co 5, 20). Quand nous-mêmes étions “ses ennemis” (Rm 5, 10), le Fils est mort pour le péché de tous, afin que tous fussent libérés du péché (Rm 8, 32 ; 1 Co 15, 3).

38. Le croyant chrétien, pour conserver la foi en cette révélation, accepte lui-même d’entrer dans le mystère du Corps du Christ, en lequel l’inimitié entre les hommes est combattue et vaincue en vertu du sacrifice de soi. Le disciple doit être prêt à honorer son appel en accomplissant “ce qui manque à la passion du Christ, en faveur de son Corps qui est l’Église” (Col 1, 24). C’est là, en réalité, selon la plénitude du Dieu unique dans ce Corps unique, que l’Église trouve son chemin, sa vérité, sa vie. Dans la mort de Jésus-Christ, est mis en pleine clarté le principe que la lutte n’est pas entre les peuples pour la suprématie d’une ethnie sur l’autre, d’une culture sur l’autre, d’une religion sur l’autre. Notre lutte, en réalité, n’est pas “contre les créatures faites de chair et de sang, mais contre les Principautés et les Puissances, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits du mal qui habitent les régions célestes” (Ep 6, 12). Et l’Apôtre de conclure opportunément : “Allons debout ! avec aux reins la vérité pour ceinture, avec la justice pour cuirasse, et pour chaussures le zèle à propager l’Évangile de la paix” (Ep 6, 14-15). Le peuple témoin se forme à partir de toute nation dans la foi en Jésus-Christ, autrement dit en vertu de l’Esprit-Saint et non pas en vertu de la chair. Dans l’ekklesia tou theou Dieu a fait désormais “de deux”– le peuple de l’alliance et les nations de la terre – “un seul peuple”. Dorénavant, qui est uni à Dieu en Jésus-Christ n’est séparé de rien. Dans sa chair, par le moyen de la croix, Jésus a détruit en lui-même toute séparation de l’homme d’avec Dieu. De cette façon, il a fait s’écrouler le mur de l’inimitié entre les héritiers de la promesse de Dieu et tous ceux auxquels est destinée la promesse de salut, grâce au Christ de Dieu crucifié (Ep 2, 14-16). Sur ce point qui est crucial pour le rapport entre monothéisme et messianisme, la traduction paulinienne de la pratique et de la prédication de Jésus est transparente. L’accès au salut qui vient du Dieu unique ne souffre plus d’acception de personne selon la chair (la provenance, la culture, l’histoire).

39. Dans le sillon de cette révélation, le christianisme tient ferme sa conviction touchant la possibilité pour chaque homme de rencontrer Dieu[14]. En vertu de l’événement de Jésus-Christ, tout homme qui croit dans la justice de Dieu et pratique la justice entre les hommes peut trouver le salut, à quelque peuple ou nation qu’il appartienne (Ac 10, 34-36). Le disciple du Christ – l’Église – confie l’amitié de Dieu qui s’est révélée dans la chair du Fils à quiconque désire adorer Dieu en esprit et en vérité.

40. Demeure le fait que l’inconcevable surabondance christologique dont est affectée l’alliance de Dieu avec l’homme par cet événement de l’incarnation de Dieu en un homme, à raison de son amour pour l’homme, apparaît aussi comme un excès de la grâce difficile à accueillir à l’intérieur d’une pensée haute et rigoureuse de la transcendance de Dieu. Nous-mêmes, avec le regard fixé sur Jésus et dans l’humble fréquentation du témoignage des apôtres, nous devons chaque jour nous mettre à l’écoute de la voix du Père et des enseignements de l’Esprit, pour en être soutenus dans la confession de la vérité inouïe de Jésus comme Seigneur de l’histoire et Fils éternel (cf. Mt 17, 5). Sans offenser d’aucune manière la pensée de l’unité et de l’unicité de Dieu que les traditions religieuses prolongées dans le sillon de la foi d’Abraham entendent justement conserver.

41. L’ouverture à la conception trinitaire de Dieu, en laquelle se déploie la révélation de l’intimité du Fils avec le Père, laquelle se communique à nous dans l’Esprit, peut de multiples façons être l’objet d’une mécompréhension : elle constituerait virtuellement un rabaissement polythéiste de l’unicité de Dieu. Ce n’est pas le seul judaïsme, mais surtout l’Islam qui s’appliquent à faire valoir cette interprétation fautive en la retenant comme une objection en un sens insurmontable. D’une manière analogue, de nombreuses philosophies religieuses, engagées avec sérieux dans la pensée de l’absolu de Dieu, avancent la même réserve. Loin de sous-évaluer la gravité de ce risque, la théologie chrétienne n’ignore pas avoir tiré des notions essentielles pour une pensée authentique de l’être divin, d’une tradition philosophique qui s’est montrée particulièrement accueillante à la conception de la transcendance et de l’unité (unicité) de Dieu, telle que la présuppose radicalement la tradition du “monothéisme” biblique. En parallèle, la théologie chrétienne peut à son tour rappeler que la formation de la doctrine sur Dieu, dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, fut particulièrement engagée dans l’examen approfondi et scrupuleux des possibles incompréhensions de la pensée “trinitaire”, dans le but précis d’exclure la corruption de la foi dans l’unité/unicité de Dieu.

42. L'incarnation du Fils et la mission de l’Esprit révèlent le mystère ultime de l’unité de Dieu comme amour. Dans la relation, Dieu “ne se perd pas”, précisément parce que Dieu “se trouve” dans la relation. La clarification de la confession chrétienne du Dieu unique, rendue particulièrement nécessaire dans le contexte de la discussion actuelle avec les idées philosophiques sur Dieu et sur les traditions religieuses du monothéisme, induit par conséquent le cours prochain de notre réflexion.

Chapitre III
Dieu, pour nous sauver de la violence

1. Dieu Père nous sauve par la croix du Fils

43. Le Dieu unique est, en premier lieu, Père de tous les hommes. La parole de l’antique prophétie le préfigure déjà : “N’avons-nous pas tous un Père unique ? N’est-ce pas un seul Dieu qui nous a créés ? Pourquoi donc nous trahissons-nous les uns les autres, profanant l’alliance de nos pères ?” (Ml 2, 10). Moyennant l’envoi du Fils dans la chair, et à travers le don de l’Esprit, cette paternité de Dieu le Père s’étend à tous les hommes desquels il désire le salut (cf. 1 Tm 2, 4), dans l’alliance définitivement scellée par l’incarnation et par la Pâques du Seigneur. “Quand vint la plénitude des temps, Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme, né sous la loi, pour racheter ceux qui étaient sous la loi, pour qu’ils reçoivent l’adoption des fils. Et que vous soyez des fils, le preuve en est que Dieu a envoyé dans nos coeurs l’Esprit de son Fils qui crie "Abba, Père"” (Ga 4, 4-6; cf. Rm 8, 15).

44. La révélation trinitaire du Dieu unique est intrinsèquement liée à l’offre adressée à tous les hommes[15], d’être rachetés dans le mystère pascal du Christ Jésus, de manière à participer à la relation filiale de Jésus à l’égard du Père, moyennant le don de l’Esprit-Saint, et de pouvoir être accueillis parmi les membres de l’unique Église du Christ, qui réunit les fils de Dieu “depuis Abel” – comme disaient les anciens Pères de la foi[16] – jusqu’au “plus petit” entre tous ceux qui attendent le retour du Seigneur à la fin des temps.

45. Dans son sacrifice pascal, celui qui est le Fils, Jésus-Christ, a librement pris sur lui la violence du péché et les souffrances des hommes : “Il porta nos péchés en son propre corps sur le bois de la croix, pour que, ne vivant plus pour le péché, nous vivions pour la justice. Par ses blessures, vous avez été guéris” (1 P 2, 24-25). La violence est l’effet produit par l’homme pécheur et elle frappe Dieu lui-même, non pas dans sa divinité, mais dans les dons de son amour. Elle le frappe au coeur même de la paix qu’il veut entre les hommes ; elle le frappe dans le corps même du Fils. L'antique doctrine chrétienne, avec stupeur et admiration, a proclamé solennellement l’impression de cette révélation, qui porte au-delà de la limite du pensable l’ancienne prophétie du Serviteur souffrant du Deutéro-Isaïe (52, 13 - 53, 12) : “Celui qui fut crucifié dans la chair […] est un de la Sainte Trinité”[17]. Unus de Trinitate passus est. Dans la mort de Jésus, en laquelle le Fils lui-même a éprouvé la violence du “péché du monde” qui corrompt toute religion et aveugle toute compassion, est néanmoins caché – et par cela même révélé – le mystère du “salut du monde”. Notre péché et notre mal sont ensevelis avec le Christ, notre guérison et notre rachat ressuscitent avec lui. Dans sa mort et dans sa résurrection, il brise le cercle de nos destins de créatures mortelles, et il ouvre la route de notre destinée, conduite en l’intimité même de Dieu[18].

46. L'événement de la croix, qui manifeste l’amour du Christ pour le Père et pour ses frères et soeurs (Rm 5, 5-8) jusqu’à l’accomplissement parfait (Jn 13, 1), se tient au centre de la bonne nouvelle. L’immense événement, dans lequel le Fils de Dieu a été “transpercé à cause de nos péchés, broyé à cause de nos perversités” (Is 53, 5), demeure pour tous les siècles. Comme l’a écrit le Bienheureux John Henry Newman : “Ce ne fut pas – cela ne pouvait pas être – un simple événement de l’histoire du monde […]. Si cet énorme événement a été ce que nous croyons, ce que nous savons qu’il a été, alors il doit demeurer présent, quoi qu’il en soit de son être passé : il doit constituer un fait qui demeure actuel, en tout temps”[19].

47. La tradition de la foi, sur le fondement de la révélation déployée en Jésus et confiée aux apôtres, a reconnu dans l’événement de la “mort du Christ”, tout ensemble la tragique vérité de l’excès du péché, de quoi Dieu seul peut nous sauver, et l’exaltante vérité de l’excès de la grâce, sur la force de laquelle Dieu seul peut s’avancer dans l’abîme du mal, sans se laisser contaminer par “le péché du monde” (cf. Jn 1, 29) et sans manquer à son “amour pour le monde” (cf. Jn 3, 16-17). Il est nécessaire, pour la foi chrétienne elle-même, d’écouter toujours, et de réécouter jusque dans sa profondeur, la révélation de cette mort (cf. 1 Co 2, 7-8), que le christianisme confesse comme le fondement du rachat qui soustrait le genre humain à l’impuissance au regard de son histoire de perdition (cf. Ph 2, 6-11). Nous parlons naturellement d’une compréhension qui, en aucune manière, ne peut contredire le mystère de la liberté de Dieu de laquelle procède l’incarnation rédemptrice du Fils : bien sûr qu’il s’agit toujours d’un événement dont le mystère est caché “avec le Christ” en Dieu (cf. Col 3, 3; Ep 3, 8-12). Et néanmoins, le mystère est inscrit dans l’histoire des événements que “nos yeux ont vu, nos oreilles ont entendu, nos mains ont touché” (cf. 1 Jn 1, 1-3).

