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DISCOURS DU PAPE PIE XII
AUX PARTICIPANTS AU VIe CONGRÈS
INTERNATIONAL DES MAÎTRES TAILLEURS*

Salle des Suisses, Palais pontifical de Castel Gandolfo
Vendredi 10 septembre 1954

 

Lorsque, durant votre Congrès de 1952, vous eûtes à délibérer sur le choix de votre prochain lieu de rencontre, c'est avec enthousiasme, Messieurs, que vous avez décidé de venir à Rome, et vous formiez dès lors le souhait de pouvoir Nous rendre visite. Voici que ce souhait se réalise aujourd'hui ! À la fin de votre VIe Congrès international des Maîtres Tailleurs, Nous avons donc le plaisir de vous recevoir et de vous assurer de Notre estime et de Notre sympathie. Soucieux des problèmes moraux et spirituels que la vie actuelle pose aux différents groupes sociaux et surtout aux associations professionnelles, Nous voudrions par ces quelques mots tâcher de répondre à votre attente et envisager brièvement quelques aspects de votre activité.

Depuis le siècle dernier, la société moderne voit apparaître toute une efflorescence de professions nouvelles. Les applications toujours plus étonnantes et variées de la mécanique et de l'électricité ont entraîné la modification complète des méthodes anciennes de travail; elles ont transformé et rénové bien des secteurs de l'économie. Mais cette évolution a respecté, en partie du moins, un petit nombre d'activités, en particulier celles qui répondent aux besoins les plus fondamentaux de l'homme, la nourriture et le vêtement. Vous êtes parmi ces privilégiés, car ils méritent à bien des titres l'appellation de privilégiés ceux dont le métier échappe encore aux servitudes de la production de masse, à la standardisation du travail, tellement nuisible à sa valeur spirituelle.

On a souvent remarqué que, parmi tous les êtres vivants, l'homme est l'un des plus faibles, l'un des plus dépouillés de protection naturelle. Mais Dieu lui a donné l'intelligence, qui le met en mesure de suppléer à cette déficience par l'exercice de son industrie. Il vous appartient donc de compléter, pour ainsi dire, l'œuvre du Créateur, en fournissant à vos semblables le vêtement dont ils ont besoin. Le Christ, faisant un jour admirer à ses disciples la délicate parure d'une simple fleur des champs, leur dit : « Salomon dans toute sa gloire n'était pas vêtu comme l'une d'entre elles » (cfr. Mt 6, 29). Si donc les plantes et les animaux se revêtent de merveilleuses couleurs, qui attirent le regard et forcent l'admiration, l'homme ne peut-il en cela imiter l'artiste divin ? Sans doute cherche-t-il surtout à se défendre des intempéries, mais, dès qu'il lui est possible d'échapper à la routine de la vie quotidienne, il s'efforce de se distinguer dans la manière de s'habiller, par quelque trait personnel et caractéristique. Le vêtement, d'ailleurs, traduit sensiblement et de façon permanente la condition de la personne; il varie selon le sexe, l'âge, la fonction sociale, il manifeste à la fois ce qui rattache l'individu à certaines classes sociales et ce qui, à l'intérieur de ces groupes eux-mêmes, lui confère un rang spécial. Les vêtements d'apparat tout spécialement veulent rendre sensible, par la richesse des étoffes et leur confection irréprochable, l'excellence de celui qui les porte. Aussi, à côté de son aspect utilitaire évident, votre profession comporte-t-elle un caractère vraiment esthétique, qui garantit son originalité et exige, outre l'habileté manuelle, la mise en œuvre des dons de l'esprit. C'est pourquoi l'art du tailleur échappe, pour sa partie essentielle, à la mécanisation. Sans doute il est indispensable d'assurer là aussi une production intensive, qui réponde aux nécessités quotidiennes du grand nombre; mais la place d'honneur restera toujours à l'œuvre singulière, celle où l'artisan exploite au maximum les qualités de l'étoffe utilisée et déploie toutes ses ressources pour réaliser le modèle qu'il a conçu.

