DISCOURS DU PAPE PIE XII,
AUX PARTICIPANTS À LA CONFÉRENCE INTERNATIONALE
SUR LES RELATIONS HUMAINES DANS L'INDUSTRIE, ORGANISÉE PAR L'AGENCE EUROPÉENNE DE PRODUCTIVITÉ DE L'OCEC*
Samedi 4 février 1956
En répondant à votre désir d'être reçus en audience, Nous sommes heureux d'accueillir en vous, Messieurs, les représentants des entreprises et des syndicats, qui viennent d'étudier ensemble, avec le concours de nombreux spécialistes, les relations humaines dans l'industrie. Le sujet est à l'ordre du jour, et Nous sommes le premier à Nous en réjouir, dans la mesure où il représente un progrès vers l'union des deux grandes forces qui collaborent à la production, les employeurs et les employés.
Votre but était d'étudier, dans un climat de compréhension mutuelle, les facteurs qui peuvent contribuer à l'amélioration des relations humaines dans l'industrie et d'examiner l'apport de la recherche scientifique en ce domaine. Il est primordial en effet de connaître exactement de part et d'autre les données du problème. Elles sont fort complexes en vérité, et les mesures préconisées par les sciences de l'homme, sociologie, psychologie ou psychotechnique, se heurtent à d'énormes résistances, durcies par le temps, par le jeu des institutions, par l'accumulation des erreurs et des préjugés. Non seulement les esprits ont la plus grande peine à juger objectivement, mais les libertés aussi sont plus ou moins paralysées, de puissantes forces, telles que les pressions sociales ou la concurrence technique, pesant de tout leur poids sur les décisions à prendre.
Nous constatons néanmoins avec bonheur que la pure technique a mis en relief l'importance si longtemps méconnue des relations humaines dans le travail. Notre prédécesseur de vénérée mémoire, Pie XI, ayant évoqué le mépris dans lequel étaient trop souvent tenus les intérêts supérieurs des ouvriers, ne s'écriait-il pas : « Contrairement aux plans de la Providence, le travail destiné, même après le péché originel, au perfectionnement matériel et moral de l'homme, tend, dans ces conditions, à devenir un instrument de dépravation : la matière inerte sort ennoblie de l'atelier, tandis que les hommes s'y corrompent et s'y dépravent » (Quadragesimo anno, Acta Ap. Sedis, vol. 23, 1931, p. 221-222). Nous voudrions pouvoir dire que cela n'a plus lieu sur aucun point de la terre. Hélas ! Tout le monde sait que les progrès sont lents, beaucoup trop lents sur ce point essentiel, en bien des pays, sur des continents entiers.
Si vous avez, Messieurs, sollicité l'audience que Nous vous accordons, c'était assurément pour entendre la voix de l'Église sur les questions qui vous préoccupent. Ce que l'Église souhaite en cette matière dépend évidemment de l'idée qu'elle a de l'homme. Pour elle, tous les hommes sont égaux en dignité devant Dieu ; ils doivent donc l'être aussi dans les rapports libres ou nécessaires qui les unissent.
Or la communauté de travail, qui de nos jours s'établit moralement sur la base des contrats entre les employeurs et les employés des grandes entreprises, constitue de la part des premiers un véritable engagement envers les seconds, car ils demandent à ceux-ci le meilleur de leur temps et de leurs forces. Ce n'est donc pas seulement un travailleur que l'on embauche et auquel on achète son travail ; c'est un homme, un membre de la société humaine, qui vient collaborer au bien de cette même société dans l'industrie en question. Certes, une entreprise, même moderne, n'est pas totalitaire ; elle n'accapare pas des initiatives qui, placées hors de son activité particulière, appartiennent personnellement aux travailleurs. En outre une entreprise moderne ne se résout pas en un jeu de fonctions techniques coordonnées de façon anonyme. Elle unit par contrat des associés, dont les responsabilités sont différentes et hiérarchisées, mais auxquels le travail doit fournir le moyen d'accomplir toujours mieux leurs obligations morales, personnelles, familiales et sociales. Ils ont à se prêter loyalement un service mutuel, et si l'intérêt des employeurs est de traiter leurs employés en hommes, ils ne sauraient se contenter de considérations utilitaires : la productivité n'est pas une fin en soi. Chaque homme au contraire représente une valeur transcendante et absolue, car l'auteur de la nature humaine lui a donné une âme immortelle. Bien plus Il s'est fait homme et s'identifie moralement à quiconque attend d'autrui le supplément d'être qui lui manque : « Tout ce que vous ferez au plus petit de mes frères, c'est à moi que vous l'aurez fait » (Mt 25, 40). Lui-même n'est pas venu pour être servi, mais pour servir (cf. Mt 20, 28), et II n'a pas hésité à donner sa vie pour sauver les hommes. Voilà d'où vient l'éminente dignité de toute personne humaine et la responsabilité de quiconque emploie un homme à son service.
C'est pourquoi Nous souhaitons vivement que les travaux de vos journées d'études aient apporté non seulement la lumière dans les esprits, mais une compréhension plus profonde des difficultés d'autrui, une bienveillance réciproque plus sincère et la volonté de chercher de part et d'autre les accords nécessaires dans le respect mutuel et le souci constant du bien général.
À ces intentions et à celles que vous portez dans le cœur, Nous implorons sur vous tous ici présents, sur vos familles et vos amis le secours du Ciel, et Nous vous accordons de grand cœur Notre paternelle Bénédiction apostolique.
* Discours et messages-radio de S.S. Pie XII, XVII,
Dix-septième année de Pontificat, 2 mars 1955 - 1er mars 1956, pp. 509-511
Typographie Polyglotte Vaticane
Documents Pontificaux 1956, p.58-60.
L’Osservatore Romano 5.2.1956, p.1.
La Documentation catholique, n.1219 col.197-199.
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