2. Dans le Fils, le dépassement de la violence

48. Selon la perspective synthétique de notre réflexion, nous désirons offrir avant tout à travers les considérations qui vont suivre, une clef d’accès utile à la manifestation de ce mystère selon la mémoire évangélique. Nous le faisons en rapport direct avec l’approfondissement du lien entre révélation, religion et violence, qui se laisse percevoir dans le geste de libre donation de Jésus. Dans l’acte inaugural de cette libre donation – au Jardin des Oliviers – Jésus interdit en toute rigueur aux disciples une réaction violente analogue, au moment même où il les soustrait à l’implication forcée dans sa condamnation (“Jésus dit alors à Pierre : "Remets ton épée au fourreau. Est-ce que je ne dois pas boire la coupe que le Père m’a donnée ?"”, Jn 18, 11). Eux-mêmes, quand viendra leur moment d’honorer la libre obéissance de la foi, s’en remettront librement aux conséquences de leur témoignage de fidélité (“Ma coupe, vous en boirez”, Mt 20, 23).

49. Jésus se livre lui-même, il ne livre pas ses disciples. Dans le même temps, il retire son ressort à une alternative également dramatique et apparemment insurmontable. Ou bien redimensionner la très haute prétention de sa révélation, ou bien accepter le conflit sanglant avec le parti hostile. Dans le premier cas, il s’agirait de renoncer à l’obéissance touchant la vérité même reçue de l’Abba-Dieu ; dans le second cas, il s’agirait d’accepter la logique de la guerre religieuse. Dans les deux cas, l’Évangile serait révoqué. Jésus se libère du chantage de cette alternative, en choisissant de remettre entre les mains de Dieu le destin de sa révélation et en confirmant son irrévocable fidélité à l’Évangile de la justice de Dieu, lui qui “ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive” (Ez 18, 23-52 ; 33, 11). Le Seigneur Jésus, qui avait averti les disciples sur ce que le Fils attendait de ceux qui décident de le suivre (“Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renonce, qu’il prenne sa croix et me suive”, Mt 16, 24), à l’heure extrême du danger se met lui-même au milieu, et met les disciples de côté (“Jésus répliqua : "Je vous ai dit qui je suis. Si donc vous me cherchez moi, laissez donc ceux-là s’en aller"”, Jn 18, 8). Le Fils, qui avait démasqué sévèrement la part violente de ses adversaires religieux (“Maintenant, en fait, vous cherchez à me tuer, moi qui vous ai dit la vérité”, Jn 8, 40), dans le moment même de sa mort invite son Père à suspendre le jugement (“Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font”, Lc 23, 34).

50. Jésus désamorce radicalement le conflit violent que lui-même pourrait encourager, pour la défense de l’authentique révélation de Dieu. Par là même, il confirme une fois pour toutes, et pour toujours, le sens authentique de son témoignage touchant la justice de l’amour de Dieu. Cette justice ne s’accomplit pas moyennant la légitimation de la violence homicide au nom de Dieu, mais moyennant l’amour crucifié du Fils en faveur de l’homme (cf. Rm 8, 31-34)[20]. Dans le geste de la libre donation de soi au sacrifice suprême, lequel épargne le sang des disciples et des adversaires, resplendit la puissance radicale de l’amour de Dieu. “Alors le centurion qui se tenait debout devant lui, en le voyant mourir, déclara : "Vraiment cet homme était fils de Dieu"” (Mc 15, 39).

51. Il n’y a pas de ressemblance entre la puissance du péché et celle de la grâce ; il n’y a pas d’affinité entre l’obsession du pouvoir, qui pervertit même la religion, et la force de la foi, elle qui vainc le monde (1 Jn 5, 4 ; Jn 16, 33). Non seulement la puissance rédemptrice de la grâce domine la puissance destructrice du péché, mais son efficace opère sous un signe radicalement contraire. Le péché célèbre sa domination en augmentant sa puissance mondaine avec des sacrifices humains ; la grâce barre la route à la multiplication de la violence : elle épargne le sang de l’autre en s’offrant soi-même en sacrifice d’amour. La vérité de la révélation de Dieu est soustraite, en Jésus, au dispositif immémorial de la représaille au nom de Dieu. L’événement christologique démasque la fausseté radicale de tout appel à la justification religieuse de la violence, proprement lorsqu’elle voudrait imposer à Dieu de la confirmer. Le Fils, dans son amour pour le Père, attire la violence sur lui-même en épargnant les amis comme les ennemis (autrement dit tous les hommes). Le Fils, qui affronte et vainc sa mort ignominieuse, exposée en démonstration de son impuissance, anéantit en un seul acte le pouvoir du péché et la justification de la violence. Moyennant l’Esprit-Saint, nous pouvons à notre tour honorer le don reçu (cf. Ep 2, 18), en accomplissant en nous-mêmes “ce qui manque” à la passion du Fils (Col 1, 24).

52. Dans cette clef, il est possible au surplus de comprendre davantage le sens authentique des formules dans lesquelles la tradition de la foi christologique a gardé la profondeur et la signification universelle du lien entre la mort du Christ et la rédemption de l’homme. La parole du credo chrétien sur le sang du Fils qui nous rachète, s’illumine dans son exactitude à travers la contemplation du geste du Fils qui évite l’effusion du sang des uns contre les autres.

53. La purification des catégories religieuses traditionnelles du sacré qui s’affirme dans cette tradition, est déjà pleinement illustrée par l’un des plus antiques écrits de sa tradition néotestamentaire. La Lettre aux Hébreux se concentre sur le sacrifice de Jésus, en vertu duquel le Christ se manifeste comme l’unique et éternel Grand Prêtre. Christ “entre dans le Saint des Saints une seule fois pour toutes avec son propre sang” (He 9, 12), il s’offre lui-même, et porte sur lui les péchés de tous (9, 27-28). Le Grand Prêtre, ici, s’offre lui même comme victime de la violence des hommes. L'Agneau sacrificiel, ici, est l’Innocent qui répond à la violence par la douceur, à la haine par la bonté, à l’agression par le pardon. Il ne cherche pas à faire tomber la vengeance sur ses agresseurs, mais il s’offre plutôt lui-même avec “grands cris et larmes” (He 5, 7). Le coeur transpercé du Fils épuise, évide de l’intérieur la violence qui donne la mort, en la convertissant dans le don total de la vie (cf. Jn 19, 33-37). Il était écrit dans l’ancienne prophétie : “...le juste mon serviteur justifiera les multitudes il prendra sur lui leur iniquité. […] parce qu’il s’est livré lui-même à la mort et qu’il a été compté parmi les impies, alors qu’il portait le péché des multitudes et qu’il intercédait pour les pécheurs” (Is 53, 11-12). C’est à partir d’ici que doit être compris à la lettre le sens du mot chrétien “agapè” : au nom de Dieu, le véritable croyant offre à Dieu sa propre vie (cf. Rm 12, 1).

3. La chair de l’homme destinée à la gloire de Dieu

54. Le Ressuscité, entré dans sa gloire “à la droite du Père”, peut maintenant “sauver d’une manière définitive ceux qui, par lui, s’approchent de Dieu, puisqu’il est toujours vivant pour intercéder en leur faveur” (He 7, 25). Moyennant la grâce de l’adoption filiale, les hommes sont associés dans le baptême au Christ mort et ressuscité (Rm 6, 1-12), ils sont incorporés au Christ (cf. 1 Co 12, 27), et ils obtiennent en espérance l’héritage de la vie éternelle (Tt 3, 7). Cette incorporation au Christ est une conformation à lui, dans la communion à ses souffrances, qui fait atteindre à sa résurrection même (Ph 3, 10-11). D’une façon concordante, les récits de l’institution pascale mettent en évidence le passage à travers la Pâques nouvelle du Seigneur : “Faites ceci en mémoire” (Lc 22, 19 ; 1 Co 11, 25). Jésus non seulement se donne lui-même, mais rend toujours actuelle, et pour nous tous, sa propre donation de lui-même. Cet événement s’illumine dans la perspective de l’évangéliste saint Jean, lequel interprète le réalisme sacramentel de l’eucharistie à travers le discours de Jésus sur “le pain de vie” : le pain qu’il donne est sa chair “pour la vie du monde” (Jn 6, 51). “De même que le Père qui est vivant, m’a envoyé et que je vis par le Père, de même aussi celui qui me mange vivra par moi” (Jn 6, 57). Le Fils incarné a reçu du Père son Esprit sans mesure (cf. Jn 3, 34). Depuis l’instant même de sa conception comme homme dans le sein de Marie, le Christ est l’Oint de l’Esprit-Saint (cf. Mt 1, 20 ; Lc 1, 35). Dans le moment solennel de son baptême, l’Esprit-Saint met son propre sceau sur sa destinée comme Messie et Serviteur[21]. Et dans le mystère de sa résurrection, l’humanité sainte de Jésus-Christ, libérée de toute violence, est pleinement glorifiée (Ac 3, 13). La plénitude de sainteté, de connaissance et d’amour de Dieu qui comble l’âme humaine de Jésus se réverbère en son corps ressuscité, rendu participant de la gloire divine pour nous rendre nous-mêmes participants de son Esprit-Saint. Si l’Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité le Christ d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par le moyen de son Esprit qui habite en vous (Rm 8, 11).

55. En Jésus, assis à la droite du Père – d’où l’Esprit de la vie nouvelle nous est envoyé – la chair de l’homme mortel est transfigurée dans la vie bienheureuse de la Trinité. “Christ ressuscité des morts ne meurt plus : la mort n’a plus de pouvoir sur lui” (Rm 6, 9 ; cf. Ac 13, 34). La vie qui est sienne “vit pour Dieu” (Rm 6, 10). Moyennant son Ascension, le Christ est “établi sur le trône céleste en sa qualité de Dieu et Seigneur, d’où il envoie les dons divins aux hommes, selon Ep 4, 10”[22]. Élevé auprès du Père, dans la communion divine de l’Esprit-Saint, le Christ ne perd pas sa condition humaine. Bien plutôt, “en entrant le premier dans le Royaume, il donne aux membres de son corps l’espérance de le rejoindre”[23]. Le lien entre Dieu et l’homme noué en Jésus-Christ – et mis à l’épreuve de la violence infligée “au nom de Dieu” – demeure irrévocable et sort victorieux de l’épreuve. Scellé avec le sang, il pose – “au nom de Dieu” – une limite infranchissable à la violence, en faveur de la totalité de l’histoire humaine. La contradiction entre les deux signes opposés du “nom de Dieu” est définitivement transmise à l’histoire. Il n’y a pas de philosophie qui puisse porter remède à notre impuissance d’amour millénaire, ni de religion qui puisse concevoir cette démesure de l’amour de Dieu (cf. Ep 1, 18-21). Et nous-mêmes, qui avons reconnu ce mystère caché en Dieu depuis la création du monde (cf. Ep 3, 5-12), nous ne pouvons pas reconnaître la vérité de cette conciliation de Dieu, en vouloir l’accomplissement en nous, sinon dans la grâce de l’Esprit, qui nous conduit à comprendre sa manifestation en Jésus crucifié et soutient notre communion avec le Seigneur ressuscité.

56. La foi en Dieu-Trinité, qui se laisse pleinement illuminer par l’avènement christologique de la rédemption de l’homme et de la communion avec Dieu (cf. 2 Co 13, 13), est donc radicalement inclusive de la réconciliation des hommes avec Dieu et en Dieu. L’agir de Dieu qui nous libère du mal et de la violence trouve son fondement dans l’être trinitaire de Dieu. Pour la foi chrétienne, la doctrine de la libération et du salut des hommes se superpose exactement avec la doctrine de Dieu Trinité.