C'est le propre d'un art de chercher constamment à se renouveler, d'inventer sans cesse d'autres formes, de souligner d'autres nuances. Il faut sans doute satisfaire les désirs de l'acheteur, mais le fabricant tentera d'attirer son attention, de solliciter son intérêt, par la beauté et le fini de son travail. Cet effort se justifie entièrement; mais, par ailleurs, l'esprit matérialiste, qui inspire une si grande part de la civilisation d'aujourd'hui, n'a pas épargné le secteur de la mode. On y voit s'étaler trop souvent un luxe provocant, ignorant de toute pudeur, soucieux uniquement de flatter la vanité et l'orgueil. Au lieu d'élever et d'ennoblir la personne humaine, le vêtement parfois tend à la dégrader et l'avilir. Même si vous n'êtes pas responsables de ces manifestations regrettables, vous ne pouvez y demeurer indifférents. Bien loin d'entretenir le penchant déjà trop vif à l'immodestie, soyez toujours soucieux de respecter les normes de la décence et du bon goût, d'une élégance sainement entendue et parfaitement honnête. Bref, au lieu de suivre le courant matérialiste qui entraîne tant de contemporains, mettez-vous délibérément au service de fins spirituelles. Il n'est pas possible de cloisonner la vie humaine, d'y fixer certains domaines où la morale n'aurait point son mot à dire. Le vêtement exprime de façon trop immédiate les tendances et les goûts de la personne pour échapper à certaines règles bien nettes, qui dépassent et commandent le simple point de vue esthétique.

S'il faut condamner l'ostentation vaine, il est entièrement normal que l'homme se préoccupe de rehausser, par l'éclat extérieur des habits, les circonstances extraordinaires de la vie, et de témoigner par là ses sentiments de joie, de fierté ou même de tristesse. La robe blanche d'une enfant au matin de sa première communion, celle de la jeune femme au jour de son mariage, ne symbolisent-elles pas l'éclat tout immatériel d'une âme qui offre le meilleur d'elle-même ? Et ailleurs, selon la parabole de l'Évangile, l'entrée dans le Royaume des cieux n'est-elle pas réservée à ceux-là seuls, qui porteront le mystérieux vêtement de noces que Dieu exige de ses invités, c'est-à-dire une conscience droite et pure, dont les fautes ont été effacées par la grâce divine, qui la transforme et la rend digne de paraître devant Dieu ? N'est-ce pas là pour votre profession un idéal moral magnifique ? Vous travaillez immédiatement au service de la personne humaine, élevée par Dieu à une dignité incomparable, lorsque par son Incarnation Il est devenu membre de l'humanité. Dans le plus humble de vos semblables resplendit l'image du Fils de Dieu. Comme les mains maternelles de la Vierge se sont employées à confectionner les habits du Christ, et peut-être cette robe qui fut tirée au sort sur le Calvaire par des soldats inconscients de la portée de leur geste, c'est Dieu que vous continuez à vêtir dans les hommes d'aujourd'hui. Il ne s'agit pas là d'un pur symbolisme. Dans un des passages les plus solennels de l'Évangile, l'annonce du jugement dernier, le Christ fait expressément allusion à cette œuvre de charité : « Venez prendre possession du Royaume qui vous est préparé, dit-il à ses élus, car j'étais nu et vous m'avez vêtu ». Et Il ajoute : « Chaque fois en effet que vous l'avez fait au plus petit de mes frères, c'est à moi-même que vous l'avez fait » (cf. Mt 25, 34. 36. 38. 40. 43).

Ce passage de l'Évangile renferme pour vous, Messieurs, une magnifique promesse et une grande consolation. Malgré les difficultés qui entravent l'exercice de votre activité professionnelle, n'abaissez pas vos préoccupations au seul souci du gain temporel. Sachez rester toujours conscients de la signification profonde de votre travail et de sa finalité humaine. Loin d'en entraver l'exercice, cet idéal vous aidera à en sauvegarder la dignité et vous rendra justement fiers de la noblesse de votre tâche. En gage des bénédictions divines que Nous implorons sur vous-mêmes, vos familles, vos collaborateurs, Nous vous accordons de tout cœur Notre Bénédiction apostolique.


* Discours et messages-radio de S.S. Pie XII, XVI,
Seizième année de pontificat, 2 mars 1954 - 1er mars 1955, pp. 129 - 132
 Typographie Polyglotte Vaticane

 



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