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DISCOURS DU PAPE PIE XII
 À UN GROUPE DE POLONAIS RÉSIDANT À ROME*

Samedi 30 septembre 1939

 

Très chers Fils et Filles,

Vous êtes venus ici implorer Notre Bénédiction, en un moment particulièrement douloureux pour votre Patrie, à une heure tragique de votre vie nationale. Aussi avons-Nous bien rarement senti en Nous, intime et ardent autant qu'aujourd'hui, le désir de Nous montrer en fait et en paroles ce que, par un choix mystérieux de la Providence, Nous sommes appelé à être ici-bas : le Vicaire et le représentant de Jésus-Christ, l'image vivante de ce Dieu incarné, dont saint Paul a pu dire : « Apparuit benignitas et humanitas » (Tt, III, 4). Oui, c'est la compassion infiniment tendre du Cœur divin lui-même que Nous voudrions en ce moment vous faire voir, entendre, sentir, à vous tous, enfants de la Pologne catholique.

Vous êtes venus sous la conduite de votre vénéré Cardinal-Primat et accompagnés de plusieurs de vos prêtres, comme pour témoigner que votre attachement traditionnel à vos pasteurs, gage de votre dévouement au Pasteur suprême, n'a rien perdu sous le coup des adversités qui vous frappent, et ne se laissera pas ébranler par celles qui vous menaceraient encore.

Vous êtes venus, non pour formuler des revendications, ni pour exhaler des lamentations bruyantes, mais pour demander à Notre cœur, à Nos lèvres, une parole de consolation et de réconfort dans la souffrance. Notre devoir de père est de vous la donner; et personne assurément n'aurait le droit de s'en étonner. L'amour d'un père s'intéresse à tout ce qui touche ses enfants ; combien plus s'émeut-il de ce qui les blesse ! À chacun d'eux il voudrait redire le mot de saint Paul aux Corinthiens : « Qui de vous peut souffrir sans que je souffre avec lui ? » « Quis infirmatur, et ego non infirmor ? » (II Cor, XI, 29).

Or, il y a des milliers déjà, des centaines de milliers de pauvres êtres humains qui souffrent, victimes atteintes dans leur chair ou dans leur âme par cette guerre, dont tous Nos efforts, vous le savez, ont si obstinément, si ardemment, — mais si vainement, hélas ! — tâché de préserver l'Europe et le monde. Devant Nos yeux passe maintenant, vision d'épouvante affolée ou de morne désespoir, la multitude des fugitifs et des errants, tous ceux qui n'ont plus de patrie, plus de foyer. Jusqu'à Nous montent déchirants les sanglots des mères et des épouses, pleurant les êtres chers qui sont tombés sur le champ de bataille. Nous entendons la plainte désolée de tant de vieillards et d'infirmes, qui restent trop souvent sans doute privés de toute assistance, de tout secours, les vagissements et les pleurs des tout-petits, qui n'ont plus de parents, les cris des blessés et la râle des moribonds, qui n'étaient pas tous des combattants. Nous faisons Nôtres toutes leurs souffrances, toutes leurs misères, tous leurs deuils. Car l'amour du Pape envers les enfants de Dieu ne connaît pas de limites, pas plus qu'il ne connaît de frontières. Tous les fils de l'Église sont chez eux, quand ils se pressent autour de leur Père commun, tous ont une place dans son cœur.

Mais cette tendresse paternelle, qui fait une part de choix aux affligés, qui voudrait s'arrêter sur chacun d'eux — et dont vous pouvez recevoir aujourd'hui l'immédiat témoignage, — n'est pas l'unique bien qui vous reste. Aux yeux de Dieu, aux yeux de son Vicaire, aux yeux de tous les hommes de bonne foi, il vous reste d'autres richesses, de celles qui ne se gardent pas dans des coffres de fer ou d'acier, mais dans les cœurs et dans les âmes. Il vous reste d'abord le rayonnement d'une bravoure militaire, qui a rempli d'admiration vos adversaires eux-mêmes, et à laquelle loyalement ils ont rendu hommage.

Il vous restent, nuée lumineuse dans l'actuelle nuit, tous les grands souvenirs de votre histoire nationale, dont dix siècles bientôt révolus ont été consacrés au service du Christ et maintes fois à la magnanime défense de l'Europe chrétienne. Il vous reste surtout une foi qui ne veut pas se démentir, digne aujourd'hui de ce qu'elle fut jadis, de ce qu'elle était hier encore. Sur les chemins tour à tour tragiques et glorieux, qu'a suivis la Pologne, il a coulé déjà bien des fleuves de larmes et des torrents de sang. Il y a eu des abîmes de douleur, mais il y a eu aussi des cimes ensoleillées de victoire, des plaines et des vallées pacifiques, illuminées de toutes les splendeurs de la religion, de la littérature et des arts. Dans sa vie mouvementée, ce peuple a connu des heures d'agonie et des périodes de mort apparente, mais il a vu aussi des jours de relèvement et de résurrection. Il y a une chose qu'on n'a pas vue dans votre histoire, et votre présence ici Nous assure qu'on ne la verra jamais, c'est une Pologne infidèle ou séparée de Jésus-Christ et de son Église.