57. L’action de Dieu dans le monde et dans l’histoire des hommes (l’“économie divine”) est notre seule voie d’accès au mystère de Dieu-Trinité. Il n’existe pas deux économies : une spéciale et privilégiée pour les Chrétiens, et une autre plus vague et générique pour les non-chrétiens. Il n’existe qu’une seule oikonomia dans laquelle le salut est offert à tous les hommes en vertu des mystères de la chair du Christ et du don de l’Esprit-Saint qui enseigne à dire Abba-Dieu. “La fin ultime de toute l’économie divine est l’entrée des créatures dans l’unité parfaite de la Bienheureuse Trinité”[24]. Moyennant l’amour de Dieu qui nous a aimés le premier (1 Jn 4, 19), c’est-à-dire moyennant l’Esprit-Saint (cf. Rm 5, 5) qui fait de nous des fils de Dieu tournés vers le Dieu-Abba (Rm 8,15), la vie véritable se réalise d’ores et déjà dans la vie fraternelle : “Nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie parce que nous aimons nos frères” (1 Jn 3, 14). Ici se révèle pleinement la vocation des hommes à entrer dans la suite du Christ : participer à la vie même de la Trinité, vivre de Dieu et en Dieu (cf. 1 Jn 3, 24 ; 4, 13.16), dans le lien même que Jésus, le Fils, a institué avec chaque homme en sa propre chair moyennant l’incarnation[25].

58. Nous ne pouvons tenir ferme la vérité de ce mystère de la condescendance évangélique de Dieu, qui nous libère de l’apparente nécessité de sauver notre vie en détruisant la vie de l’autre, sinon en invoquant – nous-mêmes – la grâce de pouvoir croire fermement à la justice de l’amour de Jésus-Christ. Nous ne pouvons, sans cette grâce, nous accorder intérieurement avec “la hauteur et la profondeur, la longueur et la largeur” de cet irrévocable lien de l’amour de Dieu et du prochain. A la fin, nous ne pouvons donner réalité à l’accomplissement heureux d’une vie libérée du mal et de la mort, sinon dans le Fils, qui a donné réalité à cette destination de notre vie elle-même.

59. Dans le mystère trinitaire de Dieu, se trouvent le “lieu” et la “durée” pour la vie éternelle de la créature (“Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures. Sinon, vous aurais-je dit que je m’en vais vous préparer une demeure : quand je m’en serai allé, et que je vous aurai préparé une demeure, je reviendrai et vous prendrai avec moi, pour que là où je suis moi, vous soyez vous aussi”, Jn 14, 2-4). Dans la garde de la parole et des gestes du Seigneur (Lc 2,19), dans la fidélité à la tradition de sa mort rédemptrice (Jn 19, 25-27), dans la continuité de la grâce et du témoignage du Fils (Ac 1, 14) jusqu’au retour du Seigneur, la communauté des disciples ne peut manquer de reconnaître la présence et l’action de la Mère de Jésus. Marie a inauguré – en un mode unique et irrépétible – la forme accueillante du Corps du Christ qui est l’Église[26]. Moyennant son Assomption au ciel, elle vit – âme et corps – dans la gloire de la Très Sainte Trinité. Par son incessante prière pour les membres du Corps de son Fils qui sont sur la terre parmi d’innombrables périls et tentations, elle les accompagne vers l’union finale dans la vie de la Trinité. La maternité de Marie est la forme même de son lien spécial avec Dieu, que la foi avec justesse et audace formule sous le titre de “Mère de Dieu”. Le passage du Fils unique, qui s’est fait homme à travers cette génération, révèle un trait de l’engagement de Dieu avec la forme humaine du “venir au monde”, qui devrait inspirer encore plus profondément la pensée humaine de l’intimité de Dieu et de son affection pour les fils de l’homme. De cette inspiration, la Mère de Dieu est la référence irremplaçable et la source inépuisable (cf. Jn 2, 1-11).

4. L’espérance des peuples, la foi de l’Église

60. L’incarnation rédemptrice du Fils introduit dans l’histoire religieuse de l’homme une transformation d’une portée incalculable. La formule populaire de la catéchèse synthétise avec bonheur la tradition chrétienne, lorsqu’elle indique les mystères principaux de la foi : unité et trinité de Dieu, Père, Fils et Esprit ; incarnation, passion, mort et résurrection de Jésus-Christ et effusion de l’Esprit-Saint.

61. L'illumination et la puissance transformatrice de la semence évangélique, sur le plan de l’histoire collective de la société et de la culture (comme aussi de la religion elle-même) sont cependant destinées à produire leur fruit en connexion avec la maturation de la conscience historique. Autrement dit, dans chaque époque, en rapport aux conditions du terrain. L’enseignement de la parabole fameuse du semeur, proposée puis expliquée en détail par Jésus aux siens (Mt 13, 1-23 ; Mc 4, 1-20 ; Lc 8, 4-15), vaut aussi pour l’histoire collective des peuples et des époques. Mais à coup sûr, la solennelle promesse de l’envoi de l’Esprit-Saint, que “le Père enverra en mon nom” et qui “vous enseignera toutes choses en vous rappelant tout ce que je vous ai dit” (Jn 14, 25-26), indique clairement un horizon pour l’histoire entière de la foi, en laquelle la conservation de la mémoire, l’écoute de l’Esprit et le progrès de l’intelligence sont incessants.

62. Aujourd’hui, grâce à la nouvelle visibilité médiatique des événements et à la rapidité de la communication globale, s’impose aussi avec une force inédite l’évidence de la manipulation des religions qui sont instrumentalement dirigées vers le conflit de civilisation et vers la haine ethnique. L’immense masse des hommes religieux, qui s’identifient avec la qualité spirituelle et le soutien moral de leur credo religieux et de leur respect du divin, souffre de l’avilissement – et souvent des effets dévastateurs – de l’incitation religieuse à la violence. Tout comme des millions d’hommes et de femmes, de fils et de filles, auxquels la violence antichrétienne enlève si souvent la parole et la représentation, reconnaissent dans la recherche des voies de Dieu, et dans le besoin de réconciliation avec Dieu, un motif suprême du lien entre les hommes. L’approfondissement de cette évidence flagrante met encore davantage en relief l’appel qui s’adresse objectivement au témoignage chrétien sur le lien spécial de l’amour de Dieu et l’amour du prochain, lequel trouve en Jésus-Christ la raison ultime de sa vérité et de son accomplissement (cf. Jn 13, 34). En particulier, la souffrance et l’avilissement des peuples, à cause de la violence religieuse et anti-religieuse qui relève la tête aujourd’hui dans le monde globalisé, doivent trouver un motif d’espérance et de rédemption dans la nouvelle vitalité de la forme ecclésiale de la foi chrétienne[27].

63. Pour la vitalité et la transparence de la vérité de Dieu, qui est Père de tous, la mission chrétienne qui vise à la qualité évangélique de la forme ecclésiale, en laquelle toutes les nations sont représentées de manière convaincante dans la communion de la foi, est un véritable kairòs de l’Esprit. Autrement dit, un moment favorable pour la proximité de Dieu en Jésus-Christ. Dans cette phase historique, le christianisme est posé – et il est exposé – comme un point de référence global, et non susceptible d’équivoques, pour la dénonciation de la contradiction radicale d’une violence entre les hommes exercée au nom de Dieu. En tant que tel, il est appelé à purifier et à fortifier son ministère de réconciliation entre les hommes, aussi bien religieux que non-religieux. Cela comporte vraisemblablement une priorité d’engagement à la fois spéculatif et pratique.

64. En premier lieu, il s’agit de reconnaître au kairòs de l’irréversible congé donné par le christianisme aux ambiguïtés de la violence religieuse, les traits d’un tournant historique qu’il est objectivement capable d’instituer dans le monde actuel de la globalisation. Un tel congé, argumenté adéquatement dans le cadre de la réflexion théologique et de l’herméneutique de la tradition (qui tire de son trésor “du neuf et de l’ancien”, cf. Mt 13, 52), doit être considéré comme une fleuraison de la semence évangélique destinée à porter du fruit pour la nouvelle saison de l’évangélisation et du témoignage. En lui, l’Église peut bien reconnaître la grâce d’un discernement où s’inaugure une nouvelle phase de l’histoire du salut qui continue : une grâce de purification et de transparence de la nouveauté christologique de Dieu ; un pas en avant sur le chemin de l’actualisation ecclésiale du mystère de la rédemption, qui, en chaque époque, assigne à l’obéissance de l’Église entière le devoir d’accomplir “ce qui manque”, de notre part, “à la passion du Christ” (cf. Col 1, 24). L'assimilation cohérente de cette grâce comporte par nécessité l’humble reconnaissance des nombreuses résistances, omissions et contradictions qui ont fait obstacle d’une manière coupable à l’accomplissement de cette maturation. La rigueur de l’obéissance de la foi, accompagnée de l’humble conversion du coeur et de l’aveu sincère du péché, n’est pas un obstacle mais bien plutôt un secours décisif. La Parole de Dieu qui vient à nous par les Saintes Écritures ne nous laisse pas sans discernement et sans soutien, quand elle nous instruit – de mille manières – sur l’infidélité du peuple de l’alliance avec Dieu et sur la vulnérabilité des disciples devant la tentation et la trahison du Seigneur.

65. Un tel congé donné par l’Église à la violence religieuse détient la force d’une semence destinée à produire des fruits spécifiques en notre époque, menacée par le reflux d’une conception archaïche du sacré où s’arme la haine ethno-politique. De ces fruits, avec le soutien de l’Esprit, nous devons partager l’enthousiasme et enseigner à assumer les risques. Le dépassement de toute justification religieuse ambiguë de la violence devra élaborer non moins, et avec la détermination la plus grande, la critique de la violence anti-religieuse. Le soutien culturel et politique que l’intimidation et la répression anti-religieuses ont reçu, à l’âge de la modernité accomplie, a signé un des points de contradiction les plus douloureux de l’époque moderne. Il existe aussi, du reste, des excès destructeurs de la raison sécularisée, économique et politique, que les pouvoirs de la domination financière et la puissance de la technocratie médiatique peuvent rendre dévastateurs.

66. La foi révélée du christianisme introduit un ferment de mutation radicale à la fois pour la conception de la religion et celle de l’humanisme, indissolublement. Cette foi est aujourd’hui appelée à anticiper l’époque de la rédemption définitive du “nom de Dieu” hors de la profanation qui lui advint à travers la justification religieuse de la violence. Dans la révélation trinitaire, la réconciliation de Dieu avec le genre humain trouve son fondement irrévocable et son principe transparent. “A travers l’Économie nous est révélée la Théologie ; mais, inversement, c’est la Théologie qui illumine toute l’Économie. Les oeuvres de Dieu révèlent celui qu’Il est en lui-même ; et, inversement, le mystère de son Être intime illumine l’intelligence de toutes ses oeuvres”[28]. De cette foi jaillissent aussi des illuminations décisives sur les ouvertures et les pressentiments de la raison humaine partie à la recherche de la vérité de Dieu. C’est l’objet auquel nous souhaitons à présent consacrer notre attention.

Chapitre IV
La foi confrontée avec l'ampleur de la raison

1. Le chemin du dialogue et le système de l’athéisme

67. La pensée biblique du Dieu unique s’est providentiellement rencontrée avec un processus de purification humaine de l’idée de divinité qui, à l’intérieur de la philosophie antique, était orienté vers l’unification du divin, en un sens collatéral avec le monothéisme. Il est compréhensible que la rencontre de la religion chrétienne naissante avec la théologie philosophique rationnelle ait été cultivée comme une opportunité par la réflexion de foi. Une telle rencontre avec la philosophie s’était déjà passée, en partie, dans la tradition judaïque. En partie, elle adviendrait aussi, en son temps, à la tradition islamique. C’est dans l’espace de cette confrontation philosophique et interreligieuse, continuée à l’intérieur de la théologie et de la culture chrétienne occidentale, qu’a fait irruption finalement l’athéisme moderne, orienté en premier lieu dans un sens proprement anti-chrétien.

68. Dans l’époque antique, et jusques aux confins des temps contemporains, l’athéisme était apparu, sous diverses formes, comme l’option théorique de penseurs isolés, une option incapable de déterminer un système culturel véritable et propre, qui procurât une alternative à l’acceptation religieuse et philosophique de la pensée de Dieu. Aujourd’hui, en revanche, et pour la première fois de l’histoire, l’athéisme s’est constitué comme un système culturel fondé sur la raison humaine. Cette orientation a été culturellement associée à la rigueur des procédures rationnelles du savoir critique, et à l’émancipation de type humaniste hors de l’aliénation religieuse présumée. En d’autres termes, l’orientation idéologique a installé dans la culture actuelle, comme s’il s’agissait d’un donné scientifique, l’idée que “Dieu” est une invention de l’homme : imagination rassurante devant la peur de la mort et l’impuissance du désir, laquelle se transformerait à la fin dans le phantasme d’un pouvoir mortifère et oppresseur duquel il serait nécessaire de se libérer. Sur le sillon de ce processus de déconstruction de l’idée de Dieu, s’orientent maintes formes d’agnosticisme, d’indifférentisme, de relativisme, qui dénoncent comme illusoire – par effet de projection – et finalement despotique toute pensée de la qualité spirituelle et du sens transcendant de l’humain. Bien des formes du réductionnisme anthropologique idéologiquement obtenu des sciences de la nature, comme aussi les formes du laïcisme politique qui théorisent le retrait de la pensée religieuse hors du dialogue démocratique de la sphère publique, sont des manifestations extrêmes – et pas si rarement intolérantes – de cet appauvrissement de l’humanisme qui accompagne la pensée nihiliste sur “Dieu”.

2. La confrontation sur la vérité de l’existence de Dieu

69. En vérité, la même théologie chétienne s’est toujours confrontée critiquement avec le problème de la possibilité et de la valeur de la pensée humaine sur Dieu : soit en rapport à la théologie philosophique de la culture occidentale, soit dans la confrontation avec les autres cultures religieuses du monde. D’autre part, la foi demeure convaincue que la pleine vérité de Dieu va infiniment au-delà de ce que la raison humaine peut saisir : en ce sens, sa révélation dépasse la possibilité de la philosophie. Pour ce motif, la théologie catholique ne renonce pas à chercher sa route dans le respect de cette double instance : celle de l’harmonie de la foi avec les principes de la raison, d’un côté, et, de l’autre, celle du dépassement de la philosophie de la part de la foi. Dans le langage de la tradition antique, qui aujourd’hui est assez bien interprété pour ne pas susciter de malentendu, la foi chrétienne était entendue aussi comme “vraie philosophie”. Sur cette ligne, on voulait suggérer la synthèse et non point l’alternative de ces deux pôles : la foi chrétienne dépassait la philosophie élaborée par l’homme, en tant qu’elle s’engageait à honorer la cohérence de la vérité reçue de la révélation avec la vérité cherchée en philosophie. La distinction fondamentale du christianisme, comme oeuvre de Dieu, et de la philosophie, comme oeuvre de l’homme, restait bien ferme en tout état de cause. Et cependant, le caractère clairement sapientiel et moral, spirituel et existentiel, de l’exercice philosophique antique, favorisait la perception d’une certaine analogie avec le comportement religieux, et la plausibilité de leur confrontation. De toute manière, la polarité de la foi et de la raison est présente dès les commencements de la théologie chrétienne. Saint Paul affirmait clairement que Dieu a manifesté sa puissance à notre intelligence dans ses oeuvres (au point que le refus de les reconnaître ne peut venir à l’appui de la propre justification du refus de Dieu, cf. Rm 1, 18-25). De l’autre côté, Paul met autant de décision à affirmer que la révélation salvifique de Dieu, centrée sur le Crucifié, apparaît comme folie aux yeux de la sagesse humaine et, néanmoins, elle révèle une sagesse infiniment plus profonde (cf. 1 Co 1, 21-25).

70. Rappelons maintenant, par de simples aperçus, les éléments essentiels de la pensée de référence commune, au sein de la tradition catholique, sur le sujet de la distinction et de la corrélation entre la cognoscibilité “philosophique” de Dieu et l’intelligence “théologique” de sa révélation. Saint Thomas d’Aquin, à propos des rôles respectifs de la philosophie et de la théologie, a élaboré une théorie destinée à devenir classique. Selon son modèle de résolution, une contradiction réelle n’est pas concevable entre ce qu’enseigne la foi et ce qu’enseigne la raison, étant donné que – comme la vérité révélée – les principes de la raison, eux aussi, viennent du Dieu unique. En outre, saint Thomas va jusqu’à affirmer la nécessité d’une connaissance des créatures toujours plus approfondie, proprement en prévision de la plus rigoureuse connaissance de Dieu. Une telle nécessité dépend du fait que “l’erreur dans les choses créées entraîne à l’erreur dans les choses divines”[29]. La connaissance de ce que sont les créatures se diversifie, naturellement, par rapport à leur mode d’accès : en théologie, elles sont connues selon leur lien avec Dieu et à partir de la révélation, tandis qu’en philosophie, elles sont connues pour elles-mêmes, et interrogées par rapport à leur possibilité de nous conduire, en elles-mêmes, à une certaine connaissance de Dieu. Dans la ligne du modèle mis au point par saint Thomas, la philosophie peut accéder à la connaissance de l’existence de Dieu, et de quelques perfections de Dieu (comme son unicité, sa providence, son caractère personnel). Même si elle n’est pas capable de connaître ce qui dérive strictement de la révélation (comme la Trinité), la philosophie peut aider cependant à penser ce qui a été reçu par révélation, et à réfuter les objections adressées à la cohérence rationnelle de la foi[30]. Il est non moins vrai que, dans le domaine de quelques vérités importantes pour la vie de l’homme, accessibles de par elles-mêmes à la philosophie, la foi offre le soutien d’une confirmation plus directe, d’une certitude plus profonde, et accessible à un plus grand nombre de personnes. La foi ne jaillit pas, cependant, d’une simple connaissance intellectuelle, mais d’un choix en lequel pèse l’orientation du désir : ce désir ne joue donc pas automatiquement un rôle de perturbation de la connaissance intellectuelle, mais de soi l’aide et l’accompagne très efficacement.

71. La constitution Dei Filius du concile Vatican I repoussera d’un même mouvement les excès du rationalisme et ceux du fidéisme, et elle définit la possibilité d’une connaissance de Dieu moyennant la raison, qui demeure ouverte au saut qualitatif et quantitatif de la révélation. Que l’on affirme possible la connaissance de l’existence de Dieu moyennant la raison, ne signifie pas pour autant que cette approche soit facile. D’un côté, la responsabilité de la décision est requise dès à présent de chaque homme. De l’autre côté, sa portée existentielle est déterminée par les orientations du désir, façonnées quant à elles par les conditions environnantes et par le contexte de culture. L’incidence de ces facteurs, naturellement, est un thème de discernement nécessaire, non seulement pour la clarification rationnelle de la foi, mais aussi pour la compréhension critique de l’athéisme. Pie XII, avant le concile Vatican II, s’était déjà exprimé en ce sens : “Les vérités qui regardent Dieu et les relations entre les hommes et Dieu, transcendent entièrement l’ordre des choses sensibles ; du moment qu’elles s’introduisent dans la pratique de la vie et qu’elles l’informent, alors elles requièrent le sacrifice et l’abnégation. [...] Il arrive que les hommes, en ce domaine, se persuadent volontiers que soit faux, ou au moins douteux, ce qu’ils ne veulent pas tenir pour vrai”[31].

72. Le concile Vatican II rappelle la mise au point de Vatican I[32], et assigne une responsabilité spécifique aux croyants eux-mêmes, dans le développement de ce déclin du désir de Dieu qui alimente aussi l’athéisme : “Dans cette genèse de l’athéisme, les croyants peuvent avoir une part non négligeable, dans la mesure où, par l’incurie où ils laissent leur éducation dans la foi, ou à cause de présentations trompeuses de la doctrine, comme aussi en raison des faiblesses de leur vie religieuse, morale et sociale, ils finissent réellement par voiler – au lieu de dévoiler – le visage authentique de Dieu et de la religion”[33]. Un des grands obstacles mis au travers de la crédibilité de la foi – surtout à la suite des “guerres de religion” – est précisément la violence religieuse : “Si vous voulez ressembler à Jésus-Christ, soyez martyrs et non pas bourreaux”[34]. La réaction à l’équivoque si grave qui fait suite à ce genre de conflits (bien que non liés exclusivement au désaccord religieux), a été formulée avec netteté dans la Déclaration sur la liberté religieuse[35]. Dans ce document, le Concile dénonce la contradiction inscrite dans le rapport de la vérité avec la violence, contradiction que la critique philosophique a mise en lumière avec vigueur, et il retrouve au centre même de l’enseignement évangélique le motif d’une prise de distance formelle d’avec toute contamination équivoque de la logique de la foi par celle de la domination : “Le Christ, en effet, notre Maître et Seigneur, doux et humble de coeur, a invité et attiré les disciples avec patience. […] Il a rendu témoignage à la vérité, mais il n’a pas voulu l’imposer par la force à ses contradicteurs. Son royaume, en effet, ne se défend pas par l’épée, mais il s’établit en écoutant la vérité et en lui rendant témoignage”[36]. Le pape Jean Paul II a complété cette Déclaration au cours de la célébration du 12 mars 2000, quand il a demandé pardon pour toutes les fautes dont les chrétiens se sont souillés, en qualité de membres de l’Église[37].