Le pays de saint Casimir et de sainte Hedwige, le pays des deux saints Stanislas, de saint Jean de Kenty et de saint André Bobola a pu perdre, au cours des âges, plus ou moins longtemps son territoire, ses biens, son indépendance, jamais il n'a perdu sa foi. Jamais il n'a perdu sa tendre dévotion envers la Vierge Marie, cette « Reine » puissante et douce « de la Pologne », dont l'image miraculeuse est depuis des siècles, dans le sanctuaire de Czestochowa, la consolatrice des douleurs de toute une nation et la confidente de ses indestructibles espérances.

C'est pourquoi Nous sommes assuré, très chers Fils et Filles, que des sentiments si solidement ancrés dans vos âmes ne faibliront pas. Nous voulons d'ailleurs espérer que Dieu, dans sa miséricorde, ne permettra pas que l'exercice de la religion soit entravé dans votre pays. Nous voulons même espérer, malgré bien des raisons de craindre, inspirées par les desseins trop connus des ennemis de Dieu, que la vie catholique pourra continuer profonde et féconde parmi vous, que vous pourrez renouveler les cérémonies du culte, les manifestations de piété envers l'Eucharistie et d'hommage à la Royauté du Christ, dont vos villes et vos campagnes donnaient récemment encore le magnifique spectacle, que la presse catholique, les institutions charitables, les œuvres sociales, l'enseignement religieux, jouiront de la liberté qui leur est due. C'est pourquoi Nous exhortons spécialement vos pasteurs spirituels à poursuivre, à accroître encore, leurs initiatives dans le champ qui, Dieu aidant, pourra rester ouvert à leur zèle. Quelles que soient les circonstances nouvelles où ce zèle s'emploiera, le premier devoir de tous, pasteurs et brebis, est de persévérer non seulement dans la prière, mais courageusement aussi dans les œuvres, avec une inébranlable confiance.

Car c'est précisément aux heures où la Providence divine semble, pour un temps, se cacher, qu'il est beau, et méritoire, et bon, de croire en elle ! Dans les malheurs qui vous atteignent, dans ceux qui peut-être encore surviendraient, vous ne cesserez donc jamais de voir cette Providence qui ordonne tout à ses fins, qui « ne se trompe jamais dans ses conseils » (Deus cuius providentia in sui dispositione non fallitur. — Orat. Lit. Missae, Dom. VII p. Pent. ), — et qui, lorsqu'elle laisse peser sur ses enfants une lourde croix, n'a en vue que de les faire plus semblables à leur Sauveur bien-aimé, de les associer plus intimement à son œuvre rédemptrice, et par conséquent de les rendre plus chers à son Cœur. Comme ces fleurs de vos pays, qui sous l'épaisse couche des neiges hivernales attendent les souffles tièdes du printemps, vous saurez attendre, dans une prière confiante, l'heure des consolations célestes.

Votre douleur, ainsi tempérée d'espérance, ne sera donc point mêlée de rancune, moins encore de haine. Que votre élan vers la justice reste conforme, car il peut et doit l'être, aux divines lois de la charité. C'est par la justice et la charité, en effet, — et par elles seules, comme Nous ne cessons pas de le redire, — que pourra être enfin rendue au monde aujourd'hui convulsé, cette paix que, parmi le tumulte des armes, appelle si anxieusement la clameur des peuples, et pour laquelle, d'un bout du monde à l'autre, des millions d'âmes sincères, même de celles qui ne professent pas la foi catholique, élèvent leurs prières vers Dieu, seul Maître souverain des hommes et des choses.

Nous ne vous disons pas : « Séchez vos larmes ! » Le Christ, qui a pleuré sur la mort de Lazare et sur la ruine de sa patrie, recueille, pour les récompenser un jour, les larmes que vous répandez sur vos chers morts, et sur cette Pologne, qui ne veut pas mourir. Pour le chrétien, qui sait le prix surnaturel de ces perles, les larmes elles-mêmes peuvent donc avoir leur douceur. Et n'y a-t-il pas d'ailleurs, en chacun de vous, un peu de l'âme de votre immortel Chopin, dont la musique a réalisé ce prodige de faire de la joie profonde et intarissable avec nos pauvres larmes humaines ? Si l'art d'un homme a pu aller jusque-là, où n'iront elles pas, dans l'art de bercer nos douleurs intimes, la sagesse et la bonté de Dieu ?

Comme gage des faveurs célestes, que Nous implorons pour vous, très chers Fils et Filles, Nous vous donnons avec effusion de cœur Notre Bénédiction apostolique. Nous étendons cette Bénédiction à tous les enfants de la nation polonaise, et plus particulièrement aux personnes que chacun de vous a présentes dans ses intentions ou ses souvenirs.


* Discours et Messages-radio de S.S. Pie XII, I,
Première année de Pontificat, 2 mars 1939 - 1er mars 1940, pp. 325-329
Typographie Polyglotte Vaticane.



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