3. La critique de la religion et le naturalisme athée

73. Le débat sur le sujet de l’existence de Dieu est aujourd’hui fortement stimulé par le succès de publications de propagande explicite en faveur de l’athéisme. Les philosophes théistes – et naturellement, les philosophes chrétiens – y opposent de nombreux arguments. En premier lieu, l’existence même du monde qui ne peut trouver en lui-même la raison de son avènement. Ensuite, l’évidence de l’organisation qui rend possible l’existence et la vie du monde, sollicite indubitablement la pensée d’une intelligence organisatrice. L’évidence de l’ordre, en réalité, doit être argumentée hors du cadre idéologique du déterminisme, pour ne pas entrer en contradiction avec la compréhension de la liberté et de la casualité des événements ; et pour éviter non moins – en sens inverse – la construction d’un système de la fatalité et de la nécessité du mal. En cette matière, tout particulièrement, on doit appliquer toute son attention à dénouer les innombrables équivoques qui se forment – sur l’un et l’autre fronts – à cause de la pure et simple confusion des méthodes et des langages, entre le plan de l’analyse scientifique du donné et celui de l’élaboration philosophique de l’expérience. Cependant, étant données toutes ces précautions, il n’y a pas une seule raison qui impose de renoncer à l’expérience de l’admiration et de l’étonnement que l’existence même des choses et la merveilleuse organisation de la nature suscitent dans l’esprit de l’homme. Une fois que le préjugé idéologique – soit pour l’effraction de la science, soit pour l’effraction de la philosophie – cède la place à l’honnêteté intellectuelle du savoir, cette admiration apparaît une constante de l’expérience du scientifique comme de celle du philosophe. Du reste, cette admiration est l’effet toujours répété de la connaissance, laquelle s’approfondit, dans les deux domaines de la raison, en trouvant toujours de nouvelles correspondances dans la réalité. L’intelligibilité du monde apparaît réellement inépuisable, et l’expérience de cette intelligibilité prouve comme est bien fondée notre confiance spontanée dans la capacité du monde à correspondre à la rationalité de l’homme.

74. L’élimination de Dieu, établie sur la base d’une raison de type “naturaliste”, s’associe fréquemment aujourd’hui avec la résolution “biologique” de la liberté humaine. Dans cette perspective, notre cerveau se sera construit la pensée de Dieu pour des raisons liées à un stade évolutif déterminé : en fonction du gouvernement de la complexité, pour compenser le caractère inévitable de la frustration, comme un dispositif de neutralisation de la mort. Avec des arguments analogues, l’expérience spirituelle de la liberté et l’intentionnalité éthique de la conscience sont évacuées. La réfutation de ce réductionnisme, réfutation par où l’on veut honorer l’attestation universellement répandue de l’homme moral – dans le droit et dans l’art, dans les affects et dans la spiritualité – ne doit pas se limiter à superposer au monde naturel un monde “spirituel”. Il n’existe pas, pour la tradition chrétienne, un savoir de la réalité de type “naturellement” athée, auquel on pourrait éventuellement ajouter la conviction d’une réalité “spirituelle” qui ne se donnerait pas au plan de la nature. Il s’agit plutôt de montrer comment, à l’attestation religieuse de l’existence de Dieu, correspond une expérience de la réalité de l’homme qui serait autrement innommable et inexplicable. Le retrait de cette attestation spirituelle et religieuse hors du monde dégrade le plan intégral de la réalité dans lequel a toujours vécu et vit l’être humain. En ce sens, on peut dire que le renoncement à penser la question de Dieu est “une abdication de l’intelligence humaine qui, de cette façon, renonce simplement à penser, à chercher une solution à ses problèmes”[38].

75. L’idée de Dieu n’est pas innée, au sens d’un savoir conceptuellement préconstruit en rapport à l’expérience de l’homme. Et pourtant, la disposition à la reconnaissance de Dieu porte à la conscience une présence qui, en la précédant, l’accompagne. Dans cette perspective, le sens religieux de l’homme, aussi bien que l’existence effective des religions, demeurent des thèmes essentiels pour l’élaboration culturelle de la doctrine catholique sur Dieu et la réalité. La notion pré-métaphysique, ou pré-philosophique de Dieu n’est pas complètement négligeable pour l’intelligence de l’expérience religieuse en termes de réalisme. La pensée rationnelle sur Dieu, comme réalité qui se tient au principe et à la fin de toute chose, illumine cette expérience pré-critique, en en traçant l’horizon de vérité[39]. La connexion entre l’expérience religieuse universelle et la démonstration philosophique de l’existence de Dieu apporte son poids de concret à la pensée qui défend à force d’arguments le réalisme de l’Être divin : irréductible à une idée ou à une chose, justement, qui se laisse construire par l’esprit ou constater par les sens ; mais non pas, pour autant, imputable à la projection du sujet ou à l’hallucination du désir. Le malentendu qu’on répandit sur les célèbres “voies thomistes”, en lesquelles s’articule la cohérence rationnelle de la pensée de l’existence de Dieu, s’est produit aussi à cause de l’extrapolation de type intellectualiste d’un tel parcours démonstratif : elle a fini par le détacher de son lien avec cette connaissance de Dieu, encore que naturelle et confuse, qui est propre au sens humain de la vie. La puissance de la réalité divine sollicite la raison et suscite la liberté de l’homme.

4. L'engagement de la raison : le monde créé, le Logos de Dieu

76. L’ordre qui se fait trouver par la religion, précède toujours celui que la raison cherche à assumer. Et même, c’est le premier qui rend possible le second. Il n’y a rien de plus émouvant que cette re-connaissance dans l’aventure de la connaissance. Après tout, en face de la “crise écologique” actuelle, nous pouvons encore nous reconnaître dans l’observation perspicace de saint Thomas d’Aquin, lequel avait déjà considéré digne de l’étonnement le plus saisissant l’ordre mystérieux des correspondances qui établit des affinités reconnaissables entre les éléments du créé. Les réalités singulières du monde créé ne sont pas capables de fixer, sur la base exclusive de leur constitution interne, les compatibilités et les cohérences de l’ensemble[40]. L’écart entre la limitation intrinsèque propre à leur auto-organisation et la logique unitaire de l’ensemble où elles s’inscrivent, excède notre capacité d’en déchiffrer la clef ultime. Cet écart, et à son tour cet excédent, peuvent être interprétés comme un indice du mystère de la création de Dieu, qui ne se laisse pas totalement obscurcir ou anéantir par l’expérience du désordre et du mal. Le mal nous fait prendre conscience précisément de notre incapacité à dominer et à recomposer parfaitement le rapport de l’univers avec ses éléments et avec notre existence.

77. “Quand nous demandons : "Pourquoi croyons-nous en Dieu ?", la première réponse est celle de notre foi. […] Toutefois, cette foi en un Dieu qui se révèle trouve un soutien dans les argumentations de notre intelligence”[41]. Il est vrai, d’autre part, qu’affirmer l’existence de Dieu comme cause de l’univers laisse ouvertes de nombreuses questions. Qui est ce Dieu ? Quelle incidence a-t-il concrètement sur ma vie ? Que veut-il de moi ? Que fait-il pour moi ? C’est devant l’horizon partagé de la réflexion philosophique que les chrétiens exposent des arguments sur ces questions, pour montrer également la cohérence de l’enseignement de la foi avec l’interrogation de l’homme sur le sens. Ce dynamisme de notre enquête humaine impose une approche plus rigoureuse et précise de ce que la foi pense en réalité, où soient élaborées les conditions de son intelligibilité par l’homme. Il ne suffit pas, par exemple, d’affirmer simplement que Dieu est unique. Il s’agit de comprendre en quel sens est entendue cette affirmation : on doit donc établir comment Dieu est unique, et quelles conséquences comporte cette proposition pour sa relation avec le monde et avec les hommes. Le devoir ecclésial de la théologie inclut sans aucun doute l’engagement intellectuel dans cette clarification.

5. Transcendance divine et relations dans le Dieu unique et avec Lui

78. Dieu est unique : d’autres dieux, il n’y en a pas. Et Dieu est un en lui-même : en lui, il n’y pas de division. En cette section conclusive, nous tracerons les lignes de l’exposé chrétien sur l’absolue simplicité de Dieu. En référence propre à cette simplicité, entendue en toute rigueur, on doit mettre en relief le sens chrétien de l’union de Dieu avec les créatures auxquelles il a voulu se lier. La clarification de la grammaire essentielle de cette corrélation peut aujourd’hui aider grandement la clarification d’un certain malentendu, philosophique mais religieux aussi, autour du soupçon que susciteraient l’accent chrétien sur l’incarnation de Dieu, non moins que la relation trinitaire au sein de la vie de Dieu, au prix de la perte de la pureté, de la transcendance, et de la parfaite simplicité de Dieu. Notre affirmation fondamentale s’énonce précisément ainsi : la pureté de l’unicité de Dieu ne doit pas être perdue. Au contraire même, la foi chrétienne dans la création du monde et dans l’incarnation du Fils peut être reçue comme une confirmation et non pas comme une altération de la pensée sur l’unité de Dieu.

79. Les grands penseurs chrétiens, confrontés avec les diverses doctrines philosophiques et religieuses, ont souligné avec force que Dieu ne présente pas les différents types de composition que nous trouvons dans les choses créées. Tout ce qui est en Dieu, est Dieu même. Comme saint Augustin l’a formulé dans le contexte de la foi trinitaire, s’agissant de Dieu, “ce qu’Il a, Il l’est” (quod habet hoc est)[42]. La reconnaissance de la simplicité de Dieu dans le christianisme ne revient donc pas au seul substrat d’une tradition philosophique : c’est le fruit d’une pensée rigoureuse de l’unicité et de l’unité de Dieu Trinité. La simplicité de Dieu rend compréhensible le sens authentique de la doctrine trinitaire. Dans la Summa Theologiae de saint Thomas d’Aquin, la simplicité est le premier des attributs divins qui soit considéré : de lui dépend la cohérence de tous les autres attributs de Dieu et l’intelligence correcte du mystère trinitaire lui-même. En prolongeant l’affirmation augustinienne, saint Thomas explique que, non seulement Dieu “est ce qu’Il a”, mais affirme que “ce que” Dieu est (sa “nature” ou “essence”) s’identifie à son existence (son acte d’être)[43]. En ce sens, il n’existe pas de catégorie, ni de concept qui puisse embrasser sous un même mode, ou comme en une unique réalité, Dieu et les créatures : Dieu n’est pas contenu dans un “genre” qui le mettrait au même niveau que les créatures. De là vient, proprement, la pensée irrécusable de l’incompréhensibilité radicale de Dieu, en même temps que la nécessité (et la possibilité) de recourir à l’analogie pour parler de Dieu, sans faire violence à son incomparable singularité au regard de tout autre terme possible de connaissance. D’autre part, reste bien ferme le principe que, lorsque Dieu agit (création, providence, salut), il n’entre pas en composition avec le monde. Dieu demeure essentiellement distinct de tout ce qui n’est pas Dieu et sans aucune division en lui-même.

80. La foi trinitaire n’altère pas cette unité de Dieu, elle en manifeste plutôt l’inconcevable et insondable profondeur. Le Père, le Fils, l’Esprit-Saint sont le Dieu “un”, parce qu’ils “sont” la même essence (ou substance) divine. En ce sens, la foi chrétienne, professe proprement une “Trinité consubstantielle”[44]. La richesse et la profondeur de l’unité trinitaire ont été exprimées d’une manière efficace par la notion de “périchorèse”, que Jean Damascène a développée, en en recueillant la perspective dans la parole du Seigneur : “Je suis dans le Père, et le Père est en moi (Jn 14, 10-11). La périchorèse des trois hypostases, autrement dit des trois personnes divines entendues par saint Thomas d’Aquin comme “relations subsistantes”, met en relief leur parfaite consubstantialité tout ensemble avec leur distinction personnelle. Par conséquent, les trois personnes sont “un seul Dieu” et non pas “trois dieux”. Une, en effet, est l’essence, une la divinité, une l’éternité de Dieu. Sur cette base, on peut mieux définir également les relations que Dieu entretient avec le monde : “Le Père et le Fils s’aiment eux-mêmes et nous par l’Esprit-Saint”[45]. Dieu n’est pas “reclus en lui-même” : au contraire, c’est proprement à partir de son être en communion qu’il se dispose à la création du monde, à l’exercice de sa providence, à l’intimité de sa présence dans les créatures. Sa créature est son interlocuteur par pur amour, non par force.

81. Le monothéisme biblique est la racine de cette perspective, en tant qu’il nous met “en face” d’un Dieu qui se révèle, avec sagesse et avec amour, qui parle et qui écoute, qui envoie ses messagers et ses prophètes, qui se présente “en personne” dans l’incarnation du Fils et dans l’envoi de l’Esprit-Saint. La tradition biblique affirme que Dieu a créé toutes les choses dans sa sagesse et dans son amour (Pr 3, 19 ; Sg 7, 22 ; 11, 24-26). En reconnaissant que Dieu a créé toutes choses dans sa sagesse, on affirme que Dieu n’a pas produit le monde par une nécessité de nature. De la même manière, quand nous disons que Dieu a créé par amour, nous entendons affirmer que Dieu n’a pas créé le monde et l’homme pour quelque motif extérieur à son intention. Il l’a fait, en revanche, pour communiquer sa bonté : autrement dit, avec une affection de tout point libre et gratuite. Pourrait-il, ce Dieu-là, être hostile aux hommes ? L’omnipuissance de Dieu est-elle une menace pour l’autonomie de l’homme ? Le soupçon suggéré par le serpent de l’origine, selon le récit biblique (cf. Gn 3, 4-5), est insidieux, mais dépourvu de fondement. La foi dans l’omnipuissance de Dieu qui résiste au mal, est proprement ce qui protège de ces phantasmes angoissants et tourmenteurs : “De tous tu as pitié, parce que tu peux tout” (Sg 11, 21-23). Dans la belle formule liturgique : “Que Dieu tout-puissant vous bénisse”, tout cela est dit déjà, et avec la simplicité de l’essentiel.

82. Dieu, en créant l’homme intelligent et libre à son image et ressemblance, l’a constitué comme son interlocuteur et son allié pour l’accomplissement de la création. Dieu instaure une relation dans laquelle l’homme est convoqué selon la dignité de son être singulier et libre. A ce Dieu personnel, l’homme peut s’adresser personnellement. C’est pourquoi, la créature humaine est constituée dans la faculté de reconnaître et d’aimer Dieu en vertu de sa capacité personnelle d’aimer et d’être aimée, et non pas simplement parce que contrainte à subir la loi despotique de l’être plus fort, ou la pulsion d’assujettissement de l’être inférieur. Rien à voir, donc, avec l’esclavage du sacré primordial (les forces ingouvernables de la nature) ni avec l’assujettissement aux divinités mythiques (les puissances despotiques de la politique). Les croyants doivent être capables de tenir bien ferme et d’illustrer adéquatement cette différence radicale, que les accusateurs post-modernes de l’unité et de l’unicité du divin ignorent trop facilement.

83. L'élaboration cohérente de la simplicité radicale de l’être divin illumine la profondeur de la relation qui engage Dieu et l’homme selon la révélation. Expliquons-le brièvement avec quelques exemples. Dans sa pure et simple perfection, Dieu ne doit pas entrer en compétition avec les créatures. Au contraire, dans sa bonté et sa sagesse, Dieu a donné aux créatures la “dignité d’être cause” (dignitas causalitatis)[46] : il rend la créature participante de sa capacité infinie de faire-être[47]. Dieu – ici est l’explication – donne aux créatures l’existence, la puissance d’agir, et l’action elle-même (“Dieu est, en effet, celui qui suscite en vous le vouloir et le faire selon ses desseins bienveillants”, Phi 2, 13). C’est pourquoi Dieu opère en tout l’opération de ses créatures, mais il n’opère pas comme une cause parmi les autres. Selon la formule classique, Dieu agit comme “cause première” et transcendante. Les créatures exercent l’action qui leur est propre – dans le cas de l’homme, une action intelligente et libre – comme "causes secondes", associées à l'action de Dieu[48].

84. La fécondité de ce modèle intégré – philosophique et théologique – pour la clarification de la foi dans le Dieu révélé, apparaît particulièrement efficace aussi dans le champ de thèmes qui touchent directement à des aspects fondamentaux de l’expérience religieuse, comme par exemple celui de la prière qui “demande à Dieu”. La prière, sous cet aspect, apparaît une réalisation haute et suggestive de cette structure fondamentale du rapport entre Dieu et l’homme, dans le cadre d’une disposition affective spécialement intense de la relation. La prière apparaît, en fait, comme une réalisation éminente de la “dignité de l’être-cause” qui nous a été donnée par Dieu. La prière qui nous adresse à Dieu n’a pas le but, évidemment, de l’informer sur une nécessité ou sur un désir de bien qui seraient nôtres, et qu’il ignorerait ; et ce n’est pas non plus qu’elle puisse imaginer, de l’autre côté, “forcer” sa volonté de bien, avec le propos de la faire changer. La vérité est que notre prière, en tant qu’elle enfonce ses racines dans notre foi en l’amour de Dieu, peut bien être comprise comme une collaboration réelle à l’action de l’amour de Dieu qui réalise le bien, en nous, pour nous et avec nous. En d’autres termes : “Nous prions pour obtenir ce que Dieu a disposé qu’il adviendrait par le moyen de nos prières”[49].

Chapitre V
Les fils de Dieu dispersés et réunis

1. La dignité du singulier et le lien de la multitude

85. Créé à l’image de Dieu dans le Christ (cf. Gn 1, 26-27 à la lumière de Col 1, 15-17 ; 1 Co 8, 6 ; Jn 1, 1-3.10 ; He 1, 1-2.10 ; Rm 5, 14)[50], l'homme est personne et relation, individualité et communion. La foi monothéiste soutient la valeur de l’unicité et de l’unité de chaque personne humaine. En posant chaque personne singulière en rapport direct avec le Dieu unique, son créateur et la destination ultime de sa vie, et en demandant au croyant d’aimer ce Dieu unique “de tout son coeur, de toute son âme, de toutes ses forces” (Dt 6, 5), le monothéisme favorise une éthique de l’unification de la personne humaine, de la même manière qu’il soutient sa relationnalité constitutive. L’une et l’autre dimensions de l’expérience concrète de l’homme – personne et communauté – se réfèrent à une unité qui est un don divin et non pas le produit de nos forces[51]. L’affaiblissement, dans la culture moderne, du fondement trinitaire et christologique de la création de l’homme, a eu aussi des retombées évidentes sur l’anthropologie : la culture actuelle apparaît traversée d’une incapacité diffuse d’articuler les aspects constitutifs de l’homme. La pensée anthropologique employée à rendre raison des qualités humaines les plus hautes – en termes de “sensibilité” comme de “spiritualité”, de “créativité” comme de “transcendance” – n’est pas seulement réputée pauvre : elle est souvent accusée d’être abstraite et sentimentale, idéologique et non scientifique. Le retrait d’une pensée haute de l’origine et de la destination de l’humain, qui interprète les thèmes de son expérience partagée, peut être reconnu comme la racine de la diffusion d’un agnosticisme résigné et nihiliste qui vide de leurs forces les nouvelles générations. Les effets de ce déclin du type humaniste prennent à partie la vision chrétienne de l’homme. Le concile Vatican II a restitué son ampleur de vision à l’interprétation chrétienne de la dignité de l’homme, en indiquant avec franchise dans la vérité christologique de Dieu le principe de sa rédemption : “En réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné. [...] Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation”[52].

86. Dans l’optique du mystère du Fils, le point de profondeur maximum du lien qui existe entre Dieu, l’origine incréée, et l’homme, la créature vivante, peut être atteint dans le fait de la génération : transmission de la vie, constitution de l’altérité. Dans la révélation trinitaire, la génération du Fils est la racine incréée et indépassable de l’intimité de Dieu. Dans la constitution de l’humain, la naissance s’illumine du mystère de la génération du Fils. En face de l’illusion antique et moderne de l’homme qui “se fait lui-même”, une théologie de la création de l’homme qui s’appliquerait avec une détermination neuve à l’illumination de ce lien de l’être-humain avec l’être-fils (ultimement, avec le Fils-en-Dieu) restituerait par surcroît son profil élevé à la différence sexuelle de l’homme et de la femme, et à la composante relationnelle de la maturation personnelle. La recherche actuelle d’une composition cohérente de type humaniste entre le “singulier” et le “commun”, quand elle procède du présupposé d’une absolutisation du “soi” individuel, apparaît justement en difficulté dans l’effort de produire l’intégration recherchée. Le mystère révélé de l’origine divine, qui culmine dans l’unité trinitaire de Dieu, soutient l’ouverture de l’humanisme à la corrélation intrinsèque entre l’élément positif du soi et l’élément positif de l’autre, lesquels concourent inséparablement à la constitution de l’humain personnel.

87. De toute manière, dans la perspective de la vision chrétienne, notre filiation adoptive dans le Fils est le signe le plus efficace d’un Dieu qui est la source de notre liberté : libération dans l’Esprit de tout esclavage (cf. Ga 4, 7 ; Jn 8, 36) et adoption des fils dans le Fils.

2. Dieu soutient la passion pour la justice, il délivre l’espérance de la vie

88. Le don rédempteur du Fils et de l’Esprit, par le moyen de la communication sacramentelle dans le baptême et l’eucharistie, rend vraiment les hommes fils par adoption, et frères les uns par les autres (cf. Ga 3, 26-27 ; 1 Co 11, 23s). Saint Paul en était bien conscient quand il rappelait la force de l’unité des frères, en l’entendant comme koinonia des divers membres et de leurs dons, dans la communion de l’unique Corps du Seigneur et de l’unique Esprit qui agit en tous. Cette unité, irréductible à l’égalité abstraite d’identités séparées, est le symbole réel et l’élan efficace pour la culture humaine des liens sociaux et pour le dépassement de l’inimitié entre les peuples. L’Apôtre exhortait à reconnaître l’appartenance mutuelle, puisque nous sommes “membres les uns des autres” (cf. Ep 4, 25), jusqu’à la formule, pleine de force dans l’original grec, qui proclame : “Vous êtes un (eis) en Christ Jésus” (cf. Ga 3, 28). Toute la théologie paulinienne est profondément inspirée par ce principe radical de la foi chrétienne. Notre “être un” en Christ rend possible le commencement d’une histoire neuve de solidarité et de subsidiarité partagée entre les hommes, jusqu’au propre de la charité fraternelle véritable.

89. En tenant présent à l’esprit tout ce qui a été dit déjà sur la création dans le chapitre précédent, il convient de rappeler que la logique correspondant à l’unité du Dieu vivant, dans sa présence et son action au milieu des hommes, est celle de l’“agapè”. La puissance divine est ordonnée à la sagesse et à la bonté d’un Dieu qui est en lui-même amour[53]. Depuis la communication de l’être à la créature jusqu’à l’offre de l’amitié du Fils, la révélation de Dieu reflète l’intimité d’une vie dont l’unité est intégralement traversée par la disposition relationnelle de l’amour[54].

90. Le monothéisme trinitaire est capable de rendre raison de l’éternelle positivité et dignité de l’autre, puisque les trois personnes subsistent dans le Dieu unique selon l’ordre de référence du Logos et de l’Agapé. C’est pourquoi, une interprétation chrétienne correcte est éloignée autant des excès de cette tendance à accentuer unilatéralement l’impuissance et la faiblesse comme le signe caractéristique – a fortiori, comme la vérité essentielle – de l’être-de-Dieu. Par cette tendance – que l’on peut comprendre en réponse aux excès de type rationaliste de la théodicée – il se pourrait que la révélation chrétienne fondamentale de la kenosis salvifique du Fils, en laquelle apparaît la démesure de l’agapé de Dieu, soit l’objet d’un malentendu. Le risque est celui de pousser le raisonnement jusqu’au point de faire coïncider la qualité divine avec une sorte de déliquescence radicale de l’être, lequel – en son fond – se livre irrévocablement, et sans pouvoir de rédemption, à l’injustice et à la prévarication. Comme si l’essence de l’amour de Dieu pouvait coïncider en elle-même avec une sorte d’“éthique de l’impuissance”, fondée sur une “métaphysique de l’abaissement”, qui prononcerait la parole ultime sur le sens ultime du sacrifice du Fils[55]. Sans la référence à la puissance de l’amour de Dieu, et à son incompatibilité avec le mal, la disponibilité kénotique du Fils se transformerait en une simple proximité sentimentale. Et la rédemption finirait par coïncider purement et simplement avec la résignation à l’abaissement et avec l’effusion de sang. Le malentendu théo-logique de cette interprétation, à la fin, apparaîtrait d’une portée plus grave que celui que son intention présumait de corriger. A la fin, la retombée symbolique d’une semblable interprétation se réunirait, paradoxalement, avec cette dérive de type doloriste de la théologie qui assigne une valeur automatique de rédemption à l’effusion de sang en tant que telle, sans faire entendre explicitement que cette valeur provient plutôt de la charité avec laquelle le Fils, comme Serviteur de Dieu, “donne sa vie en sacrifice pour le péché” (Is 53, 10). Dieu condamne l’homicide de l’Innocent, mais accueille l’offrande que le Christ fait de lui-même. Ce sacrifice, de valeur absolue et infinie, met un sceau et une clôture, en son accomplissement définitif, à tous les sacrifices de l’ancienne alliance.

91. En vérité, dans sa kenosis, le Fils de Dieu accepte d’habiter jusqu’au fond l’impuissance et la faiblesse de l’homme pécheur, en attirant sur lui-même la puissance irrépressible et destructrice du péché que l’homme ne peut vaincre (cf. Rm 8, 3 ; 2 Co 5, 21). Le Fils de Dieu accepte d’assumer et de vivre jusqu’au fond la forme dramatique de la condition humaine (cf. Ga 3, 13), au lieu de rester simplement dans la gloire intacte et immuable de sa condition divine. L’efficacité salvifique de cet “évidement” est liée proprement au fait que Celui qui l’“incorpore” est le Monogène de Dieu, qui partage éternellement la plénitude de vie de Dieu, la puissance de sa Seigneurie sur toute chose, la force de son infinie extériorité hors du mal. La passion du Fils fait homme, qui assume jusqu’au fond la faiblesse humaine pour notre rédemption, révèle proprement ainsi la puissance de l’amour du Père que rien ne peut arrêter (“En effet, il fut crucifié en raison de sa faiblesse, mais il vit en raison de la puissance de Dieu. Et nous aussi qui étions faibles en lui, nous serons vivants avec lui en raison de la puissance de Dieu envers vous”, 2 Co 13, 4).

92. La résurrection de Jésus-Christ crucifié atteste la puissance de l’amour de Dieu, qui restitue la chair et le sang à la vie de l’Esprit (“Et si l’Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité le Christ d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par le moyen de l’Esprit qui habite en vous”, Rm 8, 11). Aucune force du mal et aucune puissance de la mort ne peuvent soustraire le Fils aux liens du Père et de l’Esprit-Saint en lesquels Dieu vit. Et rien ne peut séparer l’homme de Dieu, parce que rien ne peut séparer Dieu d’avec lui-même (“Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous”, cf. Rm 8, 31-39).

3. La purification religieuse de la tentation de dominer

93. La conjonction kénotique de la puissance et de la donation, indique de la manière la plus précise la singularité chrétienne de la conception du Dieu unique. La prédication du Christ crucifié, séparée de l’annonce du Christ ressuscité, ne restitue pas la vérité de la révélation chrétienne de Dieu. La libre remise du Fils au monde de la part du Père, comme aussi la restitution victorieuse du monde au Père, de la part du Fils, adviennent, dans l’unité du même Esprit, propter nos homines et propter nostram salutem (cf. Jn 3, 16-17 ; 1 Co 15, 20-21). Le Crucifié Ressuscité défie la puissance apparemment invincible des ennemis de l’homme : le diable, le péché et la mort (cf. Rm 6, 3-11). La puissance de Dieu est la vérité de son amour, l’amour de Dieu est la vérité de sa puissance[56].

94. La religion des hommes ne peut jamais se considérer simplement à l’abri de la tentation d’échanger la puissance divine avec un pouvoir mondain, qui emprunte finalement la voie de la violence. Les évangiles rappellent clairement que ce fut une “tentation” que Jésus a repoussée. Et qu’il a explicitement commandé aux disciples de repousser (cf. Mc 10, 35-45 ; Lc 22, 24-27). C’est pourquoi, on ne peut nier que la religion soit toujours dans le besoin, en elle-même, d’une purification continue[57] qui lui permette d’être toujours reconduite à sa destination la plus originaire : soit, l’adoration de Dieu en esprit et en vérité, en tant que principe de réconciliation avec Dieu et de fraternelle coexistence entre les hommes (cf. Jn 4, 23-24).

95. La corruption de la religion, qui finit par la mettre en contradiction avec son sens authentique, est certainement une menace redoutable pour l’humanité de l’homme. Cette possibilité, hélas ! demeure toujours actuelle, en chaque époque. Il doit être reconnu clairement, par toutes les communautés religieuses, et par tous les responsables de leur sauvegarde, que le recours à la violence et à la terreur est, de toute évidence, une corruption certaine de l’expérience religieuse. La reconnaissance de la contradiction qui se produit de cette façon avec l’esprit universel de la religion, est une possibilité concrète qui s’offre dans le champ de chacune des traditions historiques. La trahison de l’esprit religieux, par ailleurs, est plus aisément attestée dans les formes de la violence inspirée par les intérêts économiques et politiques, qui se servent instrumentalement de la sensibilité religieuse des peuples. Instrumentalisation analogue, du reste, à celle que poursuit la discrimination du témoignage religieux, sur la base d’intérêts économiques et politiques prétendument enveloppés, au bénéfice des masses, des plus hautes finalités du discours humaniste.

96. En définitive, la prétention d’auto-domination de l’homme, qui va jusqu’au ressentiment contre Dieu, ne peut pas ne pas blesser la dignité humaine et ne pas comporter, comme conséquence, l’assujettissement violent de l’homme par l’homme. Les rapports conjugaux, de procréation et de soin, de filiation et de fraternité – comme toutes les formes des affects et des liens humains, quand ils s’interdisent d’accueillir le don divin – restent exposés au dérèglement de leur justice. Le soin de l’humanité vulnérable – parce que petite, parce que faible, parce que différente – perd son importance devant l’égoïsme du soin de soi-même. La puissance rédemptrice de Dieu inscrite dans la libre consécration d’amour – elle seulement – remet en jeu l’héritage de la promesse contre l’héritage du péché.

4. La force de la paix avec Dieu, mission de l’Église

97. Dans le temps de notre histoire, la condition du peuple chrétien – et en lui de chaque fidèle – est caractérisée par l’attente eschatologique, et donc par son être constitutif de peuple en chemin[58]. Contre tout millénarisme, le chrétien n’a aucune prétention de forcer les temps de la fin de l’histoire et du dernier jour, que seul le Père connaît (cf. Mc 13, 32). Et il vit le temps comme le don précieux de Dieu, grand signe de Ses bienveillance et largesse, avec la conscience que le temps se fait court (cf. 1 Co 7, 29)[59]. Pour cette raison, Paul sent que l’amour de Dieu presse l’urgence du temps à la face des hommes, afin qu’ils évangélisent ceux qui ne connaissent pas encore le dessein bienveillant du Père (cf. 1 Co 9, 16 ; 2 Co 5, 14s).

98. Pour le peuple chrétien, le contenu du temps et de l’histoire consécutifs à l’envoi du Fils et de l’Esprit a un nom propre : mission. Tant que dure le temps de l’histoire, l’unité visible des rachetés devient une semence de nouveauté dans la constitution du lien social[60], jusqu’à en rejoindre toutes les dimensions, selon un dessein qui appartient à Dieu seul (cf. Rm 16, 26 ; 1 Co 2, 7 ; Ep 1, 4-10).

99. La communion ecclésiale institue un terme de comparaison et un critère de jugement sur la réalité des liens sociaux : elle proclame la dignité inconditionnelle de la personne humaine[61] ; elle encourage l’ouverture universelle (catholica) à tout homme[62] ; elle soutient les raisons de la subsidiarité et de la solidarité qui doivent inspirer l’organisation civile[63]. La recherche d’une telle communion ne doit pas se fatiguer de considérer la gravité des divisions entre les chrétiens, mais se dédier avec une passion sincère à la cause œcuménique. La floraison de la semence déposée dans l’unité des croyants en Christ, en vertu de l’action de l’Esprit qui soutient la conception laborieuse et passionnante de la nouvelle création, au sein de la génération et de la régénération des liens humains et civils, peut bien être saluée comme l’anticipation du monde définitif, où finalement “Dieu sera tout en tous” (cf. 1 Co 15, 28). L’horizon qui rend raison jusqu’au bout de cette tension constitutive de l’homme, est, à la fin, le mystère de l’appel à participer à la vie de Dieu à travers la vie de l’Église[64]. C’est pourquoi, il appartient à la vie authentique de l’Église, autrement dit à l’évidence de la fraternité ecclésiale engendrée par la foi en Jésus-Christ, que doive être reconnue la pleine conciliation entre la dignité individuelle de chaque personne et la responsabilité partagée des liens sociaux. Dans la grâce de la communion, qui, avec générosité, recommence d’ouvrir la liberté humaine, en toute occasion, aux relations avec Dieu, il y a un principe de libération par delà l’alternative entre la responsabilité pour la propre réalisation de soi-même et le soin partagé de l’humanité : leur séparation rend le monde inhabitable, et éteint l’esprit. Pour rendre convaincant cet appel de Dieu à la réconciliation entre les hommes, il est indispensable de restituer à la communion ecclésiale une nouvelle transparence sur la scène de l’histoire.

100. La confession de la foi, en face de l’athéisme militant et de la violence religieuse, est conduite aujourd’hui par l’Esprit-Saint sur la frontière prophétique d’un nouveau cycle religieux et humain des peuples. L’icône ecclésiale doit susciter, de son côté, l’image d’une religion qui a pris un congé définitif – en avance sur l’histoire qui doit suivre – de toute superposition instrumentale de la souveraineté politique et de la Seigneurie de Dieu. Ce congé peut et doit être vécu par toutes les communautés chrétiennes de l’époque présente, comme la venue du temps établi par le Seigneur pour la maturation de la semence évangélique. La parfaite communion avec l’intimité de la vie de Dieu, “toute larme séchée”, sera simplement la demeure de l’homme (Ap 21, 3-4). Le temps de la persécution doit être affronté dans l’attente de la conversion espérée pour tous. A cause de cette patience, de cette résistance, de cette ténacité des “saints” à essuyer les tribulations de l’attente, nous sommes en dette de reconnaissance envers la foule des frères et des soeurs persécutés pour leur appartenance chrétienne. Nous honorons leur témoignage, avec sa réponse décisive à la question posée sur le sens de la mission chrétienne en faveur de tous. L’époque d’une évidence neuve sur le sujet du rapport entre religion et violence entre les hommes est ouverte par leur courage. Nous devrons apprendre à nous le mériter. De la venue de cette époque nouvelle, et des fruits de l’Esprit qui doivent s’ensuivre, la Mère du Seigneur doit être considérée la gardienne irremplaçable. La conscience et l’invocation de sa spéciale intercession devront être un thème signalé de notre conversion et de notre prière ; un point de force, pour la communication et l’assimilation joyeuse de la promesse qui monte à l’horizon, entre les hommes et les femmes de notre temps ; un point de mire, “pour conduire nos pas au chemin de la paix” (Lc 1, 79).


[1] Concile Vatican I (1869-1870), Constitution dogmatique Dei Filius, cap. 2 (DENZINGER 3004):“[…] Ecclesia tenet et docet, Deum, rerum omnium principium et finem, naturali humanae rationis lumine e rebus creatis certo cognosci posse”.

[2] Cf. ibid. Denzinger 3001-3002.

[3] Benoît XVI, “Discours à l’Aéroport International Ben Gourion – Tel Aviv, 11 mai 2009”: “L’ordre juste des relations sociales présuppose et exige le respect pour la liberté et la dignité de chaque être humain, que les Chrétiens, les Musulmans et les Juifs croient également être créé par un Dieu aimant, et destiné à la vie éternelle”. Benoît XVI encore, “Discours à l’esplanade des Mosquées, Jérusalem, 12 mai 2009” : “Tandis que les Musulmans et les Chrétiens continuent le dialogue respectueux qu’ils ont déjà commencé, je prie afin qu’ils puissent chercher comment l’Unicité de Dieu est liée inextriquablement à l’unité de la famille humaine”.

[4] Cf. Commission Théologique Internationale, Mémoire et Réconciliation, l’Église et les fautes du passé (2000).

[5] Appelée aujourd’hui Lettre de Jérémie (Lt-Jr 14.22.28.64).

[6] Concile Vatican II (1962-1965), Déclaration Nostra Aetate, 4.

[7] Voir la documentation patristique recueillie dans Commission Théologique Internationale, Le christianisme et les religions (1997), 41-44.

[8] S. Justin, cité par S. Irénée, repousse les thèses marcionites : “Et bene Justinus in eo libro qui est ad Marcionem ait quoniam Ipsi quoque Domino non credidissem alterum Deum annuntianti praeter Fabricatorem et Factorem et Nutritorem nostrum” (S. Irénée, Adversus Haereses IV, 6,2 ; également, Adv. Haer. IV, 20, 4 ; Sources Chrétiennes, n° 100, 441). Voir également : Tertullien, Adversus Marcionem passim.

[9] Un bel exemple d’exégèse typologique de Ex 27, 8-26, et dépourvu d’excès allégoriques, se rencontre dans S. Justin, Dialogue avec Tryphon 131, 4-5 et 111, 1-2.

[10] Cf. Benoît XVI, Lettre encyclique Spe Salvi, 43.

[11] On se reportera en cette matière à Commission Théologique Internationale, À la recherche d’une éthique universelle : nouveau regard sur la loi naturelle (2009), chap. 4.

[12] S. Thomas More, Lettre écrite depuis la prison à sa fille Marguerite. Liturgie des heures, office des lectures à la fête du Saint, le 22 juin (The English Works of Sir Thomas More, London 1557, p. 1454).

[13] “Il n’y a pas, il n’y a pas eu, il n’y aura pas d’homme pour lequel le Christ n’a pas souffert” (Concile de Quierzy en 853 ; cf. Denzinger 624 et Catéchisme de l’Église catholique 605).

[14] Cf. Concile Vatican II, Constitution dogmatique Lumen Gentium, 16.

[15] Cf. Concile Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et Spes, 22, § 5.

[16] On verra parmi d’autres : S. Irénée de Lyon, Adv. Haer. IV, 34,4; S. Augustin, Sermo 341, 9, 11 ; S. Grégoire le Grand, Homilia in Evangelium 19, 1 ; S. Jean Damascène, Adversus Iconocl. 11.

[17] Concile II de Constantinople (553), Denzinger 432.

[18] S. Augustin, De civitate Dei, Liber XII, cap. XX, 4: “Quapropter quoniam circuitus illi jam explosi sunt quibus ad easdem miserias necessario putabatur anima reditura”.

[19] Bx. J. H. Newman, Meditations and Devotions, London, 1893, 561.

[20] “Dieu aime tant l’homme qu’en se faisant homme Lui-même, Il le suit jusque dans la mort et de cette manière réconcilie la justice et l’amour”: Benoît XVI, Lettre encyclique Deus Caritas Est, 10.

[21] Cf. Catéchisme de l’Église Catholique, 486 et 535-536.

[22] S. Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, IIIa, q. 57, a. 6.

[23] Fête de l'Ascension du Seigneur, Préface I.

[24] Catéchisme de l’Église Catholique, 260.

[25] Cf. Concile Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et spes, 22, § 2; Commission Théologique Internationale, Le Christianisme et les religions (1997), 46-48.

[26] Cf. S. Jean Paul II, Lettre encyclique Redemptoris Mater (1987), 7-24.

[27] Cf. S. Jean Paul II, Lettre Apostolique Novo Millennio Ineunte, 43 : “Faire de l’Église la maison et l’école de la communion : voilà le grand défi qui se tient devant le millénaire qui commence, si nous voulons être fidèles au dessein de Dieu et répondre également aux attentes profondes du monde”.

[28] Catéchisme de l’Église Catholique, 236.

[29] S. Thomas d’Aquin, Summa contra Gentiles, lib. II, cap. 4.

[30] Cf. S. Thomas d’Aquin, Summa contra Gentiles lib. I, cap. 9.

[31] Pie XII, Lettre encyclique Humani Generis (1950), Introduction (DENZINGER 3875).

[32] Voir le Concile Vatican I, Constitution dogmatique Dei Filius, cap. 2 ; Concile Vatican II, Constitution dogmatique Dei Verbum, cap.1. Cf. Commission Théologique Internationale, La Théologie aujourd’hui (2013).

[33] Concile Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et Spes, 19.

[34] Voltaire, Traité sur la tolérance (cap. XIV), Editori Riuniti, Roma, 1966. p. 99.

[35] Concile Vatican II, Déclaration Dignitatis Humanae, 7, § 3 et Déclaration Nostra Aetate, 5.

[36] Concile Vatican II, Déclaration Dignitatis Humanae, 11.

[38] S. Jean Paul II, Audience générale, Mercredi 10 juillet 1985.

[39] Cf. S. Jean Paul II, Lettre encyclique Fides et Ratio (1998), 1, et tout le chapitre (24-35), spécialement à partir de 30 et suivants. S. Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, Ia, q. 2, a. 1, ad 1.

[40] Cf. S. Jean Damascène, De fide orthodoxa, lib. I, cap. 3 (Sources Chrétiennes 535, p.142-149) ; S. Thomas d’Aquin, Sententia Metaphysicae, lib. 12, lectio 12.

[41] S. Jean Paul II, Audience générale, Mercredi 10 juillet 1985.

[42] S. Augustin, De civitate Dei XI,10,1 (Corpus Christianorum Series Latina 48, 330).

[43] Cf. S. Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, Ia, q. 3, a. 4.

[44] Concile II de Constantinople (553, DENZINGER 421).

[45] S. Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, Ia, q. 37, a. 2.

[46] S. Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, Ia, q. 22, a. 3 ; q. 23, a. 8, ad. 2 ; I Sent., dist. 45, q. 1, ad. 3, ad. 4 (“causandi dignitas”).

[47] S. Irénée de Lyon soulignait l’action de l’omnipuissance divine qui rend aussi l’homme capable de collaborer à sa perfection : “Non enim tu Deum facis, sed Deus te facit. Si ergo opera Dei es, manum artificis tui exspecta opportune omnia facientem, opportune autem quantum ad te attinet qui efficeris. Praesta autem ei cor tuum molle et tractabile et custodi figuram qua te figuravit artifex (…) custodiens autem compaginationem ascendes ad perfectum” (Adv. Haer., IV, 39, 2 ; Sources Chrétiennes, 100, 967. Voir aussi le fameux passage de IV, 20, 7 : “Gloria enim Dei vivens homo, vita autem hominis visio Dei” (Sources Chrétiennes, 100, 648).

[48] Cf. Commission Théologique Internationale, “Communion et service. La personne humaine créée à l’image de Dieu” (2004), 69.

[49] S. Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, IIa-IIae, q. 83, a. 2, Resp. (in fine) et ad 2.

[50] Cf. Concile Vatican II, Constitution dogmatique Dei Verbum, 3-4 ; Catéchisme de l’Église Catholique, 291, 1701.

[51] Cf. S. Jean Paul II, Lettre apostolique Mulieris Dignitatem (1988), 6-8 ; Catéchisme de l’Église Catholique, 1702.

[52] Concile Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et Spes, 22, § 1 ; Cf. Commission Théologique Internationale, Communion et service. La personne humaine créée à l’image de Dieu (2004).

[53] Cf. Concile Vatican I, Constitution dogmatique Dei Filius, cap. 2 (DENZINGER 3004).

[54] Cf. Concile Vatican II, Constitution dogmatique Dei Verbum, 2 ; Benoît XVI, Lettre encyclique Deus caritas est (2005) 9-11; Id., Lettre encyclique Caritas in Veritate (2009), 1-9.

[55] Cf. Commission Théologique Internationale, Dignité et droits de la personne humaine (1983), en particulier A, II, 3 (L’homme racheté par le Christ).

[56] Cf. Benoît XVI, Lettre encyclique Caritas in Veritate (2009), 2.

[57] Cf. Concile Vatican II, Constitution dogmatique Lumen Gentium, 8 § 3 et 40 § 1.

[58] Cf. Concile Vatican II, Constitution dogmatique Lumen Gentium, cap. VIII (48-51).

[59] Cf. Catéchisme de l’Église Catholique, 668-676.

[60] “Il [le Christ] est toujours jeune, il est la source constante de la nouveauté. L’Église ne cesse de s’émerveiller pour "la profondeur de la richesse, de la sagesse, et de la connaissance de Dieu" (Rm 11, 33)”, dans François, Exhortation apostolique Evangelii Gaudium, 11.

[61] Cf. Concile Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et Spes, 15-17.

[62] Cf. S. Jean Paul II, Lettre encyclique Fides et Ratio, 70-72 ; Lettre encyclique Veritatis Splendor (1993), 1-3.

[63] Cf. Benoît XVI, Lettre encyclique Caritas in Veritate, 35-40; 57-58.

[64] Cf. Concile Vatican II, Constitution dogmatique Lumen Gentium, 2-4.

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